Chapitre 78

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Écrit en écoutant notamment : Aekhlorią – The End Of All Ends

Février 2022, deux mois plus tard.

Une mouette file au-dessus de nos têtes en lâchant des rires aigus. Le ciel est d’un bleu pâle, celui dont la clarté peine à réchauffer les ruelles pavées du centre-ville. Notre semaine au studio a été intense, mais si tout roule comme espéré, nous dévoilerons le deuxième volet de la collaboration avec nos amis praguois d’ici quelques semaines. Le montage doit encore être peaufiné, mais les scènes s’annoncent croustillantes. Kenzo est devenu l’icône de ce partenariat international : il a encore fait très forte – ou dure – impression et se trouve en bonne place sur les visuels de promotion.

Depuis la cérémonie des Roméo X Awards, notre cote de popularité s’envole. Nous ne partions de loin pas inconnus, mais notre nombre d’abonnés, aussi bien sur le site que sur les réseaux, a quasiment doublé depuis le début de l’année. Idem pour les demandes de collaboration : il faudra agrandir nos troupes si nous ne voulons pas refuser certaines opportunités. Le travail de Daniel par le passé a porté ses fruits, mais je suis certain que deux mecs qui tiennent un studio en couple sont un argument marketing drôlement vendeur. En plus, Dimitri est déjà un excellent manager ; il a évidemment un contact privilégié avec nos jeunes acteurs et connaît le métier de l’intérieur…

Au bout d’une heure à déambuler dans la ville, nous atteignons tous les deux la rue du Gay’pard. Clairement, le bar ne désemplit pas. Déjà en ce samedi après-midi, on distingue un certain monde depuis l’extérieur. Quelques couplets chantés par Katy Perry se diffusent dans la rue lorsque deux gars poussent la porte, main dans la main. Il n’y a pas plus cliché, mais j’ai appris à apprécier le lieu malgré tout. En fait, j'aime tout simplement Nantes, car c'est la ville de Dimitri. Je l'observe, les cheveux battus par le vent, un sourire assuré sur les lèvres. Il est vraiment sublime. Et il me rend fier.

Je me retourne soudainement et m’approche de la devanture de l’ancienne « Confrérie du Blitz ». En quelques secondes, un flot de souvenirs désordonnés remonte. Je m’y suis tout de suite senti à l’aise à mon arrivée dans la cité des Ducs de Bretagne : des heures à rencontrer des passionnés, à enchaîner les parties en espérant qu’il y en ait toujours une suivante. Quelques coups brillants que j’ai consignés, des bourdes plus nombreuses à oublier. De faux espoirs transformés en amitié, aussi, avec Alexis.

Je colle mon nez à la vitre pour scruter l’intérieur. Des bâches plastiques maculées de taches de peinture blanche couvrent le sol et les murs. Quelques chaises ont été empilées dans un coin de la salle, à côté d’un projecteur de chantier ; le bar est toujours en place, mais décapité de ses tireuses. Mon cœur se serre lorsque j’aperçois un cavalier blanc gisant au sol, abandonné dans un royaume qui n’est plus le sien.

  • Dommage, c’était assez unique comme concept, murmure Dimitri à côté de moi.

Plus aucune trace de Jonathan non plus. Il lui aura suffi d’un mardi, jour de congé hebdomadaire, pour vider l’essentiel et laisser une affiche laconique sur la porte d’entrée : « La Confrérie du Blitz informe sa fidèle clientèle que l’établissement ferme définitivement à compter du 14 février. » Malgré la confiance qui s’est tissée entre lui et moi pendant l'automne, il est resté muet comme une tombe sur ses plans.

  • Et sinon, ta mère récupère bien ? demandé-je pour changer de sujet.
  • Oui ! Les examens sont très positifs. Normalement, ce n’est plus qu’une question de semaines avant qu’elle soit à fond. Tu me diras, ça ne peut pas être cent pour cent, mais le changement est déjà immense. Et avec ta famille, ça avance ?
  • Pas vraiment. D’un autre côté, ma couverture de boîte de conseil ne tiendra pas indéfiniment… On finira par passer aux infos, si ça continue, dis-je avec un rire nerveux.
  • Désolé ! Je voulais pas t’embêter avec ça.

Mon téléphone vibre dans ma poche et affiche le nom de Kenzo quand je le sors.

  • Hey, Martial ? Tu m’entends ? demande notre acteur.
  • Oui !
  • T’as vu par rapport à Daniel ?
  • Non, comment ça ? Je suis avec Dimitri, là.
  • Je t’envoie le lien.

***

Le Monde, en lien avec l’AFP. Mise à jour du 22 février 2022, 16h19.

Manifestations dans le centre de Minsk après la mort d’un opposant au régime.

Après que l’annonce du décès de Daniel Alekhine [Daniil Kirilovs, de son identité d’origine, N.D.L.R.] a été rendue publique dans la nuit, plusieurs centaines de personnes ont spontanément arpenté la place de l’Indépendance, bravant les interdictions en vigueur. L'événement, essentiellement pacifique, a été dispersé brutalement au bout d’une heure. La police aurait procédé à 48 interpellations de manifestants. Les images ci-dessous montrent certains habitants déposer des fleurs et d’autres brandir, immobiles, des pancartes réclamant la démission du chef du gouvernement Alexandre Loukachenko.

Que sait-on de la mort de Daniel Alekhine ?

Selon les informations recueillies par diverses organisations de lutte pour les droits de l’homme et pour la défense de la liberté d’expression, son élimination aurait été prévue il y a plus de deux mois par le gouvernement biélorusse, mais a été retardée par un ensemble de difficultés techniques et de tentatives de négociation. La direction du centre de redressement où il était détenu, depuis environ deux mois, a déclaré ce matin : « Le prisonnier a été retrouvé dans sa cellule dans un état critique à minuit trente hier soir. Malgré l’intervention rapide des médecins sur place et plusieurs heures de tentatives acharnées, ceux-ci n’ont pu que constater le décès à trois heures quarante-cinq. »

Le porte-parole du gouvernement a indiqué en marge d’un déplacement sur la base militaire d’Homiel, dans le sud du pays, qu’une « enquête sera menée pour déterminer les causes précises de cet accident ».

De vives réactions à l’international.

Depuis la Lituanie, où elle vit exilée depuis deux ans, la plus célèbre des opposantes à Loukachenko, Svetlana Tikhanovskaïa, a dénoncé « une démonstration barbare d’autoritarisme » et continue à demander la libération de tous les opposants politiques.

Le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, a fustigé « le déni de démocratie régnant dans le pays » et considère Loukachenko comme « l’unique responsable de cet assassinat ». Son homologue polonais a quant à lui réitéré ses avertissements : « Ce meurtre abject s’inscrit dans un contexte de tensions grandissantes. Nous devons nous montrer extrêmement prudents quant au séjour de troupes russes dans le pays et aux exercices d’entraînement menés à la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine ».

En France, nous attendons encore un éventuel communiqué du gouvernement sur cette affaire.

Un parcours peu commun.

En effet, Daniel Alekhine avait acquis la nationalité française récemment et résidait dans le pays depuis 2011 après avoir fui la Biélorussie pour sa sécurité.

Il avait d’abord travaillé au Service des Transports de la ville de Nantes, avant de fonder sa propre entreprise dans le domaine de la production cinématographique, toujours en Loire-Atlantique. Selon les services de la Préfecture, M. Alekhine représentait un « modèle d’intégration ». Il avait par ailleurs conclu un PACS avec son partenaire, gérant d’un bar nantais.

Nous manquons à ce jour d’informations fiables concernant les causes et les conditions de son arrestation à Minsk, au courant du mois de novembre.

Plus d’informations à venir…

~ ~ FIN ~ ~

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