Chapitre 18
Écrit en écoutant notamment : Sebastian Castro – Bubble
Dimitri – V
Ils franchissent l’entrée du bar qu’ils ont repéré en dégustant leur cassolette de moules tout à l’heure. Dimitri tient poliment la porte pour ses amis, qui sont tous venus s’amuser avec lui.
Seuls Daniel et Martial manquent à l'appel. Assez compréhensible pour le premier ; c’est surtout le choix de Martial qui l’a surpris. Il a brusquement changé d’humeur alors qu’il semblait ravi du voyage jusqu’ici. Est-ce leur rapport qui l’a tant perturbé ? Étonnant, car malgré son stress initial, il avait fini par « adorer » selon ses mots ! En plus, il n’a pas à avoir honte de son corps. Avec l’assurance nécessaire, il mériterait carrément une place parmi les acteurs. Bref, ce n’est pas un coup de queue qui doit changer leur début d'amitié.
Un barman vient aborder le groupe en leur tendant une feuille et un stylo :
- Je vais lancer le karaoké, libre à vous de me noter des titres.
Kenzo s’empare en premier du papier et inscrit son morceau.
- T’as mis quoi ? demande un de leurs potes. J’arrive même pas à lire ton écriture.
- La Tribu de Dana ! On est carrément dans le thème !
- Ouais, même s’ils sont parisiens…
- Genre ? C’est vrai ?
Dimitri sort son téléphone pour vérifier rapidement ; ils font pourtant très celtique dans leurs morceaux. Mais effectivement, leur ami a raison, ils sont bel et bien originaires de banlieue parisienne. Plus amusant, le leader du groupe s’appelle Martial Tricoche ! Dommage que leur Martial à eux ait décliné l’invitation, la soirée promet d’être réjouissante. En retenant son rire, il inscrit à son tour : Sebastian Castro – Bubble. Au moins, il connaît encore les paroles du morceau sur le bout des doigts. Même s’il lui restait peu de doutes à cette époque – en seconde – le clip l’avait bien conforté dans la découverte de son orientation. C’est certain que le son fera rire le bar ! Le pire est que le rythme est super entraînant et la basse percutante pour un morceau pop.
Le barman allume le vidéoprojecteur et fait descendre un écran devant le mur du fond. La séance commence avec un groupe d’adolescentes qui s’égosillent sur un morceau d’Aya Nakamura. Légèrement douloureux mais supportable pour cinq minutes.
Finalement, La Tribu de Dana fait l’unanimité, aidé par ce fanfaron de Kenzo qui hurle les rimes dans le micro qu’on lui a tendu. Sa danse n’est pas très académique non plus, mais il fait le spectacle, c’est le plus important ! Une fois sa performance terminée, il s’enfile un shot sous les applaudissements des clients.
Dimitri retourne aussi se commander un mojito pendant que d’autres clients d’une quarantaine d’années se déchaînent sur un vieux morceau de Téléphone, puis un autre du groupe allemand Scooter. C’est cool de mélanger les styles musicaux, on ne s’ennuie vraiment pas !
- Alors, il est comment de près, le Martial ? lui demande Kenzo.
- Très sympa, héhé !
- J’ai bien compris que j’avais aucune chance, c’est pour ça que je te l’ai laissé. Je te le dis, il est tombé amoureux de toi.
- Mais non… Même pas sûr qu’on se refasse un truc. Je l’ai trouvé bizarre, j’ai pourtant rien fait de mal.
- Faudra que tu m’expliques ça plus en détail. Allez, c’est ton tour. Éblouis-nous !
Dimitri se lève et porte le micro à sa bouche. Une chance sur deux pour que les prochaines minutes soient très gênantes, mais on s'en fiche !
- Tu veux pas m’accompagner, Kenzo ? demande-t-il.
- Comme tu veux ! Je ferai de mon mieux pour suivre les paroles.
- Observe bien la danse aussi. Si t’arrives à me la refaire, je me prosterne à tes pieds.
***
***
Ah, enfin ! Dispo dans cinq minutes… Je relève mon casque et débranche la prise jack qui le relie à mon téléphone. De l’autre côté de la pièce, Daniel est toujours devant l’écran de son ordinateur, imperméable à tout stimulus extérieur. Bien sûr, je quitte quand même la chambre pour appeler Sarah. En descendant les escaliers, je me demande si mon boss serait dérangé par ce genre de relations avec les acteurs du studio. Ce n’est jamais très bien perçu en entreprise, mais lui les tolère peut-être. J’imagine que c’est inévitable dans ce milieu.
Je m’éloigne d’un groupe de jeunes qui fument sur le parking de l’auberge pour être au calme ; mes histoires ne les concernent pas. J’aurais peut-être dû prendre un pull, car il fait carrément plus frais que cet après-midi.
- Hello Sarah ! Trop content de te parler !
- De même, on dirait que tes dernières semaines ont été très occupées. Toujours en balade à Saint-Malo ?
- Oui ! On a passé une super journée.
- Donc tout va bien ?
- Oui… enfin non, je veux dire jusqu’au début de soirée…
- Mais encore ?
- Tu te souviens du blond sur la photo de tout à l’heure ? Bah… on a fait… certaines choses ensemble.
- Grande nouvelle ! Tu vois que tu as du potentiel, un sex-appeal de malade.
- Si tu le dis.
- Mais je sais aussi que tu te poses un milliard de questions, comme d’habitude.
- C’est ça. Tout est arrivé trop vite, mais je ne pouvais pas le refuser.
- Ah la la, les gays, vous êtes vraiment une espèce à part. Pourquoi donc se sauter dessus à peine après avoir fait connaissance ?
- Tu m’aides pas trop, là.
- Je sais ! Enfin, là est sûrement le problème. Ton petit cœur fragile a besoin de romantisme, tu n’es pas fait pour ces bêtises. D'ailleurs, tu es peut-être asexuel.
- N’importe quoi ! J’ai suffisamment regardé ce foutu Dimitri sur mon écran pour savoir que j’aime baiser avec des gars !
Une silhouette passe à une cinquantaine de mètres, le long de la rue, en accélérant le pas lorsque je me tourne dans sa direction. C’est vrai que j’ai soudainement élevé la voix. Je n’ai même pas pu déterminer si c’était un homme ou une femme qu’elle a déjà disparu.
- J’abuse peut-être, dit Sarah. Alors tu es demisexuel.
- Demisexuel ? C’est quoi cette invention ?
- Ça veut dire que tu as besoin d’un attachement fort avant d’envisager du sexe.
- Comme tout le monde ! Est-ce que c’était vraiment nécessaire d’inventer un mot pour ça ?
- Je ne sais pas, mais tu viens de contredire tes propres actes. Je te laisse méditer le sujet. Sinon, tu repasses à Paris un de ces jours ?
J’ai un peu honte de ne pas l’avoir prévenue de mon passage dans la capitale le week-end passé, lors de l’anniversaire de ma mère.
- Oui, dis-je après quelques secondes, ça va se faire sous peu. Vous pourriez aussi venir à Nantes ; avec mon immense quarante mètres carrés, suffit que vous rameniez un matelas gonflable.
- Très bonne idée ! T’as pas un lit double dans ton appart ?
- Si, pourquoi ?
- Je prendrai la place restante si elle n’est pas occupée par un mec.
- Je vois… pas trop de risques normalement.
- Allez, je dois te laisser, mais n’oublie pas que je t’aime !
Je ne suis pas mécontent que la discussion ne s’éternise pas. Mes doigts vont bientôt virer au blanc avec ce vent affreux.
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