Chapitre 46
Écrit en écoutant notamment : Sköne x Protokseed – Crimson & Carbon
Mon téléphone indique sept heures et demie lorsque je me réveille. Comme prévu, nul besoin de déloger Alexis et Dorian : leur chambre est vide, parfaitement rangée. Le lit a même été fait. Pour le coup, ils ont été super soigneux. Cette nuit, bien que j’aie passé une heure à rejouer mon tête-à-tête en fixant le plafond, je n’ai plus rien entendu venant de leur chambre ; ils ont dû s’effondrer et dormir comme des souches.
Je me ramène un croissant depuis la boulangerie du coin et m’installe à mon bureau. La journée, qui s’annonçait déjà longue, le devient encore plus lorsque je reçois une invitation de Dimitri à passer chez lui ce soir. Le message est succinct et laisse place à beaucoup d’interprétation... Dans tous les cas, je vais rentrer chez moi à midi pour rattraper du sommeil avant de terminer ma semaine de travail.
Une fois que j’ai repris des forces, je décide de m’attaquer à ma première source de tracas, à savoir la « carte de visite » que le type m’a donnée avant de partir. L’adresse indiquée ne pointe vers aucune entreprise ni bâtiment privé particulier. Même sur street view, on dirait un vulgaire immeuble d’habitation. Quelle confiance puis-je leur accorder ? Certes, ils prétendent connaître Daniel, mais on ne s’introduit pas sans raison valable, sur son lieu de travail, et en pleine nuit, pour aller fouiller dans ses affaires ! Comme je me l’étais promis hier, je compose son numéro en espérant une réponse, mais me heurte à l’indifférence froide de son répondeur plusieurs fois d’affilée. Cette situation commence doucement, mais sûrement, à me préoccuper. Je me sens abandonné à mon sort au milieu de ce studio.
***
Ma journée s’est résumée à un désagréable ping-pong mental, qui a annihilé toute ma productivité. D’un côté, cette fameuse convocation lundi soir ; de l’autre, la perspective du date chez Dimitri. Pourtant, je devrais au moins me réjouir de revoir mon amoureux ! J’aurais voulu mieux connaître ses intentions, mais ma très mauvaise habitude de commencer vingt messages différents, sans jamais me décider, m’a vaincu. Ainsi, je me suis contenté d’accepter docilement son invitation pour dix-neuf heures.
Mon tram est en train de traverser la Loire, direction le sud de Nantes, où il a son appartement. Une certaine appréhension, impossible à calmer de manière consciente, me tient toujours. Je serais presque moins tendu à l'idée de faire un plongeon depuis le rebord du pont.
- À mon tour de t’accueillir, lance-t-il lorsque j’arrive chez lui.
- Merci !
- Si ça te va, on peut tout de suite se mettre à l’aise.
- Comment ça ? répliqué-je, à deux doigts de paniquer.
- J’ai envie de t’embrasser tout de suite. ... Ça va ? ajoute-t-il en constatant que je ne parviens pas à trouver mes mots.
- Euh, oui, mais je ne veux pas aller trop vite…
- Ne t’en fais pas pour ça. J’ai compris que tu avais besoin de faire les choses doucement. Je ne vais pas te plaquer sauvagement sur le canapé pour te violer.
- C’est rassurant, tiens !
- Je suis surtout d'excellente humeur. Je te raconte tout de suite après.
En fait, mon corps a terriblement envie du contact avec les lèvres de Dimitri. Je veux me laisser soumettre par sa beauté, être transporté par la confiance qu’il montre. J’accepte volontiers le début de sa parade affective, coincé entre le mur raide et son corps ouaté. Il s'appuie de tout son poids contre moi et ajuste ses formes aux miennes.
- On va dans ma chambre ? souffle-t-il après quelques minutes.
Sur le lit, je cale un coussin au niveau de ma tête et me laisse glisser sous son torse pour apprécier ses baisers ; ils se déposent sur moi avec la douceur de flocons de neige lors d’une nuit de réveillon. On dirait vraiment qu’il tient à moi ; c’est quelque chose que je n’explique toujours pas. Clairement, lui ne s’embarrasse pas de justifications rationnelles, il préfère les actes.
Une fois que nous nous sommes redressés après ces instants de tendresse, il m’explique en détail la situation de sa mère, en insistant sur la perspective qui vient de s’ouvrir avec la possibilité de l’opération. J’admire sa confiance : il n’a pas hésité une seule seconde dans son discours, tout était clair et sincère. Il a juste choisi le moment qui lui convenait pour tout me raconter.
Il saute ensuite du coq à l’âne :
- Tiens, je me suis permis d’avancer sur le son qu’on avait démarré à Prague. J’ai surtout trouvé un a cappella en tchèque assez sympa : je m’en suis servi pour faire l’intro du morceau, puis aussi pour le refrain, j’ai repris quelques phrases.
J’apprécie plutôt bien l’ambiance folklorique, presque médiévale, apportée au son. On sent qu’il y a du travail, avec plusieurs effets rajoutés sur les voix pour les rendre plus distordues, graves et mystérieuses. Les transitions entre les différents segments du morceau manquent encore de naturel, mais sinon, je ne serais pas choqué d’entendre ce son dans une playlist.
- N’empêche, t’es vraiment fort, admets-je en hochant la tête.
- Merci ! T’es gentil. Et… tu m’as inspiré !
- Ah… ça, j’ai encore du mal à comprendre.
- Ce n’est pas important, dit-il en posant sa main sur mon épaule. Tu vois, on se plaît, et j’ai simplement envie de me laisser guider par mes sentiments.
- Oui… tu sais bien que je me pose beaucoup de questions.
- Bien sûr ! Et sinon, tu ne saurais pas exercer ton métier avec talent.
- Il y en a juste une qui me passe par la tête à l’instant… Est-ce que tu trouves que je t’embrasse bien ?
Ses yeux s’ouvrent en grand. Je crois qu’il ne s’attendait pas à celle-ci en particulier.
- Tu as ta manière de faire, comme tout le monde ! Moi, j’aime.
Tant mieux, mais il me confirme bien que je ne suis pas un as de la discipline, et que je dois continuer dans la pratique.
Il paraît enchanté que je reprenne l’initiative du baiser, d’autant plus que cette fois-ci, c’est moi qui prends appui sur lui. Je lui retire son t-shirt et plaque ses poignets derrière sa tête. Le duvet blond qui se dévoile sous ses bras, en contraste avec son torse parfaitement lisse, m’excite beaucoup. Il se cambre doucement pour laisser ma main remonter le long de son flanc, depuis ses hanches jusqu’aux épaules. Ses lèvres entr’ouvertes, d’où s’échappent quelques mots de plaisir, me démontrent que la zone des pectoraux est très sensible chez lui. Les yeux clos, il m’encourage à poursuivre mon alternance de massages et de caresses.
Dans un geste instinctif, je me penche sur lui afin de déposer un baiser dans le creux de son aisselle. Son souffle devient soudainement plus profond et il étend une main sur mon cou pour prolonger le contact. Quelques fragrances masculines se mêlent au parfum suave que j’inspire. La profonde connexion établie par cette expérience olfactive me fascine ; c’est comme si je découvrais une part de sa personnalité.
- Dis-moi, qu’est-ce que tu aimes comme caresses ?
- Ah… je sais pas trop pourquoi, mais les bras et les mains, j’aime, réponds-je.
- Je suis là pour obéir à vos ordres, alors !
Il s’assoit contre moi et passe ses doigts dans ma paume, avant de remonter mes phalanges une par une. J’ignore comment il s’y prend, mais la sensation de chacun de ses passages se prolonge de longues secondes, à tel point que toute ma main brûle de plaisir. Il poursuit son traitement sur l’autre face avec tout autant de maîtrise.
- C’est magique, tu le fais tellement bien !
- Ravi d’entendre ça. Excuse-moi si je suis très direct, mais j’ai envie que tu me prennes.
- Maintenant ?
- Oui ! Pas dans deux jours ! rigole-t-il. Mais si tu n’es pas prêt, dis-le-moi.
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