Chapitre 66
Écrit en écoutant notamment : DJ Damon – Ezekiel
Tiens, Dimitri n’est pas complètement mort… Enfin une réponse. Par fierté, je rééteins directement mon téléphone sans en lire le contenu. Je ne vais pas répondre immédiatement alors que lui m’a ignoré pendant des jours. Je ne suis pas à son service !
Quant à mon affaire avec Annika, je savais bien que je tenais une vraie piste ! Logiquement, nous devrions au moins disposer de plusieurs semaines avant de commencer à craindre les flics… Il n’empêche qu’il faut déjà réfléchir à une porte de sortie crédible, sans révéler l’info à quiconque de la Stoned Chicken.
Avant qu'Annika me dévoile les détails de ses trouvailles, je dois respecter mon engagement et m’acquitter d’une série de photos pour elle. Je nettoie rapidement mon miroir afin qu'elle ne râle pas sur la netteté des images. Ça passe encore pour des photos en boxer, mais comme je m’y attendais, j’ai du mal à être excité pour des clichés plus hots. Les dix-huit degrés de mon appartement permettent des économies de chauffage, mais n’aident pas à bander. J’ai le choix entre penser à Dimitri, ou bien, par facilité, lancer une vidéo X. Ou pourquoi pas les deux en même temps, si je trouve une scène de lui en solo…
En y réfléchissant, je ne suis même pas sûr d’avoir accès aux vidéos depuis mon ordinateur personnel ; il me faudrait celui du studio. En tout cas, sur la version « publique » du site, les internautes n’ont accès qu’à des previews d’environ une minute. La coupure est évidemment parfaitement placée en vue de donner envie de s’abonner à nos services : au moment où l’actif de la scène descend son boxer, ou bien quand son partenaire se met en position pour se faire prendre.
***
Une fois mes meilleures prises sélectionnées et envoyées, je me rhabille et me remets en mémoire le chemin vers chez Annika. Maintenant que nous sommes quittes, elle a intérêt à se tenir tranquille. Plus de méditation, ni d'ouverture de chakras !
Je craignais qu’elle m’ait déjà répondu, mais le message reçu à l'instant provient de Dimitri. Tant pis si je passe pour un faible, je m’autorise à l'afficher complètement. Il faut dire que j’ai aussi raté quatre appels sur la dernière demi-heure.
« Il faut absolument qu’on se voie, le plus vite possible. Fais-moi signe dès que tu peux ! Ou au moins rappelle-moi ! »
Il m’a également envoyé sa position. Je zoome sur le plan en fronçant les sourcils : allons savoir pourquoi il traîne au beau milieu de Rezé, dans la banlieue sud de Nantes. Je lui confirme que je pourrai être sur place dans une vingtaine de minutes et informe Annika de mon probable retard. J’espère que ce sera réglé rapidement, car nous avons du travail pour toute la nuit, et même les suivantes.
***
Je zigzague entre des barres d’immeubles pas spécialement coquettes et longe des parcs à la végétation mal entretenue qui servent sûrement de points de deal à la nuit tombée. La navigation de mon téléphone m’a fait prendre le chemin le plus direct sans se soucier de son aspect.
Je débouche sur un skatepark désert, mis à part un jeune de mon âge qui expire de larges bouffées de fumée. Il se tient sur une rampe, les jambes dans le vide, et me jette un regard mauvais, comme si j’étais un intrus sur son territoire. Je baisse le regard et rase les habitations en faisant attention aux racines qui fracturent le bitume du trottoir. Un vélo aux roues désossées repose contre un lampadaire ; vu la couche de rouille sur la chaîne, il doit attendre son propriétaire en vain depuis des années. Les deux tables de ping-pong en pierre installées non loin sont couvertes de graffitis, dont le plus récurrent est le classique “ACAB”.
Je repère Dimitri de loin. Il est debout, en train de jeter des regards autour de lui. Ses cheveux blonds et sa silhouette svelte éveillent immédiatement les désirs les plus ardents en moi. Il m’aura suffi de quelques jours pour oublier à quel point il est attirant ! Le décor miteux qui nous entoure disparaît de ma perception. Il ne reste plus que lui. Je pourrais m’oublier moi-même.
Je meurs d'envie de l’embrasser alors que ce n’est absolument pas le moment. En fait, il me repousse même lorsque j’approche mes lèvres de ses joues pour le saluer. Pourquoi me fais-tu venir, alors ?
- Mec, s’il-te-plaît, ne fais pas le con et dis-moi tout.
Son visage est grave. Je crois bien que je lui dois des excuses ; c’est de ma faute si notre relation s’est détériorée au point que nous ne nous sommes plus parlé depuis des jours. Je m’empêtre dans des justifications que je suis sûrement le seul à comprendre, avant de lui rappeler mon initiative :
- Tu n’as même pas répondu, par rapport à l'invitation chez mes parents ! J’attends toujours de savoir pour leur en parler. Ils vont forcément te trouver génial !
- Ces histoires sont bien jolies, mais tu ne m’as pas compris.
Il bondit sur moi en m’attrapant la manche avec une force redoutable. Mes sens s’affolent face à ce mélange de signaux contradictoires. Son souffle chaud me caresse le cou, comme s’il me dominait, en pleine action. Ma main aurait envie de se plaquer sur ses fesses.
- Je viens de recevoir un courrier de menaces physiques ! À cause de toi ! Et tu ferais mieux de t’en soucier, parce que t’es en première ligne. Tu fous quoi, bordel ? Et comment ils savent qu’on sort ensemble ?
- Attends, ça va trop vite, là…
Il me secoue d’avant en arrière en exigeant une réponse. Sa brutalité me choque tellement que je suis incapable de réfléchir.
- Putain, mais tu devrais avoir compris dans la seconde ! Réveille-toi, ils connaissent mon adresse, et pareil pour toi ! hurle-t-il en me lâchant enfin.
- Euh… si, je pense savoir… Ils disent quoi, précisément ?
- Tu le sauras bien assez vite. Accouche ! s’énerve-t-il après une nouvelle pause.
- Tu me promets qu’on continuera comme avant ?
- Qu’est-ce que je peux en savoir ?
Son regard m’angoisse. Il paraît sur le point de craquer, à deux doigts de perdre ses moyens. Évidemment que cette histoire est liée avec mes activités à la Stoned Chicken. Personne, en dehors de ce cadre sulfureux, n’aurait la moindre raison de nous menacer tous les deux. Mais qu’aurais-je fait de si répréhensible ? Je ne suis qu’un néophyte, à peine impliqué dans un pauvre défacement de site sans grandes conséquences.
Ceci dit, je dois la vérité à Dimitri. C’est la seule manière de le calmer, et avec de la chance, de le récupérer.
- Pour commencer, est-ce que tu sais que Daniel a fui la Biélorussie il y a dix ans ?
- Non. Mais quel rapport ? Et pourquoi d’ailleurs ?
Je lui rapporte toutes les informations que j’ai eues, à la fois de la part de la police et de celle d’Annika, sans pour l’instant mentionner la Stoned Chicken. Allons-y progressivement.
- Daniel, un opposant politique ? T’es sûr de toi, là ?
- Tout à fait certain… En réalité, il est parti en mission de terrain directement après le tournage à Prague. Rien à voir avec sa famille, comme il le prétendait. On l'aurait arrêté à ce moment, mais personne n’en sait plus à ce stade.
Je m’arrête un instant, aussi bien pour observer sa réaction que pour réfléchir à la suite de mes explications. Je serai bien obligé de bafouer la règle primordiale établie par la Stoned Chicken quant à sa confidentialité.
- Donc, ces menaces, elles disent quoi ? reprends-je. C’est si grave que ça ?
- Bah oui, ce n’est pas un canular ! Je suis con, dans la précipitation, j’ai oublié la lettre chez moi... Ils parlent de « recherches » que tu dois immédiatement arrêter. Pas plus de détails. Tu m’expliques ?
- Daniel faisait partie d’un groupe de soutien à l’opposition biélorusse, basé ici à Nantes, avoué-je. J’ai pu rencontrer certain de ses membres dans des circonstances… spéciales. Je te raconterai les détails un jour. Puis ils m’ont proposé de les rejoindre sur des missions de hacking.
- Si je comprends bien, Daniel est sur le point de se faire liquider, et toi, tu te dis : « Génial, marchons dans ses pas ! ». T’es complètement malade, ou bien inconscient au plus haut degré.
- C’est pas pareil, me défends-je. Je n’ai pas « trahi » mon pays.
- Mais ça n’empêche pas qu’on te menace ! Moi, je vois à peine la différence. Et donc, ces « recherches personnelles », ça consiste en quoi ?
- Je ne sais pas… à part le fait que j’ai découvert des comptes bancaires suspects liés au groupe. J’ai aussi une collègue qui a poussé les investigations depuis plusieurs jours. Putain, à coup sûr, ils ont repéré des traces de navigation, réalisé-je.
- J’y connais rien, mais on dirait que ta mafia a été infiltrée. C’est la seule explication plausible. Et ils doivent te surveiller depuis un moment. Logique si tu connais Daniel.
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