Chapitre 71

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Écrit en écoutant notamment : Fraw x So Juice – Warzone

La désynchronisation des pas m’indiquent qu’ils sont deux. Sûrement ceux qui m’ont attrapé dans les rues de Nantes. Ils grognent plusieurs phrases incompréhensibles tout en faisant des allers-retours à travers la pièce.

Un des deux s’approche enfin de moi. Merde, kidnapper des gens en pleine rue et les séquestrer dans une cave sordide ne devrait pas les empêcher de prendre soin d’eux. L’odeur de transpiration m’agresse le nez et met à mal mon sang-froid. Elle est mélangée à des effluves d’herbe qui me rappellent plutôt certaines soirées débridées de mon école. L’atmosphère était tellement chargée de ces vapeurs entêtantes qu’il n’y avait même pas besoin de tirer sur les joints pour basculer dans un état second. Pourquoi est-ce que j’y repense maintenant ?

  • Alors, on a encore sommeil ? susurre celui qui rôde autour de moi.

Il me chatouille la joue de ses doigts gras. Je serre les dents pour me donner du courage. Je ne dois pas faillir.

Le coup part au moment où je m’y attendais le moins. Le choc est si violent que je mets une dizaine de secondes à reprendre mes esprits. Les muscles de mon cou ont été contraints au-delà de leur limite d’élasticité et je sens ma mâchoire craquer douloureusement lorsque je déglutis. En même temps, je goûte un filet de sang se répandre dans ma bouche. Je l’avale sans rien laisser paraître.

  • Regarde-nous !

Je force un air mauvais et hargneux, qui les amuse plus qu’il ne les déstabilise. L’homme qui me fait face exhibe des yeux ronds, trop gros pour leur orbite. Des veines fines comme des cheveux zèbrent sa sclérotique.

  • Tu ne comprends pas nos messages ? Pourquoi est-ce que tu t'intéresses à ce qui ne te regarde pas ?
  • Vous êtes liés la disparition de Daniel ? Et pourquoi moi ?
  • Mais c’est que la pédale se permet de poser des questions !

Mon « insolence » me vaut une deuxième droite qui m’ouvre la pommette de l’autre côté du visage. Bien que sonné, je redoute que de nouveaux coups s’abattent.

Un sourire se dessine sur le visage de mon tortionnaire :

  • D’ailleurs, ce petit pédé me donne des idées. Tu vas voir qui est le vrai mec ici.

Il défait sa ceinture et baisse son pantalon à mi-cuisse. Sa main plonge sous le tissu de son caleçon et masse son sexe. À travers le tissu, il s’amuse à soupeser et à tapoter par-dessous la forme qui s’est développée. Ce type est simplement abject. Ce genre d’humiliation m’angoisse plus que la douleur physique. Je refuse de voir mon honneur sali de cette manière.

  • Tu t’occuperas de ça plus tard ! le tance son collègue. Range-moi immédiatement ton matos.

***

Après un moment de flottement, je comprends qu'il s’adresse à moi uniquement lorsqu'il finit par hurler mon prénom. Il faut dire que le dernier coup s’est abattu très proche de mon oreille : depuis, des bourdonnements graves couvrent leurs invectives.

  • Martial ! répète-t-il une fois de plus afin que je lève les yeux vers lui.

Je fais du mieux que je peux malgré mon envie de vomir. Mon ventre me torture comme si je naviguais en pleine tempête depuis des heures, mais je ne veux pas leur offrir le plaisir de ma défaillance. Je resterai digne quoiqu’il arrive.

  • Tu sais que c’est très mal d’ignorer nos consignes. Tu as pourtant bien remarqué que nous sommes de fins limiers. Tel Lord Varys, nous avons nos petits oiseaux. Ça sera notre dernier avertissement, sous réserve que tu n’aies pas fait de nouvelle bêtise. Il avait son téléphone sur lui ? demande-t-il ensuite à son pervers d'acolyte.
  • Euh… je l’ai jeté dans la Loire pour éviter qu’on se fasse localiser, répond ce dernier.
  • Mais quel con ! s’énerve-t-il. Mais quel con… Bon, on devra procéder manuellement. On n’aura pas de mal à lui faire avouer tout ce qu’il sait. Martial, on t'a prévu un programme complet.

Les traits des deux hommes se figent soudain. Que se passe-t-il ? Tout ce que je sais est que j’aurai droit à quelques secondes - minutes si je suis chanceux - de répit. Ils viennent de desserrer leur poing et détournent le regard de moi.

  • Ne bougez plus ! Police ! hurle une voix résolue.

La porte se fracasse contre le mur opposé sous la violence de l’irruption des agents en noir. Malgré le sang qui s’est accumulé autour de mes yeux, je distingue bel et bien le bandeau représentatif des forces de l’ordre sur les manches de leur uniforme. Un d'eux a déjà dégainé son arme. Je suis tiré d'affaire.

Enfin, c’est ce que je croyais avant que l’homme qui comptait m’interroger sorte de son gilet un objet vaguement sphérique, surmonté d'un mécanisme qui ne m’inspire vraiment pas confiance.

  • Relâchez cette gr…

L’agent n’a pas le temps de terminer sa phrase que le type a déjà dégoupillé et balancé ce qui est effectivement une grenade. Une détonation sourde me secoue dans mes liens et l’engin se met à tourner rapidement sur lui-même en produisant des volutes blanches qui remontent depuis le sol en un nuage épais. Un sifflement de cocotte-minute enragée envahit en même temps la pièce, de plus en plus aigu. Mes tympans fondent sous les hautes fréquences. Deux ombres grises traversent mon champ de vision ; ils profitent évidemment de leur diversion pour tenter de s’enfuir.

Avec mes oreilles amochées et le brouillard à couper au couteau, impossible de savoir s’ils ont réussi leur coup. Mes yeux commencent à brûler, et même en les fermant le plus fort possible, le gaz irritant parvient à se frayer un passage sous mes paupières. Le flot de larmes qui s’y déverse ne parvient pas à circonscrire l’incendie. Comme ça ne suffit pas d’être à moitié sourd, je finirai aussi aveugle. Je ne peux pas non plus me protéger avec mes mains : je suis toujours fermement attaché à cette saleté de chaise et il n’y a maintenant plus personne dans les parages. La grenade s’essouffle, mais sans aucune ventilation, le gaz lacrymogène ne peut se dissiper. La sensation est pire que si j’avais frotté un piment oiseau contre mes yeux.

  • Putain de merde ! vociféré-je. Venez m’aider !

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