LXXX : Les papas
Suzanne s’installent en face du Padre pour prendre le petit déjeuner. Marwah vient à sa droite, et le tient par le bras en posant sa tête sur son épaule. Elle annonce :
- Dès que je suis arrivé dans l’équipe j’insistais toujours pour qu’il n’y ait pas de secrets en nous tous. Maintenant le Padre va partager ses secrets avec toi.
Il prend les mains de Suzanne et elle ressent, elle entend, elle voit l’histoire que le père Simon lui transmet :
1980. Il a fallu d’un seul regard pour tout remettre en question. Notre Foi, notre engagement, notre identité même. Même Dieu n’y peut rien. On s’arrange pour se voir, se revoir, et puis se rencontrer seuls. On a peur d’être reconnus sur la terrasse, on préfère aller à l’intérieur. Elle est charmante, lumineuse, on rit. On succombe à la tentation, on n’a pas le choix, il faut bien assouvir nos pulsions pour aller de l’avant, ne pas devenir fou, ne pas se noyer. En l’occurrence, on se jette à corps perdus et transpirants dans le désir de nos chairs. Un plaisir des sens, enivrant, je la sens encore en moi, son goût, son odeur, sa douceur, sa voix rauque d’avoir crié, son regard quand elle me sent en elle. Je n’ai pas encore prononcé mes vœux. Elle en est encore au début dans sa congrégation. Tout est encore possible. Et de tous les possibles il n’y en eu qu’un : notre fils. Elle n’a pas survécu à l’accouchement. Mitterrand vient d’être élu. Le bébé a été récupéré par une famille dans le Haut-Doubs, là ou certaines sectes étranges prospèrent aux frontières de la Suisse. Chrétien mais protestant, il mène de front des études scientifiques et spirituelles, il s’intéresse également beaucoup aux jeunes demoiselles de la congrégation voisine, c’est là qu’il rencontre Aline. Je ne sais pas à quel point il sait tout, mais rien n’est coïncidence avec lui, comme quand il me choisit lorsqu’il est nommé exorciste. La famille réunie, mais sans elle qui me hante. Je l’ai retrouvée un jour, ramenée par son propre fils avec de l’atropine bénite. Marwah. La fille folle et possédée de l’évêque s’est réveillée, est née, nous a regardé et j’ai su. Elle était là devant nous, elle était revenue. Même leurs prénoms se ressemblent, elle s’appelait Mariah. Quand Marwah a commencé à nous parler d’elle, on lui a tout raconté. Mais pas de rapport à l’évêque qui était comblé d’avoir une fille qui n’était plus handicapée mentale.
Marwah reprend :
- J’ai longtemps essayé de tomber enceinte avec le Padre. Les potions des druides que Aurélie me préparait, les traitements de Natacha, la magie de Patrice, rien a marché. Il a juste fallu une toute petite intervention de la fille d’Aline, Noëlle, c’est la plus puissante de nous tous, elle nous a beaucoup fait peur au début. Je pense qu’il faut la voir, ce matin même, sinon il faudra recommencer les travaux pratiques.
À la Villa du Parc, Noëlle fait déjà de l’apnée au fond piscine pour lutter contre la chaleur et en profite aussi pour faire de la méditation. Elle voit trois ombres de silhouettes apparaitre à la surface, elle remonte pour dire :
- Je vous attendais.
Elle remonte par l’échelle et Marwah la félicite :
- Ça commence à se voir.
Noëlle met sa main gauche sur son ventre et sourit en tendant la droite vers Suzanne :
- Enchantée.
Leurs mains rentrent en contact et ne se lâchent pas. Noëlle ajoute :
- Bienvenue dans la famille… avant j’annonçais aussi si c’était une fille ou un garçon mais ce n’est plus d’actualité, quoi que ?
Leurs regards sont connectés, Noëlle sourit toujours, elle respire un peu fort pour récupérer de son apnée, mais surtout de ce qu'elle vient de faire, ça lui prend beaucoup d'énergie et elle doit faire attention pour son bébé. Suzanne remarque le pendentif sur la chaïne autour du cou de Noëlle. Une marguerite. Rassurée, elle lâche sa main et enlace le Padre et Marwah en fermant les yeux pour retenir une larme.
LN
Je lui ai donné rendez-vous près de son travail. Il termine tôt. On va s'installer au café du coin en terrasse sous les brumisateurs, je lui sors les pochettes plastiques des documents et je les mets sur la table à côté de son sérieux de la bière du jour. Il parcourt le rapport d’analyse et lit la conclusion que j’ai surlignée en fluo et puis je commente :
- Je sais que c’est toi. Que vous vous aimez depuis toujours. Que vous continuez de vous voir encore aujourd’hui. Maintenant je comprends le comportement déplacé que tu as avec elle, que tu as avec moi. Je te prenais pour un gros dégueulasse. Je vous ai vu des fois un peu trop près l’un de l’autre dans des coins sombres. Et puis tu m’offres toujours de trop beaux cadeaux, tu es toujours à vouloir me faire des bisous. Je suis venu te voir toi, pas maman, elle aurait nié en bloc, elle est dans le dénie. Mais toi, tu peux la convaincre, d’arrêter cette mascarade. Arrêter de vous enterrez l’un l’autre dans une vie qui ne vous convient pas. Faites votre coming out. Parce que je veux que vous soyez vraiment heureux. Parce que je vous veux ensemble au repas des mes fiançailles. Parce que je veux que ce soit toi qui m’accompagne jusqu’à l’autel à mon mariage.
- Pardon. D’accord. Est-ce que je peux te serrer dans mes bras ?
On se lève et je le serre très fort dans mes bras, de toutes mes forces. Puis je le regarde et je dis :
- Papa.
Qu'il n'a jamais été. Qu'il n'est pas. Qui le sera peut-être un jour. Pour l'instant il est juste mon père, mon géniteur interdit dont je suis le fruit défendu. J'existe parce que ma mère n'a pas pu dire non à l'amour, au sexe ou à l'invisible. J'existe parce que je ne peux pas dire non à ma vie. Tout comme je pourrai pas dire non à la vie quand elle se présentera en moi. Pas pour des raisons religieuses ou idéologiques. Juste par instinct. De reproduction. De survie de l'espèce. C'est quelque chose qui nous dépasse. Dont nous sommes l'objet et les esclaves consentents. Être parent d'être vivant. Plutôt qu'un point final d'une histoire qui a commencé avant que l'humanité existe. Telle est la force qui est en nous, en moi, au delà des conventions. Au diable les conventions. Je ne suis pas une erreur. Je suis le résultat de millions d'années d'évolution et je compte bien participer à cette chaîne de vie, à jouer mon rôle de fille, de mère, de grand-mère avant de laisser mon héritage à son sort car on ne peut pas dire non à la mort non plus. LN, je m'appelle Hélène, je suis une femme comme les autres.
Inceste de citron
Je t'aime t'aime, je t'aime plus que tout
Naïve comme une toile du nier-Doua sseau-Rou
Tes baisers sont si doux
L'amour que nous n'ferons jamais ensemble
Est le plus beau, le plus violent
Le plus pur, le plus enivrant
Est le plus rare, le plus troublant
Le plus pur, le plus émouvant
Exquise esquisse
Délicieuse enfant
Ma chair et mon sang
Oh, mon bébé
Mon âme
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