Chapitre 75

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Écrit en écoutant notamment : Acid Division – Pas de Justice, Pas de Paix

  • On n’a pas tous les jours le privilège d’être invité à ce genre d’évènement, déclare Valérie. Je veux bien voir la cérémonie, mais je vous laisserai pour l’afterparty.

Je me contemple dans mon costume bleu nuit. Je n’ai pas une grande habitude de ces vêtements, mais il faut reconnaître que je me sens à la fois élégant et attirant. C’est en tout cas ce que Dimitri m’assure ! Lui a composé une tenue moins formelle, avec sa veste en tweed grise et une marinière par-dessous.

Depuis la rue, difficile d’imaginer que le bâtiment haussmannien devant lequel nous sommes arrivés accueille la cérémonie. Seule une feuille A4 scotchée à l’entrée indique le programme des manifestations de la semaine. Tiens, hier soir, c’était dégustation de grands crus ! Et demain… « Banquet médiéval » ? Passé la surprise, je me mets à imaginer cinquante convives en costume d’époque festoyer autour de faisans rôtis entiers. Je suis sûr que l’ambiance y est incroyable.

Le hall d’entrée ressemble à celui d’un théâtre : il donne sur un large escalier en marbre qui s’élève vers une coursive. Des vigiles se tiennent devant la rangée de poteaux à cordon pour effectuer les contrôles d’usage et délivrer des badges. Je pensais qu’il y aurait plus de monde, mais notre tour arrive en fait rapidement. Je sors tout mon catalogue d’invitations et les distribue à leur propriétaire.

Un garçon de notre âge passe à côté de nous, dépose une tape sur l’épaule de Dimitri et se retourne en lui lançant un sourire étincelant. Il monte les marches deux par deux, ce qui m’oblige à admirer avec méfiance son cul impeccable.

  • C’est qui, lui ? grogné-je.
  • Ne me dis pas que t’es jaloux ! Non, c’est juste un gars avec qui j’avais tourné, à mes débuts.
  • Mmh…

Kenzo, Alexis et Dorian se moquent déjà de ma réaction. Je sais, je tiens trop à mon mec.

Nous grimpons l’escalier à notre tour, suivons le couloir et arrivons dans ce qui paraît être la salle de cérémonie principale. Je repère immédiatement le buffet : il s’étire en un gigantesque « L » drapé de noir, le long de deux murs perpendiculaires. Je suis déjà en train de saliver devant la collection de hors-d'œuvre chatoyants alignés sur vingt mètres. Un attroupement s’est formé à l’endroit où deux employés, eux aussi vêtus de noir, servent et tendent des verres de vin aux invités. Un troisième s’approche de nous avec un plateau à la main et nous propose une coupe de champagne. Je me sers avec un sourire non dissimulé. On ne m’a jamais habitué à être traité comme un invité de marque ! Dimitri, Valérie et moi trinquons joyeusement pendant que nos trois autres compères sont partis explorer les lieux.

  • Longue vie au studio ! lance Dimitri.

Je vide la moitié de mon verre en une gorgée comme le pire des sagouins. Dimitri a été plus raisonnable et je m’étonne de voir Valérie ignorer sa coupe.

  • Je dois vraiment éviter de l’alcool, m’explique-t-elle. On réévaluera ça avec un spécialiste, quelques semaines ou mois après mon opération.
  • Je comprends !
  • Dimitri t’en a parlé, hein ? dit-elle avec un sourire.
  • Oui ! C’est vraiment une très bonne nouvelle !
  • Donc… partagez-vous mon verre.

À cet instant, un homme s’approche de nous. Je pensais qu’il souhaitait rencontrer Dimitri, mais il me tend la main avant que je n’aie pu déchiffrer son badge. En fait, son crâne rasé me dit quelque chose.

  • M. Bordereau, ravi de vous rencontrer. Je me présente : Jess Royan. J’imagine que vous avez déjà entendu parler de mon travail ?
  • Euh… oui, avoué-je en rougissant.

À une époque, j'ai abusé des films amateurs qu’il a dirigés. En même temps, il a l’art d’associer des mecs souvent très différents - dont parfois lui-même - pour des scènes… palpitantes.

  • Alors, comment se porte Brittany Twinks ? demande Jess.

Pas mon style, mais il a vraiment un regard fatal.

  • Ces derniers temps, ce sont les montagnes russes, dis-je en me rendant compte après coup du double sens de l’expression choisie. Mais nous aurons du renfort avec Monsieur Dimitri Cordier, que voici !
  • Oui, je le connais. Vous avez donc décidé de passer de l’autre côté des caméras ?
  • C’est ça, répond Dimitri.
  • C’est tout aussi intéressant, je vous le promets. Bon, j’ai l’habitude d’être direct, alors voilà : j’aimerais vous emprunter votre Jordan pour quelques séquences chez nous à Paris. Sous forme de collaboration bien sûr, nous savons que vos contrats sont exclusifs. Je pense qu’on a déniché le mec parfait pour lui, au moins physiquement.

Jess fait défiler plusieurs photos d’un mec en tenue légère, capturées de face, de profil, puis à quatre pattes.

  • Il est bisexuel et versa, ce qui, vous en conviendrez, est assez alléchant. Il aime le côté passif pour « comprendre ce qu’une fille ressent ». C’est étonnamment excitant de l’entendre expliquer ça.
  • C’est vrai que ça pourrait le faire, acquiesce Dimitri.
  • Bien sûr ! Je me trompe rarement. Il faut seulement que votre gars soit intéressé. Parlez-lui-en. J’imagine déjà la scène où on fera semblant de le motiver pour prendre le rôle d’actif ! Allez, on se revoit plus tard dans la soirée ? Au fait, super boulot avec les Tchèques !

Il nous serre la main et disparaît aussi vite qu’il était arrivé. Il ne s’est même pas enquis du sort de Daniel ; le mec est à fond dans son business.

  • C’est qu’on devient connus ! m’étonné-je.
  • On l’est depuis deux ou trois ans, je te rassure. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’un pape du X gay comme lui vienne taper la discute, comme si on était ses potes de promo. Tu lui plais sûrement.
  • Tant que c’est pour les affaires, ça va.

Je convaincs ensuite Dimitri de se rapprocher du buffet. Il attrape un toast thon et avocat du bout des doigts, plus par volonté de m’accompagner que par réelle faim. Moi, je compte bien tester l’entièreté des recettes. Vu le programme, la soirée promet de s’étirer jusqu’à tard dans la nuit, donc il faudra rester en forme.

Tel un hamster, je fais des provisions lorsqu’il me force à quitter cet éden gustatif pour partir à la recherche de nos amis. Parmi la foule, on distingue clairement trois populations : des acteurs qui me feraient encore plus saliver si Dimitri n’était pas juste à côté de moi, des managers charismatiques de quarante-cinq ans, puis finalement, une minorité d’invités qui ne comprennent pas tout à fait où ils ont mis les pieds. Au détour d’un couloir, nous tombons d’abord sur Valérie. Un journaliste portant une épaisse queue de cheval blonde lui tient un micro pendant que son collègue filme, deux mètres en retrait.

  • Et quelle a été votre réaction lorsque vous avez su que votre fils faisait du X ? Avez-vous mis du temps à l’accepter ?
  • Évidemment, comme n’importe quelle mère, je me suis posé des questions. Mais j’ai rapidement compris que mon fils était sérieux et prudent dans son travail. Et il n’y a pas de tabou entre nous. Nous avons vécu des temps suffisamment rudes que pour nous rajouter des difficultés. Sans parler de ma santé…
  • Pouvez-vous nous éclairer, si ce n’est pas indiscret ?

Valérie déroule sans aucun complexe les difficultés qui l’accompagnent encore aujourd’hui : la contrainte des dialyses, les nombreux médicaments à prendre et paramètres à surveiller. Je me tourne vers Dimitri : son visage est tendu dans une expression d’admiration, pétrifié et si vivant à la fois. Une larme prend forme dans le coin de son œil lorsque sa mère évoque la transplantation à venir.


***


Nous suivons religieusement l’annonce des résultats des catégories successives. Seuls Alexis et Dorian ne peuvent s’empêcher de commenter le style des acteurs qui défilent sur scène.

L’excitation me gagne lorsque celles dans lesquelles nous avons nos chances arrivent. Enfin, les quatre paires finalistes pour le meilleur couple de l’année sont égrenées par le maître de cérémonie. Derrière lui, on projette successivement des photos illustratives d’un niveau de nudité ma foi raisonnable. Un effet Ken Burns fait glisser les images de gauche à droite en zoomant légèrement sur les visages, tandis que les noms des acteurs ainsi que celui de leur studio apparaissent en grosses lettres. Étonnamment, je ne suis pas si jaloux en voyant Dimitri et Kenzo prendre la pose ensemble.

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