XXXV : L'aventure

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Cette fois-ci elle va s'asseoir à côté de lui. Il commence à murmurer, assez fort pour qu'elle entende :

  • Je viens en cachette. Ma famille n'est pas au courant. Non pas qu'ils le prendraient mal. Mais pour moi c'est une démarche personnelle, intime. Il n'empêche, je vis dans le péché depuis 30 ans avec ma compagne. On est pas mariés. On a une fille, elle n'est plus souvent là. Elle a 22 ans.
  • Moi aussi je viens en cachette. Officiellement je promène le chien. Il attend sagement dehors.
  • J'aime bien venir. Ça me rappelle mon enfance. J'ai été baptisé mais mes parents ne voulaient pas m'imposer le catéchisme. J'ai dû insister pour qu'ils m'inscrive. On venait d'arriver dans un nouveau village, j'avais peur qu'on nous prennent pour des protestants !
  • Moi, après la confirmation, j'ai été pensionnaire dans une congrégation. Et puis j'ai rencontré un homme. En plus c'était un protestant !
  • Ha ah !

Il la regarde vraiment pour la première fois. Elle tourne le visage pour lui faire face. Ils se regardent. Ils sourient.

Tous les soirs ils se rejoignent à l'église. À chaque fois ils échangent quelques anecdotes. Le diacre a fini par les repérer. Un soir il est venu les voir pour leur proposer de récupérer une clef pour fermer derrière eux en partant.

  • En fait, j'ai déjà la clef. Je suis le nouveau trésorier de l'association des amis de l'église Saint-Joseph, je fermerai derrière nous.

Et à Aline ensuite, pour la faire rire :

  • C'est un alibi au cas où je me fais prendre. Je tiens les bourses du seigneur !

Ils se sont donnés rendez-vous dans un café discret, loin de chez eux. Ils y vont en tram, lui depuis la ligne 1, elle depuis la ligne 2. Ça leur permet de dépasser la limite légale d'alcool et de ne pas avoir à conduire. Jean-Paul a 59 ans et il est à la retraite depuis 6 mois :

  • Moi j'ai 44 ans. J'ai deux enfants de 16 et 12 ans. Un garçon et une fille. Mon mari travaille à la préfecture. Je suis à la mairie, au service social. » Après quelques verres, la conversation est bien plus amusante. «
  • Ma femme est médecin, spécialiste, épidémiologiste, autant dire qu'elle a beaucoup de travail depuis 12 ans. Son père était médecin aussi, anesthésiste. Ma belle-mère m'avait prévenu : quand on vit avec un médecin, on apprend à vivre seul. C'est vrai que, un médecin ou un chirurgien, ça sauve une vie de temps en temps. Mais un épidémiologiste, ça sauve des populations entières ! Qu'est ce qu'on peut contre ça ?
  • Mon mari, c'est le sous-préfet.

Et ils éclatèrent de rire.

Thomas sent Aline plus épanouie. Il se doute bien qu'elle voit quelqu'un. Mais il est heureux pour elle. Il ne veut que son bonheur. Il l'aime. Tout comme Frédérique qui est revenu s'installer dans la région avec Dominique.

La compagne de Jean-Paul ne se doute de rien. Elle a bien trop de travail et le peu de temps libre elle se le consacre à elle-même, et à son amant du moment.

Dans la salle de cinéma ils sont seuls mais ils chuchotent quand même. Il raconte des bêtises et elle rit. À un moment elle met sa main sur la sienne. Ils se regardent et ils s'embrassent. Comme ça. Simplement.

En sortant du bar, ils titubent un peu :

  • Ma fille est à l'étranger. J'ai les clefs de son appartement. Elle a une super vue, tu veux voir ?

En fait à peine arrivés ils s'affalent sur le canapé et ils font une bonne sieste. Après ils vont sur le balcon admirer la vue. Puis elle l’entraîne vers la chambre et sur le lit ils commencent à s'embrasser. Ils s'allongent, mais avant d'aller plus loin elle lui raconte sa vie, sexuelle. En commençant par le début. Lui aussi a été abusé quand il était petit. Ce n'est pas une coïncidence, ils sont des millions à l'avoir plus ou moins été. Ils se racontent leurs plus profonds secrets, leurs conséquences inavouables, la reconstruction, le couple et la famille. Le tout avec beaucoup de tendresse et de caresses. Au final il est tard. Chacun se réajuste et rentre de son côté. Mais c'est fois-ci avec un baiser langoureux avant de se quitter.

Le lendemain ils se rejoignent directement à l'appartement. Ils n'ont même pas eu l'occasion de se dire un seul mot pendant la première heure torride et passionnée. C'est entièrement nue devant le frigo à la recherche d'eau fraîche pétillante qu'elle lui demande enfin :

  • Au fait, qu'est ce que tu penses du paranormal ?
  • Tu n'as pas lu la phrase de présentation de mon profil instagram ?
  • Nan… (elle prend son smartphone laissé sur la table, elle regarde, elle doit mettre ses lunettes, et elle lit) Tant que les gens croiront en Dieu, je croirai aux extra-terrestres et aux fantômes.
  • Tout le monde pense que c'est une plaisanterie, mais non, je le pense vraiment.

Elle pose son smartphone, excitée, rouge, elle lui prend la main pour l'entraîner sous la douche se caresser avec de la mousse et de l'eau chaude.

Assis l'un à côté de l'autre en peignoir sur le canapé. Hagards. Il commence :

  • Ce que je t'ai raconté hier, je ne l'ai jamais dit à personne, même pas au psy.
  • C'est pas ta faute, d'accord ? Et tu n'as rien fait de mal.
  • Je sais.
  • On s'en est bien tiré au final.

Un silence. Puis il essaie de dédramatiser le sujet :

  • Il paraît que les victimes d'abus sexuels dans leur enfance sont souvent des adeptes de la BDSM.
  • Je sais, j'ai animé un groupe de paroles.
  • Sur la BDSM ?
  • Non, avec des victimes. Ils associent la douleur au plaisir. Ils ont été mal programmés dans le jeu du sexe.
  • Tu veux essayer ?
  • OK.

Il lui demande de se lever. De se retourner. D'enlever son peignoir. Et il lui gifle une fesse. Là, elle se retourne et dit : « À chaque fessée je répondrai par une … » Et là elle se met à genoux, engouffre sa tête sous son peignoir et lui fait juste un peu mal, puis un peu moins, pour ensuite ne répondre que la plus soyeuse douceur de plaisirs qu'elle puisse lui procurer.

Tous les plaisirs ont une fin :

  • Ma fille revient la semaine prochaine. Je vais remettre un peu d'ordre.
  • Pourquoi deux peignoirs ? En plus ce sont deux peignoirs de fille.
  • Dès l'âge de 12 ans, elle m'affirmait déjà qu'elle était non binaire.
  • J'aimerais bien la rencontrer.
  • Surtout pas ! Elle va tomber raide dingue de toi et elle va me piquer ma copine.
  • Copine ?
  • Maîtresse.
  • Maîtresse ?
  • Âme-sœur.
  • Ça me va.

Elle se blottit dans ses bras.

  • On pourra continuer de se voir. Au bâtiment paroissial à côté de l'église. On a un bureau avec l'association. Ils ont un canapé confortable.
  • Je veux que notre relation reste invisible pour nos proches. Je ne veux pas perdre ma famille, ma tribu.
  • Je veux tout ce que tu veux. (Il s'embrassent) Qu'est ce que tu me trouves ?
  • Je n'ai jamais pu résister aux hommes d'âge mûrs dans le besoin de … Lorsque j'étais jeune, je m'occupais d'un papy. Je subvenais à tous ses besoins. Jusqu'au bout. C'est comme ça que j'ai rencontré son petit-fils, mon petit homme. Thomas. Mon mari.

Une nuit, je m'endors avec lui
Mais je sais qu'on nous l'interdit
Et je sens la fièvre qui me mord
Sans que j'aie l'ombre d'un remords
Et l'aurore m'apporte le sommeil
Je ne veux pas qu'arrive le soleil
Quand je prends sa tête entre mes mains
Je vous jure que j'ai du chagrin
Et je me demande si cet amour aura un lendemain
Quand je suis loin de lui
Je n'ai plus vraiment toute ma tête
Et je ne suis plus d'ici
Oh, je ne suis plus d'ici
Je ressens la pluie d'autres planètes
D'autres planètes
Quand il me serre tout contre lui
Quand je sens que j'entre dans sa vie
Je prie pour que le destin m'en sorte
Je prie pour que le diable m'emporte
Et l'angoisse me montre son visage
Elle me force à parler son langage
Mais quand je prends sa tête entre mes mains
Je vous jure que j'ai du chagrin
Et je me demande si cet amour aura un lendemain
Quand je suis loin de lui
Quand je suis loin de lui
Je n'ai plus vraiment toute ma tête
Et je ne suis plus d'ici
Non, je ne suis plus d'ici
Je ressens la pluie d'autres planètes
D'une autre planète

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