Chapitre 74

6 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : VE/RA – My Side

Samedi 18 décembre 2021.

Mon téléphone sonne alors que je le tenais allumé dans la main. À ma gauche, à la place conducteur, la mère de Dimitri coupe l’autoradio afin de me laisser répondre.

  • Tu ne décroches pas ? demande-t-elle en constatant que je fixe mon écran sans réagir.
  • Euh si, si !

Je glisse le doigt sur l’icône verte et me prépare à affronter les questions de ma mère. Évidemment, j’ai à peine le temps de dire bonjour que je suis bombardé d’informations :

  • Quand est-ce que tu reviens à Paris ? Ton frère est déjà en vacances. On a une tonne de choses à préparer pour le réveillon !
  • Après-demain, normalement. Je reste encore à Nantes pour le week-end, assuré-je alors qu’un panneau autoroutier indique Paris à cent cinquante kilomètres.
  • Bien ! Tu es en voiture ? J’entends du bruit autour de toi.
  • Exactement. Je suis avec un pote du travail, on va profiter de… la plage, près de La Baule.
  • En cette saison ?
  • Pour une fois que le front de mer n’est pas envahi par les touristes… me rattrapé-je.

J’arrive à maintenir une conversation plausible pendant plusieurs minutes, avant de lui faire croire que nous arrivons à destination. Je m’en veux d’autant baratiner, mais comment pourrait-elle concevoir que ce soir, je suis invité à une cérémonie qui récompensera – je l’espère – mon studio de films X gays ? Je ne sais déjà pas comment présenter Dimitri à mes parents, alors que je le lui ai promis…

  • La plage, dis-donc, tu t’es surpassé ! rigole Valérie dès que j’ai raccroché.
  • J’ai paniqué !
  • On a vu ça, dit-elle en se retournant pour avoir l’approbation de son fils. Bon, si on mettait de l’ambiance ?

Dimitri me tend son portable avec Spotify ouvert.

  • Normalement, mon téléphone se connecte automatiquement. Choisis ce que tu veux !
  • D’accord… je tâcherai de ne pas vous casser les oreilles.
  • Fais-toi plaisir ! Ma mère supportera bien. Hein ?

Valérie approuve de la tête, les deux mains bien posées sur le volant.

  • Mmh… pourquoi pas tes propres morceaux ? Oh ouais, celui qu’on a fait ensemble, il déchire en vrai !

Je clique sur le titre et me mets à parcourir la liste de ses favoris pour trouver le prochain. Je ne connais pas un dixième de sa playlist, apparemment très orientée deep-house.

Au moment de la montée du morceau, Valérie tend son bras et écrase le bouton « + » du tableau de bord. Je me redresse d’un coup dans mon siège en entendant les coups de caisse claire résonner comme des coups de fouet dans l’habitacle. Quand elle parlait de mettre l’ambiance, elle ne rigolait pas ! J’observe en même temps le compteur grimper, s’approcher des cent quarante kilomètres par heure, puis les dépasser. Une longue descente s’ouvre devant nous, c’est un tapis de bitume qui se déplie sur plusieurs kilomètres. Valérie s’est déportée sur la voie de gauche : d’un côté, nous frôlons la glissière en béton, de l’autre, les bandes blanches défilent à toute allure. Malgré notre vitesse, les basses, même saturées, couvrent le grondement du moteur.

***

Nous atteignons la capitale en début d’après-midi. Même si les Roméo X Awards ne s'ouvrent qu’à partir de dix-neuf heures, Dimitri et Valérie souhaitaient prendre leur temps pour visiter la ville. Nous avons également donné rendez-vous à Alexis et son copain du côté du jardin du Luxembourg d’ici une heure. Pour le reste de l’équipe de Brittany Twinks, nous nous retrouverons directement sur les lieux de la cérémonie.

Nous remontons par le RER B depuis la banlieue, où nous avons réservé notre chambre, vers le cinquième arrondissement. Une seule chambre, car batifoler avec Dimitri ne saurait justifier de ruiner le studio en frais d'hébergement ! Notre réputation n’est pas encore suffisante pour permettre que ces charges soient entièrement supportées par l’organisateur... Nous quittons la rame à la station Luxembourg et émergeons devant les grilles du célèbre jardin éponyme.

Apparemment, Alexis et Dorian nous attendent près du boulodrome, complètement de l’autre côté. Nous descendons une large allée de graviers et contournons le grand bassin octogonal du parc, très apprécié par les modélistes navals pendant l'été. La tour Montparnasse s’élève au loin, en contraste avec la façade majestueuse du Sénat et les dizaines de statues qui veillent sur nous. Dimitri me retient subitement par le bras. Je comprends l’objectif de sa manœuvre deux secondes plus tard, lorsqu’il dépose sa main dans la mienne.

Je lui fais un sourire et nous laissons Valérie s’éloigner d’une trentaine de mètres.

  • Tu sais que mon dernier date dans un parc s’est mal fini ? dis-je.
  • Comment ça ? Tu lui as fait quoi, au mec ?
  • Rien de tout ! me défends-je. Enfin, stricto sensu… c’était complètement ça. Je ne lui ai fait aucun effet ! Il se foutait royalement de moi. C’était à dix kilomètres d’ici, au Parc de Sceaux.
  • C’est un con, point barre.
  • D'accord !
  • Tiens, c’est marrant, lance-t-il, cette promenade me rappelle Saint-Malo, alors que l’ambiance n’a à peu près rien en commun, sinon toi.

J’adore sa manière d’être romantique.

  • Est-ce que je peux t’avouer quelque chose de… très grave ? dit-il.
  • Euh… vas-y.
  • À la base, c’est parti d’un pari avec Kenzo. C’était à celui qui te pécho le premier.
  • Quoi ?
  • Mais j’avais repéré ta belle gueule bien avant. Ton côté codeur mystérieux m’intriguait. Un peu comme le mec de Mr. Robot. Mais en moins dépressif !
  • Comment tu te rattrapes ! ris-je en lui donnant un coup dans l’épaule.
  • Aïe !
  • Bien fait pour toi !

En réalité, je crois très sincèrement à son attachement pour moi. S’il est encore à mes côtés aujourd’hui après les événements du mois de novembre, je n’ai plus le droit au doute.

En revanche, la situation s'annonce très complexe pour Daniel. Nous sommes de moins en moins mis au courant des développements de l'enquête. Elle aurait pris des proportions qui dépassent largement son cadre initial et impliquerait des tentatives de rapprochement diplomatique avec les autorités biélorusses. Finalement, ce n’est pas plus mal que l’affaire se poursuivre sans nous. Cela nous évitera de l’anxiété inutile…

Nous avons seulement su que, comme nous le redoutions, la Stoned Chicken était bel et bien infiltrée par des agents biélorusses. Le pire est qu’apparemment, un de ceux que j'ai croisés au studio avec Alexis et Dorian faisait partie des taupes. Impossible à deviner sur le coup... Le fait est qu’ils ont tendu un piège à Daniel avec sa mission à Minsk. Le bonhomme a fini par avouer : sur place, notre ex-boss était attendu de pied ferme par les services du gouvernement et il n’est probablement pas le seul à être tombé dans la manœuvre.

Le dévouement de Daniel, malgré les risques, m'impressionne et me terrifie à la fois. Je me demande si je serais capable de mettre dans un danger pareil pour une cause politique.

Et merde… faut arrêter de ressasser continuellement, ça ne le fera pas revenir à Nantes ! En plus, Dimitri se demandera encore pourquoi j’ai l’air déconnecté de la réalité ; je lui ai déjà tout raconté en détail…

Il n’y a qu’un moyen pour oublier ces tracas en moins de cinq secondes. Cette fois-ci, j’approche moi-même mes lèvres des siennes pour lui demander ce plaisir apothéotique. N'ayons pas peur des mots : à chaque fois qu’on s’embrasse, c’est le même feu d’artifice ! Je pensais que des sentiments d’une telle puissance étaient réservés aux romans d’amour. Maintenant, c’est le contraire, je doute même que la meilleure plume puisse figer ces instants.

***

Je repère Alexis de loin. Il porte le même pantalon blanc que lors de ma visite sur son campus. Je suis tellement impatient de le retrouver que je rattrape en trente secondes le retard accumulé sur Valérie, en oubliant Dimitri au passage. Nous ne nous sommes pas revus depuis notre shooting photo improvisé. Il faut dire que j’ai été légèrement occupé ces dernières semaines ! Pour autant, je n’ai pas oublié la promesse de leur distribuer nos invitations supplémentaires pour les Awards. Il n’a pas fallu longtemps aux deux pour accepter : c’est tout à fait le genre d’événement qui correspond à leur personnalité et à leurs fantasmes, surtout si on se réfère aux fameuses “performances érotiques” mentionnées par le programme.

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