Chapitre 34
Écrit en écoutant notamment : Warface x Dual Damage x Disarray – Revelation
Dimitri – VI
Dimitri avait promis à sa mère de l’appeler pendant le voyage, d’ailleurs, le moment est même déjà tardif. Heureusement, il lui a suffi de demander, pour que Jordan, très arrangeant, le laisse une demi-heure seul dans la chambre.
Sa mère décroche juste après la première sonnerie et son visage apparaît sur l’écran. Le flux vidéo pixellise à cause de la piètre qualité du Wi-Fi de l’hôtel, mais Dimitri lui trouve une bien meilleure mine qu’il y a quelques jours.
- Bonjour mon Dimitri ! Ta journée est terminée ?
- Oui ! Je me repose un peu avant la soirée. C’est fort possible qu’on ne se couche pas avant trois ou quatre heures du matin.
- Bien ! J’imagine que tu l’as mérité.
- Ça, c’est sûr ! Normalement, on devrait être de retour à Nantes demain soir, dans la nuit. Je passerai à la maison le jour suivant.
- Très bonne nouvelle !
Même le ton de sa voix est rassurant. Celui-ci lui rappelle son adolescence, lorsque sa famille était encore soudée et que tout allait pour le mieux.
Dimitri tourne la poignée de la grande fenêtre de la chambre, puis un vent frais s’engouffre dans la pièce lorsqu’il écarte les carreaux. Dehors, les innombrables illuminations des bâtiments redessinent l’architecture de la ville, tandis qu’en arrière-plan, la Veltava ondule tel un serpent aux écailles noires et brillantes. Dimitri oriente son téléphone vers l’extérieur.
- Je ne sais pas si on voit grand-chose, mais je peux t’assurer que la vue est splendide.
- Ça m’en a tout l’air. Je t’avais déjà dit que j’y étais passée quelques jours lors d’un voyage ?
- C’était quand ?
- Oh, il y a presque trente ans ! Ça ne me rajeunit pas ! C’est vraiment dommage que je ne puisse plus voyager, en ce moment…
Dimitri sait bien qu’organiser ses traitements par dialyse en dehors du cadre habituel est un véritable parcours du combattant, encore plus à l’étranger. Il faut réunir une quantité de papiers monumentale et les réponses se font souvent longuement attendre, avant d’être négatives, à cause de la saturation de bon nombre d’établissements hospitaliers. Si par malheur quelque chose tourne mal, il faut aussi pouvoir rentrer d’urgence en France.
- Aussi, tu te souviens de Martial, le mec qui est arrivé au studio il y a quelque temps, pour s'occuper de l’informatique ?
- Bien sûr, tu m’en parles quasiment à chaque fois !
- Si tu le dis…
- Il te plaît ?
- Justement, je voulais en discuter avec toi.
Le visage de sa mère pétille. C’est un sujet qui lui remonte toujours le moral. Elle l’a toujours tellement soutenu dans l’affirmation de son orientation sexuelle que Dimitri lui doit ça en retour. Apparemment, les choses sont plus compliquées pour le pauvre Martial, pour qu’il craigne à ce point d’en parler à ses parents. Lors de leur conversation de tout à l’heure, il lui avait avoué que même son homosexualité avait été accueillie avec froideur. Le récit de son coming-out s’était achevé avec une voix empreinte de déception, comme s’il en gardait une rancœur depuis toutes ces années. Peut-être que lui-même, et pourquoi pas sa mère, pourraient l’aider.
- Je crois que je l’ai un peu brusqué, la première fois, ajoute Dimitri. Mais j’ai appris à mieux le connaître, depuis.
- Ohh !
- Il est assez différent des garçons que j’ai rencontrés jusque-là.
- Tant qu’il est différent de Bastien, ça me va ! éclate-t-elle de rire.
À son tour, Dimitri ne peut s’empêcher de pouffer. Leur relation durait depuis quelques semaines, lorsqu’un jour, sa mère avait reçu un texto de la part de ce Bastien. Le souci était que son copain réclamait des photos intimes… Bastien ne s’était rendu compte de sa bourde qu’une heure plus tard, avant de supprimer le message.
L’erreur peut arriver, car en effet, ils adoraient échanger ce genre d’images, mais au bout de trois, quatre, puis cinq fois, il devient légitime de se poser des questions sur la santé d’esprit du garçon. Heureusement que sa mère prenait la situation à la rigolade… Dimitri avait observé avec attention son petit ami pour voir s’il souffrait d'un quelconque trouble lié à des tremblements, en vain. Tous les deux avaient fini par conclure qu’il le faisait exprès, sans bien en comprendre les raisons. Malgré d’autres habitudes étranges, comme celle de se complimenter seul devant son miroir, Bastien avait réussi à charmer Dimitri ; c’était en classe de Première, à l’époque.
- Ah là là, c’était une erreur de jeunesse ! s'écrie Dimitri.
- On est bien d’accord !
- Ça ne risque pas d’arriver avec Martial, c’est le mec le plus sérieux que j’aie rencontré depuis des lustres. Mais il a un truc, c’est clair.
- C’est super pour toi ! Tu me donnes même envie de le rencontrer.
- Bientôt, bientôt, j’y travaille doucement… Je vais devoir m’armer de patience… Je sens qu’il désire vraiment vivre une relation, mais c’est comme s’il ne se l’autorisait pas. Il se pose des tonnes de questions.
- Tu dois t'adapter à son rythme, alors. Il n’a jamais eu de copain ?
- Je ne crois pas ; en tout cas, il ne m’en a pas encore parlé. Enfin, ça ne l’empêche pas d’être assez… ouvert.
- Dimitri !
- Oui, désolé ! répond-il en s’esclaffant. Mais tu es la maman la plus cool du monde, n’est-ce pas ?
- Évidemment…
- Pour en revenir à Martial, j’ai surtout peur qu’il n’accepte pas de me voir tourner avec d’autres garçons.
- Ohh, beaucoup seraient dans le même cas, à mon avis. Tu savais en t’engageant au studio que ça serait très particulier. On en avait beaucoup parlé, tu te souviens ?
- Ouais… Du coup, je me demande de plus en plus souvent si je ne devrais pas y mettre un terme.
- Un terme à ton job ?
- Bah oui ! Pas à Martial !
- Je te taquine !
Dimitri secoue la tête en rigolant. Il est surtout heureux de voir qu’elle n’a pas encore perdu son sens de l’humour.
- Mais quoi que tu choisisses, reprend-elle, je te soutiendrai tant que je tiens debout. Même financièrement, je ferai les sacrifices qu'il faudra. Par contre, tu ne m'as toujours pas montré à quoi ressemble ton beau Martial !
Il ne peut s’empêcher de sourire bêtement. Sa maman est fantastique.
***
Une fois son appel vers la France terminé, Dimitri passe voir Daniel dans la salle de restaurant pour se mettre d’accord sur le programme de la soirée. Ce dernier se retourne subitement en le sentant arriver dans son dos, tout en enfonçant les touches alt et shift pour changer d’onglet. Malgré tout, la destination indiquée à l’écran sur le billet d’avion a eu le temps de s’imprimer dans la tête de Dimitri. Białystok, ce serait donc là-bas qu'habite sa famille ?
Moins de deux minutes après son retour dans la chambre, Kenzo et Martial y débarquent à leur tour. Il a tout juste eu le temps d’ouvrir Maps et de localiser la future destination de Daniel. C’est une grande ville de Pologne, située complètement à l'est, à une trentaine de kilomètres de la frontière biélorusse.
Si Kenzo est rougeaud et que des mèches humides lui tombent sur le front, Martial est tout halbrené. Sa tenue de sport, short et maillot, lui colle à la peau, et il est à moitié dans les vapes, comme s’il avait déjà bu trop de bière tchèque. En dépit de son état, il reste étonnamment mignon.
- Allez Martial, à la douche ! On ne traîne pas ! lance Dimitri.
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