Chapitre 54
Écrit en écoutant notamment : Teksa x Vortek's – Rapture
- À la santé de Dimitri, qui nous quitte au studio ! s’écrie Kenzo en hissant fièrement son verre. Ton cul manquera à certains, mais profitera à d’autres.
- À la réussite de mes partiels, surtout, si ça peut aider ! répond l’intéressé.
Je sais uniquement que Dimitri étudie en L3 en fac d’économie et gestion, mais nous n’avons jamais discuté en détail de ses cours.
- Tu passes quelles matières ? lui demandé-je.
- Oh là, ce sont de vieux cours de première année, que je n’ai toujours pas réussi à valider. Mais cette fois-ci, je devrais avoir du temps pour réviser ces bêtises. Je le sens assez bien. Socio et stats dans deux semaines.
- Pour les stats, tu pourras toujours me demander. En revanche, pas la moindre idée d’à quoi peut ressembler un cours de sociologie. Et toi Kenzo, t'es en L1 Staps, si j'ai bien compris ?
- Exactement ! Ça se voit, non ? dit-il en contractant les avant-bras. J’avoue que j’ai pas encore eu à me soucier de ces histoires de partiels et de rattrapages.
- Oh, ne soit pas si pressé, soupire Dimitri. Ce n’est pas franchement réjouissant, et d’autant plus ardu quand tu dois reprendre le cours par toi-même six mois, ou un an après le contrôle initial…
Même s’il m’a fait souffrir à Prague, Kenzo a montré de belles qualités de coach sportif. Ça lui correspond bien ! À côté, Dimitri paraît s’accommoder de ses études sans qu’elles le transcendent, traînant certaines matières comme autant de boulets. Peut-être la lassitude des années de cours, travaux dirigés, projets et examens, contre la fougue de la jeunesse, tout simplement.
- Et après ta licence, tu as des idées ? ajouté-je à l’intention de Dimitri.
- À la base, je voulais continuer en master RH ou marketing, mais c’est peut-être mieux si je trouve un taf direct… Je vais quand même faire un dossier, on sait jamais.
Alors qu’il est parti se rafraîchir et que Kenzo échange quelques mots avec une connaissance du bar, un mec d’une trentaine d’années s’assied à une table voisine de la nôtre.
- Hé salut, t’es nouveau par ici ?
Je mets une seconde à comprendre qu’il s’adresse à moi.
- Ouais ! lancé-je mécaniquement. J’aime plutôt bien le cadre.
- Cool ça ! Moi aussi, je ne connaissais pas du tout.
- Tu es en vacances, ici ?
- Mmh, pas vraiment. Tu veux quelque chose à boire ? Comme ça, on se met dans l’ambiance.
- Euh… j’ai pas encore fini mon verre, dis-je en lui désignant notre table.
- Pas grave, au moins, tu auras du frais.
Kenzo surgit d’un coup devant nous alors que l'autre s’était permis d’effleurer mon bras :
- Eh, pas touche à mon gars !
- Mais on ne fait que discuter tranquillement, se défend le type.
- Oui oui, je connais bien ces stratégies d’approche. J’ai l’oreille fine, et surtout, je t'ai déjà croisé plusieurs fois ici.
- Ok, désolé…
Il s’éclipse immédiatement, gêné d’avoir été démasqué dans ses plans. Kenzo se rassoit en face de moi et plaque mes deux poignets sur la table.
- Martial, il faut que tu apprennes à être moins gentil. Certains mecs sont de vrais chacals, tu dois le savoir ! Ils veulent juste te ramoner le cul, rien d’autre ! Plus tôt tu les rembarres, plus c’est facile. C’est comme pour les démarcheurs téléphoniques, ou bien les Témoins de Jéhovah qui viennent frapper à ta porte.
- Ou alors je ferais mieux d’éviter ces lieux ?
- Pas à ce point non plus ! Il suffit de se montrer transparent et serein dès le début, et tout ira bien.
Vers vingt heure trente, je fais comprendre à Dimitri à l’aide de regards abattus que nous sommes restés suffisamment longtemps. La fatigue me frappe de plein fouet après ces trente-six heures d’affilée quasi sans sommeil. Depuis dix minutes, mes pensées se perdent dans un brouillard écossais des plus tenaces.
L’air frais du soir me donne l’énergie nécessaire pour le suivre à travers la ville, jusqu’à son appartement. Une fois arrivés, j’accepte volontiers son programme du soir : commander un repas et se caler devant un film.
- Ah, d’ailleurs, j’ai posté notre morceau ce week-end ! s’exclame-t-il en dépliant son ordinateur. Neuf cents écoutes toutes plateformes confondues, je n’ai jamais vu un démarrage pareil !
- Faut dire que tu les mérites.
- Mouais… mais si ça marche aussi bien, je vais me poser la question de persévérer dans les sons techno, à ma sauce. En parlant de sauce, je connais un super thaïlandais, ça te va ?
- Excellent.
- Je te prends leur classique riz-poulet grillé au citron vert ? C’est mon préféré. En plus, niveau protéines, c’est excellent pour faire du muscle.
- Wow, je vois qu’on n’oublie jamais l’aspect esthétique.
- Non, en effet ! Je ne suis pas aussi assidû que Kenzo, mais ne me dis pas que t’aimes pas mes muscles…
- Alors ça…
Depuis deux semaines, j’ai pris l’habitude de m’endormir avec les images de son corps dénudé. Des images tendres et chaudes dont j’oublie les derniers miroitements en glissant vers le sommeil. Je ne pourrais jamais m’en lasser.
- Mais j’apprécie aussi d’autres choses ! ajouté-je. Je ne tomberai jamais amoureux d’un garçon qui n’aurait pas ta richesse intérieure.
- T’es mignon ! Donc, poulet, supplément poulet, comme moi ?
- Parfait.
Je reçois à ce moment un message d’Alexis. Oh merde, j’avais complètement oublié le tournoi d’échecs mensuel de ce vendredi soir ! Heureusement, lui est à la Confrérie du Blitz et me propose d’avancer mon inscription avant que les dernières places ne soient attribuées. Au vu du travail qui m’attend cette semaine, je ne serai pas au sommet de ma forme, mais même si je dois me contenter de suivre les phases finales sans y participer, l’ambiance est trop sympa pour rater cette soirée. Je le remercie chaleureusement et complète mon message en proposant de lui présenter enfin mon Dimitri.
Ce gros stalker est d’ailleurs en train de lire en direct, par-dessus mon épaule, le message que je tape, et acquiesce à cette idée.
- On t’inscrit aussi ? lui demandé-je.
- Euh… ouais, même si je suis nul, ça sera marrant.
***
- Mais non ! Tu ne connais pas le film ?
- Je devrais ? s'interroge Dimitri.
- Pour moi, c’est un véritable chef-d’œuvre.
J’avais regardé Baisers Cachés peu après sa sortie, pendant les vacances d’été suivant ma Terminale. Le destin de ces deux lycéens, la dure réalité à laquelle ils sont confrontés, m’avaient profondément marqué. En dépit de ces difficultés, j’aurais eu envie de vivre une histoire d'amour aussi intense à cet âge-là… Ma première fois, deux ans plus tard, s’est résumée à une nuit sans avenir, sans véritable amour. J’espère secrètement que Dimitri pourra me dévoiler les arcanes des sentiments qui découlent d’une attirance réciproque.
Bien que je connaisse par cœur les scènes qui se succèdent, voire les répliques exactes des personnages, le film me transporte toujours autant.
C’est d’autant meilleur lorsqu’on est allongé contre son mec. Oui, je dis « mon mec », je n’ai plus envie de me torturer l’esprit à déterminer précisément où nous en sommes. Je me souviens de son leitmotiv : nous nous plaisons et c’est le plus important.
- Tu préfères lequel des deux ? me demande-t-il.
- Lequel… des deux acteurs ?
- Oui !
- Oh là, je t’avoue que j’avais eu un méga crush sur Nathan à l’époque… Je sais pas, son air impénétrable et ses cheveux noirs, j’adore !
- Et pourtant, moi, je suis blond, s’amuse-t-il.
- Mais ça me plaît aussi ! D’ailleurs, je te retourne la question.
- Je préfère l’autre. Il m’a l’air réservé, comme toi… au premier abord seulement ! Remarque, c’est pas plus mal si on s’identifie chacun à un des deux persos, et que l’autre nous plaît.
- C’est vrai.
Ce sont les derniers mots que je prononce avant de sombrer. Je me réveille uniquement au moment de la scène finale.
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