XXXII : L'aurore
Gabriel et Gabrielle, tels sont les prénom des nouveaux nés de Natacha et Aurélie. En regardant la photo de l'échographie, Marwah réfléchit. Il y en a deux. Un garçon et une fille apparemment. Jibril et Simone risquent de naître en avance.
Le père Simon montre les documents à Patrice. Dans l'épidémiologie des réceptifs, il est très rare que le don s'exprime chez les filles directes, néanmoins il ressort que leurs aptitudes sont plus concentrées dans leur vie de femme. Donc tout est normal avec Noëlle.
- Elle me fait quand même un peu peur.
- Elle est jeune, elle finira par temporiser, dans une dizaine d'années.
- En attendant, on doit gérer une adolescente réceptive incontrôlable.
- Et si c'était plutôt le contraire. Je crois que c'est elle qui va devoir nous gérer, comme toi tu l'as fait avec tout le groupe.
- Je l'ai sentie, elle a des motivations différentes. Elle n'accepte pas ce don. Je crois qu'elle va chercher à s'en débarrasser.
Nue dans son lit, son petit homme tout contre elle, Aline fait le point sur sa vie de femme qui se termine. Sa fille a pris le relais. Son fils a fait d'elle une grand-mère. Et elle pense à Patrice, encore. Lorsqu'ils étaient jeunes, ils se sont trouvés. Elle se remémore les premiers instants, depuis la rencontre jusqu'au premier baiser. C'est lui qui l'a choisie. Il y avait d'autres filles plus jolies dans le groupe. Qui lui auraient donné plus d'amour. Pour Aline, Patrice n'était qu'une expérience, qui a duré, quelques années. Puis qui a repris pour concevoir Noëlle. Et depuis, quelque chose a changé dans ses sentiments les plus profonds. Elle va peut-être aborder cet homme qu'elle croise à l 'église. A chaque fois ils sont seuls et à des bancs différents.
Natacha ouvre les yeux juste avant les cris de son bébé. Elle est seule dans le lit. Où est-il encore passé ? Elle sourit. Elle est mère. Elle est fière. Elle se lève.
Aurélie est déjà dans la serre à vérifier les plantes. Elle fait ensuite son tour technique, les panneaux solaires, l'éolienne, la pompe, les batteries, les réserves de carburant, de charbon, de bois et d'eau. Pour l'abri anti-atomique, elle demandera à Noël de s'en occuper. Elle regarde le soleil se lever puis rentre vite car sa chemise commence à se mouiller, montée de lait, son bébé se réveille et il a faim.
Thomas se réveille tout contre elle. Il voit qu'elle a les yeux ouverts. Qu'il est encore tôt. Il l'embrasse. Joue, bouche, puis il descend se réfugier en elle. Il sent qu'elle est ailleurs, qu'elle lui échappe, il se blotti contre son Aline, respire son odeur et essaye de graver en lui ce moment intime pour ne jamais l'oublier.
C'est le moment magique où la lumière annonce le lever du soleil, où le monde se réveille, où les âmes s'agitent, où les destins s'affirment et où le visible remplace l'invisible. C'est le moment ou Noëlle commence à se calmer. Le jour est un répit. Mais au collège on la prend pour une sorcière parce qu'elle voit tout, elle sait tout. Elle n'a qu'à pointer son doigt pour que tout le monde déguerpisse devant elle. Elle ne se sent pas non plus beaucoup aidée par le Père Simon ou Patrice. Ils sont dépassés. Chaque matin elle décide si elle continue ou pas. Entre la brosse à dents ou la malette avec le scalpel, les médicaments, la corde et le revolver. Ou elle n'a qu'à simplement attendre. À la prochaine pulsion suicidaire, elle est sûre d'y passer. Elle regarde ses notes. Ses recherches. Toute une liste de choses étranges à faire pour essayer de canaliser ce don, d'avoir un coup d'avance sur lui. Elle arrive au paragraphe où d'autres personnes sont impliquées, des proches à faire souffrir dans des cérémonials occultes et malsains. Six personnes. Comme la balle dans le révolver six coup, elle va choisir sa victime au hasard. Elle ouvre la malette, écrit un nom sur la douille de chaque balle, fait tourner le barrillet , descend à la cave, vise les cagettes de pommes, et plutôt que de croquer dedans, elle arme et appuie sur la détente. Entre deux gémissements, Aline croit entendre un bruit sourd. Elle referme ses cuisses sur la tête de Thomas qui remonte à la surface pour entrer en elle. Elle hésite puis le laisse faire, elle le laisse s'ébrouer, se terminer en elle comme leur histoire. Noëlle regagne discretement sa chambre, ouvre sa main et regarde le nom sur la douille. Il correspond au cérémonial numéro 5. Elle ne se sent pas bien, elle a comme un malaise, elle se remet au lit et s'évanouie.
***
Les filles de l'aurore
Je peux encore les retrouver, elles ont autour du corps
De l'amour et de l'or que l'on peut jouer aux dés
Elles ont au fond des yeux des rêves que l'on ignore
Quand vous dormez encore, quand l'aube les voit passer par deux
Et moi je viens bien après l'aurore quand le soleil monte à Saint-Jean
J'voudrais leur dire que je t'aime encore, toi qui t'en vas tout le temps
Les amants de l'aurore se donnent encore
Dans des lits froissés au cœur qui cogne encore
Est-ce l'amour ou la mort qui les garde enlacés ?
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