53 - La connexion
Musique électro-rap dans la cave des traditions. Pour la cérémonie à venir, l'ensemble des participants ont exceptionnellement consommé aucune goutte d'alcool depuis 24 heures, histoire de voir ce que ça fait. Quelqu'un brandit une croix en l'air, le DJ coupe tout, net. Un apôtre en cape noire préside sur l'autel maléfique jonché de crânes et de chapelets ensanglantés :
- Mes bien chères étudiantes. Nous ne sommes plus. Nous ne sommes plus que des légendes, évanescentes. C'est ainsi que, en viagé, nous vous léguons par ce parchemin notre local et son stock douteux et même le ballet à chiotte en or dérobé dans les toilettes du conseil général.
- Awomen !!!
- Pour sceller cette union j'appelle les responsables, de feu la confrérie et vive la consœurie récipiendaire, héritière de nos âmes condamnées.
Noël en gris et Chloé en blanc se présentent devant lui. Ils prêtent allégeance, échangent leurs vœux, se remettent les nouveaux anneaux de la fusion et l'apôtre conclue en s'adressant à Chloé :
- Vous pouvez absorber le défunt.
Elle le tire à elle, l'embrasse sur la bouche et se retourne tout sourire face aux applaudissements et sous les confettis d'une bible sacrifiée pour l'occasion. L'apôtre brandit sa croix en l'air et la musique reprend. Instinctivement elle prend la main de Noël et sent un petit clic :
- Regarde ! Nos anneaux sont aimantés. Tu es à moi.
- Je suis à toi.
Et ils se regardent droit dans les yeux. Elle veut lui poser une question mais il y a trop de bruit. Ils se réfugient dans l'escalier et s'assoient sur les marches. Elle veut savoir si il dit vrai ou si ce n'est que de l'humour. Elle sent que c'est vrai. Elle veut s'en assurer. Elle patiente un peu, attend quelques secondes avant de le regarder à nouveau avec attention. Après s'être reconnectés l'un à l'autre, elle demande :
- À quoi je pense ?
Noël regarde au fond de son regard, s'approche, lui serre les mains, inspire, ferme les yeux, les rouvre et lui dit tout doucement, lentement, syllabe par syllabe :
- Tu penses à la brume dans les champs autour de la maison de ta grand-mère. (Elle ouvre la bouche d'étonnement). Tu penses aux étoiles dans le ciel, tu regardes Orion, c'est ton repère vers le sud que tu recherches après l'été toujours trop court pour toi. Tu rêves de réchauffement climatique. Tu rêves de te réveiller chaque matin à côté de la chaleur de quelqu'un. Tes pieds sont froids et seuls, orphelins, et toute la journée ils te guident sur les chemins où ils espèrent que tu croises leur bonheur, ils attendent eux aussi de rencontrer l'autre en face.
Une larme coule sur la joue de Chloé
- Et chaque soir ils enlèvent leur armure de torture et se glissent sous les draps, s'endorment et rêvent eux aussi de se réveiller le lendemain sous les caresses de deux autres pieds. Et aussi, tu penses à des frites.
Elle rit à travers un sanglot.
- Avec de la mayonnaise, de Dijon.
Elle l'embrasse fort sur la bouche.
- Et avec du sel, celui de tes larmes séchées parce que tu sens que tu l'as enfin trouvé.
Elle sourit. Pose sa tête sur son épaule. Inspire et expire. Ses pieds lui font mal. Vivement les draps.
Tous les enseignants ont changé leurs programmes et leurs méthodes, il faut des nouveaux outils pour la dernière génération. Changement de paradigme. Prendre de l'avance sur la fin du monde qui n'est pas pour demain mais qui sera politique ou qui ne sera pas. Au diable les compétences obsolètes à leur inculquer. Les seuls examens seront axés sur le développement des capacités des étudiants. Ce seront des tests pour déceler les talents et les potentiels pour gérer la fin des temps. Il n'y aura pas besoin de tout le monde. Et les élus auront plus de devoirs que de droits. On s'en est très bien rendus compte avec le COVID-19 où les droits de l'Humanité se sont effacés devant les droits du virus, de la Nature qui est connectée à ses outils de régulation et ses extinctions de masse.
Une connexion s'établie entre Chloé et Noël, une connexion avec un grand C, C comme le chiffre 100 des romains, 100 comme un aboutissement, la fin d'un cycle, la complétude, l'intégrité, la perfection cosmique, le pourcentage le plus élevé, le score parfait, le siècle achevé, le centenaire ou encore le centuple de la Bible : Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra le centuple, et héritera la vie éternelle. Matthieu 19, 29.
100 comme le nombre de chapitres qui découpent toute cette histoire, 100 comme le chiffre inscrit juste en bas de cette page.
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