Chapitre 41

6 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Remzcore – The Flow

Je me réveille deux bonnes heures plus tard. Le réveil avant l’aube, puis toutes les émotions de la journée, ont eu raison de moi.

De puissants rayons de soleil frappent à ma fenêtre, comme si un jour nouveau s’ouvrait. J’en profite pour ouvrir complètement les volets et réchauffer mon salon. Dehors, les rues sont encore brillantes de la précédente averse.

L’écran d’accueil de mon téléphone est bardé de messages. En premier lieu, ma mère, qui vient à mes nouvelles avec une succession de questions sur mon séjour à Prague. Jusqu’ici, aucun souci, j’ai largement de quoi baratiner. En revanche, je dois réellement me décider par rapport au dîner prévu avec la famille du pote de mon frère – enfin, surtout sa sœur.

Par dépit, je finis par accepter la date de ce samedi, en comptant sur les cinq jours restants pour définir un plan d’évitement : si elle commence à me parler de l’entreprise dans laquelle je suis censé travailler, je suis dans la mouise. Même avec des recherches approfondies, je peux me faire avoir sur un détail débile. Peut-être pas sur la marque des machines à café, vu que nous ne sommes pas sur le même site et que je n’en consomme même pas, mais impossible de parer à toutes les situations.

Je souffle un grand coup et passe à la réponse de Sarah à mon message de ce midi. J’espère que ma demande de conseils l’a inspirée.

« Mais c’est beaucoup trop cool ! Je suis super contente pour toi, mon petit Martial ! Est-ce que le jeune perdreau de l’année prendrait enfin son envol ? (Désolée pour cet élan lyrique aussi nul que tes compétences en drague).

Bref, évite de voir les choses en trop grand. Déjà, ton Dimitri sentirait que tu te forces de trop, et surtout, si vous vous plaisez réellement, vous en garderez de toute façon un bon souvenir. Une idée parmi d’autres : choisis un restaurant correct, et après, pour changer de la traditionnelle séance de cinéma, tu peux trouver un comedy club. Il y en a plein à Paris, je ne vois pas pourquoi ça serait différent à Nantes. Après, à voir comment la soirée se termine… les seules règles sont que vous respectiez les envies de chacun ; c’est toujours bon à rappeler, hein ?

Bref, j’espère que tu auras bientôt plus qu’un plan cul à me raconter ! Il est possible que j’aie aussi une histoire pour toi, en retour, qui inclut notamment des beaux yeux et des abdos saillants ^^ ».

Merci Sarah, merci ! Pour beaucoup, ces conseils sonneraient comme des évidences, mais je suis rassuré d’avoir quelqu’un qui puisse me maintenir au milieu des voies.

Deux jours plus tard.

Lorsque Daniel est absent, et qu'il n’y a pas de tournage, les bureaux du studio sont aussi calmes qu’une bibliothèque. Seule la venue de Raquel est censée briser ma solitude, cet après-midi.

Je jongle avec mon code depuis sept heures et demie du matin. Bien que certains scripts et pages web aient encore des réticences à se parler correctement, une toute première version de mon système de recommandation de vidéos devrait bientôt voir le jour. J’ai hâte de présenter mon travail à Daniel.

Je commence à prendre l’habitude, lorsqu’un problème complexe me torture l’esprit, de me poster à la fenêtre et de chercher des solutions en observant les remous de la Loire. Tous ces tourbillons m’hypnotisent et aident mes neurones à sortir de leur routine. Si par malheur, je suis toujours bloqué, je vais alors chercher mon inspiration dans les posters séduisants qui tapissent les couloirs de l’étage.

C'est ainsi que je m’arrête longuement devant celui qui montre Dimitri : il porte une tenue en cuir fort légère et fait face à un acteur qui a dû quitter le studio avant que je n’arrive. Dans ma lancée, j'en profite pour faire un tour à la remise du studio, d'ailleurs bien trop exiguë pour stocker le bazar qui s’entasse du sol au plafond. En fouillant dans les étagères, je déniche plusieurs exemplaires neufs des fameux boxers que j’avais vu Kenzo porter lors des tournages à Prague. Je saisis le premier que je trouve en taille M et le fourre dans mon sac à dos. Il y a aussi une montagne de stickers, mais je préfère m’abstenir d’en coller sur mon ordi perso.

***

Lors de la pause de midi, même si je suis seul, je m’installe sur les quais sous un temps clément, muni mon repas.

Je souris franchement devant le message que m’a envoyé Dimitri : sa mère est sortie de l’hôpital, et bien que son black-out de la soirée ait persisté, le cambriolage semble vraiment se confirmer ; ils auraient même déjà interpellé un suspect. En revanche, je dois relire plusieurs fois les phrases suivantes, dans lesquelles son souhait de démission est en fait limpide. Il l'avait évoqué, certes, mais la nouvelle me prend réellement de court.

Surtout, je suis persuadé que je ne dispose pas de toute la vérité par rapport à sa mère ; évoquer une tentative de suicide, comme il l’a fait, reste extrêmement grave. Je ne le connais pas encore si bien que ça.

Laissons ces considérations de côté pour l'instant ; j’imagine que Raquel pourra déjà nous avancer quant aux papiers nécessaires à la rupture de contrat, avant que Daniel soit de retour.

19 heures

  • Ah Martial, te revoilà dans le meilleur bar de la ville ! s’écrie Jonathan en me voyant approcher du comptoir de la Confrérie du Blitz.
  • Exactement ! Même si ça vaudrait sûrement le coup de tester celui d’en face, une fois.
  • Le Gay’pard ? Si tu veux te faire aborder par des cinquantenaires, fonce !
  • À ce point ?
  • J’abuse sûrement… mais on y voit rarement des mecs de ton âge.
  • Surtout que maintenant, j’ai quelqu’un... Enfin, je ne sais pas si on peut dire ça, mais voilà, tu me comprends…
  • Un plan cul, tu veux dire ?
  • Non non, pas du tout !

Et voilà, j’ai déjà craqué alors que je m’étais fixé pour règle de ne pas parler de Dimitri à tort et à travers, tant que notre relation est à un stade précoce.

  • Ok, je m’excuse ! s’amuse-t-il en levant les bras comme si je le tenais en joue. Et sinon, Prague, c’était comment ?
  • Intense !
  • C’est tout ?
  • C’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Tiens, en fait, tu sais quand Daniel doit rentrer ?
  • Normalement demain, mercredi. Il était censé me confirmer ça… Enfin bref… vivement qu’on se prenne une semaine ensemble, ça lui ferait du bien. Ah tiens… c’est lui, l’heureux élu ? s’écrie-t-il d’un coup en pointant Alexis à l’entrée du bar.
  • Euh… non, ça aurait pu, mais non…
  • D’accord, je vais arrêter de me mêler de tes affaires, c’est trop compliqué !

Alexis dépose sa veste et son sac, puis se dirige vers nous.

  • Tu prends pas de bière ? s’interroge-t-il en voyant le verre de coca que je tiens à la main.
  • Ah non, j’avoue que j’ai bien donné ces derniers jours… Mais ne te prive pas.
  • Hmm… finalement, je vais suivre ton exemple. Pas d’alcool ce soir, en prévision de jeudi !
  • Il se passe quoi, jeudi ?
  • La soirée que je te tease depuis des semaines, bougre d’âne !

Il me montre sur son téléphone les affiches produites par le bureau des élèves de son école. L’Hexabang… sacré nom.

Ah oui, « hexa » parce qu’ils investissent six colocations, ça me revient.

La template est décliné en plusieurs versions aux couleurs différentes : une pour chaque ambiance proposée. Cela va de l’affiche aux couleurs chaudes et tropicales, pour le coin « chill », à celle pour la salle techno, qui montre un hangar désaffecté tout en nuances de gris et de noir. J’imagine qu’il sera très sympa de pouvoir naviguer de l’une à l’autre.

Aéroport de Białystok, Pologne

Le vol depuis Prague n’a duré qu’une heure. Daniel repère une femme, affublée de lunettes rectangulaires, qui tient une tablette affichant « Mr. Daniel Alekhine ». Elle lui serre la main avec une attitude de manager pressée, avant de le guider à travers le hall. Ses talons martèlent le sol en cadence.

Un véhicule gris déjà occupé par un homme les attend sur le parking de l’aéroport. Daniel dépose ses affaires dans le coffre et s’installe sur un siège arrière.

La direction choisie en sortant de la ville, vers le nord, l’interpelle. Ce n’est pas le trajet normal vers Minsk. Il était à deux doigts de se manifester lorsque le conducteur prend la parole :

  • Nous passons par le couloir lituanien. Il y a trop de tension à la frontière.
  • Toujours à cause de ces vagues de migrants syriens ?
  • Exactement. Encore une sombre manœuvre de Poutine et Loukachenko pour tester l’Union européenne. La situation va dégénérer.

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