Chapitre 39

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Écrit en écoutant notamment : Technoboy – Catfight

Je m’installe sur un banc dans le hall d’entrée visiteurs et me mets à guetter les portes d’ascenseur. Les lieux sont étonnamment calmes, peut-être car il est une heure de l’après-midi. Seul un des trois postes d’accueil est occupé, tandis que la cafétéria est absolument déserte. En revanche, la puissante odeur de désinfectant et de produits de nettoyage, qui s’est propagée jusqu’ici, m’agresse violemment.

Je me lève immédiatement lorsque je reconnais Dimitri : il marche lentement, d’un pas détaché. Il a repris des couleurs et son regard s’est apaisé. Il y a une chance pour que ce ne soit pas trop grave.

  • Plus de peur que de mal, dit-il pour confirmer mon interprétation.
  • Tu sais que tu ne m’as toujours pas expliqué qui ça concerne ?
  • Ma mère.
  • Et comment elle va, si c’est pas indiscret ? Elle doit rester longtemps ?
  • On ne sait pas vraiment. Elle reste en observation à cause d’une commotion, et les médecins attendent des résultats pour décider s’ils peuvent réduire sa fracture du poignet directement, ou s’il faut opérer.
  • Oh là, quand même !
  • Quand ils m’ont appelé pour dire qu’ils l’avaient retrouvée inconsciente chez elle, j’ai cru…

La voix de Dimitri se brise, avant qu’il souffle, en une fois :

  • J’ai cru qu’elle avait fait une tentative de suicide.

Je ne sais pas quoi dire. Cette deuxième lame me heurte violemment et pose encore plus de questions qu’auparavant.

  • Heureusement, poursuit-il, depuis qu’elle est réveillée, et qu’elle a pu parler aux médecins, cette piste est complètement écartée. En plus, les gendarmes qui sont passés tout à l’heure ont affirmé que des voisins avaient repéré des traces d’effraction. Ils pensent à un cambriolage qui a mal tourné.

J’attends des explications supplémentaires, mais rien ne vient. Je comprends seulement à quel point l’inquiétude devait le ronger. Je me mets moi-même à trembler sans pouvoir me contrôler.

Il frappe quelques coups à la porte deux-cent-cinq en annonçant son arrivée, et surtout la mienne. Bien que je ne l’aie pas encore vue, sa mère me rassure par la chaleur de sa réponse. Elle m’interpelle directement lorsque j’entre dans son champ de vision :

  • Ah, c’est donc toi, son fameux Martial ! Je suis ravie de te voir.
  • Euh… oui ! De même pour moi.
  • Comme tu le vois, dit-elle en me montrant son poignet immobilisé, je ne me présente pas dans ma meilleure forme, mais ça va s’arranger.
  • J’espère aussi… évidemment.

T’avais pas plus stupide, comme réaction ?

  • Tu peux m’appeler Valérie, reprend-elle avec gaieté.

Elle a quand même soutenu que j’étais le Martial de Dimitri ! Je cherche des explications dans les yeux de mon ami, mais n’y trouve que l’expression d’un flagrant délit de mensonge par omission. Il s’assoit sur le fauteuil qui jouxte le lit, passe son bras par-dessus la barrière latérale et attrape la main de sa mère.

  • Tu es incroyable, tu te souviens parfaitement de Martial, mais pas de ton accident, dit-il.
  • Oui, les médecins ont dit que c’était normal. Je me rappelle très bien de ton appel, après je suis allée manger, me coucher… puis c’est le trou noir, jusqu’à ce matin. Apparemment, il est possible que des éléments me reviennent dans les prochains jours.

Malgré la sympathie de Valérie, je me sens de trop dans cette pièce et profite lâchement des messages envoyés par Sarah il y a une heure pour leur signifier que je dois m'absenter quelques minutes.

Elle n’est pas en ligne, mais je me sers de cette pause pour rédiger un long message et sélectionner des photos du séjour à lui montrer. Trois jours sans se parler, c’était une anomalie qui ne pouvait plus durer.

« Ouais, je viens de rentrer du tournage à Prague ! Je sais que les mecs aux origines japonaises te plaisent beaucoup, mais crois-moi, il n’y a pas besoin d’aller autant à l’Est pour trouver son bonheur. Les Tchèques sont à tomber par terre. »

J'enchaîne sans tarder avec un deuxième bloc :

« Je dis ça, mais je crois que c’est plutôt bien embarqué avec Dimitri. Tu sais, le gars qui m’avait foudroyé dans la chambre d’hôtel de Saint-Malo, juste avant que je te raconte mes soucis existentiels. Finalement, il me plaît… tu devrais le voir, je le trouve inspirant. Bref, on est repartis sur des bases plus normales : hier, on a dansé ensemble en boîte, on s’est embrassés, c’était juste magique ! Le problème, c’est que je suis vraiment trop nul en drague. Pour l’instant, tout va bien, mais j’ai envie de lui en montrer plus. Je suis sûr que tes prétendants ont rivalisé d’ingéniosité pour essayer de te séduire, tu dois avoir des bonnes idées ! ».

Le message envoyé, je glisse mon téléphone dans ma poche et reviens sur mes pas, dans l’intention de dire au revoir à Dimitri et de souhaiter un bon rétablissement à Valérie. Je préfère les laisser entre mère et fils. Et ensuite… j’attendrai que Dimitri me refasse signe lui-même. Cette histoire l’a profondément secoué et j’aurais honte de le forcer avant qu’il ne se sente prêt. On verra déjà bien lorsqu'il passera récupérer ses affaires chez moi.

  • Bon, dis-je en les retrouvant, je ne vais pas vous dérager plus longtemps…
  • Oh non, reste encore avec nous ! Il n’y a vraiment aucun souci ! s'écrie Valérie. À moins que tu aies des obligations.

Je détourne le regard vers le mur pour réfléchir cinq secondes.

  • Pas vraiment, donc… c’est d’accord.
  • Super ! Dimitri, va lui chercher une chaise dans le petit salon à côté.
  • J’y vais moi-même, pas de souci, dis-je en lui faisant signe de se rasseoir.

De retour avec mon siège, j’ai la surprise de voir la tête de Samuel Étienne, l’animateur de Questions pour un champion, apparaître sur la télé de la chambre.

  • Oui, on est des vieux, ici, s’amuse Dimitri en voyant ma tête. Mais c’est une tradition entre nous, ça nous rappelle de bons souvenirs.
  • Je ne juge pas !

L’animateur est en train de présenter les candidats :

  • Merci à vous, Josiane, je vous souhaite bonne chance pour le jeu ! Terminons par notre quatrième candidat, Antony.

Les caméras se braquent sur le garçon. Il est carrément mignon, et surtout trois fois moins âgé que ses adversaires. Sous sa chemise ouverte, il porte un t-shirt sur lequel on devine l’inscription « Love is love ».

  • Donc, vous nous venez de Paris ?
  • C’est ça.
  • Nous sommes ravis d’accueillir des étudiants, vous nous prouvez que ce jeu est accessible à n’importe qui. Certains thèmes qui vous inspirent plus que d’autres ?
  • Euh… Je pense ne pas être trop mauvais en sport. J’aime bien jouer au foot et je suis beaucoup l’actualité. Par contre, niveau années quatre-vingts, je ne sais pas si je pourrais rivaliser, dit-il avec un clin d’œil aux candidats. En plus, mon petit ami adore la musique de cette époque… j’espère que je ne le décevrai pas trop !

Antony forme un cœur avec ses doigts pour accompagner sa dédicace.

  • Eh bien, cela nous fait plaisir de voir tant d’amour sur ce plateau ! … En tout cas, amusez-vous bien, donnez-moi plein de bonnes réponses ; voici la première manche ! conclut-il avant que le générique soit envoyé.

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