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- Je suis interdit de librairie alors je viens t’embêter, Bernard.
- Pas de problèmes, j’ai reçu pire comme client, il y en a un qui s’est pointé avec sa bouteille de blanc, un américain.
- Bukowski, septembre 78. C’est pour ça que j’ai pas débarqué dans Bouillon de Culture, ça fait trop Top Chef.
- Comment ?
- Ben oui quelle idée de changer de nom ? Apostrophe c’était très bien. Bref, fais attention Bernard, tes invités peuvent être dangereux et nocifs, comme Gabriel Matzneff, les mentalités d’après-demain vont condamner ta passivité de 1990. L’écrivaine Denise Bombardier a la lucidité d’une ange blanche sur ton plateau où elle t’apostrophe indirectement aussi. Tu as été piégé par ton époque, tu le paieras en 2019 en devant démissionner d’un poste prestigieux, le monde moderne est comme l’Invisible, comme l'I.S.A., il mélange le passé, le présent et l’avenir.
- Ah… Bon… Alors ?
- Alors voilà, tu as une chance de te rattraper en dénonçant mon livre. Qui est choquant, immoral et j’en passe.
- Oui, alors pourquoi toutes ces relations sexuelles douteuses mises en avant ? Quel intérêt ?
- En fait j’avais fait une première écriture où le sexe était remplacé par des meurtres et de la torture mais c’était à mon goût trop violent et pas assez choquant. C'est d'une banalité monstrueuse et ça passe en prime time à moins 10. Alors que quelques galipettes ça attire plus l’attention et c'est au moins du moins 16. Des gens qui s'égorgent, ça passe, mais des gens qui se font des bisous c'est tabou.
- Mais, contrairement à Matzneff, c’est de la fiction.
- Oui tu as raison Bernard, il n’y a que la vérité qui est choquante, la fiction c’est la liberté totale. Je comprends maintenant pourquoi les grands écrivain français se sont abaissés à la fiction, ils auraient eu de gros ennuis s’il c’était agi de reportage, de La Fontaine jusqu’à Zola en passant par Hugo. Mais c’est toi le critique littéraire, pas moi. Moi, je ne lis pas.
- Donc les meurtres, la torture, ce n’est pas votre truc ?
- Quand je regarde un film, une série ou que je lis une fiction, dès que je tombe sur quelque chose de déplaisant comme ça, j’arrête, je zappe. L’autre jour j’ai voulu commencer de regarder une série sur Netflix. Saison 1, épisode 1. Une voix off sur une image noire. Le personnage principal se présente en affichant sa philosophie douteuse. J’ai arrêté net. Je n’ai vu aucune image. C’était « I care a lot ». L’accroche est importante. Je l’ai négligé dans I.S.A., ça a dû filtrer pas mal de lecteurs.
- Et pourquoi ne pas enlever alors tous les passages qui posent problème ? Le reste se suffit à lui-même.
- Non, il fallait bien justifier la disparition du genre mâle. Même si dans les histoires dès le début les femmes sont plutôt en position de force, sauf peut-être avec le malentendu de l’évêque avec Aline, tout comme Patrice et Aurélie où là le litige est plus flagrant. Après, le plus choquant n'est pas le plus flagrant. On rentre dans ce bouquin comme on rentre dans une secte, sans s'en apercevoir. Après on est pris au piège. Mais bon, tout fini bien dans un monde où on ne pourra plus que balancer des truies. C’est peut-être le titre de la suite : « Balance ta truie ».
- Une suite donc ?
- Non je ne pense pas. Je vais continuer celui-là. Le fait qu’il soit en ligne sur une plateforme, qu’il soit modulable, c’est un sacré confort. On peut y retourner, facilement, corriger ou continuer. Dommage que je n’aie pas assez de critiques en ligne pour les corrections et autres incohérences à éviter. En attendant il s’agit d’un jeu en ligne passionnant. Il prendra la tournure que les lecteurs veulent. J’aimerais que ça soit plus collaboratif.
- Et pour les personnages qui existent vraiment, ça risque de poser problème, non ?
- Oui je pense que Mitterrand et Lady Di vont venir me hanter. Pour les autres, ça se passe dans le futur. J’ai l’alibi de la fiction et du futur. Sur la fin il ne reste que le maire de Dijon, et encore, il y passe. Et Greta, un personnage fascinant. A développer encore.
- Et pourquoi toutes ces fins ?
- Mes personnages ne veulent pas arrêter. D’ailleurs, j’y retourne, je dois écrire l’arrivée de Dominique au château.
- Bien. Bon. Il est parti. Alors je ne vous recommande pas ce roman inachevé sans queue ni tête, enfin sans début ni fin c’est plus correct. Et je vous dis adieu, je vais essayer de profiter un peu de ma retraite avant qu’une autre affaire surgisse de l’I.N.A. pour m’attirer des ennuis.
- Je reviens, j'ai oublié mon bonnet et il fait moins de 10 degrés dehors. Quand il fait moins de 5, je mets des gants aussi.
- Ca tombe bien, j'avais oublié de vous proposer mon questionnaire.
- Celui qui a été repris par James Lipton dans son émission Inside Actor's Studio ?
- Oui, vous savez que je l'ai invité à y répondre dans la dernière émission de Bouillon ?
- Oui c'est marqué dans son Wiki.
- 1. Votre mot préféré ?
- C'est aussi dans le questionnaire Scribay. J'avais répondu n'importe quoi. Là, je dirais un verbe plutôt : blottir. Je le conjugue beaucoup trop souvent.
- 2. Le mot que vous détestez ?
- Fin.
- 3. Votre drogue favorite ?
- Le sommeil.
- 4. Le son, le bruit que vous aimez ?
- Un passage de la chanson Soldier de Fleurie, je l'ai mis en sonnerie principale de mon GSM : Oh-oh-oh
- 5. Le son, le bruit que vous détestez ?
- Le bip de la RCP40, c'est une développeuse de photographie positive couleur, ça annonce que la photo est sortie et qu'il faut arrêter la sieste et rallumer les lumières pour aller la regarder. Je l'ai mis en sonnerie d'arrivée de SMS dans mon GSM.
- 6. Votre juron, gros mot ou blasphème favori ?
- Ta race !
- 7. Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ?
- L'abbé Pierre.
- 8. Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ?
- Télémarketeur. Pour les distraire je leur chante des chansons ou je leur mets France Culture à fond.
- 9. La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?
- Le chêne, pour avoir une chance de finir en flammes sur le toit de Notre Dame à chaque rénovation de la flèche.
- 10. Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire ?
- Je démissionne.
- Votre animateur d'émission littéraire préféré ?
- Bernard Rapp. Son pire scandale a été de présenter le journal télévisé pour la première fois sans cravate le 18 mai 1986. Ensuite il a fait tellement d'émissions... Il est mort à 61 ans, des suites d'une longue maladie. Il fumait beaucoup. En ce moment le meilleur c'est bien-sûr François Busnel.
- Et le pire ?
- Celui de la marionnette des guignols. Un présentateur de JT aussi. Mais je ne comprenais rien à ce qu'il disait. Etrangement, sa diction échappe à mon oreille. Après, c'est un personnage romanesque. Son comportement avec les femmes n'est pas exemplaire. Les anges blanches n'ont pas été tendres avec lui. Il a vu mourir trois de ses enfants. Un jour je suis tombé sur la maison de Solenn, dans le quatorzième à Paris. Une drôle d'impression. Le bâtiment est tout sauf modeste. Il est moderne, spectaculaire, avec une architecture travaillée de verre et d'acier qui joue avec la verdure. Magnifique. Qu'avait-il donc à se faire pardonner ? Je me demande à quel point il est innocent dans le suicide de sa fille. A 19 ans, elle se jette sous le métro en laissant ces mots qu'elle lui adresse à lui : " Merci pour tout mais je n’aime pas la vie. Je veux être incinérée et gardée dans une petite boîte, mais pas jetée à la mer. " Et quand on lit ce que Agathe Borne dit de lui, ça laisse à réfléchir pour cerner le personnage. En tous cas j'espère ne jamais croiser l'âme de Solenn. Pourquoi pas la mer ? Il y a peut-être déjà trop d'âmes disparues en mer pour en ajouter une qui s'est naufragée à terre. Une nouvelle ange blanche en errance dans les âmes de ses hôtes. Elle est devenue le symbole de la lutte contre l'anorexie. Les pièces jaunes de Bernadette ont financé sa maison au sein de l'hôpital Cochin. Les Chirac aussi ont perdu une fille pour le même problème. Maintenant il y a ce lieu qui est une porte ouverte sur les petits et les grands problèmes des adolescents. Le 27 janvier 1995, Solenn est descendue à la station de métro la plus proche de chez elle, "Les sablons" sur la ligne 1. Elle était tellement faible que son cœur pouvait s'arrêter à tout moment. Se jeter sur les rails juste avant que le métro arrive n'a pourtant pas suffit. Elle est morte de ses blessures un peu plus tard, à l'hôpital Beaujon.
J’suis pas toute seule à être toute seule, ça fait déjà ça de moins dans ma tête, et si j’comptais combien on est ?
Beaucoup.
Tout ce à quoi j’ai déjà pensé, dire que plein d’autres y ont déjà pensé mais malgré tout je me sens toute seule, du coup j’ai parfois eu des pensées suicidaires et j’en suis peu fière, on croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire, ces pensées qui me font vivre un enfer.
Est-ce qu’y a que moi qui ai la télé ? Et la chaîne culpabilité ? Mais faut bien se changer les idées. Pas trop quand même. Sinon ça repart vite dans la tête. Et c’est trop tard pour qu’ça s’arrête.
C’est là que j’aimerais tout oublier. Tu sais j’ai mûrement réfléchi. Et je sais vraiment pas quoi faire de toi. Justement, réfléchir. C’est bien le problème avec toi.
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