Chapitre 50

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Écrit en écoutant notamment : Anamorphic – Blue Zaag Bird

Mon frère et Mattéo déposent leurs affaires à la maison avant de repartir aussitôt. Quant à moi, je me fais attraper par ma mère, qui me demande de l’aide pour préparer le dessert de ce soir. Je souris en voyant le sachet de framboises surgelées déposé sur la table : nous aurons droit au tiramisu.

Elle m’affecte d’abord à la séparation des blancs et jaunes d’œufs, puis me tend le batteur comme s’il s’agissait d’une arme de guerre.

  • Nantes te plaît toujours ? Tu penses y rester longtemps ? demande-t-elle.
  • Oui, clairement ! La ville est cool, le travail tout autant… et puis, je reste à deux pas de Paris. Je ne sais pas si je t’ai déjà raconté, mais je fréquente régulièrement un bar d’échecs… si tu veux, c’est un bar classique, mais dont les tables sont toutes équipées d’échiquiers.
  • Bien ! dit-elle en hochant la tête. C’est quand même mieux que de jouer devant un ordinateur, non ?
  • Bof… c’est différent, y a des avantages aux deux. Et puis, c’est amusant : je connais un peu le gérant du bar, il est en couple avec mon…
  • C’est à toi, ou à ton frère ? me coupe-t-elle en ramassant mon téléphone pour le virer du plan de travail.

Pile au moment où je tentais une approche détournée, sympa…

  • Oh, t’as reçu plusieurs messages de… Dimitri ! Tiens ! me dit-elle alors que je saisis mon téléphone d’un geste sec.
  • Ah ouais, c’est un collègue du taf. Encore en galère avec sa mission, c’est sûr.
  • Ça n’a pas l’air de tout repos, s’il a besoin d’aide un samedi après-midi…
  • Non, tu peux le dire.

Je recule de deux pas avec mon téléphone pour ouvrir les photos. Il n’est pas nu, mais certaines poses sont suggestives ; il n’aurait pas fallu que ma mère y accède.

  • Je reviens dans deux minutes, dis-je en filant à la salle de bain.
  • D'accord ! Pendant ce temps, je commence à tremper les biscuits.

L'expression me fait tout drôle après ma soirée d'hier...

Je vérifie deux fois que le loquet est bien fermé et prends à mon tour des photos dans le miroir. Celles de profil, avec le t-shirt soulevé et l’élastique du boxer apparent, sont tout à fait convenables. Je fais ma sélection et lui envoie les plus séduisantes en les accompagnant du message « Hâte de recommencer ! ».

Mon enthousiasme prend un coup lorsque je me rends compte qu’à nouveau, je m’en suis sorti avec un mensonge vis-à-vis de ma mère. À ce rythme, je n’évoluerai jamais… Pourtant, je m’étais toujours promis d'initier une discussion sérieuse le jour où j’aurais trouvé un garçon qui me fait battre le cœur ainsi. Bien que Dimitri soit en ligne, je verrouille mon téléphone sans même attendre sa réponse.

***

  • Michel Sardou ! hurle ma mère.

Le score est encore très serré entre notre famille et celle de Mattéo. Mon père, peu enclin à participer directement, s’occupe de passer les morceaux du blind test et de comptabiliser les points. L’avantage de jouer en équipe, surtout intergénérationnelle, est de pouvoir combler les lacunes des uns et des autres. Chez nous, je laisse ma mère couvrir les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, tandis que mon frère s’occupe des morceaux de rap actuels et que j’aide sur les tubes électro. Je suis fier d’avoir au moins pu reconnaître Avicii, Martin Solveig et LMFAO.

Nous suspendons le jeu sur un score de parité pour clôturer l’apéro. On désignera un vainqueur plus tard !

Je réalise que j'ai complètement oublié Dimitri pendant la dernière heure. C'est tout à fait anormal vu mon addiction à sa belle gueule. Alors que je m’apprêtais à lui demander le programme de sa soirée, il me devance avec de nouvelles photos et films, qui ressemblent cette fois à un vlog. L’ambiance est très festive et bruyante ; on dirait un bar en terrasse, mais il faut être motivé, vu la saison... Un garçon et une fille, probablement des amis, font des signes avec les doigts derrière sa tête. Je réponds aussitôt :

« T’as l’air de bien t’amuser ! C’est cool aussi chez moi, mais j’aurais préféré passer ma soirée avec toi. »

« Tu reviendras mardi soir, et t’as intérêt à être en forme. »

« Intéressant ! Je voulais aussi t'organiser une soirée, mais on repousse ça au week-end prochain alors, si ça te va ? »

***

Lundi soir, dix-huit heures trente.

J’hésite. Est-ce que se traîner là-bas vaut vraiment le coup ? Avec un minimum de chance, j’aurai une micro-explication de la scène de jeudi soir, voire des infos sur Daniel. Cinq jours de retard, sans aucune nouvelle, cela m’inquiète de plus en plus.

En arrivant sur les lieux, je reconnais le bâtiment repéré sur Google Maps vendredi passé. En revanche, je ne vois rien qui ressemble à un début d’accueil et me retrouve bêtement planté devant l’interphone. Ils ne m’ont donné aucun nom, ni même numéro de téléphone, c’est malin… Je ne vais pas appeler tous les étages en espérant tomber sur le bon interlocuteur après douze tentatives. J’ai autre chose à faire que de me ridiculiser !

Je m’écarte de la façade, puis traverse même la rue en espérant récolter un quelconque indice par les fenêtres de l’immeuble. Malheureusement, l’angle d’incidence trop élevé ne me laisse aucune chance. Attendons au moins jusqu’à l’heure prévue…

Mes allers-retours impatients sont interrompus par une fille de mon âge, coiffée de cheveux bleus et affublée de lunettes à la monture très épaisse. Elle se dirige vers moi d’un pas pressé.

  • Vous êtes Monsieur Bordereau ?
  • Oui ! Je vous attendais, dis-je pour me donner de la contenance.
  • Suivez-moi.

Ok, s'ils connaissent mon nom, c'est qu'ils se sont renseignés sur moi.

La fille prend les devants en poussant la porte de l’immeuble d’une main. Dans l’autre, elle tient son ordinateur portable, sur lequel s’affichent des terminaux de commande. Ils n’ont pas la moindre seconde à perdre, ici.

Nous montons jusqu’au quatrième étage. Comme je m’y attendais, nous sommes bel et bien dans un immeuble d’habitation. La porte qu’elle ouvre devant moi est seulement décorée par un sticker « Stoned Chicken » placé à côté de l’œillet. On y voit une poule aux yeux dilatés pianotant frénétiquement sur un clavier, sur fond psychédélique. Du grand n’importe quoi.

L’intérieur, néanmoins, paraît beaucoup plus professionnel, quoiqu’extrêmement sobre. Les murs sont immaculés et le sol parfaitement uniforme. Il n’y a pas le moindre indice quant à l’activité de… cette entreprise ? De ce groupe ? De cette mafia ?

  • Première chose, dit-elle en me tendant une page imprimée : veuillez signer cet accord de confidentialité. Vous pouvez prendre le temps de le lire, mais en une phrase, toute information relative à votre futur entretien ne doit être révélée sous aucun prétexte.

Elle me fait ensuite asseoir sur un siège au dossier inconfortable.

  • Attendez ici, on vous cherchera pour le test.

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