64 – Fred·éri·c·que
Trois petits points dans mon prénom pour me définir. À découper suivant les pointillés. Je me suis longtemps cherché. Finalement je n'ai jamais choisi. Garçon ou fille. On me définit en un mot ou en une lettres voire plus suivant affinités. Mais tout évolue, tout peut changer du jour au lendemain. J'y vais étape par étape. Comme au lycée j'étais en fille, j'intriguais beaucoup les garçons, en mal ou en bien. Mais c'est une fille qui a su entrer dans mon intimité. Parce qu'elle n'était pas sexuellement orientée, parce qu'elle était double, elle était mon premier contact avec l'Invisible : Natacha qui m'a fait découvrir Aurélie, puis Thomas. Et il y a eu le sanctuaire, une porte dans l'Invisible qui mène encore plus loin ou plus près, avant, maintenant ou après, une révélation de nos âmes. Comme Natacha, je suis parti à la recherche de mon double. Elle, elle l'a toujours en elle, moi je l'ai trouvé avec Dominique. Moi en vraie fille. On est comme des jumelles. Et puis Thomas a réapparu dans mon parcours. C'est avec ce dernier que je vis aujourd'hui et avec Dominique. Un couple à trois sulfureux puisque de l'extérieur il s'agit tout de même du sous-préfet et de deux plus jeunes âmes perdues alors que de l'intérieur pour nous toutes et tous, c'est le paradis. Avec Dominique on a fait nos études à Paris, moi, dans l'audiovisuel, je suis devenu JRI et je me suis fait remarqué dans le monde de la nuit, avec mon look et ma caméra je rentrais partout, c'est là que j'ai trouvé Dominique ou c'est elle qui m'a trouvé ? On a fusionné. On nous prend pour des jumelles quand je suis en fille. Et j'en suis très fier car elle est mannequin. En dehors de la mode elle est aussi musicienne, guitare, piano, violoncelle et elle chante.
J'ai une petite sœur, Hélène. Elle a 20 ans, elle vient de terminer sa prépa, elle est reçue dans une grande école, elle conduit une petite voiture de collection, une Citroën LN, la voiture qui simplifie la vie, c'était le slogan publicitaire de l'époque. Mais Hélène m'appelle en pleurant car elle a reçu les résultats des tests, alors je vais la voir car je dois lui simplifier la vie, je suis son grand frère à la base : « Je le savais. Regarde, toi tu es grand, blond aux yeux bleus et moi petite brune aux yeux presque noirs. Tu es extraverti. Je suis introvertie. Les résultats sont formels : on a pas le même père. » Je regarde le rapport d'analyse. Il y a également une indication sur la mère et l'autre père. Ils sont proches génétiquement, peut-être un cousin. Elle commente en pleurant : « C'est sans doute ce gros dégueulasse avec qui elle se saoule aux barbecues, tu parles d'une famille de dégénérés. » Ma pauvre petite. Je la prends dans mes bras. Elle reprend :
- Désolé, je ne dis pas ça pour toi.
- T'inquiète, j'y travaille à ma dégénérescence. Tu peux me traiter de tous les noms, je t'aimerai toujours, tu es ma petite sœur, enfin, à moitié maintenant.
- Et tu as vu la gueule de l'autre moitié ? Je comprends maintenant, mes oreilles décollées, ma petite poitrine, mes lunettes, mes problèmes d'audition, je suis une poubelle de tares génétiques. Personne ne s'intéresse à moi, je suis un fantôme, j'ai même jamais été embrassée, tout s'explique.
- Ne t'inquiète pas, tout va s'arranger, je suis là. À commencer par ça.
Je lui prends le visage et je l'embrasse sur la bouche. Un gros smack. Puis un petit. Puis un plus doux.
- Arrête, t'es con.
- Et voilà, une chose de résolue.
Et elle se calme et se blottit contre son nouveau demi-frère. Je continue :
- Cet été je m'occupe de toi. Et à la rentrée tu seras une autre femme, prête à affronter le monde, dans ta nouvelle école, une nouvelle identité à te créer, te définir, t'épanouir, oublie la famille, concentre toi sur toi, tu as du potentiel, tu es intelligente, on va se débarrasser de tes complexes et tu seras au top pour diriger le monde.
- Et tes DOM TOM ?
- La famille avant tout.
- Demi famille.
- Alors double dose de traitement. Demie ou pas je reste ton frère. Tu reste ma sœur, on ne peut pas se larguer ou divorcer, on est liée à vie et je t'aimerai quoi qu'il arrive jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Et elle m'embrasse, et elle soupire. Son premier baiser. Un amour sans philtre. Il faut que je lui trouve quelqu'un à aimer. Avec ou sans philtre.
Effacer les frontières
On sait pourquoi on avance quand on cherche
Traverser les déserts
On sait pourquoi on se perd quand on cherche
Découvrir qui on est
On sait pourquoi on est fait quand on cherche
Parcourir une histoire
On sait qu'on va quelque part quand on cherche
Aller droit devant soi
On sait toujours ou on va quand on cherche
Quand on cherche l'amour
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