Chapitre 7
Écrit en écoutant notamment : Ummet Ozcan – Xanadu
Le train s’est mis en route et les paysages plats défilent. Je n’aurais pas dû boire autant hier soir : les vibrations de la rame de TGV me donnent déjà la nausée alors que nous ne sommes partis que depuis vingt minutes. Déjà cette nuit, heureusement que le trajet du retour en Uber n’a pas duré trop longtemps ; je n’aurais pas survécu à quelques virages de plus !
Néanmoins, de premiers effets positifs se font sentir après avoir sifflé la moitié de la bouteille d’eau que j’ai emmenée. Je crois que ça va le faire.
***
La voix du chef de bord me réveille alors que j’avais réussi à m’assoupir contre le dossier pourtant peu confortable du siège. J’essuie rapidement le filet de bave séchée qui s’est formé à la commissure de mes lèvres et me lève pour récupérer mon sac à dos. Je n’ai pris que le strict nécessaire pour la journée et la nuit, pas la peine de se trimballer avec une valise.
J’émerge des souterrains et me retrouve sur la petite esplanade qui borde la gare. L’arrêt de tram est juste en face, très pratique ! Je m’assure d’abord de la direction à prendre puis me poste devant la borne de vente de tickets. Alors que j’allais valider mon code de carte bancaire, une voix retentit derrière moi :
- Eh, on est le week-end, les transports sont gratuits le samedi et le dimanche !
Je me retourne brusquement pour me retrouver face à un jeune homme avec un large sourire.
- Ok merci, je savais pas ! Ah mais si, c’était écrit en plus…
Premier constat : les Nantais sont serviables et beaux gosses. Ai-je tendance à généraliser hâtivement ? Je ne sais pas ce qui pourrait vous le faire penser.
Les stations s’égrènent : Duchesse Anne, Bouffay, Commerce, puis enfin Médiathèque, c’est ici que je dois descendre. Il faut rejoindre l’Île de Nantes, un quartier situé entre les deux bras de la Loire.
J’emprunte une passerelle au-dessus du fleuve, dont les rives ont été conservées à l’état sauvage. En face de moi s’élève le large bâtiment noir du tribunal administratif que j’avais repéré sur le plan. Je m’arrête quelques instants pour m’imprégner de l’ambiance, ma foi fort plaisante. La chaleur est agréable sans être excessive comme au milieu du béton parisien. Le fleuve charrie avec lui une brise qui me caresse les joues. Plusieurs groupes de jeunes profitent des beaux jours de l’été assis sur les quais de Loire. D’autres sont torse-nu, enchaînant pompes et tractions sur des équipements de street workout le long des quais, le tout au son d’un hip-hop agressif.
Je dois dire que je détone avec ma tenue propre. En même temps, je viens pour un entretien professionnel, et ce n’est pas le fait que je me rende dans un studio de films pour adultes qui doit changer cette habitude. Je parviens à l’adresse indiquée par Daniel dans son message et compose son numéro pour l’informer que je suis arrivé.
***
- Martial, ravi de te rencontrer ! J’espère que ton voyage s’est bien passé.
Je ne m’attendais pas à voir débarquer un bonhomme d’une cinquantaine d’années au crâne rasé, en short, chemise et lunettes de soleil. Sûrement le style local.
- Bonjour Monsieur Alekhine, aucun souci de ce côté-là.
- Tu vas vite t’habituer à m’appeler Daniel, pas de formalités chez nous !
- D’accord Daniel !
- Allez, suis-moi, je vais te montrer où on travaille. Nous ne sommes pas un très gros studio, donc tout est au même endroit. Le tour sera fait rapidement.
Nous montons au premier étage.
- À toi l’honneur, dit-il en me laissant poliment passer devant lui.
Mis à part quelques posters représentant des mecs dans des tenues séduisantes et certains awards encadrés, la décoration reste sobre. En même temps, à quoi est-ce que je m’attendais pour mon accueil ? À voir déambuler une cohorte de jeunes minets à poil au milieu de néons flashy ? Peut-être que l’endroit est plus animé en semaine, faudra voir.
- Donc voici l’accueil du studio… si on continue là-bas derrière, on a nos bureaux, c’est là que je fais ma paperasse, qu’on monte les films, et… que tu pourras travailler… Si bien sûr tu nous rejoins, ce dont je ne doute pas une seule seconde.
- C’est plutôt sympa, en tout cas bien différent de l’open space avec cinquante personnes dont j’ai pris l’habitude.
- Oh oui, j’ai aussi connu ça… Tu verras, c’est très familial ici.
- Et vous avez des pièces pour les tournages ?
- Bien sûr ! Trois chambres, ainsi qu’un local pour tout le matériel vidéo et de la déco en vrac. On essaye de renouveler de temps en temps, c’est nécessaire pour réduire le churn. Tu sais ce que c’est ?
- Yes ! Taux d’attrition en français, c’est le taux de clients perdus sur une période donnée. Effectivement, j’imagine que les abonnements de clients représentent la majorité des revenus ; en plus, la concurrence doit être féroce sur ce marché.
- On t’avait vendu comme un développeur, certes excellent, mais je suis content de voir que tu sais déjà prendre un minimum de recul sur notre activité.
- Ah, merci, c’est d’autant plus important si on est peu d’employés…
- Donc en ce moment, c’est style « marin ». Remarque, ça colle plutôt bien avec la Bretagne... Tu devrais voir notre Dimitri en moussaillon, un vrai petit ange.
- J’imagine…
- On commence une série de films dans le thème : perso, je suis assez confiant. Allez, viens, on s’installe dans mon bureau pour parler plus précisément de ton travail.
***
Dimitri – III
Dimitri arrive enfin à destination après une grosse heure et demie de transports depuis le centre de Nantes.
- Bonjour mon chéri ! Oh, comme je suis contente de te voir !
Sa mère l’embrasse et referme la porte derrière eux. Une délicieuse odeur de tarte aux pommes imprègne le rez-de-chaussée.
- Tu as vraiment bonne mine ! ajoute-t-elle. Tu ne devais pas aller voir des amis aujourd’hui finalement ?
- Ce soir seulement, on a toute l’après-midi !
- Je pense que la tarte a dû assez refroidir, on prend un morceau ?
Elle ramène le plat et découpe deux parts généreuses.
- Et ton travail dans ton studio, comment ça se passe en ce moment ?
- Très bien, en plus là avec les vacances, j’ai plus de temps à y consacrer. On est en train de commencer une nouvelle série ; c’est cool parce qu’ils me donnent pas mal de liberté pour le choix des scènes.
- C’est super, tu as de la chance, profites-en !
- Oui ! Et toi, tes cours particuliers de la semaine ?
- Oh, ça va… Au moins, ça me fait parfois penser à autre chose…
Le visage de sa mère s’assombrit soudainement. Quelques secondes plus tard, ce sont des larmes qui commencent à couler sur ses joues. Dimitri sait bien qu’elle essaye de masquer ses angoisses en forçant cette bonne humeur, mais la réalité la rattrape souvent très brutalement.
Cela fait plus de deux ans qu’elle est dans la pénible attente d’une transplantation rénale. Pendant ce temps, pas d’autre choix que de passer par des dialyses, environ cinq heures tous les deux jours. C’est en particulier cette dépendance et la perte d’autonomie qui sont les plus difficiles à supporter.
Il décide de la rejoindre sur le canapé du salon et passe son bras autour de ses épaules. Il doit lui montrer qu’il la soutiendra toujours du mieux qu’il peut.
- Je crois qu’on n’y arrivera jamais… dit-elle à voix basse. Je suis vraiment en train de mourir à petit feu sur cette liste d’attente.
- Je te promets que ça va finir par s’arranger !
- Oui, je l’espère aussi de tout mon cœur…
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