Chapitre 49

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Écrit en écoutant notamment : Noisecontrollers – Anticipation

  • T’as déjà des idées, par rapport à ce que tu veux faire l’année prochaine ? demandé-je à mon frère lorsque nous montons dans le RER avec nos sacs de sport.
  • Pas beaucoup plus qu’en septembre. J’ai encore le temps avec Parcoursup, mais les parents n’arrêtent pas de me soûler avec ça.
  • Je ne vais pas abuser non plus, alors…
  • Merci.

Nous sortons quatre stations plus loin pour rejoindre la structure qui abrite les terrains couverts.

Les potes de mon frère nous attendent déjà. Ils sont postés au niveau de l’accueil et discutent des matchs à venir en Ligue des Champions : difficile de me mêler intelligemment à la conversation. Le temps promet d’être long et en plus, je risque de ne pas beaucoup toucher la balle pendant les matchs.

Nous passons par les vestiaires – mon frère avait raison quant à leur physique avantageux, j’avoue –, puis je suis le groupe à travers les allées jusqu’à notre terrain. La pelouse synthétique est ceinte par des panneaux en bois, et des filets sont montés par-dessus pour retenir les frappes mal maîtrisées. Comme nous n’avons même pas de maillots distinctifs, je dois déjà me concentrer pour retenir les équipes. Ce serait bête de donner directement la balle à mes adversaires.

En fait, ma stratégie est simple : rester en retrait pour ne pas me ridiculiser. Je n’ai ni la moitié de leur vitesse, ni le quart de leur technique.

Chaque minute qui passe me fait regretter d’avoir accepté, dans un élan candide, la demande de mon frère. Encore trois quarts d’heure à tenir ; ma fierté m’empêche tout de même de simuler une blessure.

Alors que je traîne au milieu du terrain, la balle me revient après un rebond contre le bord. Je suis cette fois bien obligé de prendre une initiative : je transfère toute ma frustration dans une frappe qui décolle en ligne droite, laissant le gardien adverse les bras le long du corps. Incroyable, j’ai marqué un but pour mon équipe… Deux de mes partenaires accourent vers moi pour me donner une accolade pleine de sueur. À la limite, j’aurais préféré la classique tape sur les fesses ! Je sais bien que pour eux, c’est un simple geste de camaraderie, un geste qui reste acceptable tant qu'on n'y prend pas de plaisir physique.

Mine de rien, cette action m’a donné un brin de confiance en moi : les minutes restantes défilent bien plus vite. Une fois la séance finie, nous reprenons le chemin des vestiaires, les jambes lourdes et les pieds râpés par les frottements répétés. Sur les conseils de mon frère, j’ai pris mes affaires de douche. Ce sera plus agréable pour le chemin du retour.

  • Martial, on a une question pour toi ! lance un de mes coéquipiers du jour.

Il se rapproche de moi en glissant le pouce sur son téléphone.

  • Je voulais juste avoir ton avis sur ma nouvelle meuf.
  • Euh… bah, pourquoi pas. Montre toujours.

Le gars a été sympa avec moi pendant ces deux heures, alors je peux bien satisfaire son ego de jeune hétéro en lui baratinant des compliments. En plus, la fille est réellement mignonne, ce qui me facilite la tâche. Comme quoi, les footeux sont bien servis à ce niveau-là ! Je lui redonne son téléphone et m'installe sur un banc pour me déshabiller.

Lorsque je relève la tête après avoir défait mes lacets, j’ai… l’impression que quelque chose a changé. Les remarques impulsives dont j’ai pris l’habitude cet après-midi se sont transformées en murmures. Surtout, la plupart des visages sont tournés vers moi et des rires poignent, de moins en moins dissimulés. Ils sont sérieux ? Quelle bêtise ai-je pu faire ?

  • Désolé pour la blague, mais c’est donc vrai ! dit le même garçon.

Hein ?

  • Je suis désolé, poursuit mon frère en riant aux larmes. Franchement, t’aurais pu reconnaître l’actrice porno, elle est super connue ! La fameuse scène du jacuzzi, putain, tu rates quelque chose !

Ces salauds m’ont bien eu. En y repensant, c’est vrai que l'arrière-plan de la photo était particulier. Je n’ai d’autres choix que l’autodérision.

  • Et oui, je suis un pauvre gay qui ne s’est jamais touché en matant ce genre de meufs ! lancé-je, sûr de moi.

Le parallèle par rapport à ma relation avec Dimitri me tente. Serait-ce trop vis-à-vis d’une bande d’hétéros ? En tout cas, vu leurs rires, les amis de mon frère sont super tolérants, et ma répartie a fait mouche. C’est sûr que je rougis, mais plutôt en signe de satisfaction.

Et puis merde, il faut se lancer.

  • Je vous ferais bien la même blague en retour, sauf que ça n’en serait pas vraiment une.
  • Comment ça ? dit le gars qui m'a piégé à l'instant.
  • Bah… la même histoire, mais avec un mec. Enfin… c’est pas cent pour cent exact, puisqu’il est sur le point d’arrêter de tourner.
  • Tu rigoles ?
  • Absolument pas ! J’ai de quoi le prouver s’il faut.
  • Et donc vous sortez ensemble ?
  • Ça commence à être un peu sérieux, dis-je en n’ayant désormais plus aucun doute sur la couleur de mon visage.

Je déforme légèrement la réalité, dans le sens où j’aime Dimitri au-delà de son travail d’acteur, mais il m’est difficile de résister au plaisir narcissique d’exhiber cette « réalisation ». À leur âge, ça me vaudra un respect inconditionnel. Je le sens d’ailleurs dans leurs poignées de main, lorsque nous nous quittons tous devant la salle.

Seul Mattéo, l’ami de mon frère dont la famille est invitée chez nous ce soir, rentre avec nous. À sa demande, je m’autorise à montrer aux deux une photo de Dimitri et moi, prise dans les rues de Prague.

  • C’est vrai qu’il n'a pas l’air moche, approuve mon frère. Tu comptes en parler aux darons ?
  • Oulah… j’ai encore du mal à l’imaginer. En fait, il y a un problème secondaire…
  • Ah bon ? Il est trans, ou un truc du genre ?
  • Non non, pas du tout ! Il a tout ce qu'il faut à cet endroit… C’est plutôt la manière dont on s’est rencontrés. Il faut peut-être que j’arrête de mentir.
  • Tu me fais peur, là.
  • Rien de grave, dans l'absolu ! D'ailleurs, ça te concerne aussi, ajouté-je à destination de Mattéo. En fait… je n’ai jamais travaillé dans cette fameuse boîte de conseil. Je m’occupe du site d’un studio de films gays.

Je marque une pause pour guetter leur réaction. Rien à signaler, si ce n’est une écoute attentive. Je reprends mon explication, cette fois en me tournant vers mon frère :

  • T’imagines bien que ça n’enchantera pas les parents. Surtout qu’ils s’obstinent à me prendre comme exemple vis-à-vis de toi, c’est complètement stupide ! Et même si c'est spécial, le studio est vraiment cool, comme cadre de travail.
  • Je veux bien croire ! s'écrie-t-il. Donc ton copain, Dimitri, c’est – ou c’était, si j’ai bien compris – un acteur de votre studio ? Franchement, t'as géré.
  • Exactement. Et donc, si on pouvait éviter de trop en parler ce soir…
  • T’inquiète, je préviendrai ma sœur, dit Mattéo. Comme ça, si jamais la conversation part sur votre boulot, elle saura que tu racontes des bobards et que tu ne connais rien à son entreprise.
  • Merci ! T’es trop sympa !

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