480. La jetée
Après la tempête de la nuit précédente, d'épaisses volutes brumeuses traînaient encore sur Jubilee Pier. J'avais emprunté un chemin inverse. J'avais quitté les ombres grises de l'incertitude, poussé par l'incommensurable chagrin d'Emily qui réclamait à cor et à cri que je lui ramène sa maman, pour les méandres noires de la colère.
La veille au soir, ne voyant pas Bea rentrer, j'avais appelé son rédacteur en chef au Florida Times-Union. L'inquiétude grandissante dans les yeux de notre fille me donnait l'impression d'être pris dans les anneaux d'un boa constrictor.
" Beatrice n'est pas ici, Richard. Je sais seulement qu'elle avait rendez-vous à Key West avec un informateur pour l'une de ses investigations.
- Qui ?
- Le gars s'appelle Fogarty.
- Quelle enquête ?
- Un gros coup. Elle m'a juste révélé que c'était aussi important que l'affaire Tom Maynard.
- Je peux la joindre quelque part ?
- Aucune idée, désolé.
- Prévenez-moi si vous apprenez quelque chose, Mr. Morris. "
À l'aube, toujours sans nouvelles de ma compagne, je décidai de partir à sa recherche. Les longs sanglots d'Emily, tombée d'épuisement sur mes genoux, avaient achevé de me convaincre que quelque chose de grave s'était passé. Du tiroir fermé à clé de ma table de nuit, je sortis mon Colt 1911 où j'insérai un plein chargeur, sous l'œil désapprobateur de mon grand-père :
" Je n'aime pas te voir prendre ce genre de chemin, Richie.
- C'est juste au cas où.
- On dit toujours ça, mais on ne charge pas une arme sans quelque intention. Assumée ou non. Je dis quoi à Emily ?
- Que je vais lui ramener sa maman. "
Sur la route, je ne pus m'empêcher de penser : " Bon sang, Bea, qu'est-ce que tu cherches à courir après les ennuis ? "
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