Chapitre 76

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Écrit en écoutant notamment : Lorena Herrera – Masoquista

Je suis suspendu aux lèvres du présentateur.

  • Messieurs Dimitri Cordier et Kenzo Laplace, alias Nils Foxx et Ken Fierce !

Une vague d’exclamations m’assourdit. Kenzo et Dimitri, encouragés par les sifflements de nos autres collègues du studio, montent sur l’estrade sombre qui accueille les lauréats de cette année. Les deux se retournent et frappent avec retenue dans leurs mains pour saluer l’assemblée.

On remet avec délicatesse à chacun un trophée argenté en forme de « X ». Kenzo soulève fièrement le sien comme s’il avait remporté la Coupe du Monde de foot, tandis que Dimitri dépose sa récompense sur le pupitre et attend sagement que les applaudissements retombent. Il attrape son collègue derrière le dos puis expédie un sourire publicitaire à destination des objectifs de caméra qui le fixent.

À l’instar des précédents récompensés, on attend d’eux un bref discours de remerciement. Après une hésitation, Kenzo salue « tous ceux qui l’ont soutenu jusqu’à présent » et dit avoir « à cœur de poursuivre avec autant de réussite ». Trois ou quatre poncifs plus tard, il tend le micro à Dimitri.

  • Merci Kenzo. Je suis tout aussi surpris et ravi que toi. J’avoue que la récompense me prend au dépourvu. Je ferai au mieux.
  • Ne cherchez pas trop compliqué, le rassure l’animateur.
  • Certains d’entre vous le savent sûrement déjà, mais c’est la première et dernière fois que vous me verrez sur cette scène. Au moins en tant qu’acteur… Après deux années de loyaux services, de nombreuses scènes et une multitude de garçons plus charmants les uns que les autres, il est temps de passer du côté de la production pour quelques mois. Je verrai si l’aventure me plaît.

Dimitri est déjà interrompu à la fin de sa phrase par de vives acclamations. Il m’attrape du regard et me fait signe de le rejoindre. J’hésite à briser le protocole, mais un collègue assis derrière moi me pousse dans le dos afin de me persuader définitivement.

La situation me stresse plus que lorsque je dois discuter un contrat : ce soir, tout le gratin du X gay français est réuni dans la salle. Ainsi, j’évite de me retourner vers le public tant que je ne suis pas à hauteur de Dimitri. Avec lui, je n'ai rien à craindre.

  • Kenzo est un super collègue, mais le véritable couple de l’année se tient devant vous, annonce Dimitri.

Il me serre contre son épaule.

  • Je me souviens très bien des premiers jours, des premières semaines après ton arrivée au studio. Il y avait cette drôle de distance, entre nous les acteurs, et toi, le gars de l’informatique, qui nous empêchait de réellement apprendre à nous connaître. Et puis ce n’était une période facile ni pour moi et mes études, ni pour ma mère et les soucis qu’elle a affrontés courageusement. D’ailleurs, elle se trouve parmi nous ce soir, et j’estime qu’elle mérite au moins autant de reconnaissance que moi !

Pas habitué aux discours, mon œil ! Tout le public de la soirée est complètement acquis à sa cause et à sa rhétorique simple et efficace.

Ses yeux reviennent sur moi :

  • En fait, avec Martial, j’ai redécouvert, d’une certaine manière, ce qu’est une attirance authentique. Vous voyez, celle qui nous frappe habituellement à nos quinze ans, qui ne dépend d’aucune expérience préalable de l’amour et nous secoue au plus profond de notre être… J’ai failli recaler ces émotions, simplement parce qu’il ne correspondait pas à l’idée que je m’étais faite, au fil des années et de mon « travail », d’un garçon idéal pour moi. Nous avons tous les deux douté, le découragement nous a souvent guettés ; Martial, tu m’as donné du fil à retordre comme personne auparavant, mais assurément, avec toi, aucune difficulté n’est insurmontable. Je t’aime sincèrement.

Je crois qu'après avoir entendu ça, on peut mourir tranquille. Enfin, le plus tard possible, mais on peut... Même mes parents seraient émus.

  • Nous précisons également que nous assurerons tous les deux le fonctionnement du studio pour la nouvelle année à venir, et que nous recherchons une troisième personne pour la com’. Je sais que je vous ai déjà beaucoup sollicités, mais je vous demande des derniers applaudissements pour Monsieur Daniel Alekhine, dont nous n’avons malheureusement plus de nouvelles depuis deux mois, et qui a mené Brittany Twinks à sa place actuelle.

***

Signe que les mondanités touchent à leur fin, le DJ du soir fignole le montage de sa scène pendant que le sponsor de la soirée achève son discours. C’est aussi le moment choisi par Valérie pour nous quitter.

  • Ne faites pas trop de bêtises ! dit-elle en riant. Et si vous parvenez à ne pas me réveiller en rentrant, ce serait encore mieux.

Il ne me faut pas dix minutes pour cerner les thèmes musicaux de la soirée. Je dois admettre que l’ambiance mélangeant house, trap et synthwave sied parfaitement à l’événement. Ces styles regorgent de morceaux à la fois dansants et séduisants, parfois même sensuels. Intéressé, je me faufile derrière la scène, suivi par Dimitri.

  • Vous voulez que je joue un son en particulier ? demande le DJ en nous dévisageant à peine.
  • Pas spécialement, dis-je. C’est simplement que la musique électro m’a toujours intéressé. Et pour une fois qu’il n’y a pas deux rangées de barrières, j’en profite pour observer !
  • D’accord ! Désolé, j’ai l’habitude des personnes parfois trop lourdes et intrusives…

De loin, je n’avais pas remarqué son maquillage arc-en-ciel au-dessus des yeux. C’est très réussi.

  • Mais en fait, continue-t-il, si vous avez des idées de tracks… pas de problème. De toute façon, je ne m’attends pas à avoir tout de suite beaucoup de monde sur le dancefloor. Tous les curieux iront d’abord se rincer l'œil devant les shows sexuels.
  • J’avoue que j’y ferai quand même un tour, histoire de ne pas mourir idiot, admets-je.

***

Évidemment, je retrouve Kenzo, mais aussi Alexis et son copain en bonne position devant le spectacle cent pour cent masculin qui se joue à cinq mètres de nous. Deux gars attirent la totalité des regards : leurs corps sont bronzés uniformément - probablement à l’aide de séances UV - et huilés afin que l’éclairage creuse les traits de leurs muscles. Les rôles sont clairs : le mec passif est allongé à plat ventre sur un divan galbé en cuir rouge. Ses fessiers sont naturellement écartés par le meuble et il est vêtu de lanières noires qui font le tour de ses cuisses et de sa taille. Un morceau de tissu cache son sexe tout en laissant l’accès à son anus ; une manière de renforcer le fantasme de soumission.

  • Tu connais ce gars ? glissé-je à Dimitri.
  • Il ne me dit rien… En revanche, la mise en scène me donne des idées.
  • Pour des films… ou pour… nous deux ?
  • À toi de choisir.

Son partenaire déambule autour de lui en retardant le moment de s’attaquer au festin. Même s’il a une décennie de plus que moi et trois fois moins de cheveux, la manière dont il claque son sexe dans la paume de sa main me donne très chaud. Il doit flirter avec les vingt centimètres et dépasse légèrement Kenzo niveau largeur. Pour l’instant, son jean troué lui arrive encore à mi-cuisse, mais il risque de s’en débarrasser sous peu. Dimitri claque soudain des doigts devant mes yeux.

  • T’es encore avec nous ? Je pensais que t’avais pris l’habitude de voir des mecs baiser en face de toi.
  • Bien sûr ! m’exclamé-je. Mais…

Je suis interrompu par des claquements secs : le pauvre passif est en train de se faire dominer à coup de martinet. Ses fesses claires rougissent dare-dare et sa gueule d’ange prétendument innocente me ferait presque pitié. La pénétration commence ensuite pour de vrai : malgré sa position, genoux fléchis, le type donne directement de grands coups de bassins. Il agrippe le corps frêle de son partenaire si fort qu’il pourrait le blesser !

Les chocs entre les corps nus résonnent de plus en plus fort dans mes oreilles et chassent tout autre son ambiant. En dépit de ma volonté, le spectacle m’hypnotise. Je suis ces assauts sensuels comme on pourrait passer des heures sur un promontoire, à contempler l’océan se fracasser sur une côte rocheuse.

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