102 - La planète C
32 ans plus tard, on inaugure a nouvelle Bible à la Cathédrale. C'est la petite-fille d'Aurélie qui officie avec la fille de Greta. Yaël et Isa Love sont les garantes du programme sacré. Il n’y est question que d’Amour, comme art de vivre l’éternité et comme guide spirituel de la planète C. Il ne fait qu’accompagner cette nouvelle civilisation hybride qui baigne dans le bonheur.
Il y a des messes tous les jours à la Cathédrale mais aussi à la Chapelle et à l’Église du Village. On ne peut pas échapper à la Foi. Parallèlement, un travail de mémoire a été réalisé pour la Révolution qui a aussi sa stèle désormais.
Yaël et Isa Love font preuve de modération et veillent à ce que la B3 n’incite pas le fanatisme ou la radicalisation. Tout est question de dosage et d’équilibre et l’ensemble doit être encadré.
Yaël
- Isa, les premiers agents sont sortis de formation à temps. Grâce à eux on aura rien à faire.
- Les AD ? Les agents de Dieu ? Matricules 9XY.
Isa est un peu autiste sur les bords. Elle tient ça de sa mère. On arrive sur l’esplanade. On gare nos vélos et on récupère nos sacs. On s’installe sur les marches de la stèle, à l’ombre et on sort nos boites pour commencer à déjeuner.
- Quand ta mère a inauguré ce monument, je n’étais pas encore née. Elle ne fait plus de cérémonie ici ?
- Non, elle ne la fait plus qu’avec la petite réplique au Village. Les terriens oublient, leurs souvenirs s’effacent comme leur planète.
- Tu es née sur Terre Isa, pas moi.
- Tu as été conçue sur Terre quand même.
- J’ai l’impression que pour eux, c’est un mauvais souvenir à oublier.
- C’est surtout qu’ils ne veulent pas refaire les mêmes erreurs ici. Il y a beaucoup de choses de la Terre à oublier pour que ça ne se reproduise pas ici.
- Nous, on va se reproduire ici.
Isa Love commence à rire. Elle regarde tendrement Yaël.
- Tu veux un bébé Yaël ?
- Maintenant que tout est fini, que notre mission est accomplie, on peut enfin penser à nous.
- D’accord, tout ce que tu veux mon amour.
- Tu sais, je peux aussi en avoir un de toi, en même temps.
- Comment ça ?
- Tu es éligible au lait magique, comme ta mère. Dès que je te mets enceinte tu vas pouvoir produire ce lait. Et ensuite, tu n’auras plus qu’à me … l’administrer.
- Ce serait une première sur une hermaphrodite.
- Il faut bien qu’on se distingue, nous, les garantes de la Foi. Et puis il y a plein d’écoles qui n’ont presque pas d’élèves, il faut repeupler cette planète. Ta mère avait cet instinct, déjà sur Terre, avec son lait.
- Heureusement depuis, elle s’est calmée.
- Elle devait concentrer son amour sur toi. Maintenant, elle va peut-être te produire quelques petits frères, histoire de changer.
- En fait, tu veux juste illustrer un passage de la Bible. Il y a des avertissements sur ce repeuplement.
- Mais on peut faire ça bien, on en est capables, et on doit montrer l’exemple, en responsabilité. Isa, je ne veux pas que la B3 soit le seul fruit de notre Amour.
Elle s’approche et m’embrasse :
- D’accord mais à une seule condition.
- Le Village, c’est ça ? On est pas censées lutter contre l’intégrisme ?
- Justement, il faut être au cœur du sujet.
- Tu sais, j’aime bien la technologie. Je ne sais pas si je survivrai au milieu des poules, sous la pluie, dans le froid, à circuler à pied.
- Mettons ton amour pour moi à l’épreuve. Je t’ai donné vingt ans à l’Ouest. À ton tour.
- C’est pas un passage de la B3 ? Pendant l’Exode ou alors non, quand il sort du désert.
- Sûrement, tout y est. Quand on cherche on trouve. Yaël ? S’il te plait.
- D’accord mais pas plus de vingt ans, après on sera quitte.
On se sert la main. Elle m’embrasse. Elle me serre dans ses bras. On a tous besoin d’une pause et de se reposer. D’un sas de décompression. On a trop donné à la B3. Mais maintenant c’est fini, tout va s’organiser tout seul autour de cette nouvelle religion.
Isa
La vie à l’Ouest c’est bien, quand on est jeune. Tout s’est rapidement, pas de déménagement, on a le droit de rien apporter au Village ou presque. Maintenant, je peux revoir maman, plusieurs fois par jour. Je sonne. Personne. Je rentre. Personne. Elle est sûrement dans sa cabane au fond du jardin, son atelier artistique. Je jette un œil à la serre en passant au cas où. Devant la cabane, j’entends de la musique. Comment est-ce possible ? Maman est en train de dessiner et de faire de l’aquarelle. Il y a aussi sa plume et son encre violette très foncée sur la table.
- Bonjour maman, c’est quoi cette musique, d’où elle vient ? C’est un enregistrement ?
- Bonjour ma love. Je n’ai pas de lecteur. C’est la radio sur un vieux canal de la Résistance.
- Incroyable. Je pense que je vais venir souvent ici. J’ai des paniers à construire.
Elle s’approche pour m’embrasser et me serrer dans ses bras.
- Comme je suis contente. Mon Isa Love.
- Moi aussi maman. J’espère que Yaël va s’y faire.
- Ne lui met pas la pression. Il faut qu’elle trouve son équilibre, son bonheur, mais elle n’a pas encore tous les outils.
- Et papa ?
- Il traîne toujours avec Nat. On arrive pas à les séparer. Ils ont tellement d’activités ensemble. Mais il rentre à la maison tous les jours, ou presque. Avec Mika on essaye de les suivre quand ils s’éloignent trop. Où est Yaël ?
- Formalités à la Law House. Je pense que Flo lui sort le grand jeu, ça va prendre du temps. Moi j’ai grandi ici alors c’est comme si je n’étais jamais partie. Elle m’a redonné ma carte de résident, regarde, j’avais de jolies nattes, on dirait toi sur Terre.
Maman s’extasie devant la vieille photo.
- Quelle jolie petite fille. Il faut nous en faire une, avec Yaël.
- Justement, maintenant que la Bible est écrite, on se donne 20 ans ici pour faire des bébés et les élever.
- Quelle magnifique nouvelle. Quel beau choix de vie. Je suis fière de toi ma love. Tout va bien se passer, je vais prier pour vous et invoquer l’Invisible pour entourer votre Amour d’une bulle de bonheur.
- Merci maman.
Je lui tiens les mains. On se regarde, on est connectées. Pas la peine de le dire, de lui dire, de l’entendre ou de le prouver, il suffit juste de lui faire sentir, que je l’aime.
Gabriel
Ils ont débarqué du Vatican 2, sœur Nathalie et Père Michel, expulsés pour péché de chair. Elle était enceinte. Ils ont eu un petit qu’ils ont appelé R-1 ou Erwan, c’est comme on veut. À la fête de l’école ils participaient au spectacle en famille, Mika jouaient des instruments de musique et Nat chantait et dansait dans le spectacle des enfants où Isa Love jouait le rôle de la princesse évidemment. C’est là que j’ai rencontré Nat, on a sympathisé tout de suite à rire ensemble à des blagues que nos conjoints ne comprenaient pas. Depuis on fait plein de choses ensemble sous l’œil dépité de Greta et Mika qui ne peuvent rien nous reprocher, l’amitié n’est pas tromper mais j’ai le sentiment qu’entre Nat et moi c’est avec un grand A aussi. Souvent avec Nat on arrive à la fin d’une conversation et on se regarde en silence. Des silences qui sont de plus en plus longs. Ça s’était toujours terminé en fou rire. Mais pas aujourd’hui. Là, elle pleure, devant moi. Alors je m’approche et je la prends dans mes bras pour la consoler. Elle se calme. Elle se blottit, me serre, se frotte et lève son visage vers le mien avec ses beaux yeux verts clairs. Je lui fais un bisou sur le front, elle tend la joue, je m’exécute mais elle tourne le visage au dernier moment et je trouve ses lèvres. Sa main se pose sur ma joue pour me retenir. On s’embrasse. Ensuite elle se reprend, elle essuie son visage et annonce :
- Il ne s’est rien passé du tout. Maintenant on va rentrer dans nos foyers, et faire l’amour, à nos conjoints.
Ce qu’on fait, comme tous les soirs, sauf que cette fois-ci je pense à elle.
Le lendemain à la Ferme pendant que je m’occupe des lapins je la vois venir vers moi d’un pas décidé dans ses bottes. Elle enlève son foulard pour se recoiffer et m’annonce :
- Moi aussi j’ai pensé à toi.
On regarde à gauche et à droite pour voir si on est seuls. Elle me prend par la main et elle m’entraîne dans la grange. Elle monte à l’échelle pour aller se cacher au fond du grenier. Je la suis. Elle s’est couchée sur la paille. Je m’allonge à côté d’elle. Nos mains se frôlent, se mélangent, se tiennent. La cloche nous interrompt. C’est l’heure de rentrer.
Le lendemain à la messe et m’avoue :
- Je suis soulagée, que nous n’ayons rien fait.
- Moi aussi Nat. Il ne s’est rien passé du tout.
C’est ce qu’elle m’avait dit aussi. C’est ce qu’on essaie de se faire croire. Mais on sait très bien qu’il se passe plein de choses au contraire. Elle me glisse un papier dans la main. En rentrant, aux toilettes, je l’ouvre, c’est une page de la B3, un texte sur lequel elle avait travaillé, je reconnais son code d’auteur. Je regarde le titre : la convoitise. Ça fait donc longtemps que ça la travaille. Et quand elle parle d’une chose, elle l’a met toujours en pratique. Saurais-je lui résister ?
Greta m’attend dans le salon, les bras croisés, le regard dur.
- Je sais, Gabriel. Je sais qu’il se passe quelque chose, de plus, avec Nat.
- Il ne se passe rien du tout.
- Ça ne marche pas avec moi. Gabriel, parle-moi.
- On s’est embrassé. On n’est pas allés plus loin.
- Pour l’instant. Gabriel, elle est dans ta tête plus que moi, quand on fait l’amour. Finissez-en et reviens-moi.
- Greta…
- Gabriel.
*
- Elle m’a fait une scène. Elle veut qu’on en finisse.
- Comment ?
- Qu’on succombe.
- Mon Dieu… Non. Je vais lui parler.
*
- Bonjour Greta.
- Nat, comment ça va ? Tu es resplendissante aujourd’hui.
- C’est le travail aux champs, ça remet en forme.
- Alors ? Avec Gabriel ?
- …
- Nat, on voit bien avec Mika que vous êtes un couple Gabriel et toi. On ne peut pas lutter contre ça. On ne vous veut pas malheureux. Alors passez le cap. Vous ne nous perdrez pas. On vous aime. Pour toujours. Moi aussi je vois des amies de temps en temps, des amies très proches. Sans elles je ne serais pas celle que je suis et Gabriel aime celle que je suis. Comme je l’aime lui. Tel qu’il est. Tel qu’il aime.
*
- Alors ?
- C’est elle qui m’a parlé en fait. Faut qu’on se laisse aller. Qu’on reste nous même, c’est ainsi qu’ils nous aiment.
- Bien-sûr. C’est un passage de la Bible.
- Oui. Donc, Gabriel, on va laisser faire les choses. Que tu…
- Je lui saute dessus pour l’embrasser, elle me repousse en riant. Puis elle me tire à elle.
- On devrait peut-être changer d’endroit.
- En effet, le confessionnal de la Chapelle n’est sans doute pas un lieu très adapté. Quoi que.
- On devrait… peut-être…
Mais nos corps ont déjà pris le contrôle. Droit au but. Tant d’années et de désirs refoulés enfin libérés. Nos esprits essaient de reprendre le dessus :
- Pourquoi on l’a pas fait avant ?
- L’écriture des saintes écritures … nous a bloqué.
- Pardonnez moi ma sœur parce que je suis en train de pécher.
- Pèche-moi, on va lui montrer à la Bible ce qu’on fait dans son endroit sacré de secrets.
J’explose. Pas elle. Elle est là, sur moi, le regard hagard. Et elle prend la suite avec une main en appuie sur mon cœur et l’autre entre ses cuisses, elle se secoue fort en gémissant, longtemps, pour finalement s’écrouler sur moi. Je pense que ses cris ont dû résonner jusqu’au marbre de l’autel. Elle reprend ses esprits et la conversation :
- Tu m’a déjà raconté l’avoir fait dans un confessionnal. C’était ici ?
- Non, c’était sur Terre. Ma première fois. Elle était un peu plus jeune. On se connaissait depuis toujours. Un peu comme toi. J’ai l’impression de te connaitre depuis toujours.
- Elle a fait parti du voyage, ici ?
- Elle a toujours fait partie de ma vie. Greta l’a acceptée. Frances, non.
- Je la connais ?
- Je ne pense pas. Elle vit à l’Ouest.
- Ta première fois.
- C’était dans le confessionnal de l’Église Saint-Pierre au Mont Saint-Michel.
- Seigneur Dieu…
- On se connait depuis toujours parce qu’elle est la fille que mon grand-père a eu avec Marwah, la sœur jumelle de Djibril, Simone. Elle est plus connue sous le nom de …
- Miss Tattoo ? La joueuse de tennis ?
- Elle en a un qui m’est dédié, sur son épaule.
- Jésus, Marie, Joseph…
- Nat, tu es la quatrième femme de ma vie.
- Gabriel, mon deuxième. Au nom du Père, du fils et du Saint-Esprit, je te pardonne tous tes péchés et en guise de pénitence…
On recommence. Du coup je pense à Simone maintenant. Comme un tatouage, indélébile dans mon cœur. Avec Nat, c’est plus, mystique.
***
Nat
Je rentre à la Cure. Il est là, il m’attend, debout, sans rien dire. J’ai encore l’odeur, la sueur et tous les autres fluides de Gabriel sur moi. Ça doit se voir dans mon regard, sur mes joues rouges et dans ma démarche parce qu’il m’a quand même bien…
- Nathalie ?
Il ouvre ses bras. Je m’approche. Je me colle contre lui et je dis :
- Pardonnez-moi mon Père parce que j’ai péché.
- Nathalie, je ne suis pas ton Père. Je ne veux que ton bonheur. Depuis le début et jusqu’à la fin pour l’éternité.
- Amen.
*
Pendant que Greta est occupée à aider son Isa Love à s’installer au Village, Gabriel est libéré de ses fonctions conjugales. Il m’amène dans un lieu de perdition, où la plage est interminable et ou la route qui la surplombe semble sans fin. Les gens circulent à vélo entre les oasis, des maison en bois où l’on peut se rafraîchir et se détendre avant de remonter vers la ville et la civilisation de Laguna City. Nous on circule d’oasis en oasis. Des fois on prend une chambre pour faire l’amour et la sieste. C’est notre journée. On roule côte à côte jusqu’au prochain oasis où cette fois-ci on va manger un peu.
- C’est flippant. On se croirait dans une autre dimension. Je comprends pourquoi ils sont tous en quête de spiritualité.
- Nous c’est le contraire, on est en quête de l’essentiel.
- J’aime bien l’essentiel. Combien de jour on peut tenir ?
- Et de nuits ?
Je ris, je suis heureuse, mes cheveux au vent, ils deviennent bouclés, je ne sais pas pourquoi. Je me sens belle, je me sens bien dans ma robe légère à fleurs. On arrive, on pose nos vélos. On s’installe à table, en extérieur, sur la terrasse et sous le bruit des vagues. On rit. On se caresse, on mange en se lançant des regards vicieux de désirs. Quelqu’un s’approche de notre table. Gabriel s’éteint en la voyant. Je tourne la tête et je vois d’abord les tatouages sur ses jambes et ses bras. Elle retire son casque. C’est Simone. Elle est avec un jeune garçon.
- Bonjour Gabriel, tu te rappelles de mon fils ?
- Boris, comme tu as grandi ! Simone, je te présente Nathalie, ma meilleure amie. On passe quelques jours de vacances ici. Comment tu nous as trouvé ?
- J’ai eu une alerte de géolocalisation sur mon monolithe.
- Je me lève pour leur faire la bise. Simone rit de surprise. Ça lui plait beaucoup.
- Enchantée Simone, enchantée Boris. J’ai aussi un fils de ton âge Erwan, au Village.
- J’ai aussi une fille, Sabine, que j’ai eu après avec Bri.
Elle s’assoit à côté de moi et on papotte. En face Boris discute aussi avec Gabriel. Comme il beau, il a l’air tout timide et gentil, très sage, très posé. J’ai une drôle de sensation. Je regarde Simone et elle me confirme d’un regard un peu honteux.
- Simone, je viens du Vatican 2. J’ai dû me réfugier au Village avec un évêque. On a été confondus et exclus. On a eu notre fils, il était à l’école avec Isa Love, c’est comme ça que j’ai connu Gabriel. Je suis un peu plus que sa meilleure amie. Il m’a raconté pour vous, mais je ne savais pas pour Boris. Il a l’air, parfait. Vous devez être heureuse et fière. Vous avez, Gabriel, il m’a aussi fait le coup, du confessionnal.
Simone est sous le choc. Elle me prend les mains :
- Je ne m’étais jamais faite une amie aussi vite. Vous êtes formidable. Je ne vous quitte plus. À moins que… vous avez d’autres projets avec Gabriel ?
- On en a déjà bien profité, on a fait ça toute la journée. Boire, manger et …
- Gabriel ? Je vous invite à la maison.
*
Boris fait visiter la maison à Gabriel, Simone me retient pour aller discuter sur la table au bord de la piscine, autour d’un cocktail.
- Je suis contente que Boris puisse passer un peu de temps avec… son père, si on peut dire. Cette histoire m’a coûté mon couple avec Bri mais je ne regrette rien, Boris est formidable. En fait, il n’était même pas prévu mais j’ai en moi cette conviction, cette force, cette Foi peut-être qui me dit : « on ne peut pas dire non à la vie ». Nathalie, tu vas avoir à faire à Greta. Ne t’inquiète pas. Elle est déjà passée par là et elle ne nous voit pas comme des ennemies ou des concurrentes. Tout ce qui l’importe c’est le bonheur de son homme. Elle l’aime profondément. Et lui, il ne peut pas lui résister. Alors même si on lui prend de temps en temps, elle a l’éternité devant elle, avec lui, et depuis déjà plusieurs décennies. En tout cas je suis très contente de te connaitre et je te trouve très belle. On ne se connait pas encore mais tu as l’air d’être une belle âme aussi. Je ne sais pas si tu sais mais Gabriel a un autre fils aussi. Avec Frances, la princesse britannique. Je ne connais pas leurs relations. Mais bon, on peut dire que Gabriel a maintenant quatre femmes dans sa vie parce que j’ai le sentiment que ça va durer aussi entre vous.
- Ça fait longtemps que ça dure déjà. On a vécu de nombreuses et belles années d’amitié. Une amitié pure, riche, intense. Mais la frontière avec l’amour est si fine. Et puis le sexe s’en est mêlé. J’avais peur que ça gâche tout, qu’on se perde l’un l’autre, mais en fait on est juste passé au niveau au dessus en gardant tout le reste de ce qui faisait notre couple d’amis maintenant amants.
Simone m’écoute avec attention. Mais je me sens toute petite, dans la cour des grandes. Greta, une princesse et Miss Tattoo, la fille de Marwah et du Père Simon. Je crois que je lui plais.
- Je peux voir ton tatouage, celui de Gabriel ?
Elle me sourit et me propose :
- Si vous restez dormir, je viendrai te le montrer, en situation.
*
Effectivement la nuit elle vient discrètement se joindre à nous et dans de lentes caresses, sous la lumière tamisée je la chevauche pour regarder son dos mais je ne vois qu’un gros bouquet de fleurs.
- Il lui faut de l’eau.
Alors je le lèche et je l’embrasse. Des fleurs rouges se mettent à luire pour former les lettres d’un prénom : Gabriel. C’est justement sur lui qu’on s’affaire et parfois je croise la bouche de Simone dans les mêmes endroits qu’il affectionne. Une fois notre homme assouvi qui s’endort on se rejoint elle et moi pour se découvrir et se goûter et pour continuer et terminer notre chemin du plaisir jusqu’au bout de la nuit.
Au petit-déjeuner, des jus de fruits bien frais nous attendent avec des mini viennoiseries. Je me sens si bien. Une sensation sourde monte de mes reins en vagues qui explosent dans ma tête. Je regarde à droite et à gauche :
- Boris n’est pas là ?
- Il ne reste jamais la nuit. Je pense qu’il rejoint quelqu’une. On le reverra peut-être cet après-midi après les cours, des fois il revient avec elle.
On se met de chaque côté de Gabriel qui nous embrasse l’une et l’autre. Nous n’avons qu’une seconde d’hésitation avant de le pousser et de s’embrasser aussi avec Simone. Je sens qu’il va encore se passer des choses. Mais non, car Boris revient pour présenter sa belle Candy, toute jeune, toute fraîche, toute timide avec ses tâches de rousseur et ses longs cheveux roux bouclés qui tombent sur sa robe légère pistache clair comme ses yeux. Et on s’installe tous à table dans la bonne humeur avec cette impression de partage en famille. Je me sens si légère, en vacances, amoureuse, le devoir accompli de la B3, on va même nous donner des médailles à la prochaine Grande Messe à la Cathédrale. Je chasse vite ça de ma conscience pour profiter pleinement de ce moment à table, entourés de si belles personnes où tout le monde s’aime. Voilà la direction à suivre, le but à atteindre et à garder, loin de toute autre contrainte, l’essence même de notre multivers et de sa planète C, la planète du Cœur qui pompe l’Amour sur nos âmes pour le déverser dans nos esprits. Par la grâce de Dieu, etc. Gabriel me sort de mes rêveries, je sens sa main sur ma cuisse, elle passe sous ma robe blanche légère dont les frottements doux sont aussi comme une caresse. Je me sens désirée, aimée, heureuse.
Simone doit partir, elle supervise la préparation d’un tournoi. Il va être l’heure d’aller à l’école pour les enfants. Tout le monde se dit au revoir. Nous, on reprend nos vélos pour descendre au prochain oasis. En chemin on rit, c’est la plus belle journée de ma vie. Je m’arrête pour en prendre vraiment conscience. Il s’aperçoit de mon absence et fait demi-tour. Arrivé à ma hauteur, je commence à lui parler :
- On est vraiment partis très loin dans le bonheur toi et moi, ici, au soleil, c’est comme une tempête de plaisirs qui me traverse. J’ai l’impression d’être au point de non retour. On touche du doigt le huitième péché capital. Gabriel, ma vie bascule, je me sens toute chose. Je te sens en moi. Si fort. Comment est-ce possible ?
- Tu es en overdose de Bible. Burn out d’écriture des saintes écritures. Ça va sûrement redescendre un jour. En attendant, Nat, je reste avec toi. Parce que je suis un prisonnier de Greta. Et qu’avec toi je me sens libre. On a tout le temps pour replonger dans nos existences. On a même l’éternité. Et je veux la passer avec toi. Ici. Maintenant. Ici. Regarde la maison devant laquelle tu t’es arrêtée.
Je regarde à ma gauche et je vois une maison vide, comme une maison témoin, en bois, d’un bleu gris pâle qui semble en contre-jour, elle est fantomatique. On pose nos vélos et on va voir de plus près. On passe la barrière blanche et on arrive au porche. Il marque l’arrêt, comme hypnotisé en regardant le mur entre la porte et la fenêtre. Il y a une inscription en fer forgé. C’est le nom de la maison : La Révélation, les lettres sont peintes en noir et il y a des étoiles dorées tout autour. Gabriel regarde de l’autre côté de la porte pour lire autre chose. Il précise :
- On est au numéro 1161 A. Qu’est ce que ça veut dire ?
Je me rappelle de l’atelier d’écriture. J’avais insisté pour qu’on garde ce passage, je savais que c’était important mais je ne savais pas pourquoi. J’ai mis ça sur le compte de la Foi mais en fait c’était tout autre chose et je comprends pourquoi, maintenant, ici. J’explique à Gabriel :
- Verset 1 :16. Chapitre 1. Apocalypse. Le livre de la Révélation dans le Nouveau Testament.
- Ça raconte quoi ?
- Il avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants et son visage était comme le soleil lorsqu’il brille dans sa force.
Je n’arrive pas à comprendre ce qu’il se passe. Gabriel lève son doigt en l’air pour attirer mon attention et me faire arrêter de réfléchir. Il met sa main sur la poignée de la porte et il tourne. C’est ouvert. Il pousse la porte, me prend la main, il met son bras sous mes jambes et me soulève et en passant le pas de la porte il affirme :
- On a trouvé notre maison.
Et il m’embrasse. On s’est arrêtés au point de non retour. C’est mon point à moi. Pas le sien. Lui il a pu faire demi-tour lorsque je me suis arrêtée. Et il est revenu. Vers moi.
- Nat, moi, ça me rappelle un autre texte. Qui parle de cette maison. Qui parle de nous. C’est une vieille chanson qui passait souvent sur Terre, au château, à la Taverne où on écoutait radio Bonheur. Ça parlait d’une maison bleue adossée à la colline. On y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clef. On se retrouve ensemble après des années de route et l’on vient s’asseoir autour du repas, tout le monde est là…
- Tout le monde est là ?
- C’est notre avenir, Nat.
Et je vois en moi le visage de Greta qui brille comme le soleil. Comme un message de sa force, de sa patience, de sa bonté et je peux affirmer et répondre :
- C’est notre avenir, Gabriel.
*
Le plus étonnant c’est qu’elle est là, à la cérémonie de remise des médailles de la B3. Elle est même venue avec sa fille et Yaël. Greta n’est pas là pour recevoir une médaille, non, elle n’a pas participé et elle n’a pas la Foi. Mais pour en remettre une. Et à qui ? À moi. Et à Mika bien-sûr. Les autorités ont apparemment choisi leurs récipiendaires. Au cocktail je la vois discuter avec Gabriel. Ils ont l’air de mettre des choses au point. Elle est belle dans sa robe à paillettes argentées et bleues comme ses yeux. Mais elle a l’air un petit peu nerveuse. Je m’éclipse dans la partie lounge de la réception, j’enlève mes chaussures et je m’assois sur le bord de la piscine, les pieds dans l’eau, ça fait du bien. Je ferme les yeux et je respire. Tout d’un coup je sens son odeur, je sens sa chaleur, elle s’installe à côté de moi, à ma gauche. J’ouvre les yeux et elle sourit :
- Trop classe la médaillée. Échelon argent en plus.
- Je me suis sans doute trop investie. Il me fallait beaucoup de sas de décompression pour ne pas devenir folle. Je n’y serais jamais arrivé sans Gabriel, je la lui doit, je te la doit aussi Greta pour l’avoir permis d’être mon ami.
Elle est trop belle ce soir. Elle a même mis un peu de maquillage. Je découvre de discrètes petites nattes tressées sous son chapeau noir fait en plumes. Elle n’en fait que pour les grandes occasions normalement.
- Nat, je suis contente pour toi. Soyez heureux. Plein de Bonheur et d’Amour. Il m’en a donné tellement que je les ressens pour toujours, qu’il soit là ou pas, il est en moi, son A dans mon I, j’ai passé l’âge du S. Et je serai toujours là pour vous. Je suis très contente de t’avoir remis cette médaille, c’était important pour moi aussi, de t’honorer, de te remercier, devant tout le monde. Car plus il est heureux, plus je le suis moi aussi.
Elle pose sa main sur ma cuisse. Je vois son alliance avec le motif en diamant G&G. Leur Amour est aussi résistant que ça.
- Je ferai de mon mieux Greta.
- Tu le fais déjà très bien.
Elle m’embrasse sur la joue, me prend la main et me relève.
- Allez viens, on va s’amuser, danser, avec lui.
On arrive main dans la main, pieds nus sur la piste de danse et on tombe sur Mika, en train de discuter avec Gabriel. Mika lui raconte plein de choses. Il a l’air de se justifier. Greta me fait regarder ailleurs, elle me fait la regarder elle, elle me fait un clin d’œil et rit en me prenant par les mains pour danser. Elle n’a pas de genre de musique au Village. C’est l’occasion pour elle d’en profiter ici. Je joue le jeu, son jeu, je veux qu’elle s’amuse, je la fait tourner, je l’embrasse dans le cou, elle adore. C’est la fête, on est un peu chaude. Je finis par me poser. Je ne sais plus où elle est. J’entends devant moi deux mecs discuter. Je crois que c’est Valentin.
- Alors Patrice, c’est quoi la blague spirituelle de ce soir ?
- On vient de baptiser Greta à l’insu de son plein gré.
- Comment ça ?
- Le Père Simon a béni l’eau de la piscine. Greta y a plongé ses pieds, nus. Et à ce moment là, il y a même eu un contact physique avec un personnel de Dieu.
Je me lève et je me mets entre eux pour leur dire :
- C’est elle qui m’a baptisée. C’est elle qui m’a touchée. Elle a même dit une incantation pour célébrer mon union avec Gabriel. C’est ça en fait. Elle nous a unis. Elle me l’a confié. Elle a apposé sa main baguée sur moi. Et ensuite elle m’a même embrassée. Je ne me suis pas rendu compte qu’elle faisait sur moi une cérémonie spirituelle. Elle ne m’a pas donné qu’une médaille aujourd’hui. Elle m’a donné aussi son homme. Si Greta n’a pas participé à la B3, c’est pas parce qu’elle ne croit pas en Dieu. C’est peut-être juste parce que c’est elle, Dieu. Elle a été choisie en 2003 par nos sauveurs. Elle est devenue une leader. Elle était la première à venir ici. Elle a fait l’aller et le retour. Tout ça ne vous rappelle rien ? Elle m’a parlé de son Invisible. Elle a gardé ses pouvoirs ici. Elle n’a pas pu sauver sa planète. Mais elle nous a sauvés nous. Elle nous a emmenés dans son paradis.
On se retourne pour la regarder danser avec Isa Love et Yaël. Patrice commente :
- La Mère, la Fille et la Sainte Esprit. Dans trois siècles, nos enfants pourront écrire la B4. On va leur laisser des notes. Valentin, je te nomme garant de nos données. Nathalie, tu as été choisie, elle t’a confié le père d’Isa Love. Tu fais partie de la B4 aussi.
Je cours rejoindre Gabriel car la musique a changé et il s’agit d’un slow ! Ouf, je suis la première à lui demander. Il est à moi.
- On est bien là, mon amour.
- On ne va pas rentrer au Village.
- Non, on a notre maison bleue.
- Je te propose de refaire le point dans un siècle, ou deux.
- Tu as fait le point, avec Greta, c’est ça ? Moi aussi, elle est venue me donner l’absolution.
Je vais lui faire plein de bébés, il faut du monde pour écrire la B4, du beau monde, de la bonne lignée.
- Tu penses à quoi ?
- À toi en moi.
Les cérémonies, c’est bien. Mais c’est aux coquetèles que tout se joue aussi. Je me languis dans ses bras. Je ne sais plus où j’ai laissé mes chaussures. Il faudra qu’il me porte dans l’allée, il y a des graviers. Mais Greta me les apporte, avec un petit bisou, très près, très près de mes lèvres, qui me met en transe et je sens son doigt divin m’effleurer la joue, un geste tendre de gentillesse et d’affection. Et je la regarde s’éloigner au ralenti dans sa démarche chaloupée où elle se retourne encore sur moi pour me faire un clin d’œil, c’est la fin du slow. J’ai mes chaussures à la main dans les bras de Gabriel et je m’envisage en pleine conscience, avec ma médaille aujourd’hui, moi qui part de si loin, depuis les bancs de l’Église de mon village où je me rappelle de l’odeur, des plus grands qui marchaient dans l’allée pour aller communier et recevoir le corps du Christ, ce n’était pas une hostie mais un morceau de pain frais. Tout est parti de là, jusqu’au sommet des services spéciaux du Vatican où Sœur Adélaïde était un modèle et une légende et où après la migration j’ai été déchue avec l’évêque RV qui m’a dit « Je regrette que tu aies fait partie du voyage ». Le même Hervé était à la cérémonie. Il est venu s’excuser et me féliciter pour mon travail. Je l’ai remercié d’avoir validé tous mes textes. « Ce fut un honneur. C’était la moindre des choses. J’ai compris avec vous qu’il ne fallait pas brider la Foi, qu’il faut la laisser s’épanouir et vous en êtes la rose d’où l’abeille du Saint Esprit tire sa force pour créer la gelée royale de la Religion. » Je ne suis pas sûre de me rappeler exactement de sa métaphore. Tout ça pour dire que la légende, maintenant, c’est moi. Sœur Nathalie et Monsieur Gabriel. SNMG. Sn Mg, dans cet alliage de magnésium, l’étain améliore sa capacité à couler à l’état liquide. J’ai déjà tous ses fluides en moi, ceux de Gabriel. Je suis son moule et je vais révéler tous les détails de sa lignée.
Quelle soirée ! Je suis un peu pompette. Gabriel, mon homme, me ramène à notre maison bleue. J’insiste pour qu’il me porte pour rentrer. Il m’étend sur le lit et se tient au dessus de moi. Il enlève ma veste qu’il met délicatement sur une chaise. Je vois ma médaille, elle est si bleu, le même bleu de la Vierge Marie. Je m’assois sur le lit et je l’aide aussi à enlever ses vêtements. Il m’embrasse avant de s’éclipser à la salle de bain, prendre une douche. Moi aussi, je me prépare. J’enlève tout et entièrement nue je m’agenouille devant la chaise de ma veste. Je joins mes mains et je prie. Gabriel me relève. Il est nu lui aussi. Il est tout mouillé. Il me porte à nouveau et m’emporte avec lui sous la douche. Ça remet les idées en place. Les désirs aussi. Tout en douceur. Un festival de caresses en tout genre. Jusqu’à l’extase.
*
Lisa me montre l’écran, il y en a deux.
- Une fille et un garçon. C’est la norme. Tout le monde a une fille et un garçon, même nous maintenant. On pourra bientôt les sortir. Les biocouveuses feront le reste. Ça se passe comme ça à l’Ouest. Tout le monde fait deux enfants avec son partenaire. Au Village c’est encore pire. On repeuple la planète. On va toutes finir mère et grand-mère et arrière grand-mère en même temps. Les Agents recenseurs vont avoir du travail. J’espère que les prochaines générations ne vont pas nous déporter comme dans leur Révolution. Immortalité et fécondité ne vont pas bien ensemble. Il y aura une régulation à un moment ou à un autre. Heureusement, il y a de la place et la croissance peut être gérée de façon intelligente. En attendant, on est dans l’ère de l’Amour. Alors profitons en bien et félicitation, tous mes vœux de bonheur en famille.
- Merci Lisa. Je te sens un peu tendue. Ça va avec Augustin ?
- Oui, heureusement que je l’ai. C’est juste que j’ai un peu de mal à suivre avec les enfants et les petits-enfants. Ça fait beaucoup d’amour à donner.
Je récupère mon sac à main, je l’ouvre et je prends ma B3 miniature avec sa couverture argent. Je lui donne.
- Lisa, tu devrais lire quelques passages de temps en temps.
- Mais c’est celle que tu as reçu avec ta médaille. Je ne peux pas accepter.
- Je te la confie, je n’en ai pas besoin, je la connais par cœur, elle est gravée en moi.
- Merci Nat. J’en ferai bon usage.
Un écran s’allume tout seul derrière nous, un dessin apparait avec un texte.
- Elle est connectée, pour les gens de l’Ouest.
Lisa s’approche et regarde l’écran. C’est une scène où une dame soigne des gens. Sainte Lucie.
- Une adaptation de Luc.
- Elle me ressemble. Tu m’as mise dans la B3 ?
- C’est une œuvre collective. Beaucoup de personnes t’aiment Lisa, d’un Amour maintenant éternel.
Je suis invitée chez Alice avec Gabriel. Victor est là aussi. Ça se passe dehors, sur la plage, pieds nus dans le sable, en tenue légère. Il y a des grandes tentes blanches où se restaurer. Les jeunes font des jeux de ballons, certains sont dans l’eau, il y a des cerfs volants. Greta est encore là avec Isa Love qui discute avec une autre fille. Gabriel commente : c’est sa sœur, Hidy, la fille de Zoé. Aline est venue aussi, avec Vincenzo, le fils de Victoria. Ils sont tous en famille. Je les laisse pour aller regarder les vagues et me détendre avec un cocktail que je bois à la paille avec mon chapeau de paille et mes lunettes noires. Je m’installe dans un transat et je pose la main sur mon ventre en fermant les yeux.
- Salut !
Je retire mes lunettes par politesse et je vois une dame aux cheveux noirs bouclés agités par le vent.
- Bonjour, je suis Sœur Nathalie.
- Enchantée, moi c’est Zoé. Je t’ai vu t’isoler alors je viens te tenir compagnie. Tu permets ?
Elle s’installe à côté de moi.
- Votre fille vous ressemble beaucoup. Elle est plus vous que Greta.
- Oui, la technique de conception s’apparente presque à un clonage. Sinon il aurait des Greta un peu partout.
- Je suis enceinte, de Gabriel, un garçon et une fille. Sûrement un lui et une moi.
- Félicitations. Tous mes vœux de bonheur.
- On s’est déjà vues, à la Ferme, avec Aurélie. Vous veniez chercher des lapins. Je m’occupais des clapiers.
- Ah oui ? C’était toi ? Avec le foulard et ses motifs rouges.
- Des cerises.
Elle rit. Elle reprend :
- C’est dingue quand même. Tu sais que tu es une vraie star dans la haute.
- La haute ?
- Les VIP qui dirigent cette civilisation. Et la Résistance. Personne ne t’approche parce que tu es protégée par Greta. J’ai dû lui demander avant de venir te parler tu sais. En fait, tu es la seule à tenir tête à Greta. Nous on n’a jamais réussi.
- À croire qu’elle n’est pas toute puissante.
- Zoé me regarde, impressionnée. Elle se rend compte que je sais que Greta, c’est Dieu. Je crois qu’elle commence à avoir peur de moi.
- Zoé, je vais vous expliquer. Le point faible de Greta, c’est l’Amour. Pas le sien. Le nôtre, celui qu’on a en nous. Elle ne peut rien contre ça. Elle aurait pu m’arrêter dans mon parcours des milliers de fois, ça fait longtemps qu’on se connait. Mais j’avais en moi cette force contre laquelle elle ne peut pas lutter, elle aime même y succomber. Greta n’est qu’Amour.
Je la laisse bouche bée. Elle parvient tout de même à demander :
- Comment et pourquoi on ne t’a pas repérée avant ?
- Je ne suis pas connectée à l’Invisible.
- Je croyais avoir tout vu et tout entendu mais non.
- Zoé, je ne veux pas vous méprendre ou porter à confusion. Il ne faut pas vous formaliser. Il y a juste une chose à retenir : Seule Greta compte. On croit toute en elle. Quand nos adeptes de la B3 vont commencer à douter, elle sera là et elle leur inspirera leur B4. Les générations aiment bien réécrire leur Histoire.
- Amen. Est-ce que je peux t’embrasser ?
- En fait, j’aimerais juste un autre cocktail, bien sucré, mon ventre le réclame.
- Pas question. Je ne vais pas te laisser seule une seconde.
Elle m’aide à me relever et m’embrasse discrètement au passage. On rit. Je lui rend son bisou et elle m’annonce :
- Viens, je te ramène au troupeau, on a toutes besoin d’une bergère.
C’est une allusion à la Suisse ou à la Bible ? Je ne me permettrais pas de lui demander. En tous cas, je l’ai charmée. Je lui prend la main et on se regarde. Je viens de me faire une amie. On arrive vers Greta qui discute avec Gabriel et Isa Love. Greta s’adresse à Zoé pour lui confirmer :
- Tu vois, elle est incroyable, n’est ce pas ?
- Non, elle est formidable.
Alice arrive avec un plateau de brochettes de fruits et nous les propose en disant :
- Succomberai-vous à la tentation ?
J’aperçois Bri au loin. Il y a vraiment tout le monde. J’aimerais bien la connaître. Elle a l’air cool. Elle a l’air de s’embêter un peu, je vais aller la distraire :
- Bonjour, Bri ? Simone m’a beaucoup parlé de toi. Je suis Nat.
- Salut, Nat. Tu connais Miss Tattoo ?
- Je suis la nouvelle compagne de Gabriel alors, oui, forcément.
Elle marque un temps d’arrêt, regarde autour d’elle, me regarde et dit :
- Sœur Nathalie ? Je t’avais pas reconnue. Tu sais que tu es très populaire ici.
- Ouais, Greta, tout ça. Les légendes sont incontrôlables surtout dans les communautés en soif de spiritualité.
Elle pouffe et elle approuve. Elle me tend la main et dit :
- Jamais je ne m’étais faite une amie aussi vite.
- On peut se faire la bise ?
On s’embrasse et on rigole. J’en rajoute :
- Ça fait du bien de tomber sur quelqu’un de … normal.
- Merci, on ne m’avait jamais traitée de … normale.
Je la prends par la main et je continue de lui raconter des sottises en la trainant à l’écart. Gabriel nous regarde passer, médusé. On va sur la terrasse et on s’installe sur une balancelle. Je nous balance doucement en lui souriant. Je mets ma main sur mon ventre :
- C’est pour mes petits, ils commençaient à s’exciter.
- Tu les sens, vraiment ? Moi j’ai jamais rien senti avec Sabine.
- Je suis une Terrienne.
- Évidemment. Comme Simone. Tu l’as connue sur Terre ?
- Non, je n’étais pas à Castle 2. J’étais en Italie, à Rome. Maintenant je suis à Laguna City, dans la pente qui descend à la mer, l’océan.
- J’aimerais bien que tu me racontes un peu la Terre, un autre jour, au calme. Je vois que tu as une montre noire. On peut se connecter ?
- Oui, comment on fait ?
Elle approche sa montre de la mienne, les deux passent en vert.
- Ça y est.
- Super. Tu passes à la maison quand tu veux. Je pense que tu dois avoir l’adresse maintenant.
- J’appellerai avant, je ne veux pas déranger.
Je la regarde. Sous ses airs de garçonne solide, elle a l’air d’être douce, tendre et gentille.
- Je te sens bien, Bri. Elle en a eu de la chance, Simone, de te connaître.
- Un peu, oui. Beaucoup, même. Vous avez fait des trucs, c’est ça ?
Je fais mine de réfléchir, de faire le point et je finis par dire :
- Jamais en l’absence de Gabriel.
Et on trouve ça drôle, on rigole. Justement, il vient nous surveiller.
- Bri, je crois que je dois y aller. Il s’inquiète.
- Tu crois ?
Et on se met à rire de plus belle. Elle est drôle. Je suis vraiment contente de l’avoir rencontré. Elle aussi elle a l’air ravie. Ses yeux brillent.
On a eu quelques jours pour penser et repenser l’une à l’autre. Il faut vite qu’on se voit sinon on va s’idéaliser et on sera à côté de nous-mêmes à se faire de fausses idées. Gabriel part pour visiter l’usine de fabrication des navettes. Je lui fais coucou depuis le porche :
- Au revoir mon chéri.
Et une seconde après j’envoie l’invitation depuis ma montre. Je n’ai pas eu à attendre longtemps avant que je vois son vélo tourner au carrefour. Je descends les marches en bois, elle pose son vélo, passe la petite grille et on se fait un câlin.
- Elle est chouette ta maison bleue.
- Et toi elle est de quelle couleur ?
- Couleur bois.
- Je l’aurais parié. Nature.
- Justement.
Elle retourne à son vélo chercher un petit sac cubique :
- J’ai une serre en bois dans mon jardin. Des fruits y poussent. J’ai préparé une salade de fruits.
On s’installe dans le salon de jardin derrière la maison, à l’abri des regards. Elle me parle des fruits un à un, d’où ils viennent, comment elle les a fait poussé, de sa formation à la Ferme avec Aurélie.
- Au Vatican on a eu une formation aussi, pour fabriquer n’importe quel alcool à partir de n’importe quel fruit.
- De l’alcool ?
- Une drogue qui détend, qui calme et qui désinhibe. Je passerais bien voir dans ta serre pour récolter quelques fruits et les amener ici dans mon laboratoire pour en fabriquer.
- Tu veux… récolter… mes fruits ?
- Et tous les goûter aussi.
Je pense que c’est le bon moment pour :
- J’ai un cadeau pour toi.
Je lui donne une petite boîte.
- Ça se mange ?
- Non, ça se porte.
Elle ouvre et découvre le pendentif, une lettre en métal avec sa chaîne.
- Est-ce que tu acceptes de le porter ? Je peux te le mettre ?
- Bien-sûr, oui.
- Je les fabrique moi-même. C’est un alliage de magnésium et d’étain. On voit des A partout, l’amour, l’amitié. Mais comment les définir sans leur contraire ? La haine.
- Très drôle.
Je me lève pour lui mettre autour du cou. Elle soulève ses cheveux. Je sens son odeur, son excitation. Je me penche pour placer correctement le N sur sa poitrine et en me relevant, je marque un arrêt vers son visage, on se regarde, elle m’embrasse. Je l’embrasse. On s’embrasse.
- On va vivre une belle histoire, Bri.
- On vit une belle histoire, Nat.
Je la prends par la main et elle me suit à l’intérieur de ma maison bleue. Tout se passe de façon si naturelle, c’est comme si on avait toujours été ensemble.
Mais ce n’est pas systématique. Je dirais même que c’est accessoire. En fait on n’a pas besoin de ça pour souder notre relation. Je vais chez elle récupérer les fruits. On rentre à la maison bleue les préparer. On va, on vient. On traîne. On parle de tout. En passant par le Parc, on décide de faire une pause. On pose nos vélos et je m’assois contre un arbre. Elle s’étend sur la pelouse et utilise mes cuisses en guise d’oreiller. Alors que je lui caresse doucement les cheveux, elle me demande :
- C’est bizarre, tu ne me parles jamais de Dieu, de religion, de spiritualité, pourquoi ?
- Parce qu’on n’en a pas besoin. Pourquoi cette question ?
- Ma mère me harcelle. Sa hiérarchie lui met la pression. Elle est dans le renseignement. Ils sont tous là à attendre que tu sortes une phrase pour savoir comment diriger le monde. C’est que tu as fait grosse impression à Zoé. Elle est prête à reconstruire une Arche s’il le faut. Je crois que tu es officiellement une guide spirituelle. Et Greta, ils ne peuvent pas la mettre sur écoute, elle est au Village.
- Bon… Il faut que je pense à scander quelques phrases étranges de temps en temps dans la maison bleue alors…
Et on se met à rire. Mais elle rajoute tout de même :
- Tu es sûre que je n’en ai pas besoin ? Tu n’as aucune sentence magique pour moi ?
- Si, Bri. J’en ai. Tu en as aussi pour moi. Mais on en n’a pas besoin car au lieu de se les dire, on partage des instants de vie, on fait des choses l’une pour l’autre, on éprouve, on s’éprouve, les mots sont inutiles.
Je me penche pour l’embrasser en lui caressant la joue.
- Juste ces deux actes, t’embrasser et te caresser la joue, c’est beaucoup plus efficace que de te lire toutes les pages de la B3. Et au lieu d’en citer un passage, il vaut mieux juste le traduire en action, d’Amour, de son prochain. Elle est pas mal cette incantation, non ? J’espère qu’ils nous écoutent.
- Nos vélos sont trop loin. Mais il y a peut-être un micro dans chaque tronc d’arbre du parc.
On rigole. Et elle se redresse pour me rendre mon baiser, en me caressant la joue.
Évidemment, Gabriel est jaloux. Et inquiet. Il doit même se dire que Greta m’a sans doute lancé un sortilège. Mais bon, il est mal placé pour donner des leçons vu que ce qu’il a toujours fait avec Simone. Je le rassure comme je peux. Je l’aime au mieux. Je le laisse m’aimer. On se soude, je le soulage tous les jours, il ne doit pas en rester beaucoup pour Simone.
- Nat, tu es sûre que ça va aller avec Bri ?
- Oui, elle va m’aider à élever les enfants.
Il faut qu’il comprenne que je l’ai inscrite dans la durée. Et Bri est la meilleure pour lui faire comprendre ce que toutes ont vécu dans leur relation avec Gabriel. Si quelqu’un peut mettre un terme à ça, c’est bien moi. Je suis sûre que Greta le sait. C’est pour ça qu’elle me l’a confié ? Je vois bien que Gabriel n’a rien à redire. Qu’il a toujours le même doute en tête. Je dois en rajouter une couche, c’est le cas de le dire :
- Gabriel, à l’occasion, je pense qu’il serait peut-être judicieux qu’on se retrouve tous ensemble, toi avec Simone, moi avec Bri, dans le même lit, pour mettre les choses à plat, ventre ?
Il sourit. Puis plus du tout. Il comprend. Il me serre dans ses bras. Je crois qu’il m’aime, vraiment. Je le serre aussi. On ne se l’est jamais dit ? Peu importe les mots. Une étreinte vaut tous les discours, toutes les promesses, tous les vœux, je les sens, j’entends battre son cœur, il entend le mien, nos bébés entendent les nôtres, on est une famille.
Je la vois tous les jours. En l’aidant dans sa serre, elle vient à me parler de Simone :
- Elle adorait m’aider aussi ici. Mais elle préférait s’occuper des fleurs.
- Elle te manque ?
- Elle a fait partie de ma vie. Il y a un vide. Bien-sûr qu’elle me manque. De tout ce qu’on a vécu elle et moi, rien n’est effacé, c’est comme ses tatouages, ça ne part pas. Je n’ai pas tout perdu. J’ai Sabine.
- Que je n’ai jamais rencontrée. Tu me la caches.
- Je la protège de toi et elle a peur d’approcher les gourous.
Elle me fait rire. Je reprends plus sérieusement :
- Tu sais, quand on vit avec Gabriel, toutes celles qui ont été en couple avec lui, on a toutes dû le partager. Pour Simone c’est pareil.
- Comment tu gères, toi ?
- Pas mieux que Greta ou que Frances. Je la laisse partager notre couche.
Bri se met à tousser. Elle se relève pour me regarder droit dans les yeux. Je continue :
- Ça n’est arrivé qu’une fois, ou deux ? Bref. Bri. Ce serait l’occasion aussi pour toi de…
- Nat, ça fait longtemps que je n’ai pas fait ça avec un homme. En plus là c’est un Terrien.
- Avec un homme ? Raconte.
- On était à l’école. La Russell. C’est lui qui m’a conquise. Je ne sais pas ce qu’il me trouvait, sincèrement. Lui, il était beau, gentil, on était bien ensemble. Et puis Izzy a croisé ma route. Elle m’a initiée. Et voilà.
- La fille de Victor ? Mince… Tu es donc quelqu’un d’important.
- Qu’est ce que tu crois ? Je ne couche pas avec n’importe qui. Regarde, toi !
- Bri, pour Gabriel, ne t’inquiète pas, je ne le laisserai pas te toucher. En plus je crois bien qu’il ne t’apprécie pas beaucoup. Justement. Ça pourrait détendre les relations.
- Il ne me fait pas peur ton Gabriel. C’est juste que, avec Simone, j’ai peur d’être bouleversée et je ne veux pas de perdre Nat. Je ne veux pas perdre l’Amour que j’ai pour toi.
Je souris. Je m’approche d’elle. C’est tellement merveilleux qu’elle l’ait dit en premier :
- Moi aussi je t’aime, Bri.
Et on se serre fort. Et on s’embrasse. Et on pleure. Et on rit.
- Il s’appelait comment ton premier homme ?
- Erwan.
- Non ? Tu plaisantes ? C’est à cause de lui que je n’ai pas pu appeler mon fils Erwan. On a dû changer l’orthographe. R-1.
- Mon Dieu ! C’est un signe. On est liées depuis toujours. C’est la première chose mystique qu’on vit ensemble.
- Il y en aura d’autres je pense…
- Tu l’as eu avec qui ton R1 ?
- Avec un prêtre catholique que j’ai déniaisé.
Elle éclate de rire. Puis comprend que ce n’est pas une blague.
- Jésus, Marie, Joseph.
- Priez pour nous pauvres pêcheurs…
À la maison bleu, dans le jardin il y a une plateforme en bois, une piste de danse ? En fait On découvre que dessous se cache une piscine, bien profonde. Gabriel essaye de la mettre en fonction.
- Laisse mon chéri. Bri va regarder, elle est ingénieur. De l’espace même.
- Ah bon ? D’accord.
Bri débarque en salopette bleu foncé et sa caisse à outils, elle passe sans gêne devant Gabriel en croquant une pomme :
- Salut Gab ? Je m’occupe de tout.
Alors que Gabriel m’aide en cuisine, elle débarque toute sale, pleine de tâches et annonce :
- Ça y est. Je peux prendre une douche ? Je connais le chemin.
Et elle y va.
- Désolé Gabriel, c’est Bri… Elle est comme ça.
- Ça va aller. Je suis bien content qu’elle soit là. Elle fait partie de la famille. Et on est dans la maison bleue. Nat, je suis prêt à tout accepter pour garder ton Amour.
Je n’en reviens pas. Comme je suis fière de lui. Il change. Je le change. Greta avait raison. Je l’embrasse d’Amour.
Inauguration de la piscine. R1 est venu. Bri a amené sa Sabine. Simone est là. Greta aussi, avec Isa Love. Patrice est venu avec Émilie, Natacha avec Déborah, Aurélie a fait le déplacement aussi avec John, elle a même apporté des poules. Aline les aide à installer le poulailler avec Vincenzo. Que du beau monde. Avec les nôtres je compte huit enfants prêts à se jeter à l’eau. Quelle ambiance ! C’est la magie de la maison bleue.
Pendant le barbecue on a du mal à s’entendre avec les cris des enfants dans la piscine. Greta propose qu’on retourne vers la maison :
- J’ai peur qu’ils m’attrapent et qu’ils me jettent à l’eau.
- Ils veulent juste vérifier que tu sais marcher dessus.
Tout le monde se met à rire. On va se mettre à l’abri du danger.
En fin d’après-midi ils se sont calmés. Les enfants sont jeunes, ils sont beaux, ils sont notre avenir. D’ailleurs on voit des couples se former. Où est R1 ? Bri me tire par ma robe pour attirer mon attention. À son regard je sais que c’est grave. On se met à l’écart pour discuter, dans la cuisine. Elle n’a rien à dire, juste à me montrer par la fenêtre, derrière l’arbre, Sabine est en train d’embrasser R1.
- Mon bébé ! Avec ta Sabine ? Un mélange de toi et Simone… Il est foutu. Elle va le manger tout cru.
- Tu rigoles ? C’est lui qui l’embrasse, ma pauvre petite poupée d’amour.
Je regarde derrière nous pour voir si on ne nous voit pas et je tire Bri à moi pour l’embrasser aussi. Et là, je suis heureuse, vraiment beaucoup, à cet instant, je ne sais pas pourquoi.
Finalement cette inauguration se produit toutes les semaines. Avec plus ou moins les mêmes invités. Chacun apporte quelque chose et participe. C’est la magie de la maison bleue où Bri fait partie du paysage. Ses relations avec Gabriel se détendent. Au point de l’accepter dans notre lit, avec Simone. C’est la première fois ce soir. Pendant que je chevauche Gabriel, elles sont de chaque côté de lui et s’intéressent plus à elles-mêmes. Des retrouvailles. Torrides. Gabriel est aux premières loges, d’ailleurs il jouit plus vite que prévu en regardant leurs deux paires de seins s’agiter devant lui. En attendant, j’en profite pour participer un peu, les départager, sinon elles vont se manger l’une l’autre. Je vois Gabriel retirer rapidement sa main de la fesse de Bri, il l’avait posé machinalement comme sur Simone en face. Bri prend le bras de Gabriel pour se reposer sa main sur sa fesse. Je le sens se réveiller, je l’accompagne en me tortillant. Et tout le monde s’envole pour l’extase sur un chemin de sueur et de gémissements.
Maintenant, à chaque fête autour de la piscine, on sait que le soir ça se finira comme ça.
Tous les jours je les surprends maintenant à discuter. Maintenant, pour se dire bonjour ou au revoir, c’est avec un bisou sur la bouche. Ils se sont acceptés. Mais elle reste à moi et Simone reste à lui. Greta n’a pas réussi à les séparer. Ni moi non plus. C’est ce que je vais lui raconter en personne, chez elle, au Village :
- C’est bien ce que je pensais, Nat. On ne peut rien contre l’Amour. Comme je ne peux rien contre toi. L’Amour est plus fort que tout. On ne peut ni le provoquer, ni l’anéantir. C’est la plus grande force qui est en nous. Non seulement elle nous dépasse, mais elle dépasse aussi nos dieux. C’est une force de vie. Elle est présente dans le monde vivant comme dans l’Invisible qui y puise sa source. On a la chance d’y avoir accès et d’en avoir conscience en tant qu’espèce évoluée. Je crois, je crois que même Gabriel et Simone n’y peuvent rien. Ça les dépasse. Ça nous dépasse encore plus.
- Et toi, Greta, comment ça va, comment te sens-tu ?
Elle est surprise par ma question.
- C’est gentil de demander. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un qui s’adresse normalement à moi. À part les jeunes, eux, ils sont francs et sincères, je les aime bien pour ça.
- Pas la peine de me répondre, je vois bien que tu vacilles un peu, mais tu es forte Greta, si forte, grâce à tout l’Amour que tu as en toi, tu en tires ta force.
- Mais ? Je sens que tu as des réponses que je n’ai pas. Raconte-moi Nat. Aide-moi.
- Tu as la réponse en toi Greta, tu viens de me la dire. Les jeunes n’ont pas peur de toi. Là est le chemin, la solution ou autre je ne sais pas encore. Mais j’ai un exemple. Regarde Aline avec Vincenzo. C’est tellement incroyable. Ils rayonnent. Elle rayonne. Je crois que j’ai quelqu’un de similaire à te présenter. Juste pour voir. Ce qu’il se passe, ou non. Je crois que je te dois bien ça.
- C’est qui ? Je le connais ?
- Non, pas encore. Il s’agit du fils d’Alice et de Victor. Avec des parents pareil, tu imagines la pression qu’il a eu. Il s’appelle Adrien. Il est complètement perdu. Au bord du précipice. Il fait des allers-retours à l’Hôpital, régulièrement. Ses parents sont désespérés. Il a des troubles du comportement. Si il y a bien quelqu’un qui peut l’aider, c’est toi. Avec un sortilège ou un autre truc dont tu as le secret.
- Pourquoi je ne suis pas au courant ? Pourquoi Alice ne m’a pas demandé ? Comment le sais-tu ?
- Je couche avec Bri. C’est la fille de Gaby. Gaby est une haute fonctionnaire du renseignement. Alice ne t’a pas demandé parce que Adrien ne va pas si mal que ça, en apparence. Il y a des hauts et des bas. Mais je sens qu’il a besoin de toi et que toi tu as besoin de lui, qu’il y a un sens à tout ça, un sens qui va au-delà de ce qu’on peut voir ou conceptualiser. Mais de loin, regarde comme c’est logique : Alice s’est démenée à nous sauver tous en pleine Révolution. Inconsciemment elle savait que la solution était là, en nous sauvant nous. Elle s’est battue avec la force d’une mère qui veut sauver son fils. Et je pense que la solution, c’est toi. Et tu sais quoi ? Il est un peu… autiste. Est-ce que tu veux d’autres arguments parce que j’en ai encore plein.
Greta me suit à l’Hôpital. Lisa nous attend. On arrive dans un grand couloir blanc. Greta s’arrête. On se retourne pour la regarder.
- Je sais où il est. Je le sens. Est-ce que je peux y aller seule ?
Lisa la laisse passer. Greta s’avance à petit pas. Elle a l’air troublée. Lisa commente :
- Elle est connectée. Adrien se déplace comme ça aussi.
Elle s’arrête net. Regarde sur la droite. S’approche d’une porte. Les surveillantes arrivent derrière nous. Elles ont remarqué de gros changements dans les constantes d’un patient. Adrien. Lisa leur fait signe de ne pas y aller et leur montre Greta. Elle essaie d’ouvrir la porte mais c’est fermé. Elle regarde à travers le hublot. Elle doit sans doute le voir. Elle se tourne vers nous. Lisa demande aux surveillantes d’ouvrir à distance. On entend un clac. Elle entre. Quelques secondes plus tard elle ressort avec Adrien. Ils marchent à petit pas en se tenant par la main. Ils viennent vers nous Progressivement, leur démarche redevient normale. À notre niveau ils s’arrêtent. Greta demande :
- On peut y aller ?
- Où ?
- On va voir Alice.
Sur le trajet je demande :
- Greta ? Ça va ? Comment te sens-tu ?
- Bien, très bien. Tu avais raison. Pour tout et bien plus.
La navette se pose. On sort. Alice nous attend sur le perron. On arrive à son niveau. Elle regarde son fils. Elle regarde Greta. Puis à nouveau son fils qui s’avance pour la prendre dans ses bras. Lisa me fait comprendre qu’on doit les laisser. Greta reste avec eux. C’est là que je comprends. J’ai comme un vertige. Je m’accroche à Lisa et je lui dis :
- Tu vois Lisa ? Ils ne se quitteront plus jamais.
Et je viens de gagner Gabriel, pour toujours.
Au barbecue de la maison bleu, le nouveau venu arrive avec une Greta plus rayonnante que jamais. Alice et Victor sont de la partie aussi bien-sûr. Bri me fait rire avec des réflexions osées du genre :
- Tu crois que Greta peut se jointe à nous ce soir, avec Adrien ?
Les jeunes batifolent. Je cherche R1 mais comme je vois Sabine il ne doit pas être bien loin. Greta me confie Adrien pour aller discuter avec Alice.
- Alors Adrien, comment tu trouves la fête ?
- Extraordinaire.
- Raconte-moi un peu. Comment tu te sens ?
- Bien, c’est comme si je sortais d’un cauchemar, d’un couloir sombre. Il y avait une lumière au fond, c’était le visage de Dieu qui me regardait. Depuis, je suis avec lui. Je pense que j’ai la Foi. Et j’ai trouvé Greta. Greta m’a trouvé. J’ai bien compris que tout le monde croit qu’elle est Dieu mais en fait, à toi je peux le dire, Greta, c’est Greta, elle n’est pas possédée. C’est juste que Dieu sait passer à travers elle pour communiquer avec nous de façon plus directe. Mais elle reste entière, intègre, sublime, pleine d’Amour.
- Comment tu vois les choses, avec elle ?
- Avec elle. Simplement. Je crois qu’on est un couple. Je me sens bien. Elle se sent bien aussi. On est bien ensemble.
Pendant qu’Adrien va nager avec les jeunes dans la piscine, je peux parler à Greta :
- Et Isa Love ? Comment elle prend tout ça ?
- Je ne sais pas mais elle est très occupée en ce moment. Ils ne sont pas dans la piscine d’ailleurs. Je crois qu’ils sont allés derrière les arbres.
On doit les voir depuis la fenêtre de la cuisine. Je cours voir. Qui ça peut bien être ? Je m’arrête. Peu importe. Je retourne voir Greta.
- Et toi ?
- Je crois que je suis amoureuse, encore. J’ai tellement d’amour en moi, à donner, à partager. C’est grâce à toi tout ça Nat. Même Alice te doit son fils. Tu sauves les gens. Tu n’avais pas que l’information. Tu as eu aussi l’intuition.
- Greta, c’est juste que j’y vois plus clair, je suis plus à l’écart, je ne suis pas éblouie par l’Invisible.
- Je suis peut-être l’élue mais tu es mon guide.
- C’est dans la B3. Tu l’as lue ?
- Non. Mais je suppose que tout y est, non ?
- Oui, sûrement, sans doute. Mais sache que Adrien ne voit en toi que Greta. Même si Dieu s’exprime à travers toi, il fait la différence, il te verra toujours, il ne te perdra jamais, c’est lui ton repère, tant que tu le vois, tu sais que tu es toi, que tu es Greta et pas Dieu, d’accord ?
- D’accord Nat, merci.
Elle me parait fébrile. Elle me parait fragile. Elle est débarrassée de toute cette force qui faisait d’elle une leader. J’ai l’impression que c’est la première fois que je vois la vraie Greta. Adrien prendra bien soin d’elle. Je l’embrasse et je la laisse. Je vois R1 et Sabine sortir discrètement de l’abri de jardin. Elle est toute rouge et décoiffée. Lui a les yeux dans le vide et la bouche ouverte. Isa Love sort des arbres aussi, avec quelqu’un. C’est Yaël, elle est en garçon maintenant. Bri discute avec Simone. Je rejoins Gabriel dans notre maison bleue.
- Gabriel, il faut vite qu’on choisisse des prénoms pour nos enfants avant qu’ils soient pris par d’autres, je sens qu’il va y avoir beaucoup de naissances prochainement.
- R2 et R3 seront disponibles je pense.
J’essaie de rire mais j’angoisse un peu. Je cherche Lisa dans la foule, j’ai besoin qu’elle me rassure. Je vois Augustin, je vais lui demander :
- Elle est allée parler aux enfants qui se cachent dans les arbres.
En fait elle surveille les siens. En particulier son fils qui a une liaison avec une grande.
- Maman, tu lui as fait peur, c’est pas gentil.
Elle me voit. Elle vient me rassurer.
- Ne t’inquiète pas Nat, je serai là.
- Tu as disputé la grande Kate ? Elle est gentille, ne t’inquiète pas non plus.
- Je ne comprends pas leur relation. Elle s’occupe de lui d’un peu trop près à mon goût.
Je pars voir derrière les arbres. Je surprends Kate en pleurs. Elle s’essuie rapidement les larmes et elle me dit :
- Lisa a raison. Mais je l’aime tellement mon petit Doumé.
- Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Ton Amour est le plus fort. Elle finira par l’accepter.
Elle me sourit et me serre les mains. Elle est belle, elle est pure. Avant qu’elle parte je lui dis :
- Va lui parler, à Lisa. Trouver un terrain d’entente. Il faut commencer par un petit compromis. Ensuite tout ira mieux, tu verras.
- Merci Nat.
On est dans ma maison bleue. Je veux que l’Amour y règne.
*
Je me sens tellement seule et tellement vide dans ma chambre d’Hôpital. Gabriel vient de repartir. Je pense qu’il va passer voir les couveuses pour être seul avec ses enfants, réaliser. Ils ont mis une croix au mur face à moi. Il y a un exemplaire de la B3 sur la table de chevet. Je la prends. En première page il y a le tampon de l’Hôpital avec la signature de la directrice. C’est la mère de Izzy, l’ex de Bri, la grand-mère de Sabine qui est en couple avec mon R1. Je suis donc en famille.
Toc toc. La porte s’ouvre, un bouquet de fleur apparait devant une blouse blanche. C’est la grande Kate, elle est tout sourire :
- Salut nouvelle double maman ! Comme j’exerce juste à côté, mes patients sont un peu plus grands, j’en profite pour passer.
Elle m’embrasse et me félicite à nouveau. Je vois son badge, c’est marqué docteur K. Russell, pédiatrie, cheffe adjointe.
- Russell, comme l’école ?
- Comme mon arrière grand-mère, Emma Russell, une scientifique de la matière. Je ne lui ressemble pas du tout. Si je n’étais pas qui je suis, je serais déjà virée. Lisa a porté plainte au Conseil pour comportement déplacé envers un patient avec circonstances aggravante du fait de son jeune âge. J’ai juste eu un blâme, une sanction professionnelle et une condamnation pénale mais j’avais du bonus pour ne pas accomplir ma peine. Si je ne suis pas virée c’est parce qu’ils ont besoin de moi et aussi parce que Lisa n’est qu’une Terrienne, comme ils disent. Ils ne sont pas nets, ils n’ont pas la conscience tranquille depuis la Révolution. Je ne serai jamais cheffe de service, ni professeure mais ça vaut le coup. J’ai toujours le droit de le voir. Je posais moins de problèmes avant, je ne m’intéressais qu’aux filles. Mais mon petit Doumé, il est spécial. Et désormais, je suis une déviante. J’ai vu ça dans mon dossier.
Je lui pose la main sur la poitrine et je ferme les yeux. Je prie. Et je lui dit :
- Je vais parler à Lisa.
Elle me prend la main et l’embrasse avec les larmes aux yeux.
J’apprends qu’elle est à son bureau. Je me lève et j’essaie de me repérer. Une infirmière accoure. Elle m’installe dans un fauteuil roulant.
- Je veux voir Lisa.
- Le docteur Marie ?
- Marie ? Vraiment ? Lisa Marie. D’accord.
Lorsqu’on arrive à son bureau elle se lève, surprise. Je me lève aussi. Je marche vers elle, elle marche vers moi, on se serre dans les bras. Je n’ai pas besoin de lui parler ou d’argumenter. Elle a compris que si j’interviens c’est que ça va au-delà de sa raison à elle et que c’est pour le bonheur de son fils. Me voilà une vraie gourou avec des pouvoirs de l’Invisible, ou pas. Mais il est plus question de gestion d’histoires d’Amour que de religion ou de Foi. Leur modèle social n’est pas si mal. Un couple. De l’Amour. Des enfants. De la spiritualité. La planète C.
*
On a tous eu un long parcours pour en arriver là. J’espère que nos enfants n’auront pas à changer d’univers ou à subir une révolution. Au barbecue hebdomadaire je vois Aline, Patrice et Aurélie discuter ensemble. Je leur demande :
- Ça fait combien de temps que vous vous connaissez tous les trois ?
- Avec Aline, on s’est connus jeunes, à la congrégation. Aurélie on te connait depuis 2019, juste avant le confinement. On vient de finir la B3 donc on est au pire en 2101. Ça fait donc 83 ans ou presque. Peut-être qu’un jour on commencera à oublier la Terre. Elle ne compte plus, tout comme le temps. Les choses sont plus simples ici. Déesse ou pas, on y serait jamais arrivé sans Greta. Et Nat, tu en est la guide. Nos sauveurs, de leur côté, font leur travail de mémoire aussi. Mais tous, et ensemble, on aspire qu’à une seule chose.
On lève nos verres et on trinque :
- À l’Amour !
*
Les fêtes à la maison bleue sont hebdomadaires même si les semaines n’existent plus ici. Mais maintenant ça dure deux jours. C’est comme une sorte de week-end. Il y a même au milieu la messe du dimanche matin à la Cathédrale. À chaque fois pour tout ranger à la fin c’est toujours les mêmes deux jeunes qui restent, une fille et un garçon. Pourtant durant le week-end ils trainent chacun avec d’autres. Je vais leur demander pourquoi, le garçon me répond :
- En fait on est habitués à tout ranger et à travailler. Non pas qu’on vienne du Village, non, on a juste été habitués comme ça ne purgeant nos peines.
- Vos peines ?
- La Résistance. Avant qu’on nous distribue des médailles et qu’on nous propose des postes importants, il a d’abord fallu qu’on paye notre dette à la civilisation pour l’avoir remise en cause par diverses actions activistes. J’étais une cible facile, un symbole avec ma sœur, on est les enfants de Victoria, j’ai négocié pour tout prendre sur moi.
La fille précise :
- Je ne suis pas la sœur. Donc j’ai été condamnée aussi. Mais avec Victorien on a eu les mêmes juges. En fait on s’est connus ici, on s’est repérés à vouloir tout ranger à la fin, à deux c’est mieux.
- Ma sœur c’est Clémence, la blonde qui nage tout le temps.
- Moi je suis la fille de Tim et Adé, mon frère c’est Ben et moi je suis Eva. J’ai grandi au Village alors les condamnations c’était des vacances pour moi.
Je conclue :
- Alors vous êtes ensemble ?
- Pas pour l’instant, elle me résiste encore alors on joue chacun de notre côté en attendant.
Eva est gênée, elle rougit mais rétorque :
- Je viens bien que je ne suis pas du tout ton style.
- C’est vrai que tu devrais te laisser un peu plus pousser les…
- Bien, je crois qu’on a terminé.
Et elle l’entraîne vers la sortie.
- Attendez les enfants, je ne vais pas vous laisser sortir de chez moi comme ça, vous êtes tout sales, allez-vous laver et il est tard, vous feriez mieux de dormir ici. Venez, je vais vous préparer une boisson chaude pour vous détendre après la douche et ensuite dodo.
Dans la salle de bain je les entends :
- Alors comme ça, tu trouves qu’ils sont trop petits ?
- La bonne taille c’est quand ça tient dans la main, regarde.
- Arrête ! Arrête Vic. Vic ?
Je crois qu’il se passe des choses.
Ils ont l’air déjà détendu en buvant leur boisson chaude, le regard dans le vide. Ensuite, ils me font la bise avant d’aller dormir, naturellement, dans la même chambre. Eva et Victorien. J’ai peut-être accéléré leur relation sans le vouloir…
Le lendemain matin ils sont encore là, au petit-déjeuner. Ils ont tout préparé. Eva est radieuse. J’ai l’impression que ses seins ont grossi. Ça va aussi vite que ça ? Ou alors ils sont gonflés par le désir de leur folle nuit de passion, j’ai entendu quelques gémissements. Victorien se justifie :
- On n’est pas pressés, je viens de démissionner d’un poste à la mairie de Laguna City pour me rendre disponible à un autre à Laguna Beach et en attendant Eva m’a proposé de visiter le Village.
- Et te présenter à ma mère. Je n’ai jamais ramené de garçon à la maison. Elle va prendre tout ça vraiment au sérieux.
- Oui alors que bon… on n’est pas encore prêts à passer l’éternité ensemble.
Elle s’approche de lui pour confirmer :
- Parfaitement, je n’ai pas encore essayé tous les garçons de la piscine.
Mais ils se prennent dans les bras et s’embrassent. En fait ils pensent tout le contraire de ce qu’ils disent. Leurs corps dit le contraire, leur cœur aussi je pense.
- Alors c’est à ça que sert ma piscine ?
Et on se met à rire.
- Sacrée Clémence.
Là, Victorien ne nous accompagne pas dans nos rires.
- Vraiment ? Les filles, vous faîtes votre marché dans la piscine ?
- C’est là qu’on les voit le mieux.
Gabriel débarque et dit :
- Bonjour les enfants.
J’ai hâte que ça soit avec les nôtres. Ils sont toujours en couveuse. On va aller les voir et faire les exercices de connexion, qu’ils intègrent leurs parents avant la sortie de l’Hôpital. Même si ici sur la planète C, les enfants sont très vite indépendants, ils deviennent presque des étrangers pour leurs parents. Moins depuis qu’ils ont vu comment on élève les nôtres, qu’on créé des liens, de famille, des liens qui se propagent aussi aux amis et aux collègues ou tout simplement à tous les hôtes de la maison bleue. Je vais inscrire une phrase au dessus de la porte de la sortie principale de notre propriété : Allez vers l’autre dans l’Amour.
Sermons à la Messe de la Cathédrale où se succèdent au pupitre et devant l’autel tous les leaders spirituels. Marwah joue une musique de fond à l’orgue et tout le monde chantent entre les discours quand elle fait repasser la musique au premier plan. Le Père Simon a un langage à l’ancienne, très Nouveau Testament, une entrée en matière pour la suite. Son fils le Pasteur Patrice est plus dans la B3. Greta aussi, elle évoque le passage de la Terre perdue. Et ça se termine dans les clameurs du monologue de Victoria, symbole de la Résistance. On sent déjà que la graine est semée dans les âmes des descendants où va germer un jour ou l’autre la B4 quand ils en auront besoin, si ils en ont besoin. Sœur Adélaïde reprend la Messe en main pour calmer les esprits. Une fois fait, elle annonce :
- J’invite maintenant Sœur Nathalie à venir nous parler de son paradis au paradis.
Gabriel me fait une bise d’encouragement et je remonte l’allée pour aller prendre la place d’Adé qui se retire pour s’asseoir et prier à côté des autres leaders spirituels. Lorsque j’arrive au pupitre, la musique de fond de Marwah s’arrête pour la première fois. Ça rend le moment solennel.
- C'est une maison bleue adossée à la colline de Laguna City, on y vient à vélo, on ne frappe pas, on se sonne pas, nous avons jeté la clé. On se retrouve ensemble après des décennies d’aventures, quelles qu’elles soient, et l'on vient s'asseoir autour du barbecue dont les braises sont toujours en sommeil comme l’Amour dans nos cœurs. Tout le monde est là, à cinq heures du soir quand Laguna City s'embrume, quand Laguna City s'allume, et vous, où êtes vous ? Vous pouvez venir avec vos enfants qui peuvent jouer dans la piscine. Père Simon, je compte sur vous pour la bénédiction de son eau. Vos enfants peuvent venir sans vous et avec leurs amis pour nager dans le brouillard ou s’enlacer en roulant dans l'herbe derrière les arbres de l’Amour où s’inscrivent les unions dans des cœurs gravés dans l’écorce. Venez avec vos instruments de musique aussi, pour l’ambiance festive, et venez partager vos nouvelles, vos projets, vos envies, dans le bonheur. Et ne rentrez pas tout de suite, il y a de place pour tout le monde pour y dormir, perdre conscience dans votre paradis au paradis en attendant Laguna City se lève. Laguna City ! Où êtes-vous ? Dans ma maison bleue accrochée à ma mémoire ? On y vient à pied, on ne frappe pas, on a jeté la clef. Parents, enfants, amis dans notre maison bleue. Si Laguna City s’effondre, elle sera la seule à rester debout. Alors levez-vous et priez.
La musique repart et tout le monde chante pendant que je retourne à ma place, je ne reste pas vers les guides, je vais rejoindre mon Gabriel. Sœur Adélaïde appelle maintenant la bergère des âmes du Village, Aurélie qui arrive entourée des jumelles multivers, Alice et Aline. Aurélie récite un joli poème sur sa Ferme et entre les rimes les voix magiques et divines de ses accompagnatrices résonnent jusqu'aux fresques de la voute, c’est comme si elles venaient de là.
S’en suit le cocktail de fin de messe dans la cour de la cure. Après quelques mondanités, je traverse le bâtiment pour aller côté jardin voir la piscine d’eau bénite. Je m’approche de l’endroit où Greta m’a touché la cuisse avec sa main baguée. Tiens ? Il y a une plaque par terre. Avec une inscription : ici a été baptisée Greta T.E. Ernman Thunberg. Il n’y a pas de date. Pas besoin quand on a l’éternité devant soi. Ses autres prénoms n’apparaissent pas en clair. Soudain je sens deux mains qui me poussent et me retiennent, je manque de tomber dans l’eau. Je me retourne, c’est Greta, elle s’étouffe presque de rire.
- C’est le coin des blagues.
- Justement Greta, je voulais te demander : est ce que je peux appeler mes enfants Tintin et Eleonora ?
Greta redevient sérieuse et pose ses mains sur sa poitrine avec un regard triste :
- J’en serais honorée.
- Ils sont disponibles ?
- Je pense, oui. En tous cas ils ne sont pas utilisés dans ma descendance.
On se prend dans les bras. On s’embrasse. Sur les joues. Puis plus près des lèvres. Elle me regarde bizarrement. Elle ferme les yeux et dit :
- Je te donne mes prénoms.
Je l’embrasse sur la bouche. Une fois. Deux fois. Et on se serre fort. J’espère qu’elle ne va pas nous jeter à l’eau. En fait elle me chatouille pour essayer de me faire rire. Dédramatiser. Je me dégage, je lui confisque ses mains.
- Merci Greta, tu me donnes tout. Ton homme. Tes prénoms. Ton Amour ?
- Comment faire autrement, tu es irrésistible.
- Allez, viens, on s’éloigne de cette piscine.
On retourne dans la cour d’un pas nonchalant, main dans la main.
- Greta ? Je ne vais pas te laisser rentrer toute seule dans ta maison vide au Village. Ce soir, cette nuit, tu restes avec nous.
Elle me prend par la taille et m’embrasse sur la joue.
- D’accord. Merci. On va bien s’amuser. J’espère qu’il ne va pas trop s’ennuyer. En tant que bonne sœur, est-ce que tes fluides sont bénis ?
- Tu veux un deuxième baptême, c’est ça ?
- Une confirmation ?
- Si on veut, oui. Ils sont sacrés. Mais tu l’es aussi Greta. Tout est divin en toi. Je ne suis pas la seule à le voir, à le sentir, à le ressentir.
- Nat, tu me rappelle ma petite sœur. Elle était comme toi, plus jolie, plus talentueuse que moi. Je suis contente de te connaître, je la retrouve un peu.
- Comment elle s’appelait ?
- Beata.
Je lui serre fort la main. Je ne savais pas ça d’elle. On a perdu notre planète, nos familles et on les recherche ici d’une autre ou d’une certaine façon.
- Greta, je me déclare, je me nomme comme ta petite sœur, pour l’éternité. Je n’avais pas de deuxième prénom, voilà qui est fait. Je serai toujours là pour toi.
Elle a les larmes aux yeux.
- C’est moi qui serai toujours là pour toi, ma petite Nathalie, Beata.
On s’arrête de marcher, on se serre fort dans les bras et on pleure.
Gabriel nous rejoint, il nous cherchait :
- Ça va les filles ?
- Plus que jamais, on est heureuse, viens.
Il nous enlace et on sèche nos larmes sur lui. Il nous serre fort. Il ferme les yeux. Pour profiter du bonheur de nous avoir à lui. Parce qu’il nous aime. Et qu’on l’aime.
On se retrouve tous les trois au petit-déjeuner, léger, juste des fruits et des jus. Cette nuit j’en ai plus profitée que lui. Il faut que je lui refasse ses nattes, elle est tout ébouriffée. On s’installe sur la petite table ronde de jardin sur la terrasse derrière la maison. Il fait frais, il y a un petit vent. On se tient les mains et je fais les bénédicités.
- Merci mon Dieu de nous avoir réunis cette nuit, dans l’Amour mais il faut aussi penser à ta représentante dans notre multivers qui doit être en paix pour être réceptive à ta Foi, aide-nous à lui trouver l’équilibre pour que ta bonne parole se propage au mieux parmi nous.
Greta :
- Qu’il t’entende. En attendant j’ai consulté mon thème astral, je vais faire une rencontre importante et tout va changer.
Moi :
- Vraiment ? Gabriel, c’est aujourd’hui qu’il vient ?
Gabriel :
- Non ? Pas lui !
Spencer
Depuis qu’il est à la maison bleue avec Nat, c’est plus facile de le voir. J’entre. Ils ne sont pas à l’intérieur, ils doivent être sur la terrasse derrière. Tiens ? Ils ont une invitée. Non ? Pas elle ! Elle est moins impressionnante que je ne le pensais. Je vais me présenter :
- Bonjour, je suis Spencer, le fils de Gabriel et Frances.
Elle se lève, elle est magnétique. Elle vient me faire la bise.
- Enchantée, Spencer. Finalement on se rencontre. Je ne devrais pas être là. C’est le hasard. Je ne savais pas que tu venais.
Je fais la bise aussi à Nat et à mon père. Ils nous laissent. Je m’assois en face d’elle. On se regarde en silence. Je l’avais déjà vu de loin ou en images. Là, de tout près, elle fait jeune, elle est petite, elle est belle.
- Ils ne se rappelaient pas non plus. La journée d’hier était plutôt intense.
- Finalement, c’est bien qu’on se rencontre ici, en terrain neutre. Jamais je ne me serais permis de débarquer au Village. Vous savez, je connais votre Isa Love aussi. Elle vient souvent à Castle1bis.
- Ça alors… Bravo les enfants. C’est bien de ne pas tenir compte des différents de vos aïeux. Je suis celle qui t’a privé de ton père. J’en suis désolée.
- Ce n’est pas votre faute. Et puis je suis pratiquement né ici. Il y a une certaine distance entre les enfants et leurs parents, j’ai pu le constater avec les autres lorsque j’ai fait mes études à Russell. On doit suivre notre propre chemin loin du poids de l’héritage.
Jamais je n’aurais pensé la rencontrer ainsi et que ça se passe comme ça. Je la trouve bien. Gentille. Bienveillante. Elle m’est sympathique. Toute la liste de reproches que j’ai à lui faire me semble désuète. C’est pas logique. Elle doit vraiment être une déesse. On continue de discuter, de choses et d’autres, en toute simplicité, dans la paix. On se lève et on va se promener dans le jardin.
- On aurait dû se rencontrer plus tôt.
- Non, je pense que c’est le bon moment.
- Je m’étais fait plein de fausses idées sur vous.
- Attention maintenant de ne pas m’idéaliser.
Franchement, elle est très intéressante. J’ai envie de la connaître mieux. J’y vais au culot :
- Greta. Est-ce que je peux vous demander une faveur ?
- Tout ce que tu voudras, Spencer.
- Pouvez-vous me faire visiter le Village ?
Elle me regarde en souriant. Je crois qu’elle a compris que je veuille tisser des liens.
- J’en serais ravie, avec plaisir.
On va les prévenir. Ils semblent inquiets. On les plante là, médusés. Quand je sors avec Greta je vois l’inscription au dessus de la porte : Allez vers l’autre dans l’Amour. D’accord.
*
On commence bien-sûr par l’Église ou Adélaïde est très surprise et honorée et enchantée de nous voir amis. Elle m’entraîne ensuite dans la Chapelle en me prenant la main. L’endroit me plait beaucoup. C’est calme, c’est simple, on se sent chez soi. Ensuite la Taverne où je suis présenté tout le monde, Noëlle, Valentin, Sandy que j’ai connu à Russell, elle a bien changé. On mange ensemble. Ensuite je découvre la Ferme d’Aurélie et toutes les installations qui nourrissent l’île. On passe à Law House où Flo me fait des papiers de résident. Ensuite on va un peu à l’écart rencontrer Émilie Raymond dans sa maison dans le vide. Pour finir, on fait toutes les rues du Village et elle m’entraîne dans les bois, elle se sauve :
- Greta ! Attends-moi !
Elle est dure à suivre. Je glisse, je tombe, elle vient me relever.
- Mon pauvre petit, ça va ? Tiens-moi la main.
Et c’est ainsi qu’on arrive à la cascade. C’est magique. On reçoit da fraîcheur en pleine face avec un peu de bruine. Je la regarde, elle sourit, elle est magique aussi, son visage est recouvert de gouttelettes. Il y en a aussi au coin de ses lèvres. Je regarde ses beaux yeux bleus intenses.
- La cascade de l’Amour je suppose ?
- C’est un joli nom. Je retiens.
Je me sens super gêné. Elle me bouscule en riant.
- Détends-toi Spencer.
Elle me regarde sournoisement et ajoute :
- Laisse aller ton cœur.
C’est sûrement de l’hypnose ou un truc du genre. Elle est mystique. Elle vient de la Terre. Je regarde main. Elle est toujours dans la sienne. De l’autre elle s’essuie le visage. Je vois la bague et son logo G&G, j’en avais entendu parler. Quelle histoire ! Tout ça n’est peut-être qu’un rêve et je vais me réveiller. Elle me prend l’autre main, elle me fait face et elle me dit :
- Je suis contente de te connaitre. Je me sens bien avec toi.
- C’est de la magie ? Tu récites ce que je pense ?
Elle a le regard malicieux, un sourire léger et discret, intime. Je sens qu’elle est en train de bouleverser ma vie, elle qui jusqu’à ce matin était ma pire ennemie.
Quand on rentre et qu’on arrive chez elle, on se tient encore par la main. Elle la lâche pour ouvrir la porte, libérer ses pieds de ses chaussures qu’elle balance dans un coin et elle va s’écrouler dans un gros fauteuil pouf. Je l’imite mais lorsque je me fais tomber sur le pouf elle décolle et je dois la rattraper en vol, elle cri et elle rit. On se retrouve dans les bras l’un de l’autre et on commence à se calmer, à s’endormir. Elle me réveille :
- Si ta mère nous voyait… déjà que je lui ai pris son homme. Tu lui ressembles plus à elle je trouve. Un mélange réussi.
- Oui je suis un vrai Spencer avec tout ce qui va avec. Je ne me sens vivant que lorsque je sors du château. Tu sais, je pourrais faire de toi une princesse.
- Princesse Greta. Ça sonne bien. Et tu serais mon prince charmant.
- Non, en fait je suis Roi.
- Dommage. Roi charmant ça fait moins rêver.
On rit. Puis on ne rit plus. On se regarde. Elle est blottie dans mes bras. Je sens sa chaleur, son odeur, son souffle. Elle ferme les yeux et approche son visage du mien. Je me sens tellement calme. Ce n’est pas normal. Alors je l’embrasse. Ce n’est plus Greta que j’ai dans mes bras. Je ne suis plus un Roi. On est juste deux âmes qui se rencontrent dans l’Amour. Elle est petite, elle est fine, elle est agile pour enlever mes vêtements. Lorsque je la vois nue, je préfère la prévenir :
- Greta, je n’ai jamais fait ça avec une terrienne. Juste avec des filles d’ici. Je crois que ce n’est pas pareil.
- Moi non plus Spencer. Jamais avec un homme d’ici. Mais c’est nous qui sommes différentes. Il faudra en faire un peu plus que d’habitude. Je vais te montrer. Tu vas aimer.
Elle me caresse le visage, je sens ses petits seins pointus sur mon torse.
Elle a raison. C’est beaucoup plus interactif. Plus physique aussi. Et plus mental. On doit être plus à l’écoute de l’autre. C’est un vrai partage. Elle me montre toutes les positions. Elle gémit. Elle suffoque. Je finis par lécher sa peau salée, j’ai envie de faire toute la surface de son corps mais elle m’arrête à ses endroits les plus désirables.
- Mon Roi.
- Ma Reine.
Et on s’endort. Elle me réveille. C’est la nuit. Elle vérifie que je suis conscient et demande :
- Comment tu vois les choses ?
- Tout ce qui se passe au Village reste au Village.
- Sérieusement.
- Sérieusement, Greta, je devrais déjà être rentré. On m’attend au château. J’ai des obligations. Mais tu sais quoi ? Je ne vais pas rentrer. J’en n’ai pas envie. Je suis sûr qu’elle attendait ça, qu’un jour je ne rentre pas. Que je stoppe cette malédiction de royauté dans laquelle elle s’est emprisonnée tout comme sa mère. C’est Noëlle qui les a sauvées à Windsor, sur ordre d’Aline. Pourquoi ?
- C’est ma faute. Mes équipes ne pouvaient pas intervenir. Eux ils étaient prêts et compétents. J’étais leader de la coalition Nord, eux c’était l’Ouest. Ils ont toujours soutenu ton Royaume. Et j’ai toujours su au fond de moi qu’il fallait que je sauve la Couronne. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Aujourd’hui je comprends. Je sais enfin que j’ai bien fait.
- Pourquoi ?
- Parce que tu existes.
- Tu es vraiment une déesse alors ? Voir aussi loin dans le futur.
- C’est juste de l’intuition.
Elle se lève et cherche sa nuisette. Elle l’enfile d’un mouvement fluide. Elle me lève et me met une robe de chambre. Elle m’entraine dehors, au milieu de son jardin et elle se refugie en moi, bien au chaud. Elle regarde les étoiles.
- Il y en a beaucoup moins ici. Mais j’ai trouvé la mienne.
Elle se retourne et s’agenouille. Une fois que je suis prêt, elle remonte et elle s’agrippe, on se connecte. Je vais l’appuyer sur le mur de l’abri de jardin et je me déhanche doucement. Elle me donne une consigne :
- Prends-moi comme un animal. Lâche-toi mon petit. Soit brutal.
Je joue le jeu. J’espère que je ne lui fais pas mal. C’est des plaintes ou du plaisir ? Elle enfonce ses ongles dans mon dos. On s’écroule. Et on regarde les étoiles.
Le lendemain, on est tout propre, bien lavés et bien habillés pour le petit déjeuner. Très léger car on en fera un autre à la Taverne ensuite.
- Vous avez habité ici combien de temps ? Je ne vois pas trace de quelconque souvenir. Tu as tout rangé ?
- Non, tout est en place, dans une autre maison. J’ai su très tôt qu’il n’allait pas revenir alors j’ai pris quelques affaires et je suis venue ici, c’est notre maison d’amis. Je n’y retourne que pour m’occuper du jardin et travailler dans l’atelier. Je vais en refaire un ici. Je ne veux pas effacer les traces de trois décennies avec ton père, c’est chez lui aussi là-bas. Je te montrerai. Dès que j’y retourne, tu viens avec moi. Mieux : on y passera après la Taverne. Ça nous fait une excuse pour ne pas s’éterniser. Ici tu peux amener des affaires aussi, ce n’est pas un château mais il y a de la place.
Même dans une grotte je me sentirais bien du moment qu’elle est là. Elle est magnétique. Je suis son aimant. Je comprends qu’on puisse vivre à ses côtés aussi longtemps. On passe à la Taverne où l’accueil est chaleureux et on s’excuse vite de devoir y aller.
Effectivement leur maison est un vrai musée. J’aperçois juste le salon, je ne rentre pas, je la suis dans la serre. Elle vérifie minutieusement chaque plante, elle chante, elle leur parle je crois. Je la suis ensuite à son atelier installé dans une sorte de grange. Il y a des centaines de dessins, d’aquarelles, de peintures, tout évoque la nature. Il y a aussi quelques paniers en osier. Je reconnais le style d’Isa Love. Quand on repart il est tard. On passe déjeuner à la Taverne et ensuite on flâne, promenade digestive dans le Parc avant de rentrer dans notre nid douillet d’amis. En y arrivant on se regarde et on sourit, on s’embrasse, on est heureux.
À la messe dominicale de la Cathédrale, un invité de marque est annoncé. Je serre la main de Greta lorsque Marwah commence à jouer l’hymne britannique à l’orgue. En entier. C’est long. Mais c’est beau. Ça met dans l’ambiance. Ma mère apparait au pupitre. Lorsqu’elle regarde dans notre direction, on se lâche la main avec un sentiment coupable. Greta semble inquiète. Fébrile. Maman commence son discours. Une citation de la B3. Depuis qu’elle est arrivée jusqu’au château, on sent que nos sujets commencent à vouloir s’émanciper. Mon départ a dû attiser les tensions. Elle vient faire de la politique, libérer son peuple avant qu’il ne lui coupe la tête. Je reprends la main de Greta qui me regarde, elle a peur. Je mets mon autre main sur sa cuisse et je la regarde et je lui murmure que ça va aller. Je n’ai pas besoin d’écouter, je connais ce texte, il était prévu en cas de problème. C’est la fin de Castle 1 bis tel qu’on l’a connu. À la fin, maman rajoute :
- Un souffle d’Amour est venu balayer notre royaume et la liberté s’offre maintenant à chacun de nos sujets. Que Dieu les guide et les bénisse en leur montrant le chemin du bonheur.
Au cocktail Greta m’explique :
- Avec ta mère ce n’est pas seulement une histoire de rivalité de couple. J’ai eu à faire à elle à de multiples reprises sur Terre. Du moins, nos anges blanches se sont souvent croisées. On a elle est moi en nous une âme en refuge. Ta mère a toujours gagné, son ange est plus forte. J’ai juste eu le dessus sur la dernière bataille qui est terminée, avec Gabriel. Maintenant une autre va s’engager, ou pas, pour toi. Mais son discours m’a rassuré.
Elle approche :
- Bonjour Spencer, bonjour Greta. Je viens en paix. J’abdique. Moi aussi j’ai besoin de liberté, de me retrouver, d’ouvrir mon cœur à l’Amour. Je ne veux pas te perdre Spencer. Greta, nos destins sont liés depuis longtemps et plus encore avec nos âmes. On a l’éternité pour les réconcilier. Le monde a changé, même celui-ci. Il y aura un avant et un après B3. Votre nouvelle Bible nous apporte toutes les solutions.
- Ce n’est pas la mienne Frances, je n’y ai pas participé. Je n’ai pas la Foi.
- Mais tu l’inspires, tout comme ton ange.
- Je ne la ressens plus ici. J’ai perdu mes pouvoirs aussi. Je suis à ta merci. J’abdique.
- Alors je peux te demander quelque chose, une doléance : le trône. Il est pour toi. Et pour le Roi Spencer bien-sûr. Il vous attend, à Castle 1 bis. Dans votre éternité, il est une option. À vous de voir. Elle s’approche pour nous faire la bise. Elle prend nos mains et termine :
- À vous de croire.
Maintenant je veux bien croire que tout se joue au cocktail après la messe. Ce n’est pas une légende. Maman repart. Je me tourne vers Greta et je demande :
- Ma Reine ? Qui sont donc vos anges blanches ?
- Ta mère a en elle l’âme de son arrière arrière grand-mère. Lady Diana Frances Spencer. La mienne est beaucoup plus ancienne mais tout autant liée à votre Empire Britannique. Il s’agit de Jeanne. Jeanne d’Arc. Après des siècles de conflit, Spencer, tu les as réconciliées, elles sont en paix maintenant. Ta mère croit que ça vient de la B3 mais il faut bien mettre de la spiritualité sur certains faits. Mais il y a une chose en laquelle je crois. En nous mais surtout en toi, mon Roi.
Me voilà fait Roi de la Déesse Reine Greta.
- Ma Reine, et si on restait à la maison bleue ce soir ? Je t’amènerai derrière les arbres, on gravera nos noms dans l’écorce et ensuite j’essaierai de t’imprimer sur le dos nos initiales en te prenant contre le tronc.
- On va faire ça mon Roi et aussi tous les jours chez nous, il y a de beaux arbres à l’écorce vierge comme mon ange blanche dans le jardin de notre maison d’amis.
- Pour l’éternité ?
- Je ne pensais pas avoir à le dire un jour mais je vais te faire une réponse de circonstance : amen.
***
Frances
Je suis incognito sur la plage de Laguna Beach, sur mon transat avec le parasol. À Castle 1 bis, j’ai pris perpète avec une peine de sûreté de trente ans. Maintenant je suis libre. Mes services secrets m’ont donné leur planque, une modeste petite maison en bois avec sa petite plage privée. Je vais me reposer ici un siècle ou deux, c’est ce qu’il me faut pour digérer tout ça. Lorsque je médite elle est en moi. Elle me dit quoi faire, Lady Diana. Elle a connu bien pire. Il faut que je me trouve mon Al-Fayed. Diana dit que c’est lui qui va me trouver. Je l’attends. Mais personne ne vient. Alors je pleure en sirotant mon cocktail. Je ne peux pas m’endormir ici et ne plus jamais me réveiller. On est immortels au paradis. Soudain je pense avoir une vision, comme un mirage sur la plage. J’enlève mes lunettes, c’est toujours là. Je regarde à droite et à gauche, aucun autre témoin. J’ai mis quoi dans mon verre ? Je me lève. Ce n’est pas qu’un mirage, je l’entends. Un cheval. Avec son cavalier. Comment est-ce possible ? Je m’approche. Il me voit, il s’arrête. Je tend la main, je peux le toucher. Je lui caresse le museau. J’enlève mon chapeau et je regarde le cavalier.
- Bonjour, jolie dame, je vous présente Lucifer.
- Que diable ! Ça fait tellement longtemps que je n’en avais pas vu. Vous l’avez trouvé où ?
- L’Arche de Zoé. Je me présente : Philippe.
Il enlève son gant et me tend la main. Je lui prends et je tire pour faire levier, il tient, je peux mettre mon pied et je monte derrière lui. J’en ris et je me présente :
- Moi c’est Frances. Mon arrière arrière arrière grand-père s’appelait Philippe aussi. Il était bon cavalier. Montrez-moi ce que vous valez.
- Accrochez-vous.
Je l’enlace. On part au trot le long de la plage. Puis il me ramène doucement vers chez moi. On discute. Je lui précise mon identité :
- Je viens de Castle 1 bis, je suis une terrienne.
- Moi aussi je suis un terrien. Je suis arrivé ici en 1989. Ça fait longtemps que ma génération se fait discrète, bien avant leur Révolution.
- Je suis la fille de la princesse Charlotte et
- Pas mal. Je suis l’oncle de Victor et Victoria.
- Pas mieux. Quoi que, je suis la mère du Roi Spencer.
- Intéressant. Je suis le frère de Vivien Virein Volta.
- Si vous voulez. Mais je ne vois qu’un piètre cavalier.
- Oui, en fait je suis en thérapie. Équidéthérapie pour faire des rencontres sur la plage.
- Je ne suis donc qu’un exercice sanitaire.
- Il faut que je vous amène avec moi pour prouver que j’ai réussi. On ne me croira jamais. Première sortie, une princesse. Ils vont m’enfermer pour de bon.
- Je ne vous quitte pas. Je ne suis pas encore bien sûre que vous êtes réel, j’ai mis des psychotropes dans mon cocktail.
Sa navette n’est pas loin. Il y a un box spécial pour le cheval. Je l’aide à le faire remonter.
- Vous êtes sûre de vouloir rentrer avec moi au Haras ?
- N’ayez pas peur. Zoé est sur place et elle me connait. Et mes services secrets ne sont pas encore intervenus, c’est que vous êtes sûr.
- Bon. Après vous.
Quand elle nous voit arriver, Zoé s’exclame :
- Exercice réussi.
Comme par hasard elle l’a envoyé sur ma plage. J’ai mordu à l’hameçon.
- Qu’est ce que tu fais pieds nus ? Je vais te chercher des bottes.
Pendant ce temps je demande au Philippe :
- Vous êtes son nouveau compagnon ?
- Pas du tout. Impossible. J’ai juste accepté sa prescription hippique.
- Non, Philippe, je crois que c’est moi la thérapie.
Et je le regarde en biais et en souriant.
- C’est quoi le prochain exercice ?
Mais elle revient, elle m’aide à mettre les bottes pour aller sur la colline où il y a une table et un feu où mijote de la nourriture. Je commente :
- J’adore les chevaux, quand ils sont bien cuits. C’est du ragoût ?
- J’avais oublié ton humour anglais.
Philippe part se changer, on en profite pour parler. Je demande :
- Pourquoi tu me mets ce vieux dans les pattes ?
- J’espérais que tu pourrais m’aider à le faire aller mieux.
- Pourquoi ? Qui est-il pour toi ?
- C’est mon père.
- My God !
Après le dîner il me raccompagne et me donne rendez-vous pour une autre activité, hors thérapie, sans que Zoé ne soit au courant. J’accepte. Et ainsi de suite. À chaque fois un projet de sortie. Ça devient un peu romantique. Mais les meilleurs moments sont les plus simples, assis sur un banc devant un coucher de soleil où je l’écoute :
- Ça n’a pas été toujours comme ça.
- De quoi ?
- Notre monde. Il est meilleur depuis que vous êtes arrivés.
- On y est pour rien. C’est vous qui êtes allés nous chercher.
- Ça nous a sauvés. On s’est sauvés ?
- Vous nous avez sauvés aussi. Et ta fille a joué un grand rôle.
- Oui j’ai vu qu’on parlait d’elle sur le monument de Greta. Zoé est équilibrée, forte et elle n’a jamais eu la pression comme sa cousine Victoria.
Je pense aussi à la fille que Zoé a eue avec Greta. Quand mon fils me fera grand-mère, je serai encore plus liée à Greta. Elle est devenue incontournable, une véritable malédiction d’Amour, au dessus de toutes et tous, même de la B3. Qu’est ce qu’on peut contre ça ?
- Philippe, moi aussi je suis arrivé au bout de ma vie, comme toi. Et si on s’inventait autre chose, toi et moi, pour l’éternité ? Un destin à nous, loin des obligations et du devoir.
- On aura toujours nos enfants pour nous rappeler qui on est. Et ils sont ceux qui nous définissent.
- Qui on est. Qui je suis ? Je viens de la Terre où, un jour, toutes les femmes enceintes ont perdu leur bébé garçon. Plus aucun garçon n’est né par la suite. Ça a engendré un chaos sanitaire, politique, philosophique et existentiel. Mais ça ne s’est pas arrêté là. Il y a eu une épidémie d’épidémies de maladies en tous genres qui tuaient surtout les garçons. J’ai perdu tous mes parents mâles, aïeux, cousins, frère. Lisa et Natacha nous ont fait 57 vaccins sans compter les rappels. Mais ça ne s’est pas arrêté là. Le climat s’en est mêlé. Pas de réchauffement climatique, non, un hiver nucléaire dû à l’explosion d’un super volcan. On a eu des températures de -75°C du centre du Sahara jusqu’à la Chine en passant par l’Inde. Des milliards de gens sont morts. Mais ça ne s’est pas arrêté là. On a perdu la Lune, ça a supprimé les marées. Le début de la fin de la vie sur Terre. Mais ça ne s’est pas arrêté là. Inversion des pôles. Mais ça ne s’est pas arrêté là. La Terre s’est arrêtée de tourner. Mais pas suffisamment pour avoir une zone brûlée et une zone gelée. Elle tournait encore assez pour tout brûler et tout geler régulièrement. Aux nouveaux pôles la température était correcte mais il y avait des vents de 150 mètres par seconde. Alors je ne regrette rien. On en a sauvé assez et j’espère que ça ne mettra pas en colère la Nature d’ici. Vous êtes en manque de spiritualité alors que votre existence a plus de sens, hormis l’immortalité.
- Comment tu t’en es sortie ?
- Greta a envoyé des survivalistes bretons nous sauver. J’avais 15 ans. Sur la pelouse de Windsor dans la nuit de l’hiver nucléaire, un soldat casqué nous a scannées ma mère et moi. C’était Gabrielle. Elle était déjà enceinte de Yaël. Quelqu’un m’a aidé à monter dans l’hélico. C’était Gabriel. Noëlle était aux commandes. Tu ne les connais pas. Je te les présenterai.
Les premières étoiles apparaissent. Ici elles dansent entre-elles. Ou alors c’est la planète C qui s’agite dans tous les sens ?
Ce matin je me réveille dans son lit. On se lève, on se prépare pour le petit déjeuner. On reste à l’intérieur car le temps est menaçant dehors. On est perdus au milieu de la vallée dans le haras de Zoé. Elle nous attend à table avec son compagnon. Sa fille Hidy est là aussi avec son copain. Un paradis au paradis, en famille loin de tout et de tous, dans notre monde à nous. L’île est parsemée de refuges comme celui-ci, loin des civilisations et de leur révolution. Aurélie est connue partout, elle fait du troc de marchandises. Beaucoup de maisons de Laguna City, Laguna Beach et du Village se vident pour se réfugier ici et là sans aucun projet de croissance, juste de subsistance en harmonie avec la nature.
Debout, les bras appuyés sur la rambarde de la terrasse, je regarde au loin la brume se dissiper sous les rayons du soleil. Philippe s’approche de moi et il attend en silence. Je lui parle :
- Ce n’est pas un hasard si tu es venu galoper devant chez moi à Laguna Beach.
- Non. On a des gens à extraire, on attend le bon moment.
- C’est qui, on ?
- La Résistance.
- Extraire de quoi ?
- De l’overdose de I, de S et de A. Leur diminuer les dosages. Reprendre contact avec la réalité.
- Dans quel but ? Pour quoi faire ?
- Avec un autre schéma de civilisation, avoir du recul, mieux comprendre. Et qui sait ? Échapper à une autre Révolution.
- Ou à une autre fin du monde. Je comprends. Quand on est arrivés, quelle était votre première recrue ?
- Je pense que tu connais la réponse.
- Greta.
- C’est elle qui nous a demandé de t’exfiltrer et t’initier.
Je me retourne pour lui faire face. Je le regarde droit dans les yeux et il m’annonce :
- Bienvenue dans la Résistance.
*
Aurélie arrive en navette. Elle apporte des provisions et en récupère d’autres, des plantes qui ne poussent qu’ici. Zoé lui donne aussi des graines de fleurs en lui annonçant ma présence. Elle me cherche du regard et me trouve. Signe de main et sourire. Elle vient me voir pour me faire la bise :
- Alors toi aussi ils t’ont recruté ? Moi ils m’ont envoyé John. Je lui ferais bien un bébé ou deux.
- Toi tu es utile. Je ne sais toujours pas en quoi je peux l’être pour eux.
- Tu es une princesse. Et tu as résisté toute ta vie à tant de choses.
- Apparemment, Greta a un rôle à me donner dans tout ça.
- Frances, c’est surtout à toi de voir. Greta te donne l’occasion de prendre ta vie en main pour une cause, bonne ou mauvaise on verra ce qu’il en sortira. En tout cas, à toi ils t’ont envoyé du lourd, Philippe. Comment il est ?
- Il me respecte trop. Je vais être obligée de lui sauter dessus s’il ne se décide pas.
- Non, vas-y doucement. C’est un ancien, tu vas nous le traumatiser.
- Il l’est déjà, en thérapie hippique. Il a juste besoin qu’on le réveille.
On le regarde au loin, il brosse son cheval.
- Il a tellement vécu, comment veux-tu que je l’impressionne ?
- Il a pas encore vu ton cul royal.
On part en fous rires. Il regarde vers nous. On se reprend.
- Prends soin de toi Frances.
- Si on me demande…
- Je ne t’ai pas vu.
***
Spencer
On s'installe sur la terrasse de notre maison d'amis pour regarder la nuit tomber. Le moment est propice pour lui parler, lui dire, tout lui dire. Je lui prends la main pour qu'elle puisse mesurer ma sincérité, si elle a encore des pouvoirs cachés.
- Greta, je veux passer l'éternité avec toi. Même si tu viens de vivre plusieurs décennies avec mon propre père, même si tu es Dieu, en fait, rien ne peut me détourner de ce désir, cette envie, de partager ton existence intime. Au-delà des conventions, de la morale ou de la raison, je te veux pour toujours.
- Spencer, aux mauvaises langues je raconte que j'ai pris le dernier modèle mais que je reste fidèle à la marque. Mais en fait je ne vois pas Gabriel en toi, je te vois toi, Spencer, mon Roi. Je t'aime et je ne te quitterai jamais comme je n'ai jamais quitté ton père, c'est lui qui est parti, on me l'a pris. J'aurais pu me battre encore une fois pour le récupérer comme je l'ai fait avec ta mère ou avec Simone mais en fait je ne veux que son bonheur et si pour ça il faut que je me prive de l'amour que j'ai pour lui, je l'accepte aussi. Je l'ai libéré, je me suis libérée pour son bonheur à lui, c'est ça l'Amour. Et ce sera pareil pour toi si un jour tu ne m'aimes plus ou si tu trouves ton bonheur ailleurs. Parce que c'est ainsi dans l'éternité. Parce les morales et les conventions c'est pour les mortels, pas pour nous, pas pour moi, pas pour Dieu.
- Greta, tu n'es pas toute puissante. Tu t'es souvent trompée. Tu n'as pas de pouvoirs. Et je t'accorde aussi ce contrat à égalité entre nos deux parties. Le jour où ton bonheur ne se définit plus avec moi je l'accepterai aussi.
- Tu ne crois pas en moi ? Tu ne crois pas en Dieu ? Qu'est-ce que tu me trouves alors ?
- Je te trouve magique, magnétique, mystique et magnifique. Je crois en notre contrat à durée indéterminé. À la titularisation de notre couple. Une échéance à l'infini. Soyons heureux ensemble pour au mieux l'éternité.
- Je suis contente que tu ne sois pas aveuglé par toute cette spiritualité autour de moi. Tu es la bonne personne. Tu es celui qu'il me faut.
- Je vais essayer de ne pas trop d'idéaliser. Il faut que je continue de voir la vraie Greta que j'aime, avec ses défauts et ses faiblesses.
- N'hésite pas à me les rappeler.
- Ta peau est trop douce. Quand je t'embrasse tu as le goût de bonbons. La liste est longue. J'ai plein de reproches pour toi.
- Il faut me punir alors si je ne suis pas sage.
- Greta, je te condamne à me faire l'amour tous les soirs.
- Et tous les matins. Ce seront les frontières de notre inconscience à traverser chaque jour.
La nuit tombe. Je vois encore son visage dans le crépuscule. Je lui caresse la joue. Elle est si douce. Je trouve ses lèvres, je les embrasse et je lui dit :
- On va faire ce qu'on peut.
- On va faire ce qu'on veut.
- On ne va pas se mettre la pression.
- On est au-delà de l'Amour.
Alors on se lève pour aller partager notre couche, laisser parler nos corps qui se caressent et se mélangent. Elle m'arrête, elle me sort de ma torpeur, j'ai mon corps nu sur le sien, elle met se mains sur mes joues et me regarde en transe et finalement elle invoque :
- Bouffe-moi le cul.
Et elle glapit de plaisir quand je m'exécute.
- Fais-moi mal, salis-moi.
Et elle gémit quand j'entre dans ses fesses.
- Je t'appartiens Spencer, je suis ta chose, défoule-toi
Alors je me secoue pour me soulager sous ses cris, d'un geste de la main elle me dit stop :
- Doucement, ressort plus, entre, encore.
Je suis ses instructions, elle se donne à moi, entièrement, par Amour.
Au réveil des rayons du soleil, j'attends qu'elle ouvre ses beaux yeux d'amandes bleus.
- Bonjour mon amour, est ce que ça va ? J'ai été un peu brutal.
Elle me caresse le front en souriant :
- C'était juste pour que tu réalises que je ne suis pas une déesse respectable, je suis juste ta femme.
Je me lève pour la prendre dans mes bras, je la sors du lit et je l'amène sous la douche, pour la laver, pour la soigner et pour l'aimer à nouveau avant le début de cette nouvelle journée dans l'éternité de notre Amour.
*
On va tranquillement à la Taverne à pieds. En passant devant la réplique de son monument, elle me lâche la main et me dit de l’attendre. Elle reste immobile devant, elle baisse la tête, elle se recueille, ses épaules sursautent, elle pose ses mains à plat contre la Terre, elle pleure.
- Je pleure mes disparus.
Je l’enlace par derrière pour essayer de la consoler, elle a toujours les mains sur sa planète. Elle n’est peut-être pas Dieu, elle n’a peut-être pas de pouvoirs mais elle est Greta, avec sa manière d’être perdue dans l’Amour, avec ses échecs, ses succès, ses espoirs et ses déceptions. Elle lâche le monument, se tourne et me serre fort.
- Promets-moi de ne jamais disparaître.
- Je te promets. Je te jure. Je t’appartiens. Je suis à toi. Greta, il faut laisser partir tes mauvais souvenirs. Seul le présent compte. C’est avec lui qu’on peut construire l’éternité. Notre éternité.
*
Frances
On s’installe sur la terrasse en bois, à l’abri. Je reconnais l’odeur du café. Philippe se raconte :
- Notre civilisation a passé son temps à se faire la guerre dans la haine. On a touché le fond avec la Révolution. Et puis vous êtes arrivés et tout d’un coup c’est la dictaculture de l’Amour. Tout le monde s’est mis en couple et a fait deux enfants, un garçon et une fille. C’est peut-être la solution, ou pas mais la Résistance se pose des questions. Elle essaie de sauver ceux qui peuvent l’être. Je te sauve du sexe et de l’amour, ce qui baigne dans l’invisible de la B3. Ça ne nous empêche pas d’être un couple, soudé, honnête, loyal, avec de la tendresse et éventuellement un peu de plaisir sexuel et d’amour mais pas à ce niveau et cette intensité pratiquée par tous. Il faudrait réajuster les dosages, redescendre un peu sans basculer dans la haine.
Je bois son café et mon esprit s’ouvre, je commence à comprendre, à ressentir, à réfléchir trop vite.
- Tu veux dire qu’on est tous sous emprise dans notre état normal ?
- En tous cas il existe d’autres niveaux de conscience.
- Est-ce que je peux te prendre un peu de café pour faire goûter à Greta ?
- Ça ne marchera pas, à cause des antennes, celles qui nous rendent tous immortels. Les hackers de la Résistance ont repéré un programme supplémentaire sur les ondes. Ils ont commencé à discrètement l’éteindre sur certaines parties du territoire. Nous sommes dans une ce ces parties.
- Il faut l’amener ici. Elle se rendrait compte qu’elle n’aime pas mon fils.
- Et après ?
- Supprimer le programme.
- Ce serait le chaos. Tout le monde se détesterait à nouveau. Il y aura des séparations, des guerres, la haine reprendra le dessus. Et boum, plus de planète C. Greta, c’est tout le contraire de la Résistance, c’est une guide, de la B3, de l’Amour, de la préservation de la planète, du plus jamais ça. C’est nous les méchants de l’histoire. Ceux qui savent que couper le programme risque de mener tout le monde au chaos. En fait on est complice mais on ne sait pas de qui. Autant la Résistance est anonymes, ses hackers encore plus mais ceux qui dirigent les antennes on ne les a pas identifié. Alice doit savoir, Victor, lui, a fait l’expérience de vivre loin et longtemps en dehors de la couverture des antennes mais ceux qui sont aux manettes sont invisibles, peut-être que ce n’est même juste qu’un programme ou alors pire : Dieu. Bienvenue sur la planète C, la planète de l’Amour, le Paradis éternel.
- Pourquoi moi ? Pourquoi m’informer de tout ça ?
- Tu n’est pas la seule. Il y a Aurélie aussi. Déjà sur Terre c’était la leader des survivalistes. Toi, c’est parce que tu es la Couronne et tu es la mère du Roi. Greta attire l’attention sur elle mais elle est à l’origine de ton sauvetage, plusieurs fois. On pense que Greta est au courant de tout aussi. Elle a été la première à venir. Elle a fait l’aller retour. Et quand elle était bébé elle a été choisie, Alice était déjà aux commandes, formée par Victor. Mais tu veux que je te dise ? Pour moi, tout ça, ça me va. Ressentir l’Amour, avoir la Foi, croire en Dieu, ce sera toujours mieux que le meilleur de ce que notre civilisation a essayé de faire avec toute sa technologie mais sans aucune humanité, sans spiritualité. Maintenant je te ramène à Laguna Beach. On va s’aimer, on va aller aux messes de la Cathédrale, on va faire deux bébés et on sera une famille heureuse. Mais on saura qu’on est dans le A, avec du S, contrôlés par le I.
*
Il s’installe chez moi. On n’a pas beaucoup d’affaires personnelles. C’est comme si on jouait un rôle.
- Ça fait faux, on devrait plus s’impliquer.
- Non, je pense que c’est bien de repartir à zéro, de ne pas se polluer de nos passés, de construire des souvenirs ensemble. Au diable la Couronne et la Résistance. On est juste un couple simple dans une vie simple où l’on a l’éternité pour y écrire notre histoire.
Il faut quelques jours pour que la magie des antennes fasse son effet. Il y a des regards, primitifs. Lorsque qu’on se frôle c’est très sensuel. Il y a des odeurs, bestiales. Des sourires, des rires, on se sent bien. Sous emprise.
J’ai mis ma robe légère avec rien en dessous. Je prépare une salade de crudités. Il vient derrière moi prendre une bière dans le frigo. Il se retourne, pose sa bière pour m’enlacer.
- Tu es belle, tu sens bon.
Il m’embrasse la nuque. Je sens une décharge électrique qui monte du creux de mes reins pour exploser dans la tête. Je sens son désir dur entre mes fesses, jusqu’aux battements de son cœur qui se synchronise avec le mien. Je lâche mes légumes et je prends ses mains. J’en monte une sur ma poitrine et je descends l’autre sur le bas de mon ventre. Comme c’est bon. Comme c’est agréable. Il résiste. Je le maintiens. Il succombe. Il m’embrasse la nuque, le cou, la joue, nos lèvres se cherchent.
Ding dong !
Nos invités arrivent. Je me regarde dans le miroir de l’entrée, les joues sont rouges. Philippe court à la salle d’eau. Il va se finir ? J’ouvre. Victoria a un bouquet de fleurs et Clément une bouteille de moelleux. En voyant ma tête, Victoria ose demander :
- On dérange peut-être ?
- C’était moins juste.
- Tu vois Clément, on avait le temps, il est toujours pressé. Pour tout.
- Nous on ne l’est pas mais c’est dur de résister.
Bien-sûr Clément ne comprend rien à notre conversation.
Pendant que Philippe distrait Clément, je donnes quelques informations de la Résistance à Victoria et je rajoute :
- Les antennes, le programme, je suis au courant. J’ai bu le café en terrasse au haras.
- Tu as vu ? Ça marche bien, hein ?
- Et ton Clément ? Il est dans quel camp ?
- Aucun camp ne lui fait confiance, il est tranquille, neutre. Avec moi il s’est émancipé.
- Sinon, tes clients, ils ont des actions de prévues ?
- Plein. Discrètes. Anonymes. Invisibles, si j’ose dire. J’ai des phrases étranges à dire à l’émission, du genre : « les clefs du portail intérieur numéro un sont sur le chiffon bleu. »
- Ouais, ça serait plus rigolo avec des propos osés.
- Bonne idée, je peux en balancer une ou deux pour brouiller les pistes. Genre : « Tonton a fait une feuille de lys. »
- Vicky ! Non ? Tu crois ? J’ai hâte. Et toi, dis-moi, ça ne te fait rien d’être avec Clément plutôt qu’un autre ?
- En fait c’est ma mère qui a décidé de tout. Patrice me tournait autour alors elle m’a envoyé son agent dans les pattes.
- Et elle s’est récupéré Patrice.
- Pour mon bien ou pour le sien ou pour les deux. Les parents veulent le meilleur pour leurs enfants. Moi j’ai eu Clément et deux beau enfants comme tout le monde. Mais on reste soi-même, même dans ces programmations calculées, quel que soit le conjoint.
- Ce n’est pas dans la ligne éditoriale de la Résistance ?
- Il y a eu une étude. Sans cet algorithme dans les antennes, les gens choisissent moins bien. Mais tu sais on garde notre libre arbitre. Il y a des adultères et des couples se séparent aussi. On est pas des robots et le signal n’est pas très puissant.
Ils repartent. Nous voilà seuls. Je lui donne des premières consignes :
- Mets-toi nu et allonge toi sur le dos sur le lit.
Pendant qu’il s’installe, j’enlève ma robe, mon seul vêtement, et je viens lui murmurer la suite :
- Je vais m’asseoir sur ton visage, face à tes… pieds et je vais jouer de mes doigts et de la langue pendant que tu me nettoies avec ta bouche.
Je m’installe sur lui, il est aux premières loges pour apprécier mes fesses royales que j’écarte pour sentir sa langue. Mes mains s’affairent et je plonge lubrifier son désir. Une première fois mémorable. Une fois assouvis, on se retrouve face à face sur le lit et il ose enfin prendre la parole :
- Tu as un goût de fruit.
Je m’étais aromatisé.
- Je peux goûter ?
Il ne comprend pas. Alors je m’approche et je l’embrasse. Notre premier baiser. Je commente :
- Nectarine...
Il me rend mon baiser. Je commente :
- Mandarine...
- J’y trouve un goût de pomme.
- Y’en a.
- Et moi j’ai quel goût ?
- Iodé. Ensemble ça fait sucré salé.
Il passe sur moi, embrasse mes seins et commence à se frotter et se raidir entre mes cuisses. Je les soulève, je les écarte et je le laisse entrer en moi. Il attend, il ne se passe rien.
- Je suis une terrienne, c’est à toi de bouger si tu veux du plaisir de cette façon. Ou alors je passe sur toi.
Voilà qui est mieux. Je domine, je me déhanche et j’impose mon rythme, le plus lent possible, le plus long possible et pendant qu’il m’agrippe les seins je me stimule des deux mains.
*
À l’Hôpital, Lisa me rassure :
- Tout va bien. Tu es juste un peu fatiguée, et enceinte.
- Déjà ? Il y en a combien ?
- La question ne se pose plus.
Je souris. Je me sens si heureuse. En voyant mon émotion, elle me prend dans ses bras.
- Félicitations votre altesse. Des résistants royaux. Un beau mélange.
- Merci Lisa. Merci mon Dieu.
Elles sont rudement efficaces ces antennes. On baigne dans l’immortalité, l’Amour et la Foi et on fait plein de bébés. En sortir est très déprimant. La vérité : on s’en fiche, elle est médiocre. Je préfère rester dans mon rêve paradisiaque de bonheur absolu et infini dans une existence irrésistible.
Je rentre, j’arrive doucement près de Philippe qui est en train de planter des fleurs autour de la maison. Il se relève, enlève ses gants et son chapeau de paille. Je m’approche et je le prends dans mes bras, très tendrement pour lui dire :
- Ce n’est que de la fatigue. Tu m’as mis deux aliens dans le ventre qui me pompent toute mon énergie. On va bientôt être une famille.
- Mince… Fini le sexe tous les jours alors…
- Moi je bouge plus, toi tu fais ce que tu veux.
- Même avec les filles qui surveillent la plage ?
- Sauf avec elles.
- Ça fait une éternité que je n’ai pas été papa.
- Zoé est si vieille que ça ?
- Au moins. Et toi, depuis Spencer.
- Ça va être différent cette fois-ci.
On va derrière la maison sur la terrasse et on s’installe sur la table de jardin pour continuer de discuter. À chaque fois qu’on s’installe là, c’est pour parler de la Résistance.
- Frances, tu as ton libre arbitre. Si tu ne veux pas de mes enfants, on peut les faire passer.
- Je ne crois pas qu’il y ait un protocole pour ça à l’Hôpital. Tu as un labo clandestin ?
- Pas besoin. Les antennes peuvent faire ça. On les a piratées. Elles ont le contrôle sur chaque individu, son esprit et son corps. C’est comme ça que mon frère a disparu. Le plus drôle, c’est qu’il a mis au point cette technologie. Un de vos professeur, Big Bang, a tout compris sur les antennes.
- C’est l’astrophysicien de Greta.
- Il a étudié tous les prototypes de la montage de l’Est, énorme laboratoire de physique. Et il a eu quelques confidences sur l’oreiller de sa compagne aussi, qui est dans le rens, Gaby, la S de votre Gabrielle.
- Pourquoi tu m’expliques tout ça, je ne suis pas concernée.
- C’est pour que tu décides vraiment de garder ces bébés ou pas. Tu peux. Et tu ne pourras plus le reprocher à personne par la suite.
- C’est un test ? Tu sais, j’ai connu bien pire comme endoctrinement avec la Couronne et la coalition Ouest et Nord des sociétés les plus secrètes et sectaires. Au delà de notre Amour artificiel, de ma Foi artificielle et de notre immortalité artificielle, j’ai au plus profond de moi une conviction naturelle : je ne peux pas dire non à la vie. Tes antennes piratées ne me feront pas changer d’avis là-dessus.
- D’accord Frances. C’est juste qu’on redonne le choix aux nôtres quand il s’agit de s’engager sur des priorités.
- Je suis des vôtres maintenant ? Philippe, les clans, c’est fini. J’ai étudié votre histoire, le Parlement Bleu et vos guerres, les complots, il faut sortir de ce schéma. Nous on sort des nôtres aussi, si j’ose dire. Plus de Couronne, plus de coalition de l’Invisible. Et ensemble on va faire quelque chose de bien, avec les antennes, elles sont une bonne chose, pour nous canaliser et ne pas mener à nouveau une civilisation ou une planète à sa perte. Nos enfants hybrides en sont la voie et la voix, ils ont même une B4 à s’écrire. Sur ce, on va se lever de cette table et continuer de s’aimer dans le bonheur.
Il était temps qu’on arrive. Ils ont vraiment besoin d’être sauvés.
*
Nat nous invite à sa Maison Bleue. C’est autre chose que les cocktails de fin de Messe. On y rencontre une autre population en dehors des jeunes dans leur piscine et derrière les arbres. Il y a leur parents aussi qui sont là. Je repère un papa avec qui discuter :
- Salut Big, bravo pour tes découvertes, Philippe m’a même proposé d’en détourner l’usage.
Il ne semble pas comprendre.
- Les antennes, leurs fonctions, leur piratage, tout ça.
- Ma petite princesse, les antennes n’existent plus. On en parle comme une métaphore. Ils ont trouvé bien mieux, une technologie qui nous dépasse mais qu’on commence à comprendre et à contrôler. Ceux qui ont mis ça en place ne sont plus là. Pour remplacer les antennes, ils ont envoyé un gros pistolet laser dans l’espace, il a tiré dans le noyau de cette planète pour créer une onde auto-alimentée et autonome avec à l’intérieur ce programme d’immortalité qui rayonne sur nous. Des autorités scientifiques anonymes ont un émetteur pour modifier ces ondes, rajouter des algorithmes de contrôle. Il se trouve que j’ai construit un émetteur pour la Résistance.
- Les pirates contre les sorciers pour décider de notre destin.
- On veille sur eux et sur nous, on veille sur vous.
- Et Greta dans tout ça ? Tu es toujours son astrophysicien ?
- Il regarde à droite et à gauche. Se rapproche pour être plus en privé.
- On doit tout à Greta et Alice. Et à tant d’autres avant. Et à tant d’autres après.
- Big, pourquoi je suis habilitée à savoir tout ça ?
- À cause de ceux d’après, Frances. Isa Love et Spencer. Ceux de la lignée. Notre lignée. La Résistance. Avec nos hôtes on s’aime, on se mélange et tout mais le jour où ça va merder chacun va vite choisir son camp et définir qui il est vraiment. Leur Révolution n’est pas terminée.
- Big, je pense que la Résistance ne fait qu’entretenir et provoquer la Révolution. Le pouvoir et sonn contre pouvoir, tous les ingrédients sont là pour que ça merde.
- D’où ton importance Frances. Tu es princesse.
- J’ai abdiqué, ce qui restait de la Couronne et de Castle 1 bis s’est dissout.
- Tu es toujours toi. Greta est toujours elle. Le jour où ça barde on fera appel à la Reine Frances, fille de la princesse Charlotte, mère de tes enfants avec Philippe. Je te vois dans un siècle ou deux avec la Couronne sur la tête et tu brandira la B4.
Il est complètement allumé mais il ne s’est jamais trompé. C’est pas une raison pour rentrer dans son délire. Quoi que… Je lui prend le bras et je lui dis :
- Professeur Big Bang je te fais Sir Bang. Je te convie à une Messe secrète dans les sous-sol de la Cathédrale. Tu recevras ton titre, ta chevalière, ton tatouage et le reste avec la bénédiction au sabre.
- Ce sera un honneur votre altesse.
Quand on s’en va je vois la phrase gravée au dessus de la porte. « Allez vers l’autre dans l’Amour ». Et si l’autre c’était moi ? Autre que Greta, Alice et j’en passe. Une autre qui mettra tout le monde d’accord. La Reine de la Planète C avec sa B4. C’est à quoi je pense en début de nuit alors que Philippe grommelle entre mes fesses.
psaume 20 verset 9 du Nouveau Testament (B2) :
Dieu sauve notre gracieuse Reine
Long vie à notre noble Reine
Dieu sauve la Reine !
Multipliant ses victoires,
Joyeuses et glorieuses,
Qu'elle règne longtemps sur nous,
Dieu sauve la Reine !
O seigneur Dieu viens,
Disperse nos ennemis,
Et fais-les tomber !
Confond leurs ruses de valets
Embrouille leurs politiques,
En toi nos espoirs nous fixons,
Dieu sauve la Reine !
Que les bienfaits du Seingneur soient connus
Pas uniquement dans ce pays
Mais de rivages à rivages !
Seigneur fais que la nation voit,
Que les hommes devraient être frères,
Et former une famille
ui couvre le monde entier
De tout ennemi caché,
Des coups des assassins,
Que Dieu sauve la Reine !
En plus de ses long bras fins,
Pour défendre l'intérêt des Britanniques,
Notre mère, prince et ami,
Dieu sauve la Reine !
Soyez heureux de déverser sur elle
Les plus précieux cadeaux
Puisse-t-elle régner longtemps !
Puisse-t-elle défendre nos lois,
Et nous donner toujours raison,
De chanteur avec coeur et voix,
Que dieu sauve la Reine !
Je suis réveillée par le bruit des vagues. Je suis nue, souillée, salie par les fluides de mon homme, le père de mes enfants à venir. Je le laisse dormir, je me lève et je passe sous les rayons du soleil pour passer à la salle d'eau. Je me plonge sous une douche tiède et je m'enduis de potions sensuelles. J'en sors vite pour m'occuper de mes cheveux, je les sèche, je les attache et j'enfile une robe blanche nacrée pour passer en cuisine préparer le brunch. Mon monolithe vibre mais je ne le regarde pas. J'ouvre le frigo pour prendre machinalement les jus de fruits et je regarde par la baie vitrée. Il y a une boule qui bouge sur la barrière de la terrasse. Je m’approche pour regarder. C’est un oiseau.
- Mon dieu ! Qui dit oiseau dit insecte. Zoé et son Arche…
Je m’adresse à Philippe que j’ai senti arriver derrière moi :
- C’est un rouge-gorge, il n’y en a qu’un seul par maison, c’est un solitaire et il lui faut un grand jardin.
J’approche doucement ma main de la télécommande des vitres. Elles disparaissent d’un coup et le vent entre dans la cuisine emportant avec lui les bruits de la mer. L’oiseau est toujours là. Il émet un cliquetis mécanique désagréable. Et ensuite des bruits stridents. Viens enfin une symphonie accélérée, comme une phrase codée qui raconte un secret. Philippe demande :
- Tu crois que c’est un vrai ? C’est peut-être un drone ou un truc du genre.
- C’est bien mal connaître ta fille. Elle est extraordinaire tu sais. Sur Terre, en plein chaos, c’était une vraie aventurière, elle était appréciée par toutes les sociétés secrètes. Avec Greta elles se sont trouvées et elles ont fait des choses tellement importantes, pour nous, pour vous, pour elles.
L’oiseau s’envole. J’espère qu’il reviendra. Je prends un petit sachet dans le tiroir et je vide son contenu sur la barrière. Ce sont des petites graines de fleurs. Philippe m’enlace par derrière et m’embrasse dans le cou, je mets mes mains sur ses bras qui couvrent mon ventre, je ferme les yeux et je sens l’océan qui souffle ses embruns.
- Philippe, hier le professeur Big Bang m’a révélé tant de choses, je n’arrête pas d’y penser.
- Frances, tu as un destin à accomplir. Tout doucement. On a l’éternité.
- Il me faut un château. Il nous faut un palais. Pour une fois je me sens en paix avec tout ça.
- Tant mieux. Tu es la garantie de notre civilisation.
- Pourquoi moi ? Pourquoi pas ma mère ou mon fils ? C’est à cause de Greta ? Elle est derrière tout ça encore une fois ?
- Non Frances. Tu as un atout en plus en toi, l’âme et le sang de ton arrière grand-mère.
- Je n’ai pas toujours eu son âme. C’est Aline qui me l’a confiée. Elle l’avait récupéré à sa mort. Ça a conditionné toute sa vie. Je vais, je dois être digne d’elles et de mon sang, de mon héritage et de tout l’Amour que ça représente. Je me sens prête Philippe, pour la première fois, dans tes bras, avec moi. Je vais avoir besoin de toi. Même si je ne te connais pas assez. Je ne sais pas vraiment qui tu es.
- J’ai grandi dans l’ombre de mon grand-frère. C’était un méchant. Je suis le gentil.
- Ça me va. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Mon grand-frère était un méchant lui aussi. Les aînés sont comme ça. Mon petit-frère, lui, était un gentil.
- Comment il s’appelait ?
- Comment ça ? Tu ne connais pas ta Reine ? Il s’appelait George, comme son oncle, comme le petit frère de Charlotte. Mon petit George, il était si beau, si calme, si pur. Il est mort dans mes bras. Ils sont tous morts, tous les garçons. Je pleure.
- Il n’est pas mort Frances, ton petit frère George. Il a juste disparu mais il est encore vivant en toi. C’est ça aussi l’Invisible.
- En moi ? D’accord. Si tu le permets, je voudrais qu’on appelle notre fils George. Et pour notre fille ?
- Ça me paraît évident et logique, tu ne vois pas ?
- Non. Dis-moi.
- Tu en es trop près pour le voir ou le savoir. Notre fille s’appelle Diana.
*
Au cocktail après la Messe, Greta est restée et elle me cherche pour parler. Elle est resplendissante, souriante et elle rayonne d’Amour :
- Bonjour Frances, il paraît que tu cherches un Palais, je te propose le mien.
- Greta, bonjour. Merci, c’est une excellence idée, un beau symbole, j’apprécie, j’accepte, c’est un honneur, le Palais Royal bis. Et après, es-tu prête à me succéder ?
- Je ne savais pas que j’étais sur la liste. Je crois plutôt que ta succession est en toi.
- Tu as toujours tes pouvoirs, n’est-ce pas ?
- Je crois que je n’en ai jamais eu. À part ceux qui m’ont été donnés juste après ma naissance par nos hôtes.
- Greta, je vais être Reine de ta planète C mais toi tu es le lien entre deux univers.
- C’est déjà bien trop pour moi.
- Greta, tu as toujours été ma meilleure ennemie.
Elle est surprise. Elle ne sait pas quoi répondre à ça.
- Frances, tu as toujours été la plus forte. Tu m’as souvent laissée gagner. Pourquoi ?
- Pour ne pas me perdre.
Je la laisse encore pensive, elle réfléchit à tous les sens de ma réponse. Je lui donne un exemple :
- Tu n’es pas la bonne personne pour mon fils mais tu le rends heureux. Et il te rend heureuse. Et ton bonheur est le sien aussi. On ne peut pas gagner contre ça.
Elle m’écoute avec attention comme si j’étais… et je repense à l’Ordre de la Maison Bleue quand on en sort, allez vers moi dans l’Amour. Je me demande si Greta entend mes pensées ? Je lui prends la main pour en être sûre. Je regarde ses beaux yeux en amandes, les fenêtres bleues foncées de son âme, un bleu qui m’inspire la chaleur, celle du bûcher de son ange blanche peut-être ? Non. C’est juste la chaleur de son cœur. J’en ai les larmes aux yeux. Je serre sa main. Elle ferme ses paupières, je crois qu’elle prie. Elle inspire profondément et elle expire pour rouvrir les yeux, son regard est apaisée, elle vient de lire en moi ? Je lui tends les bras, elle accepte, on s’étreint, je l’embrasse sur la joue où une larme coule.
*
Le mercredi soir au Village a lieu la Messe hebdomadaire dirigée par Sœur Adélaïde, Tim 504 et leurs enfants de cœur. C’est là que je prends la parole au pupitre. Greta est venue écouter. Tout le monde est là dans l’église en pierres qui laisse la Chapelle en bois libre pour les offices privés.
- Nous voilà à la croisée des chemins. Une nouvelle civilisation est née. Il n’y a plus de eux, il n’y a plus de nous. Il y a une seule et même Humanité, hybride d’elle-même, avec sa spiritualité et ses guides, avec ses révolutionnaires et ses résistants. Et puis il y a tous les autres. La B3 s’adresse aux autres. Mais il n’y a pas que la B3, il y en aura d’autres aussi, à chaque génération s’il le faut. Les autres. L’autre. Comme cette phrase inscrite au dessus de la porte de sortie de la Maison Bleue à l’Ouest. « Allez vers l’autre dans l’Amour. » Tel est le message de Sœur Nathalie pour ceux qui sortent de son refuge sacré avec sa piscine bénie, ses arbres occultes et ses repas de partage aussi. Mais ce n’est pas tout. Les coalitions de la Terre ont tenu à ramener aussi la Couronne, longtemps restée cantonnée à Castle 1 bis où elle a fini par se disperser. Mais elle ne s’est pas éteinte. Et les autres veulent y croire encore pour se rassembler autour d’une famille, symbolique, de nous toutes et tous. Moi, Frances, princesse héritière du trône, je vous propose de vous servir et vous représenter, au Palais Royal de Greta en attendant de trouver un autre château. Je suis là pour soutenir mes sujets dans la Foi et vous accompagner sur ce chemin qui est le nôtre et que la devise de Nathalie illustre. Que l’Amour soit avec nous et avec notre âme. Que l’Amour soit avec vous et avec vos âmes. Que je sois la garante de votre spiritualité dans le bonheur comme dans l’adversité. Pour l’éternité. Où nos enfants prendront le relais de leur destin et du nôtre. Allons-y ensemble, dans la paix. Merci.
Marwah enchaîne à l’orgue l’hymne britannique et tout le monde se met à chanter, sauf moi.
God save our gracious Queen,
Long live our noble Queen,
God save the Queen !
Send her victorious,
Happy and glorious,
Long to reign over us,
God save the Queen !
O lord God arise,
Scatter our enemies,
And make them fall !
Confound their knavish tricks,
Confuse their politics,
On you our hopes we fix,
God save the Queen !
Not in this land alone,
But be God's mercies known,
From shore to shore !
Lord make the nations see,
That men should brothers be,
And form one family,
The wide world over
From every latent foe,
De tout ennemi caché,
From the assassins blow,
God save the Queen !
Over her thin arm extend,
For Britain's sake defend,
Our mother, prince, and friend,
God save the Queen !
The choicest gifts in store,
On her be pleased to pour,
Long may she reign !
May she defend our laws,
And ever give us cause,
To sing with heart and voice,
God save the Queen !
On se retrouve à la Chapelle en comité restreint. Ma mère est là. Patrice officie. Marwah reste au fond et elle a juste une cloche sur laquelle elle tape toutes les cinq secondes. Il fait sombre. Je suis à genoux, j'entends des phrase en latin quand ma mère Charlotte me met sur la tête une très discrète Couronne qui s'apparente plus à un serre-tête, très pratique pour mes cheveux ondulés. Je pense que je vais tout le temps la garder.
Je ne voulais pas d'un couronnement ostentatoire dans la grande Cathédrale de l'Ouest. Cela aurait été une provocation brutale à leur civilisation. Le Village à majorité terrienne, ce fut l'idéal. Le couronnement dans la modeste Chapelle en bois est tout à fait dans l'esprit de la royauté modeste et discrète que je veux exercer.
Alice m'attend à la sortie. Elle me remet une petite sacoche. Il y a deux monolithes, un petit et un grand ainsi qu'un badge et des clés :
- En tant qu'autorité spirituelle, tu as maintenant ta place au Conseil de Sécurité, de l’Ouest.
Je suppose que je serai assise à côté de Greta. Nos destins sont liés à tout jamais.
Aurélie me demande de la suivre :
- Je suis en charge de t’amener à ton château. Ce n’est pas un Royaume, c’est juste une principauté. En fait le Vatican 2 s’était installé là et il te laisse une grande partie de leurs bâtiments. Les Sœurs Adélaïde et Nathalie y sont pour beaucoup. Moi, j’ai juste rajouté ma touche d’autonomie survivaliste.
On va vers le sud, vers la mer. On atterrit sur un superbe château qui surplombe une baie. Il y a un port en bas devant une petite ville moderne. C’est un petit paradis à l’échelle humaine. Si il y a des grands événements à célébrer, ce sera au nord, au Palais Royal bis de Greta. Mais ici, c’est parfaitement parfait pour élever nos enfants. Nathalie est là pour me guider. Je lui demande :
- Où est Philippe ?
- C’est ta journée Frances. Il voulait que tu prennes seule la mesure de ton titre. Je ne sais pas si il a encore le droit de voir. Tu veux toujours de lui ?
- C’est que… je me suis habitué à l’ancêtre. Il me manque, je voudrais partager tout ça avec lui. Je porte ses enfants. Je ne veux pas d’un autre prince charmant.
- Très bien. On va lui donner accès, le faire venir et vous laisser en intimité dès que la visite est terminée.
Le lendemain matin je me réveille. Je réalise ou je suis. Étendue dans mon lit, des vagues de plaisir parcourent tout mon corps. Je laisse échapper quelques gémissements. Philippe sort sa tête des draps et m’informe que :
- Tu n’as plus le même goût qu’avant.
- Maintenant je suis royale. Chevalier ? Quelle est ta mission ?
- Faire jouir la Reine matin et soir.
- C’est un bon début. Il était une fois…
- … Et ils eurent beaucoup d’enfants.
Entre les deux, c’est notre histoire. J’espère qu’elle ne va pas s’arrêter là. Qu’il y aura un après. Je somnole. Je rêve. C’est un cauchemar. Je fuis Windsor qui brûle, ceux qui ne meurt pas s’entre-tuent. On se dirige vers la tornade dans la nuit. Des lumières vertes et rouges clignotent. Et devant ce chaos se dresse un robot casqué, les bras en croix. Gabrielle, la fille d’Aurélie et Noël le fils d’Aline et Thomas. Gabrielle la mère de Yaël qu’elle a eu avec Djibril le fils de Marwah et du Père Simon. Gabrielle est centrale et elle m’a sauvée. Je la veux auprès de moi.
Tout ce que je dois faire apparaît dans mes rêves. Je suis connectée à l’Invisible. Que s’est-il passé ? J’ai juste reçu un serre tête en écoutant du latin. C’est ça ! Les incantation magiques de Patrice. Marwah m’en avait parlées. J’ai peut-être d’autres pouvoirs maintenant. Je teste. Je me concentre sur mon fils Spencer, l’héritier du trône. Je visualise. Je localise la maison d’amis de Greta. Ils sont dans la chambre. Il est sur elle. Il est en elle. Je ressens son Amour pour elle. Il l’aime tellement. Pourquoi ? Il la trouve belle, douce, tendre, mystique, magnétique, elle a un goût sucré. Je devrais peut-être arrêter… Elle lui parle. J’écoute :
- Spencer, tu es mon Roi, tu es en moi, je veux un peu de toi en moi, féconde-moi mon amour.
Il lui caresse le front, il embrasse sa bouche, il regarde ses beaux yeux bleus profonds, il embrasse son cou, il caresse ses seins, il regarde entre ses cuisses le va et vient en elle, il la regarde à nouveau, visage contre visage, il respire ce qu’elle expire et il explose de plaisir. C’est donc ça la jouissance masculine ? Si puissante. Si brève. S’en suit une sensation de vide et un changement d’humeur mais tout se détend et le sommeil l’envahit, il se laisse doucement partir en laissant sa semence s’imbiber en elle. Elle le serre fort, elle le cajole, elle lui dit des choses tellement gentilles, elle l’aime profondément. Pourquoi ? Parce qu’il est beau, parce qu’il est jeune, parce qu’elle aime ce qu’il est, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce qu’il fait, parce qu’il est un peu Gabriel, parce qu’il est beaucoup moi, parce qu’elle adore ce mélange, parce qu’il l’admire, parce qu’il la vénère, depuis longtemps de loin et maintenant de près pour toujours. Je me concentre sur leur rencontre. C’était à la Maison Bleue, il venait voir son père en cachette mais elle était là aussi. Ce n’était pas prévu. Elle lui a fait la bise, d’emblée et ils ont commencé à discuter, en privé. Chacun a été franc et sincère. Ils se sont beaucoup plus. Ça aurait pu en rester là mais c’est Spencer qui a fait le premier pas. Et elle l’a laissé venir à lui. Mais sans arrières pensées. En toute honnêteté. Il lui demande une faveur, un rendez-vous, pour mieux faire connaissance et elle accepte, tout de suite, ils s’enfuient ensemble au Village et c’est devant la Chapelle que ça s’est passé. Elle lui a pris la main. Il s’est laissé entraîner. C’est là qu’à tout commencé, dès leur première rencontre. Je les vois à la cascade l’un en face de l’autre s’avouer qu’ils se plaisent. Et ils rentrent faire l’amour. Mon bébé. Elle m’a pris mon bébé, elle a pris son cœur, mais elle l’aime plus que tout, plus que moi même. La Reine ne pourra jamais les séparer. Et ils sont en train de concrétiser leur union à jamais.
*
Au cocktail de la Messe de la Cathédrale, je la regarde à l’autre bout du jardin. Elle n’est qu’Amour et douceur au bras de mon Spencer. Je ne ressens plus aucun mauvais sentiment en les regardant. Elle se sent regardée. Elle cherche et elle me trouve du regard. J’ai l’impression qu’elle comprend, qu’elle me comprend. Elle me fait un petit sourire. Moi aussi, avec un sentiment d’approbation. Elle lâche Spencer, lui dit où elle va et vient vers moi. Je m’avance aussi vers elle. Quelques personnes commencent à nous regarder. Que va-t-il se passer ? Elle commence à tendre ses bras en marchant, moi aussi et on s’enlace et on se serre.
- Bonjour Greta, ton discours a été magnifique au pupitre, comme d’habitude. Je te trouve resplendissante, tu es belle dans cette robe légère et simple, tu rayonnes.
- Bonjour Frances, j’adore ton style aussi, on remarque à peine ta couronne dans tes cheveux bouclés, je te trouve magnifique, c’est pour bientôt les bébés, je te souhaite tous mes vœux de bonheur, tu m’as déjà tant donné, je te dois tout et tu es ma Reine.
J’en ai les larmes aux yeux. C’est tellement sincère.
- Merci Greta. On va les appeler George comme mon petit frère et Diana comme mon ange blanche.
- Quelle bonne idée. Comme une conjuration. C’est très bien pensé. C’est très bien trouvé.
- C’est Philippe qui a trouvé.
- Frances, je dois te demander, pour Spencer et moi, j’ai profondément envie de redevenir mère aussi.
- Greta, tu es déjà enceinte. Et tu as mon absolution. À condition de l’appeler Jeanne, comme ton ange blanche.
Je lui caresse la joue en lui dégageant le visage de ses cheveux. Elle me prend la main et appuie son visage et ferme les yeux en souriant. Elle garde ma main et m’entraîne de l’autre côté de la cour pour rejoindre Spencer et annoncer la bonne nouvelle. Je me sens si heureuse, entourée d’amour, en famille. Je me retourne pour faire signe à Philippe de nous rejoindre. Il vient et on discute tous ensemble, on rit, on s’embrasse, c’est le bonheur absolu. Je demande un verre d’eau que je bois d’une traite. Je pose ma main sur mon ventre. Spencer me propose une chaise mais je prends la main de Greta et je lui demande de m’accompagner aux toilettes. On se retrouve seules, face à face, à l’abri des regards. Je lui avoue :
- Tout à l’heure, au milieu de la cour, à la fin de notre conversation, j’avais envie de t’embrasser.
- Oui, moi aussi. On revient de loin.
- T’embrasser pour effacer toutes les mauvaises choses qu’on a vécues l’une contre l’autre.
- D’accord Frances.
Et elle m’embrasse sur la bouche. Je ferme les yeux. Je ressens comme un soulagement. J’ouvre les yeux, elle est là et elle me sourit. Je mets mes mains sur ses joues et je l’embrasse à mon tour. Plusieurs fois. On finit front contre front, les yeux fermés, on respire fort. Ça y est, on est amies. On se tient les mains. On serre fort. On partage notre énergie, notre Amour, mêmes nos âmes font la paix.
- Greta, je t’invite dans ma principauté. Je veux ma famille près de moi.
- D’accord Frances. Votre altesse. Mon amie. Ma Reine.
*
Gabrielle arrive au Château V. C’est son nom. Non pas que ce soit le cinquième, c’est juste qu’il s’agit du château du Vatican bis ou 2 comme ils préféraient s’appeler, comme la B2, autant dire qu’ils ont bientôt disparus. Djibril n’est pas venu. Leur couple n’a pas survécu.
- Mon double s’est mise avec un terrien.
- Oui le terrible professeur Bang.
- Je devrais peut-être regarder du côté de nos hôtes. Ton Philippe n’aurait personne à me présenter ?
- Il a plein d’amis ancêtres comme lui. Tu as encore tes pouvoirs, ça pourrait les impressionner.
- Ou leur faire peur. En plus je suis la mère de Yaël qui est souvent considérée comme un mauvais présage.
- Ils n’en sont plus à définir les gens par leur parents ou leurs enfants ici. C’est une chose à leur réapprendre même si tout ça a moins de sens dans l’immortalité des générations.
Je ma recroise après le cocktail, elle me fait son rapport :
- Il y a un as de la guerre, il pilotait des aéronefs, c’est pire qu’un robot, formé pour ça, il ne s’est jamais remis en question. L’autre c’est un politique trop cool pour son époque, ils l’ont déporté pendant une ou deux décennies. Et on Philippe il a fait quoi ?
- Je ne sais pas, des choses bien même si il était du côté du plus fort, son grand frère, un méchant qui a été liquidé par la Révolution.
- Je vois que tu as une piscine. On devrait mettre tous les jeunes dedans pour faire notre choix. C’est ce qui se fait à la Maison Bleue il paraît.
- Oui mais c’est les jeunes entre eux là-bas. Attends, regarde, Zoé a invité ses cousins, ce sont les fils de Pénélope et Valentine, les petites sœurs de Émilie Raymond, la mère de Victor et Victoria.
J’amène Gabrielle avec moi pour la présenter à un des cousins, ça va la faire rire. Il se présente :
- Bonjour je suis Ulysse, fils de Pénélope.
Gabrielle me regarde et lui répond :
- C’était pas plutôt ton père Ulysse ?
- Si, porté disparu pendant la neuvième, guerre. Je ne l’ai jamais connu. Mais j’ai hérité de son prénom.
- Enchantée, je suis Gabrielle, fille de Aurélie et Noël, le fils d’Aline, la double d’Alice.
Je reprends :
- Et si vous laissiez votre pedigree de côté ? Amusez-vous, allez vous jeter dans la piscine par exemple.
Je crois que je les ai effrayé. Il s’éloignent. Je me retourne et je vois une jolie petite dame me sourire. Elle a fait ses nattes. Ça dégage son petit visage rond. Elle est trop mignonne. Je vais lui faire la bise. Tout de suite mon humeur change. Je me sens si bien avec elle maintenant. On a presque plus besoin de parler. J’adore sa façon de me regarder en biais. Je lui prépare un cocktail, je sais ce qu’elle aime, épicé et très frais, mentholé. Elle rajoute du sucre. Beaucoup. Elle touche son ventre et me fait un clin d’œil. Elle me fascine. Spencer vient me faire la bise et repart avec elle pour la présenter à mon voisin, un archevêque très gentil et spirituel. Je les regarde s’éloigner. Elle n’ose pas se retourner mais elle me fait un signe de sa main, juste au dessus de ses fesses, elle fait le signe trois, son nombre fétiche.
Gabrielle vient me faire son rapport :
- Je lui ai dit que j’avais fait la guerre aussi, en hélico et j’ai fait bouger des trucs devant lui. Il est d’un calme. Je n’arrive pas à l’étonner ou à le choquer, à attirer son attention quoi.
- Doucement Gabrielle, je ne veux pas d’ennuis. C’est un Raymond quand même, on sait jamais.
Mais il revient à la charge. Il a dû se renseigner, il vient avec une information importante :
- Tu es la mère de Yaël ? Raconte-moi.
- Elle est déjà prise.
- Ce n’est pas ça, en fait, je suis médecin. Que s’est-il passé ? Comment est-ce arrivé ?
- La conception ? Je vous montre ? Non ? Bon… Son genre à géométrie variable, c’est une longue histoire, plus ésotérique que scientifique.
Les voilà partis s’installer sur des marches d’escalier pour discuter. Il est ferré. Elle va le bouffer tout cru.
Greta revient en riant :
- Je crois que j’ai réussi à semer Spencer.
- Il va vite te retrouver, tu irradies jusqu’à l’horizon, tu es comme une étoile qui nous guide.
- C’est toi l’étoile maintenant Frances. J’ai un petit présent pour toi.
Elle me donne une petite boite. Je l’ouvre. C’est un pendentif. Deux boucles reliées par une courbe et une droite. Elle m’explique :
- C’est une lettre majuscule cursive. Pour ce qui nous relie toi et moi.
- Spencer ? C’est un S ?
- Non, c’est un G comme Gabriel.
- Je le porterai en pensant à toi, au G comme Greta, sur mon cœur de Reine. Merci Greta.
Elle me regarde avec intensité, bienveillance, elle sait, elle sent que je suis sincère. Le revoilà, Spencer, avec Isa Love. Je range discrètement la boite dans mon sac à main royal où un F est brodé. Je dois trouver un F à offrir à Greta. Philippe nous rejoint, je m’accroche à lui. Yaël arrive aussi, en garçon. La famille est réunie.
Les invités s’installent et visitent. Certains vont rester plusieurs jours. J’aide Greta à s’habiller dans sa suite et je tresse une longue et unique natte pour y mettre au bout un élastique en tissus sur lequel j’ai cousu un F en argent. C’est beau, je suis fière du résultat. Elle me voit trépigner dans le miroir et elle regarde ce qui me met en joie. J’explique :
- Je l’ai récupéré sur ma couronne. Un morceau de moi, de ma royauté pour toi.
Elle ne sait pas quoi dire. Elle est ravie, touchée, émue, je la prends dans mes bras, elle m’embrasse :
- Merci ma Reine.
- Tu sens bon Greta, tellement. Et tu es si douce.
- Regarde, j’en fais des efforts ! Je mets des boucles d’oreilles. Je viens de les faire percer.
- Attends, je vais le faire.
Je lèche son lobe et je place la première. Elle rit. Ça chatouille. Je fais de même pour l’autre. Elle ferme les yeux, elle profite, j’y vais plus doucement. J’ai fini, elle ouvre les yeux, elle est contente, elle applaudie et annonce :
- Maintenant je m’occupe de toi.
Elle me coiffe, elle est comme une caresse autour de moi. Elle tourne, nos jambes se frôlent. Elle replace ma couronne et sourie en remarquant l’absence du F. Elle me prend les mains pour me lever :
- Ça y est, on est prêtes à rejoindre nos hommes.
Elle va pour retirer ses mains et je les retiens. Elle me regarde, étonnée, s’approche et m’embrasse sur la bouche. Passe derrière moi et me tape sur les fesses :
- Allez ! Hop ! On y va.
Le soir pendant qu’ils s’affairent sur nous, on pense l’une à l’autre. Je le sais. Je le sens. Dans l’Invisible. Je suis connectée.
Le lendemain matin, les journées de la Reine continuent. Il y a des jeux pour tous les goûts, même sur la plage de galets en bas. Je me dois de faire le tour pour me montrer, animer et participer un peu. À midi on se retrouve sur l’énorme place terrasse qui surplombe mon royaume pour une sorte de barbecue mais il y a beaucoup de salades composées, certes excellentes, au menu. Après le repas, c’est temps calme, la sieste. Je suis parvenue à m’isoler dans une tente sur un coin de pelouse à l’ombre du donjon. Je me mets à l’aise et je me pose dans le hamac. Je ne tarde pas à m’endormir. Je me réveille dans un rêve, je vois un beau visage doré aux yeux bleus, elle sourit, elle rayonne, c’est elle. Elle parvient à se mettre dans le hamac avec moi. Elle est tellement menue. Hypnotisées par nos balancements, on discute.
- Frances, tu l’aimes vraiment ton Philippe ?
- Non, il m’a donné un traitement qui annihile l’algorithme de l’Amour des antennes. Il est juste mon partenaire sexuel, mon compagnon. Et puis, il a vécu trop longtemps pour aimer vraiment à nouveau. La passion, c’est en début de vie, qu’il dit.
- Tu veux dire que tu n’es pas sous emprise et que tu ne me hais pas ?
- La frontière entre les deux…
- Tu veux dire qu’avec Spencer c’est artificiel ?
- Ça m’étonnerait. C’est mon fils. Et il est de ta lignée préférée.
- En attendant, Frances, je t’aime aussi.
- Moi aussi je t’aime Greta. Et je ne sais pas pourquoi. Ça ne vient pas de ma raison ni des antennes, ça vient juste de toi. Je suis sensible à ton rayonnement d’Amour. Et c’est pas sexuel, c’est pas familial, c’est au-delà. Tu es une gourou.
- Si j’étais une gourou ce serait sexuel.
On pouffe de rire. On est repérées. Nos hommes nous cherchent pour une sieste crapuleuse. Spencer m’enlève Greta pour aller dans leur suite. Philippe vient me voir, il est inquiet. Je le rassure. Mon ventre va bien.
- Qu’est ce que vous faisiez ?
- Des trucs de terriennes.
- Greta me fait un peu peur. Vous êtes si proches pour des ennemies historiques.
- J’ai fait une découverte importante sur elle. Grâce à toi. Sans ton traitement je ne l’aurais jamais su. Je crois qu’elle est une antenne d’Amour. Tu ne la ressens pas ?
- Non.
- Peut-être qu’il faut être à portée, dans son cercle d’intimité ? Peut-être que ça ne marche que sur les terriens ?
- Peut-être que vous vous aimez tout simplement, en dehors de toute influence ?
- Ou alors c’est autre chose, je ne sais pas. Elle a toujours été comme ça mais je n’y étais pas sensible avant.
- Alors c’est toi qui a changé Frances.
Je réfléchis. Peut-être que Nat a une explication. Elle sait dominer Greta. Je lui envoie une invitation. Elle m’appelle :
- Merci Frances, mais je suis coincée ici avec les bébés. Je ne peux pas m’en éloigner pour l’instant. Je leur donne le sein.
- Viens avec eux et avec Gabriel aussi. Une grande suite vous attend.
La voilà qui débarque. Je vais les accueillir. Quelle jolie petite famille ! On transfert les berceaux dans la suite. Gabriel reste avec eux. Nat rayonne. Et elle est un peu troublée :
- Ça faisait longtemps que je n’étais pas venu ici. J’avais mon bureau pas loin.
On y va. Elle s’installe à son bureau, regarde dans les tiroirs, retrouve des affaires. Je lui expose mes théories sur Greta. Elle me répond tout de suite :
- Elles sont toutes bonnes. C’est toujours comme ça avec Greta. Quand on essaie de la comprendre, on ne se trompe jamais. Je vais te donner une explication claire Frances : tu as la Foi. Quand on a la Foi, on ne peut pas résister à Greta. Et en tant que Reine, tu es la Foi aussi. Elle ne peut pas te résister non plus. Je crois qu’on est deux maintenant à pouvoir avoir le dessus sur elle.
- Et pour toi, c’est quoi l’explication ?
- Pour moi, je n’ai pas encore compris. Personne n’a pu m’expliquer. Même pas Elle. Peut-être que toi, tu sais. Et si c’est le cas, j’aimerais ne pas être au courant. J’ai le sentiment profond qu’il ne faut pas que je sache, que ça gâcherait tout. Je ne sais pas pourquoi. Tu vois, tu as en face de toi quelqu’une pleine de doutes qui ne sait pas vraiment tout et qui ne veut pas le savoir. J’ai mon Gabriel, nos enfants, ma Maison Bleue, je ne veux rien d’autre de plus. Les mystères ont une force qu’il faut préserver. Même si tu ne me dis rien et que tu sais, je ne veux pas savoir que tu sais. Toute ma vie j’ai voulu savoir. À chaque fois ça n’a jamais été bon. Heureux les simples d’esprit.
Ça y est. Je sais pourquoi et comment Greta est à son écoute. Et elle a raison, il ne faut pas que je lui dise. Avec cette démarche de ne plus vouloir savoir, elle voit mieux les choses et à chaque fois c’est bon. Elle est le genre de personne dont Greta a besoin. Parce que les Dieux ne savent pas tout, ils sont aveuglés par eux-mêmes, c’est là qu’intervient le rôle de … l’Apôtre : Nathalie.
*
Les journées de la Reine sont illimitées. Les invités repartent et d’autres reviennent. Mais certains s’installent définitivement. Je leur donne leur carte de résident de mon petit Royaume miniature. Comme Gabrielle et Ulysse, ils ne se sont plus quittés depuis leur première rencontre, ils sont même restés sur place.
Gabrielle me tient la main pendant l’opération. Mes bébés ne vont pas à la pouponnière de l’Hôpital. C’est une pouponnière royale qui s’installe ici. Ulysse a l’air de bien connaître le médecin.
- Il va me former pour pouvoir repartir à l’H. En attendant je peux m’occuper de la Reine mère.
Je suis entouré de bienveillance. George et Diana vont terminer leur croissance en couveuse.
Gabrielle me fait marcher dans le grand couloir, on fait des aller retour en discutant. Les fenêtres sont ouvertes sur l’air du grand large qui fait danser les rideaux.
- Comment ça se passe avec Ulysse ?
- Doucement. Il n’est pas assez entreprenant et je suis maladroite. On dirait deux adolescents qui se cherchent. Je trouve ça assez agréable. On veut bien faire. S’engager peut-être. Le fait de vivre ensemble au quotidien est une très belle façon de faire connaissance. On est plein d’attention l’un pour l’autre. C’est beau. On roucoule. Hier soir on plaisantait là-dessus, il m’a fait plein de câlins et de chatouilles pour me faire chanter comme un oiseau et puis ça s’est transformer en caresses et en gémissements et nos corps ont pris le relais de nos esprits en se mélangeant dans leurs fluides jusqu’à l’extase. C’était magique. Maintenant on parle moins et on se voit vraiment, nos regards l’un sur l’autre ont changé.
- Vous êtes devenu un couple.
- On a remis ça ce matin. Et cet après-midi on s’est donné rendez-vous dans les oubliettes. Il fait vibrer chaque cellule de mon corps. Je ne me suis jamais aussi sentie vivante.
- C’est un médecin.
- Un médecin d’ici, moi je suis une terrienne.
- C’est un bon médecin alors.
- Il va bien s’occuper de nous.
Elle me sourit. Je lui prend la main.
- Merci d’être là Gabrielle. Je te veux à mes côtés.
- Pourquoi moi ?
- Parce que tu m’as sauvé à Windsor. Tu es ce lien, ce repère dont j’ai besoin pour régner. Et tes pouvoirs, toute ta vie on t’a dit que c’était pour contenir Abigaëlle, ça s’est révélé faut. Je pense que c’est pour me protéger.
- Je ne suis pas juste la mère de Yaël alors. J’ai un autre destin, royal.
- Ma chevalière, dame Gabrielle, de l’ordre des Mages de l’Invisible.
*
Greta et Spencer s’installent dans une grande maison bourgeoise, pas très loin du port où ils ont un bateau à leur disposition également. Ils gardent aussi leur suite au Château. Ils sont bien mieux ici que dans la maison d’amis du Village. Je leur offre en principauté un écrin pour vivre leur amour, leur nouvelle vie.
L’après-midi elle vient me voir, on se retrouve dans sa suite pour boire le thé. Elle pose sa tasse et me prend les mains :
- Frances, je dois t’annoncer…
- Je vais être grand-mère. C’est merveilleux Greta, on sera vraiment de la même famille. Des enfants qui seront à la fois toi et moi, nous, avec Spencer et Gabriel. Sacré héritage.
Elle est heureuse. Elle pleure de bonheur. Je la prends dans mes bras. Je reçois sont émotion, je pleure aussi. On s’embrasse dans le cou, sur nos joues salées, sur la bouche et on rit. On reste collées, front contre front, les yeux fermés et je lui caresse doucement la nuque, je descends sur sa colonne vertébrale et je mets à plat mes mains sur le haut de ses fesses. Je cherche sa bouche, j’attrape ses lèvres, je trouve sa langue. On s’embrasse langoureusement. Ses mains remontent sur mes cuisses. Je les écarte. Elles m’en caresse l’intérieur. Sa bouche glisse sur mon cou puis entre mes seins. Elle descend. Je m’allonge sur le canapé et elle arrive au but, elle s’applique consciencieusement, je sens aussi ses doigts qui s’immiscent en moi, devant et derrière. Je laisse sortir des gémissements de plaisir, ça l’encourage. J’attrape ses nattes, je l’oriente, je suffoque. Elle remonte, je sens sa langue sur mes seins, je l’arrête :
- Attention Greta. J’ai du lait. Tu es enceinte. Je ne veux pas que ça pose problème pour tes bébés.
Elle réalise.
- Tu as raison Frances, je suis désolée.
- Ne le soit pas. Viens contre moi.
Je lui caresse la nuque, le dos, les reins, je mets mes doigts dans sa bouche et je redescends entre ses fesses pour m’aventurer doucement en restant en surface avant de les plonger en elle pour les ressortir accompagné d’un de ses râles. Elle se caresse aussi l’entre jambe, assez violemment, avec son autre main sur mon sein et sa bouche dans la mienne. Son goût, son odeur, sa chaleur, la douceur de sa peau, Greta est en moi, nous ne faisons qu’une et je l’accompagne en me caressant aussi, en cherchant son rythme, en ressentant son plaisir, on s’accorde ensemble pour atteindre l’extase et recommencer encore, l’après-midi est devant nous pour profiter de tout un bouquet d’orgasmes.
*
Soir et matin, pour finir et commencer la journée, Philippe me fait l’amour. Comme un animal. C’est bestial. Je commence à aimer ça. En pleine action je l’arrête pour le regarder, je reprends ma respiration pour pouvoir lui parler :
- Philippe, tu es vraiment bon. Tu es vraiment beau. On devrait arrêter le café et enrober tout ça d’amour, pour encore plus de plaisir.
- D’accord Frances. Au diable la Résistance. Succombons à la voie de tes parties.
Il me fait rire mais ça se transforme en cris quand il repart de plus belle. Je ne sais plus si c’est de la douleur ou du plaisir. Peu importe, les deux sont bien :
- Fais-moi mal mon amour !
Quelle vie ! Quel bonheur ! Depuis mon balcon privé, je regarde mon royaume ensoleillée qui brille devant l’océan. Mon existence éternelle est aussi un océan, d’Amour. Je tends mes bras face à se paysage et je cri :
- Je t’aime planète C !
Philippe arrive en terrasse avec le plateau du petit-déjeuner. Je m’installe à côté de lui pour être face à la vue. On dévore nos viennoiseries et on boit salement nos jus de fruits en rigolant comme des enfants. Pas de café. À la place je glisse ma main droite entre ses cuisses et je réveille la bête. Ma main gauche m’accompagne entre les miennes. Il me demande :
- Tu vas y arriver ?
- Pour toi, je ne sais pas. Pour moi, oui, je suis gauchère.
- Tous les jours je te découvre Frances, toujours plus belle et plus aimante. Tu es ma femme. Je suis ton homme.
- Je suis ta Reine, tu es mon maître.
Et on s’embrasse en s’agitant de plus en plus vite.
*
Nathalie va travailler juste à côté. Le Vatican 3 est né, il va faire la promotion de la B3 avec ceux qui l’ont écrite. Il me revient en tête ce signe intime que Greta m’a fait au dessus de ses fesses en s’éloignant avec mon fils. Trois, avec ses doigts. Son chiffre fétiche. Comme la troisième planète de notre race, sa planète C après la Terre et Mars. De toutes façons, tout me ramène à Greta. J’ai beau avoir un royaume, être reine, un homme, des enfants et j’en passe, quand elle est là, près de moi, plus rien ni personne ne compte, même pas moi, seulement elle, absolue, infinie dans son Amour.
Elle nous invite dans sa nouvelle maison avec vue sur le port. Pendant que Philippe explique je ne sais quoi à Spencer, on s’éclipse dans le jardin. Elle me prend par la main et on court pieds nus dans l’herbe en riant pour aller se cacher derrière les arbres. Elle me plaque contre un tronc et vérifie derrière moi que personne n’est là, ensuite elle me regarde avec beaux yeux bleus profonds qu’elle ferme lentement, je l’imite et je sens ses lèvres sur les miennes et sa main dans ma culotte.
- Ma Reine, je veux te faire jouir.
- Pas ici Greta, seulement dans notre suite.
- Ça va être long d’attendre.
- Ça en sera d’autant plus bon.
Il faut mettre des barrières aux dieux.
De retour au château, Nathalie m’attend, les bras croisés.
- Tout va bien avec Greta ?
- On est les meilleures amies du monde.
- Tant mieux. Elle m’a parlé de toi. En bien. Tu deviens importante pour elle. Pour de nombreuses raisons. Frances, tu peux compter sur moi aussi.
- Merci Nat. J’ai fait venir Gabrielle aussi.
- Je ne serai pas toujours là bien-sûr. J’ai mon royaume à moi, ma Maison Bleue, mon Gabriel et nos enfants.
- Tu en as déjà tellement fait. Tu as changé le destin de notre civilisation, en bien, en mieux.
- On le fait toutes, Frances. Chacune a son rôle à jouer. Il n’y a pas de personnage secondaire dans notre Histoire. Tu as les bons repère pour ton Royaume, ça va être une formidable aventure.
*
Avec Greta on prévient nos proches qu’on s’absente pour une journée pour des raisons personnelles. Ils croient qu’on a besoin de se retrouver seules pour faire le point maintenant qu’on fait partie de la même famille avec les enfants que Greta porte en elle. On arrive à échapper à tout le monde et on prend discrètement le bateau de Greta pour une petite croisière privée. Sur le pont on bronze, on se détend, on arrête le yatch pour plonger et nager. En cabine, à l’abri, tout devient vite plus intime. Entre deux galipettes, on parle, sérieusement. Nos petits jeux resteront entre nous. On tient à nos hommes, moi encore plus qu’elle et pour cause, je suis doublement impliquée.
- Greta, je serai toujours là pour toi, d’une façon ou d’une autre.
- Frances, j’ai encore tellement d’amour à partager avec toi, d’une façon ou d’une autre.
- Sans perdre les nôtres.
- Sans se compromettre.
- À notre Amour intime sacré.
- Tu viens de trouver le nom de ma fille avec chaque première lettre de ton incantation.
- Anaïs ?
Je descends embrasser son ventre, et le reste. La nuit tombe sur notre sommeil. Au matin on sort tester les voiles. Tout se passe bien. On rentre saines et sauves. Plein de choses auraient pu mal tourner mais tout est allé pour le mieux. Ça nous donne confiance et force, ça sécurise et pérennise notre relation secrète. On peut continuer à célébrer tout l’Amour qui nous traverse.
*
Au fond de l’oubliette je rentre en méditation, j’interroge l’Invisible qui voit dans le passé, le présent et l’avenir. L’Amour est si prolifique et puissant qu’il déborde des couples. On est pas les seules à avoir une relation secrète. Il y a celles qui ne se sont jamais arrêtées et qui ne s’arrêteront jamais comme Simone et Gabriel. Il y a celles qui ont toujours été secrètes comme Aurélie et Marwah, comme Victor et Victoria. Il y a celles où juste une personne est au courant comme Pauline qui sait pour Hélène et Valentin. Et il y a celles comme la nôtre où l’avenir dit qu’elle restera notre jardin sacré et secret comme Alice et Aline, comme Greta et moi où toutes et tous vivent heureux dans la clandestinité de l’Amour où tant de couples illégitimes se croisent pour exprimer leur passion bestiale d’un jour ou d’un an ou pour l’éternité, autant de mondes parallèles et cachés que seuls les auteurs des faits peuvent connaître.
Je remonte à la surface, au jour, au soleil de ma suite de travail ou Philippe m’attend pour m’embrasser et me câliner. Il se remplit d’Amour aussi.
- Tu es allé interrogé les esprits, ma Reine amour ?
- Même l’Invisible semble sensible aux antennes, il y a de l’Amour partout, tout le temps.
On passe sur le balcon, je dois faire des exercices de respiration pour finir de remonter à la surface de ma conscience. On s’installe sur une petite table sous un parasol. La vie est douce de ne rien avoir à faire et d’avoir le temps de s’ennuyer. On se tient la main et on regarde la ligne d’horizon où le ciel se confond avec la mer qu’on voit danser le long des golfes clairs dans des reflets d’argent.
*
Cérémonie non protocolaire à mon bureau ou je remets en comité restreint la médaille de la Principauté du CV2 à Aurélie pour tout le travail accompli sur les serres, les caves, les animaux et toute la chaîne alimentaire jusqu’à l’approvisionnement en eau et en énergie pour mon petit royaume autonome. On nous laisse discuter ensuite en privé.
- Aurélie, regarde derrière, il est gravé le numéro 1 car c’est la première médaille décernée par la Reine, il était logique qu’elle te revienne à toi, plus qu’à Adélaïde et Nathalie qui pourtant sont à l’origine de la réquisition des lieux mais ce n’est rien par rapport au savoir faire et au travail que tu y a apporté en un temps record. Merci Aurélie, tu es la meilleure, je peux t’embrasser ?
Je la serre dans mes bras et je lui fais la bise, assez près de ses lèvres pour qu’elle le remarque et me lance un regard amusé.
- Aurélie, la médaille s’accompagne d’un bureau où tu peux venir surveiller ton travail quand tu veux, il y a aussi un appartement de fonction ne dehors du château ainsi qu’une maison côté plage pour venir se détendre à l’occasion avec un bateau garé dans le port également. Voici aussi la carte de suzeraine d’honneur dont la liste des droits est inscrite derrière.
Je la serre à nouveau dans mes bras, plus longtemps, j’attends qu’elle se dégage mais elle ne le fait pas. Je l’embrasse alors tout doucement dans le cou. Elle fait de même. Nos joues glissent l’une contre l’autre, nos lèvres s’effleurent et on se regarde. Elle a l’air gênée, intriquée mais curieuse aussi et audacieuse. Elle me fait un bisou sur la bouche.
- Merci, ma Reine.
Je descends mes mains le long de son corps, elle fait de même avec le regard bas et la bouche entre ouverte, je vois son cou rougir dans lequel se répercute les battements de son cœur. On prend notre temps. Nos mains et nos doigts se cherchent. J’appuie ma poitrine contre la sienne, nos lèvres se cherchent, se trouvent, on se lèche la bouche et je l’entraîne vers une porte secrète qui donne sur une petite chambre avec un lit carré très près du sol. Dans la lumière chaude et tamisée, on enlève sensuellement nos vêtements et une fois nue je la pousse sur le lit pour la suivre et m’échouer en elle dans un festival de caresses humides et chaudes. À l’horizontale je suis sa sujette à l’orgasme, en dehors des classiques je découvre son territoire sensible sous la plante des pieds et dans le creux du genoux, elle aime aussi que je lui mordille la nuque, j’explore et je titille chaque partie de son corps, j’ai même lécher ses yeux, elle a partout sur elle mon odeur et mes fluides et je la termine en de profonds massages qui la font râler de plaisir. Je tire les rideaux et j’ouvre la porte-fenêtre pour laisser entrer l’air du large pour nous sécher. Je bois de l’eau pétillante que je recrache dans sa bouche pour la désaltérer, elle me boit encore et encore. Ensuite pour la remettre de ses émotions je nous allume une cigarette d’herbe qui nous réveille et nous détend de toutes les torsions infligées à nos corps. Derrière la fumée elle cherche ma main et mon regard pour me dire :
- C’est le plus beau des remerciements que j’ai eu de toute ma vie. La prochaine fois, c’est à moi de te remercier.
Je lui caresse doucement la joue, elle ferme les yeux et je lui réponds :
- Aurélie, c’est où tu veux et quand tu veux pour se donner et recevoir de l’Amour.
Si je ne l’avais pas vue dans l’Invisible avec Marwah, si je n’avais pas ressentie son ouverture d’esprit et sa disponibilité, jamais je ne me serais permise de l’envisager ainsi. Son histoire personnelle sexuelle est chaotique, je n’en ai pas vu le début mais j’ai senti qu’il y avait à combler, à effacer, à sublimer, en respectant qui elle et ce qu’elle est, un peu passive mais tellement réceptive. Elle commence à trouver l’équilibre, elle progresse, elle a trouvé son homme à dominer, ça la reconstruit et Marwah n’est pas sa première aventure féminine.
J’enchaîne avec ma première à moi, Greta, avec qui je partageais Gabriel, que Nathalie lui a pris. On se retrouve dans son atelier caché dans les hauteurs derrière le château. Un endroit isolé au calme où notre intimité peut s’exprimer. Cette fois-ci c’est elle qui m’entreprend et elle m’amène vite au paroxysme du plaisir au point de m’évanouir. Je suis réveillée par ses caresses et ses bisous sur mon épaule. Je me retourne pour répondre à ses demandes, je la sonde avec mes doigts, je ma goûte avec ma langue, elle sent le lait des bébés à venir. On a vraiment eu de la chance de pouvoir se voir tous les jours. Notre existence au Royaume n’est fait que de plaisir et d’Amour. Le matin et le soir avec nos hommes. Entre les deux ensemble elle est moi.
- Greta tu es mon paradis au paradis. Je te veux chaque jour de ma vie. J’ai Foi en ton Amour. Je suis ta Reine. Tu es ma maîtresse interdite.
Je continue de l’honorer dès que ma bouche est libre. Ça me permet de respirer, de la respirer, de l’essouffler jusqu’à la faire crier. Ensuite on a notre rituel. On se lave, on s’habille, on se coiffe l’une l’autre et au final je fais sa natte à ma petite poupée d’Amour que j’embrasse tendrement sur la bouche pour lui dire au revoir et à demain.
*
J’ai donné rendez-vous à ma Chevalière à la Brasserie Royale.
Gabrielle arrive en boitant bizarrement. Elle m’explique :
- Il m’a défoncée.
- Le timide maladroit ?
- Ça leur fait de l’effet par derrière.
- Il a visé trop haut.
On éclate de rire.
- Frances, tu es sûre que tu as besoin de moi ? Tu as des pouvoirs toi aussi maintenant.
- Rien à voir avec les tiens, je ne sais pas arrêter le temps.
- C’est ça que j’aurais du faire. Sur lui. Pour le replacer. Bonne idée.
On nous amène nos plats. En regardant l’assiette, Gabrielle devient toute pâle. Elle prend vite sa serviette et commence à vomir dedans.
- Déjà ? Il faut vite trouver des prénoms.
- Excuse moi.
Elle prend un peu d’eau pour se rincer la bouche. Et reprend :
- J’ai choisi Luisa pour la fille.
- Vraiment ? Félicitations. Quel bonheur ! Comment tu te sens ?
- Nauséeuse, euphorique, pleine de vie, fatiguée.
- Et sinon, avec ton double, est-ce que tu as des contacts ?
- Pour quoi faire ? On est tellement différentes. On a pas évolué de la même façon. Sandrine est d’accord avec moi. L’enquête S est close depuis longtemps, il faut passer à autre chose. C’était quoi les conclusions déjà ? Tu vois, on s’en fiche en fait. C’est juste Dieu qui manque d’imagination. Il a fait l’homme à son image.
- Sauf que Dieu est une femme, il a fait la femme à son image. Tu as remarqué qu’il n’y a pas de double masculin ?
Gabrielle revomit. Je me lève pour l’aider. Dès que je la touche, ça va mieux, elle me dit :
- Tu vois que tu as des pouvoirs. Sur les gens qui vont mal et ils vont mieux. Quand tu les touches.
- Arrête ton baratin. Une douche et au lit. Le sommeil est le meilleur remède. Mais il faut que tu manges aussi pour prendre des forces. Je vais te préparer quelque chose. Je te ramène à tes appartements.
Je lui parle tout du long. Une fois arrivées, je m’occupe d’elle. Ulysse arrive, pas la peine de lui donner des consignes, il prend le relais, je lui rends jute compte de ce que je lui ai fait. Ma pauvre petite chevalière…
*
En rentrant je tombe sur un Philippe en transe qui me saute dessus. Il me secoue dans tous les sens avant de me jeter sur le lit. Il est où le café ? Il a déchiré ma robe pour pouvoir passer. Avec une telle vigueur, ce serait étonnant qu’il n’aille pas voir ailleurs. Je m’approche de lui :
- Philippe ?
- Désolé. Ce doit être le contrecoup du café. Notre sensibilité aux antennes est mal dosée. Et toi, de ton côté ?
- Je suis une femme Philippe. Une terrienne en plus. On sait se contrôler.
Tu parles… il ne m’a pas vue avec Aurélie et Greta.
On suit le protocole. On signale l’incident sur les réseaux. Nous ne sommes pas un cas isolé. Il y a un problème sur les antennes ? On le signale aux hackers de la Résistance. Ils vont réajuster avec un algorithme ou deux. La machine s’est emballée.
Tout rentre dans l’ordre. Philippe me demande d’inviter le Professeur Bang et sa famille pour qu’il puisse nous faire son rapport de vive voix :
- Il a une famille ?
- Oui, une fille et un garçon, avec Gaby.
- Gaby… excellente idée. On va prétexter une rencontre de doubles, avec Gabrielle.
Il débarquent avec deux berceaux. Big a l’air très à l’aise avec tout ça, plus que Gaby qui en a déjà eu trois pourtant. Qu’est ce qu’elle lui ressemble quand même, mais elle a l’air plus vieille.
- Gabrielle est un peu souffrante, elle passera plus tard.
- Est-ce que je peux la voir avant ?
- Bien-sûr Gaby, je comprends. Je vais vous accompagner chez elle.
- Je peux garder ma fille avec moi ?
Big garde le garçon et passe au Bar avec Philippe. En guidant Gaby dans les couloirs je lui sors mes phrases protocolaires habituelles. Elle reste pourtant très attentive à chacun de mes mots. C’est une rens. Peut-être qu’elle y cherche un code ? Je lui dis d’attendre et je m’annonce à Ulysse.
- Est-ce qu’on pourrait les laisser seules ?
Il regarde Gaby, recule un peu d’étonnement et comprend la situation. Je le ramène avec moi au Bar et je le présente à Big qui réfléchit un instant pour ajuster son rapport ou non en sa présence. Je lui fais signe que c’est OK. On s’installe. Il commence :
- En fait on a rie fait du tout. On allait ajuster les logarithmes lorsque les courbes sont revenues à la normale. On pense qu’ils l’ont fait avant nous ou alors que c’est automatique. Mais pour l’instant aucun signe de compromission. À savoir que les effets se sont faits ressentir seulement sur les personnes qui avaient suivi le traitement au café. Par chance, je ne l’ai jamais pris. Désolé pour vous. Ma Reine, je vous présente ma démission.
- Tu vas plutôt repartir avec une promotion. On ne sait pas tout ce qui s’est passé mais tu es le seul à pouvoir nous expliquer ces phénomènes.
- Je peux aussi vous dire que en face, nos adversaires, ils ne sont pas agressifs du tout, sinon on serait déjà tous pendus.
- Ils subissent aussi les effets de l’Amour.
*
Gabrielle me raconte :
- En fait on a pas beaucoup parlé, on a fait que rire et pleurer en se tenant les mains. C’est comme si on se retrouvait après s’être quittées depuis mille ans. Elle m’a montré sa fille, Athéna. Et elle s’est excusée. Elle avait refusée de me rencontrer après l’enquête S. Elle regrette déjà. Mais elle avait ses raisons. Il faut laisser le temps au temps. On a le temps. Notre seul repère du temps qui passe, ce sont nos enfants qui eux-même vont s’arrêter de vieillir. Tu as remarqué qu’elle est paraît plus vieille que nous ?
Je n’arrive pas à l’arrêter. Elle va mieux.
En remontant à mon bureau j’ai une visite surprise : Aurélie. À son regard je comprends tout de suite. Est-ce que ça sera aussi intense sans ce problème d’antenne ? Mais en fait elle vient juste chercher un peu d’affection. On passe sur le balcon regarder l’horizon. On se tient debout face au paysage. Je suis à sa droite. Nos mains se frôlent et se mêlent. On entrelace nos doigts. Elle pose sa main gauche sur la balustrade. Je fais de même avec la droite. On se regarde et on se fait un petit bisou sur la bouche. Puis un deuxième, puis…
Aurélie repart, comme au ralenti, assouvie. Je referme doucement la porte et je me regarde dans le miroir pour ajuster ma coiffure. Ce fut tellement plus doux. Mais tout aussi intense. Je pense déjà à Greta que je vais voir cet après-midi, j’espère que ce sera aussi mieux avec elle.
On se retrouve à la piscine intérieure du CV2, elle est comme creusée dans la pierre sous un toit voûté parsemé de puits de lumière naturelle. On est seules, on est nues, je sens qu’on va vivre quelque chose de particulier. Elle s’approche de moi et me lèche les yeux pour me mettre des lentilles. On rentre ensuite doucement dans l’eau fraîche.
- Greta, même mouillée ta peau est douce. Tu es magique.
- Frances, à trois on plonge s’asseoir au fond. Un.
Elle m’embrasse sur la bouche.
- Deux.
Elle me prend les mains.
- Trois !
On prend notre respiration est on plonge en tourbillonnant l’une dans l’autre jusqu’à se poser. On se regarde, on se caresse, on s’embrasse et on remonte à la surface.faire la planche sur le dos en faisant des exercices de respiration les yeux fermés pour replonger et ainsi de suite. On n’ouvre les yeux que sous l’eau. À chaque fois elle me paraît plus belle. À la douzième remontée je l’entraîne vers un bord où il y a des escaliers qui remonte. Je sors de l’eau en la portant dans mes bras. Je la pose délicatement sur un transat. Elle se tortille de désir. J’assouvis sa soif d’Amour.
Et la journée se termine à quatre pattes sous les secousses de Philippe que j’encourage :
- Allez ! Tape dans le fond ! Je suis ta Reine !
En fait, non, je suis juste la Reine des terriens. Il s’arrête, je sens sa bave couler sur mon dos. Ça lui va, ça me va. Je me dégage et je me retourne pour aller lui faire un câlin pendant qu’il voit encore des étoiles et je lui dit des mots gentils :
- J’aime sentir ton gros soleil dans ma Lune. Mon homme à moi, mon homme en moi.
C’est ainsi que se termine ma journée de Reine qui recommencera demain où je le réveillerai en le chevauchant à l’heure où son désir se réveille avant lui pour boucler la boucle de l’Amour.
***
Brigitte
Je regarde le planning des vols. Que des trucs chiants. Pas de quoi éveiller les passions de mes élèves. Ils sont si jeunes, si beaux, si innocents. Je me rappelle à leur âge j’étais normal aussi, avec mon premier petit copain Erwan Graham, mais on l'appellait plutôt par son nom de famille comme il était de tradition dans le clan des techniciens de Russell. Il est à Western Technologie, il s’est trouvé une jolie blonde, ils sont grands parents maintenant. Dire que je l’ai largué pour Izzy. Il paraît qu’il est à la réception de la mairie ce soir. Je vais aller voir. Je me sens un peu seule depuis que maman est partie d’installer au Royaume. Big me manque aussi. Laguna City se meurt. J’aime cette période de ma vie. J’ai réussi à me sortir de la Maison Bleue, ma fille Sabine s’est trouvé son R-1 et je peux enfin faire le point, depuis le début. Je me prépare, je suis super belle, on dirait une fille, je suis à tomber. Je vais lui en mettre plein la vue au Graham.
Mais je ne le vois pas dans la grande salle. J’arrête de le chercher car je risque de redire bonjour à certaines personnes si je traverse une troisième fois la salle. Sur la scène il y a Alice. En coulisse Victor installe quelqu’un sur une chaise à l’écart. Bordel ! C’est Adrien. Il a pas l’air d’aller bien. Je n’ai jamais su comment ça s’était vraiment terminé avec Greta. Elle l’a sorti du coma pour le faire baigner dans son Amour et après elle a zappé sur Spencer. Je me glisse en coulisse et je m’approche d’Adrien. Je lui tape sur l’épaule. Il n’a pas l’air de me reconnaître. Normal, je suis belle aujourd’hui. Je le prends par la main et je le sors de là, on va dehors sur l’esplanade.
- Adrien, t’as l’air complètement à l’ouest. Je pensais que Greta t’avais guéri. C’est moi ! Bri. Brigitte maintenant. La Maison Bleue, je traînais avec Nat, je faisais des cochonneries avec… Je suis la fille de Gaby. Non ?
- Greta. Elle m’a réveillé. Puis elle a disparu.
- Vous vous aimiez.
- Effacé.
- Franchement Adrien, quel merdier. Ma famille est partie s’installer là-bas aussi, en principauté. Tu veux que je te dise ? Il y en a que pour les terriens. L’histoire, notre propre civilisation, commence à nous oublier. Tu as les parents qu’il faut, je vais te remettre en forme et on va éveiller les foules.
- Mes parents, ils ont Carla, ma sœur. Elle est déjà à la tête de Laguna Beach. C’est de son ressort à elle. Moi je n’ai rien fait de ma vie.
Bordel. Quel gâchis. Mais bon, c’est la vie.
- Te prends pas la tête Adrien. Allez viens, on rentre. On va danser, on va se montrer et après je te ramène chez moi. Mon premier petit ami n’est pas là. Je ne veux pas rentrer seule. En plus tu es libre. Je suis peut-être assez bien pour toi finalement. Ils t’ont mis Greta dans les pattes, ils ont visé trop haut. Toi et moi on va écrire la fin de notre civilisation.
Il danse bien le con. Victor ne tarde pas à venir voir mais il reste à distance, je lui fais un clin d’œil, genre je m’occupe de lui, il acquiesce de la tête, genre, OK, merci.
Alors qu’Adrien va me chercher une boisson, il approche pour me parler, je le coupe :
- Je vous le ramène demain, ou pas. Je reste avec lui ne vous inquiétez pas. Je m’en occupe. On s’est connus à la Maison Bleue.
Mon baratin l’a convaincu. Adrien revient avec un verre et deux pailles. On trouve un table pour s’asseoir et on se désaltère.
- Qu’est ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Déjà, te réveiller.
On descend à vélo jusqu’à la plage, à fond, la nuit augmente notre impression de vitesse, j’allume plein feux, je cri, lui aussi. Mais finalement on arrive tout doucement et je me gare prudemment. J’attache mes chaussures au guidon et je le fais descendre. On prend les escaliers pour descendre sur la plage. Je le prends par la main et on marche. Je commence à lui parler.
- Tu vois, cette plage interminable, elle est comme le temps qui nous reste. Et les étoiles là-haut, on a plus rien à y faire. Tout se passe ici, maintenant, entre toi et moi. On marche sur le sable, vers le nord. Rappelle toi de cette direction. C’est un repère. Viens, on s’assoit. Attends, je mets mon gilet par terre.
Je me mets face à lui. Je le vois à peine. Je lui parle dans le noir.
- Qu’est ce qu’ils ont bien pu te faire pour te mettre dans un état pareil ? Il a fallu Greta pour te sortir de ta torpeur. Je te retrouve dans un état moyen. Ils ont vraiment du te mettre la pression. C’était quoi le plan ? Venger ton grand-père ? Faire une contre-révolution ? Raconte.
- Je ne me souviens plus vraiment, de Greta, pas du tout, de toi.
- Et bien je pense que ça suffit ces conneries. On ne sortira pas de cette plage tant que tu n’iras pas bien. Heureusement, j’ai ce qu’il faut dans mon sac.
Je sors une tige blanche et un faux stylo qui en allume un bout.
- Ouvre la bouche et inspire quand je te touche… l’épaule.
J’aspire un peu de fumée et je m’approche pour lui souffler doucement dans la bouche en posant ma main sur lui. Il tousse. On recommence. Jusqu’au bout. Il est dans un état. Il rigole. Le pauvre. Il faut que je le ramène. J’ai une idée. J’enlève mes vêtements et les siens aussi. J’arrive à le mettre debout et on s’avance vers l’océan. Il est calme. À cet endroit ce n’est pas profond. On s’avance dans l’eau, jusqu’aux genoux et plus. Je lui prend le visage. Il ne rit plus. Il a l’air d’être attentif. Je luis dis :
- Adrien, par cette onction, je te baptise.
Je lui fait un croche-pied et je le jette dans l’eau. Il se rattrape à moi, je le relève. Il est tout étonné. J’attends qu’il reprenne son souffle. Et là, je l’embrasse. Un petit bisou sur la bouche.
- Comme l’indique la B3, je suis maintenant ta marraine.
On sort de l’eau. Je remets tant bien que mal ma robe. Il se rhabille tout seul. Il y a déjà du progrès. On se prend la main et on retourne vers l’escalier. On remonte vers le vélo. Il s’installe à l’arrière. J’active le mode batterie pour remonter jusqu’à Laguna City. À fond. Et on cri à tue-tête comme des animaux de l’Arche qu’on égorge entre deux fous-rires. Une fois arrivés, je pose le vélo sur son chargeur et on rentre dans ma maison. J’enlève tous ses vêtements et je le mets sous une douche tiède. Je lui fais un shampooing en chantonnant un chant de messe. Je le rince, je l’essuie et je le mets au lit. À mon tour. Quand j’arrive dans le lit il dort. Je ne tarde pas non plus à sombrer.
Les rayons du soleil me réveille. Je suis bien au chaud contre lui. Lui ? Ah oui, Adrien. Je sors doucement du lit et l’enfile une nuisette pour aller préparer le petit-déjeuner. Je fais un peu de bruit pour l’attirer à la cuisine. Il est vivant ? Oui, le voilà, il a trouvé un vieux short. Il me voit. Il a l’air de me reconnaître. Je lui précise :
- Bonjour Adrien. Je suis Brigitte. On s’est rencontré à la réception de la ville hier soir. On est allé sur la plage et ensuite on est rentré chez moi. Je travaille à l’Agence, spatiale. On s’était déjà rencontré quand tu étais avec Greta, à la Maison Bleue de Nat et Gabriel.
- Brigitte. Tu m’as baptisé. Tu m’as lavé. On a dormi ensemble.
- Ouais. Tu es fort, mec. Parce que tu n’es pas du tout mon genre.
Il s’assoit en face de moi et on boit, on mange. On se regarde en silence. Il a de la confiture sur le bord de la lèvre. J’hésite puis je me décide, je lui enlève avec le doigt. Surpris, il me prend la main puis il regarde mon doigt et comprend. Il me lèche le doigt et me lâche la main avant de me regarder droit dans les yeux. Je suis surprise, je lui souris et là je vois dans son regard comme un éveil. Il est sorti du tunnel. Il est là. Il me sourit aussi. Il lève son doigt comme si il avait une idée. Il prend le broc d’eau glacée, il le met au dessus de sa tête et il se le vide dessus. Je me lève et je recule pour éviter les éclaboussures.
- Brigitte, j’ai un moment de lucidité, je peux répondre à tes questions.
- Mon Dieu ! Euh… justement, est-ce que Dieu existe ?
- Oui, c’est Greta.
- C’est regrettable, ha ha ! Bon. Pourquoi tu es dans cet état mental dégradé ?
- Mon grand-père voulait que je reprenne le relais de son délire, il a fait des expériences sur moi pour me donner des pouvoirs. Ça a mal tourné. Ils m’ont réparé comme ils ont pu. Avant c’était bien pire que ça.
- Quelle est la solution ?
- Greta, elle sait me réparer. Mais elle voit en moi une menace. Alors elle n’est pas allée jusqu’au bout.
- Qu’est ce que tu penses de moi ?
- Tu es une gentille dame déprimée au bout de sa vie, en mal d’Amour.
- Dur… Est-ce que je te plais ?
- J’aime bien les grandes brunes maigres et athlétiques comme toi. J’ai bien ton genre androgyne, ta coiffure et ton visage est beau, très féminin. Tu as une personnalité bienveillante, tu es audacieuse, avec toi on ne s’ennuie pas et même dans les moments calmes je me sens bien et en sécurité avec toi.
Je m’approche de lui et je l’embrasse.
- On va y arriver Adrien. Je vais te sortir de là.
*
J’obtiens l’autorisation pour atterrir dans le port de la principauté. Je termine à pied. Le climat est agréable, il y a du vent, du soleil, il ne fait pas trop chaud. Des panneaux m’indiquent la direction. J’arrive devant une grande grille. Un dernier message : « Bienvenue Brigitte, Greta vous attend. » Une porte s’ouvre, j’entre dans la cour. Sur le perron apparaît Greta. On se fait la bise et on entre. Je la suis dans un petit bureau au rez-de-chaussée, il y a une belle vue sur le jardin. On se pose autour d’une table ronde. Elle commence :
- Je n’ai pas pu tout résoudre en lui. Il y a quelque chose de maléfique. Lui-même le bloque. C’est ce qui le met dans cet état.
- Et si tu essayais à nouveau. Avec la supervision de Patrice.
- J’ai fait le point avec lui avant que tu arrives. On y arrivera pas tout seul. Mais il a une idée. On peut se faire aider, par Marwah. Au Village, ce soir.
On se retrouve tous dans la Chapelle, il y a des cierges allumés, des livres ouverts sur des pupitres et des outils étranges, au cas-où. Ils font une ronde, se tiennent la main. Patrice, Greta, Adrien, Marwah. Tout le monde ferme les yeux. Rien ne se passe. Marwah prend la parole :
- On ne va pas y arriver. Il y a autre chose à maîtriser. Il nous manque quelqu’un.
Patrice annonce :
- Gabrielle. Avec elle on peut y arriver.
Greta :
- Je contacte Frances pour la faire venir, tout de suite.
Ils se lâchent les mains. On s’assoit sur les bancs. Adé passe au pupitre pour nous lire un passage de la B3, une histoire d’exorcisme. Marwah allume l’orgue pour faire une musique de fond. Je cherche et je trouve la main d’Adrien. On se regarde. Je lui souris, je le rassure en lui caressant le bras.
Les portes s’ouvre. Gabrielle est dans une aube blanche à capuche. On distingue à peine son visage. Elle avance jusqu’à l’autel où le cercle se reforme. Je lâche Adrien qui les rejoint. Adé vient s’asseoir à côté de moi pour commenter.
- D’ici on ne voit rien. Ils sont dans un autre monde, au milieu d’une tornade. Greta fait ce qu’elle peut. Marwah contrôle les forces du mal. Gabrielle contrôle les forces du bien. Patrice supervise. Il ne s’agit pas de réparer ou soigner. Ils vont enlever une partie de lui. Il ne sera plus tout à fait le même.
- Je le connais à peine. Je ne sais même pas si je le connais. Il va me reconnaître ? Il m’a déjà oublié une fois. Tout d’un coup il y a comme un souffle glacé, je vais pour me lever mais Adé me retient.
- C’est fini.
Ils sont tous tombés au sol, sauf Patrice qui fait signe à quelqu’un à l’entrée. Lisa débarque avec une sacoche et un sac à dos. Elle se pose à côté d’Adrien. Je me lève pour aller voir. Gabrielle enlève sa capuche. On dirait ma mère, en plus jeune. Adrien est le seul à ne pas se relever. Lisa l’ausculte. Patrice s’agenouille pour ses consignes, elle annonce :
- Il est mort. On va le ramener.
Couvertures chauffantes, massage cardiaque, défibrillateur, injections, ventilation, tout y passe. Les courbes et les chiffres sur les écrans s’affolent puis se stabilisent. Lisa commente :
- Il remonte et il redescend. Il n’arrive pas à s’accrocher.
Elle se tourne vers moi :
- Viens !
J’arrive.
- À mon top, tu lui prends la main.
Elle regarde attentivement les courbes, elle masse, elle choque, elle injecte, elle ventile. Lisa regarde Patrice puis fait un signe vers Marwah. Elle arrête tout, se recule et dit à Patrice :
- Maintenant !
Pendant qu’il lève son bras en l’air, elle me secoue et me crie : Top !
Je me précipite sur la main d’Adrien et je ressens le coup que Patrice lui donne sur la poitrine. Il retire vite son bras, ma main est pressée et Adrien se relève en inspirant un grand coup. Lisa regarde les écrans. Les alarmes s’éteignent. Tout est OK. Lisa me donne des consignes pour la suite. Adrien regarde sa main et il suit du regard mon bras jusqu’à ce qu’on se voit les yeux dans les yeux. Il me sourit. Je lui fais oui de la tête. Je dis oui aux consignes de Lisa, oui pour lui dire qu’on y est arrivé, que le cauchemar est fini, plein de oui pour tout ça. Mais en fait, à nouveau, il ne se souvient plus de moi. Je commence à me demander si j'existe vraiment pour quelqu'un.
Je le ramène chez ses parents à Laguna Beach. Dès que la porte s’ouvre, Victor comprend que son fils est enfin guéri. Je fais demi tour pour partir. Victor demande :
- À qui on doit tout ça ? Greta, à nouveau ?
- Non, seule, elle n’y pouvait rien. Vous devez ça à Alice. C’est elle qui a ramené tous les terriens. Ils s’y sont mis à cinq cette fois-ci. Je vous laisse vous retrouver. Lui, il ne se souviens plus de moi.
Je rentre seule, en pleurant. Ce soir il y a une nouvelle réception à la mairie. J’irai voir si je croise Graham. J’arrive au dessus de chez moi, il y a quelqu’un devant la porte, c’est Izzy. Je reprends les manettes de la navette pour repartir. Je ne veux pas la voir. Me voilà seule, sans destination, je regarde à l’horizon, il n’y a rien que l’océan. J’hésite une seconde puis je lâche les commandes. Les alarmes retentissent. Je me brêle au siège. L’inspire profondément, j’expire, je ferme les yeux une dernière fois et je me laisse tomber au plus profond de mon âme.
*
J’ouvre les yeux. Je vois un plafond blanc. Je m’assois sur le lit. Je regarde mes pieds. Lisa entre, elle prend une chaise et s’installe devant moi.
- Izzy t’a poursuivie. Elle a mis sa navette en stationnaire, a appelé les secours et elle a plongé pour aller te récupérer. Ta navette est remontée à la surface. Elle a pu l’ouvrir et te dégager pour te mettre sur un pneumatique de secours. Elle n’a pas réussi à te réanimer. Ça l’a un peu secoué. C’est en arrivant à l’hôpital que les réanimateur ont découvert que tu étais encore vivante, en sommeil profond.
- Je me suis mise sur off. Une technique de méditation. Radicale.
- Un jeune interne connaissait la procédure pour te réveiller.
- Lisa, je vais bien. C’était juste une pulsion.
- Je sais. De toutes façons on ne peut pas te garder. Ça vient d’en haut. Un certain Adrien te réclame.
- Il se souvient de moi ?
- Ça lui revient, petit à petit.
On descend dans le jardin, je me pose sur un banc près de la fontaine. Le voilà, je me lève, on se prend les mains.
- Je me suis sentie tellement vide. Tu m’as oubliée deux fois.
- Oublions tout ce qui s’est passé. C’est maintenant que ça commence.
- Quoi ?
Il m’embrasse sur la bouche.
- Notre romance.
*
Adrien nous a trouvé une maison sur les hauteurs de la ville. On surplombe Laguna City, Laguna Beach et l’océan.
- Un peu plus près des étoiles.
- Là où les rêves n’ont pas de frontière.
On trinque sur la terrasse. J’aime me faire belle pour lui. J’ai la classe dans mes jolies robes, les coiffures, mon maquillage, je suis devenue une vraie poupée, une vraie fille pour lui. Il se pose encore beaucoup de question, sur lui, sur nous :
- On m’a destiné à diriger un monde qui n’existe plus. Je suis maintenant libre mais pour faire quoi ?
- Pour t’occuper de moi, me faire des bébés et exprimer tes névroses sur notre descendance. Ou alors, rien, c’est pas mal aussi.
- Toi tu as eu une famille, une carrière. Moi, je dois me définir.
- Tu es le fils de Victor et d’Alice. Tu es le compagnon de Brigitte. Tu es le frère de Carla, le neveu de Philippe, le cousin de Zoé. C’est déjà pas mal. Sinon, je vais t’amener en méditation et avec l’exorcisme que tu as subi il y a sûrement des pouvoirs qui traînent en toi. Adrien, laisse moi te définir, tu es ma chose, tu m’appartiens et tu sais ce que j’attends vraiment de toi ? Rien. Laisse le monde tranquille, je vais m’occuper de toi. Regarde ma main, Patrice nous a unis par cet anneau, je suis ta référence. Maintenant, tu finis ton verre et on va faire l’amour dans la piscine.
Après ça, la nuit, sur le lit dans notre chambre, on continue de discuter. Il me pose des questions étranges :
- Pourquoi tu as voulu mourir ?
- Parce que j’étais arrivé au bout de ma vie. Parce que j’étais triste, désespérée. Parce que je venais de renoncer à toi. Parce que j’étais à nouveau seule. Parce que je n’avais pas envie d’être à nouveau dominée par Izzy. J’étais tellement au bout que j’ai essayé de revoir Graham. Il est le début de ma vie. C’est mon premier homme. J’ai l’impression que tout est parti en vrille depuis. Je voulais rattraper cette vrille. Quand je t’ai rencontré, j’ai eu le sentiment de reprendre le contrôle de cette vrille. Quand je t’ai rendu à tes parents, je suis repartie en vrille.
Il me touche pour que j’arrête de parler. Il vient sur moi et il m’annonce :
- Viens dans ma vrille. On va tournoyer ensemble.
Et on part dans une vrille de plaisir et d’Amour.
*
J’ai la reconnaissance éternelle d’Alice et Victor. On est conviés toutes les semaines au barbecue du samedi midi à leur maison de Laguna Beach et aussi à la mairie de Carla, aux réceptions des vendredi soirs. Je m’y amuse bien surtout si Big est là avec ma mère.
Comme je suis enceinte, j’évite les barbecues maintenant. Je fais juste les réceptions de Carla à la mairie. Pendant qu’Adrien discute avec les musiciens, Carla, tellement belle, gentille et bienveillante me présente des gens qui comptent. Mais je la regarde surtout elle, elle est vraiment magnifique. Entre deux tables, j’essaie de la déconcentrer :
- Carla, je ne t’ai jamais vu avec un mec. Elle est où ta meuf ?
Imperturbable, elle me montre la femme du commandant de la Base aérienne :
- Elle m’emmène au septième ciel, à chaque fois.
Et elle continue, imperturbable. Sacrée Carla…
- Et je te présente le représentant de Wertern Technologies, Graham.
Je crois que mon cœur s’est arrêté de battre. Direct, je lui fais la bise et je précise :
- On se connaît, depuis l’école. On était pas pas les premiers de la classe. Mais on a bien tourné, non ?
Il est abasourdi. Sa femme nous regarde bizarrement. J’établis le contact :
- Enchantée, Béatrice ?
Je la prends par le bras pour aller discuter à l’écart.
- Il ne vous a jamais parlé de moi ? J’étais sa copine à Russell. Enfin, celle de dernière année, il en a eu d’autres. Je ne pourrai jamais l’oublier. Il a été mon premier. La plus grande erreur de ma vie, c’est de l’avoir largué. Une histoire de fille, de mon côté.
- Enchantée, Brigitte. Bri ? Vous lui avez brisé le cœur. J’ai mis longtemps à rassembler les morceaux. Allez lui parler, il faut vous réconcilier.
Je vais lui parler :
- Graham, tu es la première et la dernière chose normale qui me soit arrivé.
- Brigitte, je suis prêt à te suivre où tu veux, là, tout de suite, maintenant.
Tout le monde se moque de ses amours de jeunesse alors que c’était les plus brut, les plus intenses et qu’on passe le reste de notre existence à courir après leurs fantômes. Mais on sait que ça ne marche pas comme ça. Il fallait juste qu’on se le dise car on est sincère même si c’est inconcevable.
- Graham…
- Bri.
Je ferme les yeux. J’inspire, j’expire. Je les rouvre. Il est toujours là. On s’est rien dit. On s’est tout dit. On peut aller de l’avant maintenant. Chacun de notre côté. Dans l’Amour.
***
Aurélie
Je la vois tous les jours. Et pas que pour donner et recevoir de l’Amour. On discute aussi. On parle. De nos existences, de leur sens. On en vient à parler de ma mère, sa maladie, sa mort.
- Elle s’est laissée mourir, de honte. Elle n’a pas su me protéger, de mon père. Je l’ai perdu aussi, en prison. Et après il est mort, de honte aussi. Je suis leur reste. Sans Aline, je n’aurais pas survécu. Elle aussi a son histoire. On est des survivantes de traumatismes. Toi aussi tu as ton histoire. Raconte.
- J’ai grandi avec des troubles, des obsessions. Je les ai imposées à ma famille, à mon pays, à l’Europe, à l’UN Climate Action Summit et j’en passe. Je n’aurais pas du être comme ça. J’ai été programmée, par nos hôtes. Alice était de la mission de 2003, elle était pilote, formée par Victor, déjà lui, et elle a amené une équipe intervenir sur moi. Je n’étais qu’un bébé destiné à être autiste profond. Ils en ont décidé autrement, jusqu’à la fin de notre Terre, en nous ramenant ici, pour les sauver eux.
On se sent mieux à se confier ainsi. On s’embrasse. On se caresse à nouveau. On s’oublie l’une dans l’autre. Ensuite je reprends :
- Je crois que Marwah t’a sentie en moi. Elle n’est pas prête pour un plan à trois.
- Et John, il sait ?
- Il nous a déjà vu avec Marwah, lui ça l’excite mais elle ne veut pas.
- Et pour nous ?
- Il ne sait pas pour nous. Je crois que ça la refroidirait direct. Tu es trop impressionnante. Mon pauvre petit John. Avec lui j’arrive à être plus active que passive. Je le domine. Ça me fait le plus grand bien. À lui aussi d’ailleurs.
Et on remet ça entre deux conversations. Je lèche son bonbon et ses petites pommes d’amour.
- Attention Aurélie, j’ai du lait. Tu risques de me faire une petite.
- Il n’y a pas eu de cas ici, seulement sur Terre.
- Oui, mais, je suis Greta.
- Et je bois ton lait, tous tes fluides d’amour je les veux en moi.
Rassasiée de Greta, je sors d’elle pour aller me préparer pour mon alibi. Je suis censée passer voir ma fille Gabrielle pour justifier de ma présence ici.
Gabrielle me parle de ses soucis avec Yaël qui s’est transformée en garçon et qui fait des choses avec Isa Love.
- Qu’est ce que tu en penses, maman ?
- J’en pense qu’on est tous des apprentis sorciers de l’Amour. Yaël a du Marwah en elle. Marwah est sa grand-mère, par Djibril. Elle se mélange avec la fille de Greta et Gabriel, le petit fils du Père Simon qui est le père de Djibril aussi. Il va falloir réinventer du vocabulaire familial. Tu sais que Djibril et toi vous êtes frères et sœur de lait. Je vous ai donné le sein à tous les deux. Et la sœur de Djibril, Simone, elle s’est toujours mélangée à son neveu, Gabriel. Alors Yaël et Isa Love, franchement, je leur souhaite tout l’amour possible. Ce n’est pas à nous de leur faire la leçon. Et je ne t’ai pas tout dit. Il était temps qu’on soit confrontés à une autre civilisation. Tu as ton Ulysse, j’ai mon John, Yaël finira par trouver le sien ou la sienne pour nous faire plein de petits hybrides à nourrir, d’ailleurs il faut que je retourne à la Ferme, John m’attend pour faire le tour des installations.
Je lui fais la bise et je rentre. Plutôt que d’attendre le soir, on a pris l’habitude de s’arrêter jouer dans la petite grange avec John où il me prend furieusement dans la paille comme un esclave ouvrier sur sa patronne. On rentre ensuite s’occuper de nos bébés. En donnant le sein à ma fille je me rends compte qu’aujourd’hui, dans l’action de la passion, Greta a aussi bu de mon lait d’Amour.
*
Je vais voir Aline pour faire le point, elle me raconte des choses étranges :
- Vincenzo a toujours eu peur de son grand-père, celui que la Révolution a liquidé. Adrien n’a pas pu lui échapper. Victor, lui est allé se cacher au fond de l’espace avant de revenir rencontrer Alice et la former pour la mission G2003. Victoria elle, était plutôt proche de son père, d’où son comportement de résistance. Il y a des choses pas claires dans tout ça. Des secrets de famille. Des clans. Même nous, nous ne sommes pas là par hasard. Ils ont fabriqué Greta et Greta nous a amené ici, dans un monde avec nos doubles, quelle coïncidence… On ne comprendra jamais tout, je pense qu’il ne vaut mieux pas. On n’a pas non plus de leçons à leur donner. Je pense qu’on n’a plus qu’à y aller à l’instinct dans nos relations hybrides. En plus on fait tous des bébés. On a les même règles, les mêmes ingrédients de la recette qui faisait notre communauté sur Terre.
- Je me rappelle quand ton Vincenzo est arrivé à la Ferme. Il s’était choisi une autre identité : Manu. Pour échapper à son clan. Quand il t’a rencontré il s’est senti plus fort. Il a pu à nouveau les affronter. Son histoire était devenue autre. Il était avec toi. C’est comme mon John, de loin on a rien à faire ensemble alors qu’il est le premier à bine me définir.
- Pour l’instant, eux et nous on s’emboîte et tout va bien. Mais l’éternité est longue. Alors il faut s’appliquer. Chaque erreur que l’on fait aura des répercussions pour l’éternité. Pour contrer ça, il y a d’autres endroits que cette île sur cette planète et pour échapper à l’éternité les gens partent vivre autre chose ailleurs. Et il y a plein d’ailleurs. Les anciens d’ici sont déjà passés sur une autre île. Et des jeunes sont partis sur une autre. Nous, sommes arrivés ici. Et même ici, on peut passer d’un endroit à un autre où la façon de vivre est différente. Ils parleront de nous dans leur B4 et puis ils se demanderont un jour si on a vraiment existé. En ce moment je fusionne, avec Alice. Je m’efface, je deviens quelqu’un d’autre, je ne serai plus qu’un souvenir de moi-même. Mais je ne vais pas mourir, ni même disparaître. Je vais juste exister dans tes souvenirs et ceux de Patrice, un peu moins chez les autres, comme une ange blanche. Je l’accepte, en toute conscience. Et pour l’instant, mon seul objectif c’est de profiter du bonheur que je partage avec mon Vincenzo.
On se prend les mains, on ferme les yeux et on pose nos fronts l’une contre l’autre. On se revoit sur Terre, quand j’avais quinze ans, elle venait de me récupérer pendant le premier confinement, deux âmes en souffrance qui se sont trouvées. Quand on se connecte ainsi, on se créé une balise émotionnelle sur laquelle on peut revenir. Si Aline s’efface trop, je pourrai la ramener ainsi, aujourd’hui ou hier.
- C’est quoi l’histoire avec ton Vincenzo ?
- Il n’a pas de père. Son grand-père a fait une manip sur sa fille, Victoria. Apparemment il voulait se réincarner dans Vincenzo. Même avec toute leur technologie occulte, ça n’a pas marché. Victoria n’a jamais été proche de fils. En revanche, de son père… Mais pas que. Elle et Victor n’ont pas eu une enfance facile. Ils étaient très protégés, pratiquement en prison, confinés ensemble. Ils ne pouvaient compter que l’un sur l’autre. Depuis, ils sont comme des vrais jumeaux, peut-être plus.
- Il est temps que les jeunes générations prennent les choses en main, en dehors de la Révolution et de la Résistance de leur aînés. Pourquoi pas avec nous ? Ou simplement avec notre aide.
- Il nous faudrait leur procurer un réseau intègre et anonyme, secret. J’en parlerai à notre prochain conseil, à Patrice, Greta et Frances.
- On pourrait donner un nom de code à l’opération : le réseau A ?
***
Victoria
Ma mère m’a vraiment envoyé la crème de la crème. Clément est parfait. Il s’occupe de tout dans la maison, même des enfants et de moi :
- Tu n’en a pas marre d’être mon esclave ?
- Tu es la meilleure mission que j’ai eu. On verra dans 20 ou 30 ans quand les enfants seront grands si je démissionne ou si je prends ma retraite. En attendant, ça dépend de toi.
- De ma mère plutôt, c’est elle qui écrit mon destin et avant elle c’était mon père.
- Si tu veux je peux t’aider à te construire ta troisième vie, après moi.
- Je ne sais pas, j’aime bien me laisser guider. Duand je fais des choix personnels, c’est souvent une erreur. Heureusement que je t’ai et que j’ai ma mère derrière toi car je te place devant Clément.
- J’ai pris du galon ? Je monte dans la hiérarchie.
Il s’approche de moi et m’embrasse tendrement en me caressant là où j’aime bien.
- Dis-moi Clément, j’aimerais savoir qui tu étais avant.
- Je peux te montrer mon hangar au centre-ville, c’était un repère d’espions technologiques, il n’y a plus personne, ils ont tous été affectés sur le terrain.
- Comment vous vous êtres trouvés embarqués là-dedans ?
- On a pas eu le choix. On est tous des repris de justesse. Il fallait qu’on paye.
- Il te reste combien de temps à rembourser ?
- J’ai été libéré de mes obligations quand tu es tombée enceinte. Depuis je suis en bonus, je peux faire d’autres bêtises sans repartir en mission.
- Tu es resté pour les bébés ?
- Non Victoria, je suis resté pour toi. Même si je pense que ta mère attendait que je dégage, qu’elle puisse te récupérer avec une nouvelle descendance. Mais comment te quitter ? Regarde-toi. Tu es belle, splendide, magnifique, gentille, aimante, douce et surtout : je t’aime.
- Hors mission, OK, mais hors antenne, je demande à voir.
- Il faut qu’on aille un jour ou deux dans l’espace pour savoir, hors de portée.
- Surtout pas. Je veux rester dans le bonheur et l’ignorance. Et j’ai besoin que tu me fasses l’amour tous les jours avec passion. C’est si fort, si intense, si beau et tu sais pourquoi ? Parce que je t’aime. Je ne t’ai pas choisi mais tu es devenu mon homme, comme personne avant.
- Et ton fils Vincenzo ?
- Lui aussi je pense qu’il est entre de bonnes mains.
- Toutes leurs mains sont bonnes, aux terriens.
- La Résistance est avec eux.
- La Résistance est avec Dieu.
Tout d’un coup, j’ai envie de discuter de tout ça avec Greta. Par qui je pourrais passer pour lui demander audience ? Par mon oncle, Philippe.
Qui en a parlé avec sa compagne Frances, qui en a parlé avec son fils Spencer qui en a parlé avec sa femme, Greta. Elle me reçoit dans sa bâtisse du Port. On est seules. Elle est charmante, elle rayonne, elle a l’air si fragile et tellement solaire.
- Greta ? Est ce que je peux vous faire la bise ?
- Bien-sûr !
Elle se jette dans mes bras et je me penche pour l’embrasser. On rit. On se prend les mains, on s’assoit. Elle ferme les yeux, elle les rouvre et commence à parler :
- On a un énorme point commun toi et moi, Victoria. On est des leaders malgré nous. Toi et la Résistance. Moi et Dieu. On a été choisies pour ces rôles. Toi depuis ta première et unique émission de radio. Moi par cette mission de ton clan en 2003. Toi aussi depuis toute petite tu es sous contrôle.
Je lâche ses mains. C’est négatif. Je n’aime pas.
- Ne t’inquiète pas Victoria, je ne te demande pas de te rebeller. Moi je n’ai rien à en redire non plus, sinon merci, même si je ne sais pas qui remercier. Peut-être ton père ? Ce projet spatio-temporel a l’air de lui ressembler, non ?
- Oui, mais il en a tellement menés. À l’aveugle je pense. Il reste une part de hasard en toi Greta. Est-ce que tu crois au hasard ? Est-ce que tu crois en toi ?
Elle semble décontenancée. Elle me reprend les mains.
- Je comprends pourquoi la Résistance t’a choisie. Tu n’es pas si naïve. Tu as les bonnes questions et les bonnes réponses. Tu as mon soutien.
- La Résistance avait besoin de croire, d’avoir la Foi et tu es arrivée comme la Messie. J’ai la Foi aussi, Patrice m’a confié une chapelle dans sa Cathédrale, j’y vais tous les jours, ça me fait beaucoup de bien. Greta, je crois en toi.
On se serre dans les bras. Je ferme les yeux. Elle sent bon. Elle est douce. Je sens son cœur qui bat. Sa respiration. Je ressent la beauté de l’instant, je me sens tellement vivante, pleine d’espoir et d’Amour. Je serre un peu plus fort. Elle glousse. Je relâche et on se regarde en riant. Puis en souriant. Puis sérieusement. Nos visages se rapproche. On ferme les yeux. Elle me caresse les bras. Les jambes. Je lui plaît. J’ouvre les yeux, je caresse son visage, je fait glisser doucement mon pouce sur ses lèvres, elle ouvre la bouche, c’est tellement sensuel, intime, sacré. Je me relève doucement, je prends ses mains, je les embrasse :
- Au revoir Greta. On se voit à la Messe ?
Elle est stupéfaite. Je suis sans doute la première qui lui résiste. Elle se reprend :
- Et au cocktail ?
- J’aimerais te montrer ma chapelle entre les deux, seule à seule.
Elle reçoit ça comme un choc de dévotion, d’excitation, d’Amour. Elle en est surprise et ravie. J’ai le dessus sur elle. Elle aime ça. Elle m’embrasse les mains, les lâche et me laisse partir. Je sens son regard sur mon corps, je me retourne pour la regarder en biais. Elle sourit. Elle m’adore. Je lui fais un clin d’œil, elle chavire, elle doit se retenir à la chaise et elle rit. Peut-être que moi aussi j’ai des pouvoirs ?
*
À ma chapelle, je passe une partie de la nuit et de la journée à sculpter. J’étais bonne élève à l’école des arts. Ensuite je prépare mes couleurs pour mettre de la vie à la pierre. Je rentre me changer et je révise rapidement un passage de la B3. On part en famille à la Messe. La fraîcheur, les odeurs, le recueillement des endimanchés, l’éclairage tamisé des cierges qui rivalise avec les rayons du soleil qui traversent les vitraux, tout est magique. Je passe au pupitre.
- Juste une phrase : « Peu importe d’être mortel ou immortel, l’important est d’être conscient de sa condition. » C’est écrit par une mortelle qui est devenue immortelle. Quand elle était mortelle, elle agissait comme si elle ne l’était pas parce qu’elle était programmée comme ça. Devenue immortelle, elle a pris conscience de son éternité, de sa condition. Nous, qui avons toujours été immortels, on agit comme si on ne l’était pas, parce qu’on a été conditionnés comme ça. Aujourd’hui, on peut prendre conscience de notre éternité. Mais l’éternité ne permet pas tout, ne résout pas tout. On peut la traverser sans capter l’essence de l’existence, on peut la traverser dans l’inconscience de ce qui nous entoure. Même en pleine conscience, on ne peut pas tout capter, même en y passant l’éternité. Tout est une question de dosage de qualité. Il faut filtrer, choisir et profiter du peu en oubliant le beaucoup. Ouvrez vos radars, choisissez votre voie.
Marwah lance son orgue pour conclure mon propos et tout le monde se met à chanter.
Aline et Patrice se regardent et me regardent avec satisfaction. Il fallait que ce soit moi qui dise tout ça. Ils me l’ont demandé. C’était le premier message adressé au réseau A, la petite graine de leur B4 qui prendra le relais, c’est un jour important, je pense qu’on le célébrera tous les ans, dans longtemps.
Comme prévu Greta reste avec moi pour que je lui montre ma chapelle. Elle me suit en silence et j’ouvre la grille. Je l’invite à y rentrer en première. Elle regarde attentivement le décor de gauche à droite, les tableaux, les objets, les tissus brodés et s’arrête sur une statut. Elle s’en approche. Elles font exactement la même taille. Je souris de satisfaction. Elle avance son visage pour admirer ses yeux.
- C’est magnifique. Tout est là. C’est moi. Tu as su me capter dans les fenêtres de mon âme.
Elle se retourne, elle est médusée, elle s’approche lentement avec son regard écarquillé, en transe, je m’avance pour lui prendre doucement les mains. Elle ferme enfin les yeux et je l’embrasse, tendrement, doucement. J’immortalise en moi ce moment que je revivrai tous les jours en venant embrasser sa statut.
Je la prends par la main et on traverse la Cathédrale pour aller rejoindre nos famille à l’ombre des tours, à l’after-messe. Je l’entraîne au buffet et je nous prends deux flûtes de bulles sucrées et alcoolisées. Pendant qu’on trinque, je me plonge au plus profond de ses yeux bleus profond, elle soutient mon regard, elle me laisse entrer dans l’âme de Dieu où je sens la présence de son ange blanche. Elle sera la statut de gauche dans ma chapelle. Je sens le picotement des bulles sur mes lèvres, à moins que ce soit les siennes, j’ai l’impression qu’à ce moment là nous ne faisons plus qu’une. Je lui annonce :
- Je fais de toi mon essentielle, celle que j’aimerai plus que personne.
Et on rejoint nos hommes et nos enfants.
*
Je me réveille. C’est la nuit. La maison dort. J’ai chaud. Je brûle. Je cours sous la douche me rafraîchir entre les cuisses. Que se passe-t-il ? Je me regarde dans le miroir, pendant une fraction de seconde, ce n’est pas mon visage que je vois. Elle m’appelle. Je dois y aller. Je m’habille et je prends mon monolithe pour me localiser. Direction la Cathédrale. On dirait qu’elle brille dans la ville. J’arrive à ma chapelle et je prends mes outils pour façonner la statut de gauche. Ensuite je préparer les couleurs en tremblant. J’ai des vibrations dans tout le corps en faisant apparaître son visage. Je recule et je m’assoit par terre pour les admirer en contre plongée. Entre-elles, derrière, en haut, je peux retirer le drap qui cache le tableau. Je me lève pour tirer sur la corde, mon cri résonne dans toute la Cathédrale. Je rampe pour retourner à ma place d’origine. Cette fois-ci je me mets à genoux. Voilà, ma Foi, en équilibre, canalisée. Le tableau n’est pas assez éclairé. On distingue à peine le portrait officiel de la Reine. Je vais laisser comme ça. Il faut la laisser planer discrètement au dessus d’elles. Dehors il commence à faire jour. Je sors de ma chapelle et je claque la grille, je les regarde à travers les barreaux en essayant de reprendre mon souffle. Patrice arrive, il a du m’entendre. Il est surpris de me voir là, pleine de poussière blanche et de peinture, les mains accrochées aux barreaux comme une prisonnière en prison, à l’extérieur de mon antre. Il voit d’abord Greta. Il marquez un temps d’arrêt. Il a cru qu’elle était vraiment là avant de réaliser que c’était une statut. Il voit ensuite l’autre personnage à gauche. Il s’approche un peu plus et il la reconnaît : Jeanne D’Arc. Il regarde à nouveau Greta et il me regarde moi puis à nouveau Jeanne :
- Elle est passée en toi. Une ange blanche de la Terre. Vous êtes compatibles. Des vrais âmes. Ça change tout, Victoria.
Il se mets à genoux devant moi et incline la tête. Je lâche mes barreaux et je l’approche pour le relever.
- Comment as-tu réussi à faire ça ? Que s’est-il passé ?
- C’est Greta. Ici dans la chapelle. Après la Messe. On s’est embrassées.
- Elle te tenait les mains ?
- Oui.
- Les deux ?
- Oui.
- Face à toi.
- Elle venait de découvrir sa statut. J’ai vu le fond de son âme.
- Et sa locataire. Tu es venue la rajouter ici. C’est bien qu’elle puisse s’accrocher à un endroit. Elle peut s’y réfugier et moins te hanter. C’est à ça qu’il faut croire. La croire ici pour qu’elle te laisse en paix.
- D’accord. Tu n’as pas vu le tableau ? Regarde.
Il le trouve du regard et reconnaît Frances. Il réfléchit :
- Judicieux. Elle est au dessus d’elles mais dans l’ombre et en deux dimensions seulement. Un équilibre parfait.
Il me regarde, impressionnée. Je suis émue. J’ai envie de pleurer. Il s’approche et il me prend dans ses bras, je laisse sortir mes sanglots.
- Patrice, tu savais. C’est toi qui m’a confié cette chapelle.
- Je savais qu’il y avait quelque chose en toi. Je ne savais pas quoi.
Il me caresse les joues, essuie mes larmes, je me calme, on se regarde, profondément. Je sais qu’il sera toujours là pour moi. Ses mains glissent sur mes bras, quand elles arrivent à mes mains je les retiens pour capter son regard encore une fois. Nos doigts glissent doucement et il recule, on perd le contact, je garde mes mains en l’air et je recule aussi, je peux rentrer chez moi. Je prends une profonde inspiration avant de me retourner et partir.
Je reprends mon vélo et j’arrive au carrefour. Je fois tourner à gauche pour rentrer. Je regarde à droite. La Russell School et sa tour. Je regarde au sommet. L’antenne clignote. Elle m’appelle. J’y vais.
Je rentre dans le studio. J’allume le disjoncteur principal. Tout s’éclaire en régie. Je rentre mon profil dans l’ordinateur principal. La cabine s’allume. Le micro est en place. Je fais une recherche, je trouve, je programme une musique, j’imprime le texte et je passe en cabine. Je pose les paroles devant moi. Je sélectionne la fréquence d’émission et je la bloque. Il ne me reste plus qu’à basculer le bouton « On » sur « Air ». Je ferme les yeux et je fais une prière pour me préparer. Clac ! J’envoie le son et je commence à chanter :
Libre me voilà, c'est ma voix là, la suite en musique sur scène, en coulisses
Libre me voilà, mais sans toi là, la suite en roue libre, tout en équilibre
J'avais peur avant
Je parlais tout bas
J'étais jamais devant, oh non
Aujourd'hui j'ai bien changé, crois-moi
Fais bien attention à toi
Ton jeu, je le connais déjà
J'suis libre et ça ne changera pas
Oui, fais bien attention à toi
Vivre libre, je ne veux plus tomber
Dans le piège des fous, qu'ils se mettent à genoux
Vivre libre, crois-moi, ça va changer
J'suis restée debout et j'y ai pris goût
J'suis libre, me voilà, c'est ma voix, là, mais toi tu crois quoi? Moi, j'oublie pas
Et sèche tes larmes car elles ne lavent pas, toutes tes armes dressées contre moi
J'avais peur avant
Je parlais tout bas
J'étais jamais devant, oh, non
Aujourd'hui j'ai bien changé, crois-moi
Fais bien attention à toi
Ton jeu, je le connais déjà
J'suis libre et ça ne changera pas
Oui, fais bien attention à toi (eh)
Vivre libre, je ne veux plus tomber
Dans le piège des fous, qu'ils se mettent à genoux
Vivre libre, crois-moi, ça va changer
J'suis restée debout et j'y ai pris goût
Et je te dérange mais c'est plus fort que moi
Trop prise pour un ange, moi-même, j'y croyais pas
Tous ces derniers temps consacrés à ça
J'ai touché le fond mais j'suis libre
Vivre libre, je ne veux plus tomber
Dans le piège des fous, qu'ils se mettent à genoux
Vivre libre, crois-moi, ça va changer
J'suis restée debout et j'y ai pris goût
J'suis libre, me voilà
Clac. Off Air. Je rentre à la maison pour préparer le petit-déjeuner à ma famille. J'ai réveillé toute la Résistance qui reste câlée sur cette fréquence. Peut-être que le réseau A était également à l'écoute ? C'est clairement un deuxième message pour eux, ils en feront leur propre lecture. Je vais me faire disputer par le conseil pour ne pas leur avoir demandé l'autorisation avant.
Je rentre dans ma maison de l'Amour avec cette sensation de ne plus être vraiment seule en moi. Je passe sous la douche me purifier et je passe en cuisine préparer le petit déjeuner. Ensuite je réveille les bébés pour donner le sein à ma fille pendant que Clément donne le biberon à son fils. Clément ne pose pas de questions mais il sent qu'il s'est passé quelque chose. Je lui confirme avec notre code secret, une allusion électrique :
- Attention je crois que j'ai trop fait chauffer le biberon.
Attention. Tension. U=RI. R pour Résistance. Comme ça il ne sera pas surpris quand il entendra ma chanson sur les ondes.
On est invité en principauté, un pique-nique dans le jardin de Greta avec les bébés. On les fait patauger dans le petit bassin. Greta veut me montrer son atelier, sa cabane au fond du jardin, on laisse nos hommes gérer les petits. Elle me fait rentrer en première et je découvre plein de croquis de moi autour d'un tableau dans le style exact du portrait officiel de Frances.
- Je ne savais pas que c'était toi qui l'avait fait. Ça donne encore plus de sens à ma chapelle. Et le mien, il va trôner où ?
- C'est une commande, de la Résistance.
Je me mets à côté et je prends la pose pour la faire rire mais je vois que ça ne va pas :
- J'ai comme un vide en moi. Ça faisait longtemps qu'elle m'accompagnait. Depuis plus d'un demi-siècle. Moi aussi je suis libre maintenant.
- Tu as entendu ma chanson.
- Prends bien soin d'elle. Elle va beaucoup t'aider. C'est une vraie résistante.
- Si besoin, elle ne sera jamais très loin de toi.
Je lui tends les mains. Elle les saisit. Elle me regarde au fond des yeux.
- Au revoir Jeanne.
Et elle pleure. Je la prends dans mes bras. Je pense qu'elle a du lui causer des problèmes à cause de Spencer. Jeanne n'aime pas beaucoup les anglais. C'était peut-être aussi pour Greta une raison de motiver Jeanne à partir. En moi.
- Greta, retournons à nos familles. Ce monde est prêt à être livré à lui-même. Nos enfants écriront leur propre histoire, leur propre B4 et ils orientront leurs enfants également. Nous n'avons plus qu'à nous concentrer et nous consacrer à l'Amour, de soi, des siens, de Dieu, de toi ? Il faut y croire, avoir la Foi, en tout et n'être rien. C'est dans la B3. J'espère qu'ils s'en inspireront. En attendant, pour nous, la vie est douce, la vie nous est douce, tu es douce, plongeons-nous dans nos douceurs.
*
Les jeunes parents ont pu laisser leur bébés à la Pouponnière de la Mairie où les parents se relaient pour surveiller toute la génération A. On arrive à la Maison Bleue de Sœur Nathalie et Gabriel où les adolescents jouent dans la fameuse piscine. Quand la Résistance aura atteint ses objectifs, ce sont eux qui vont construire le réseau A pour nos bébés. Notre Révolution est belle et bien terminée, oubliée, enterrée. Une autre voie s’ouvre et c’est grâce aux terriens. Même si tout était déjà prévu à l’avance, Alice a suivi le plan dans lequel elle était impliquée depuis 2003, en charge du transit entre les deux multivers.
- Alice, tout ça c’est grâce à toi.
- Je n’ai fait que mon devoir, j’ai suivi les consignes. Quoi que, à toi je peux le dire maintenant. En fait, je suis allé un peu au-delà de mes prérogatives. La mission ne prévoyait de ne ramener que Greta. Heureusement, elle ne m’a pas laissé le choix. J’ai essayé de négocier pour seulement sa famille. Mais elle a exigé toute son Alliance Nord. À chaque fois que je refusais elle en rajoutait, toutes les Alliances, le Vatican, la Couronne, les sociétés secrètes et j’en passe. J’ai dû dire oui pour la stopper. En plus on avait la possibilité technologique, alors… Notre monde va évoluer plus vite que prévu, dans le bon sens. Au fait, tu es conviée au Conseil de Sécurité.
- La Résistance ? Au Conseil ?
- Et directement en tant que membre supérieure, tu auras plusieurs voix pour les votes et un droit de véto. Les temps changent plus vite que prévu.
Et comme par magie, une musique très forte se fait entendre autour de la piscine. Je reconnais les premiers accords. Et j’entends ensuite ma voix. On se regarde avec Aline et on éclate de rire. Les ados chantent et dansent autour de leur eau bénite d’Amour : « Vivre libre ! Crois-moi ça va changer ! » On se met aussi à danser et à essayer de suivre la chorégraphie qui se propage tout autour du rectangle bleu de la Maison Bleue. Je comprends maintenant ce signe qu’on voit partout. Le rectangle bleu. Et maintenant nous voilà tous synchronisés corps et âmes autour de la nouvelle chanson de la Résistance et à la fin on entend juste ma voie dans un écho « Libre, me voilà » Le son et la lumière se coupent sauf sur moi et tout le monde cri et m’applaudit.
Le relais de la Pouponnière nous permet de temporiser et de sortir de la fête de la Maison Bleue. C’est aussi l’occasion de discuter avec d’autres mamans. Aurélie :
- Les papas sont en réunion de crise au bar et ils se demandent si ils auront leur place dans tout ça.
- À eux de s’inventer une place dans notre histoire.
Elle me regarde, choquée, mais elle détecte un sourire et comprend que c’est une blague. C’est surtout un passage de la B3. Il y a une phrase pour tout dedans.
- Tu as même réussi à la changer elle.
- Comment elle va ?
- Elle se redéfinit. Elle redevient un peu la Greta qu’elle était avant qu’on la connaisse. De loin on ne voit pas la différence mais de près elle est plus sereine, moins agressive, plus posée mais tout autant magnétique. Elle rayonne toujours.
- En fait, tu sais, elle m’a donné une partie de son âme, une partie de ses pouvoirs. J’essaierai d’en faire bon usage.
- Oui, j’ai vu ta chapelle à la Cathédrale avec les statuts. Mais pourquoi le tableau ?
- C’est notre Reine. Elle a un rôle à jouer dans tout ça. En fait, elle l’a déjà joué, elle le joue, elle le jouera, c’est notre Reine. God save the Queen.
- Ça y est Victoria, tu parles comme l’Invisible.
On part s’installer pour donner le sein à nos bébés. On continue de discuter de choses plus légères, des récoltes, de la moisson, des nouveaux fruits et légumes et du problème de la viande : en manger ou pas ? Quand je la vois prendre un troisième bébé je suis interloquée, elle le remarque tout de suite. Je lui demande :
- On peut ? On a le droit ? C’est possible ? Je ne savais pas.
- C’est ça la vie à la campagne. Tout est possible. C’est même mieux pour les bébés. Et pour nous les mamans. On donne la vie, on la nourrit, c’est un partage, un don de soi. Tu n’es pas obligée.
- Au contraire Aurélie.
On échange nos bébés. Je trouve ça excitant. C’est magique. Je suis très contente. On rit de bonheur. À la fin de la vois regarder ma poitrine et se passer la langue sur les lèvres.
- Quoi ? On peut faire ça aussi ?
- Tu n’as jamais goûter Victoria ? Il faut tout goûter.
- D’accord.
On s’isole les toilettes. Elle m’entraîne dans une cabine, la numéro 3. Elle me plaque contre la paroi et me lèche la poitrine, me titille avec sa langue et se lance dans la dégustation. C’est beaucoup plus sexuel que prévu. Son autre main prépare mon autre sein et elle se plonge dedans, je ferme les yeux, je sens des choses nouvelles, intenses. Elle prend mon visage et elle presse son sein devant ma bouche, le liquide jaillit, je gobe ton téton et j’aspire, doucement, à l’écoute de son corps et du mien. On ressort de là en se réajustant, je suis un peu sous le choc, mon visage dans le miroir est rouge de plaisir, d’envie. Elle a l’air tout à fait normale. Elle a l’habitude. Elle me prend la main, m’embrasse sur la joue et appuie sa tête contre mon épaule. On repart voir les bébés.
- Qu’est ce que tu ressens maintenant ?
- Je ressens leur Amour, leur vigueur, je me sens plus maman, je me sens essentielle.
et d’autres mamans arrivent pour nous relayer, on retourne à la Maison Bleue. Je sens qu’il va encore s’y passer quelque chose.
Dans le jardin, Aurélie m’entraîne derrière les arbres.
- Victoria, tu es vraiment très belle.
Elle me prend par la nuque et elle m’embrasse sur la bouche, je sens sa langue, je l’accompagne, je ferme les yeux, je goûte à ses lèvres. Elle me redemande :
- Qu’est ce que tu ressens maintenant ?
Je réfléchis. Ça ne va pas lui plaire. Mais je reste franche et directe :
- Rien de spécial.
- C’était juste pour vérifier.
- Je préfère t’embrasser les seins.
Elle rit.
- Moi aussi. Mais tu es vraiment très belle tu sais. Tes seins aussi.
- Je n’y peux rien Aurélie, je tiens ça de ma mère.
Je lui fais un bisou sur la bouche. Puis un autre, moins bref, plus doux. En fait, j’aimerais bien voir ce qu’elle a dans la culotte. Je ne sais pas si j’aurai d’autres occasions de si tôt. Je la colle contre moi et je glisse mes mains sous sa jupe. Mon Dieu ! Elle n’a pas de culotte ! Je sens sa main dans la mienne, elle trouve tout de suite le bon endroit, une décharge de plaisir me fait perdre l’équilibre. On se retrouve assises par terre dans l’herbe. Elle me montre comment faire sur elle et on continue de s’embrasser. Finalement on s’allonge et me masse doucement entre les fesses. Chaque vague de plaisir recouvre l’autre. Depuis combien de temps on est là ? On est où d’ailleurs ? Avec qui je suis ? Je suis partie loin, je remonte doucement à la surface pour découvrir le visage ravi d’Aurélie, toute pimpante, elle me recoiffe et je cherche mes mots, je ne les trouve pas.
- Qu’est ce que tu ressens maintenant ?
C’est indicible. Alors je la serre dans mes bras et je m’embrasse tendrement sur tout le visage. Elle rit. Elle me relève et on sort discrètement du bois pour aller se rafraîchir à la table la plus proche.
- Victoria, c’était merveilleux. On remet ça quand tu veux.
- Tu es sûre ? Je n’ai pas fait grand-chose.
- Mon plaisir, c’est de t’en donner.
- C’est dans la B3 ?
On se met à rire. Ce sera sûrement dans la B4. Je regarde ses cheveux longs et j’ai une idée. Je commence à lui faire des nattes.
- Tu es sûre ? C’est pas une coiffure réservée à Greta ?
- À toi ça va beaucoup mieux. Avec ta frange, ça change tout.
J’ai envie de l’embrasser mais on ne peut pas faire ça en public alors j’embrasse mon doigt, il a encore son odeur à elle, je lui pose furtivement sur ses lèvres. Elle me pose une main sur un genoux :
- Détends-toi Victoria. Il ne s’est rien passé du tout.
- Rien de spécial.
Et on se prend les mains, nos regards disent le contraire. Nat vient nous voir et pose se mains sur nos épaules :
- Ça va les filles ? Je ne savais pas que vous vous connaissiez.
- C’est la magie des rencontres dans ta Maison Bleue.
En repartant, on regarde avec l’air coupable la phrase inscrite au dessus de la porte.
Comme tous les soirs mon homme se soulage en moi. Cette fois-ci je regarde le plafond. Il râle et s’endort. Je m’assoit sur le rebord du lit. De l’air frais parcourt mon corps nu. La fenêtre est ouverte. Je remonte les draps sur le corps chaud de Clément et je me lève pour fermer la vitre. Je vois la ville qui dort, éteinte, calme. Je fais le point. La Révolution a eu ses raison d’être, la Résistance n’a pas encore les siennes. Quoi qu’il arrive, le Réseau A prendra le relais. Il y a un passé, un présent et un avenir. Et si on était que de passage, nos perceptions et nos comportements seraient différemment pensés. Comme tous les jours j’ai envie de revoir Greta. Cette fois-ci j’ai un prétexte : il faut qu’elle me présente Frances, nous sommes liées toutes les trois tout comme le sont nos anges blanches. Il faut que Greta apprenne aussi à vivre libre.
Le lendemain au repas de famille chez Alice à Laguna Beach, les choses tournent autrement. Mon oncle Philippe est venu avec elle. Il me la présente, elle me fait un signe étrange du regard, une invitation à parler en privé, de Greta :
- Nat lui a pris son homme et toi tu lui as pris son ange.
- Mais elle a toujours ton fils.
- Greta reste Greta. Elle l’est peut-être même plus encore.
- Je crois en elle, j’ai foi en elle.
- Comme nous toutes. Je l’ai vu hier soir. Elle aspire à une vie simple. Elle veut passer tout son temps libre dans son atelier, à créer, en écoutant de la musique. Le Village n’a pas suffit à sa retraite de leader de planète. J’espère lui procurer le plus de tranquillité possible. Sinon, bienvenue au Conseil. J’y suis aussi. Pour trois raisons. Je suis la Reine. Je suis la femme de Philippe. Greta est dans ma principauté, sous ma responsabilité. Ça me fait trois votes. Bientôt quatre quand le Vatican supervisera l’écriture de la B4.
- Il y a une raison par vote ? La Résistance. Quelle est ma deuxième raison ?
- Tu es membre supérieure, comme moi. Alice t’a accordé au moins trois votes. Tu es la fille d’Émilie et de Vivien, la sœur de Victor, la nièce de Philippe, la cousine de Zoé et tu as une ange blanche en toi. La liste est longue.
- Maintenant je comprends pourquoi Greta a un atelier, un endroit pour se déconnecter et relativiser. J’ai aussi le mien tu sais. Patrice m’a confié une chapelle dans la Cathédrale. Tu devrais aller voir. Sinon, j’ai une question à propos des terriennes. Leur lait a des propriétés particulières ?
- Avait. Sur Terre. C’était une adaptation de la Nature avec la disparition des garçons. Deux filles pouvaient procréer ainsi. Abigaëlle est née ainsi. Elle peut mieux t’en parler que moi, elle est là avec Izzy.
Frances me la présente et elle poursuit les explications :
- J’ai fait des tests. Ça ne marche pas ici. C’est incompatible avec l’immortalité. Ne t’inquiète pas si tu y a juste goûté, c’était bien plus compliqué que ça de toutes façons. Tous les rapports sont accessibles pour les membres du conseil. Si tu veux que je poursuive les recherches, tu pourras me diligenter. C’est leur terme pour ordre de mission.
Maintenant que je fais partie du Conseil de Sécurité, tout le monde me parle et j’ai accès à toutes les informations. Alice me regarde de loin et elle comprend que je réalise la responsabilité de tout savoir sur tout. Je m’approche d’une table et je me sers de l’eau pétillante. Je cherche Clément, il discute avec Ulysse. Izzy vient me parler :
- Bonjour tante Victoria. Tout va bien avec Abi ?
- Oui, elle a su me rassurer. Tu l’a formée en médecine ?
- Elle est plutôt douée, et concernée aussi.
- Elle est unique. Tu as bien de la chance.
- Merci. Victoria, je n’ai jamais eu l’occasion de te dire mais je te suis reconnaissante, tu as toujours été de mon côté et c’était important pour affronter mon père ou échapper à mon grand-père.
Qu’est ce qu’elles ont toutes aujourd’hui ?
- Izzy, il va falloir t’y habituer parce que ce n’est que le début. Je te trouve extraordinaire, intelligente, belle, tu es la perle de cette famille, crois-moi. Je serai toujours de ton côté.
Clément me ramène mon cousin germain maternel, Ulysse, qui me présente sa Gabrielle, mère de Yaël avec Djibril, frère de Simone et fils de Marwah et du Père Simon. Mais Gabrielle c’est aussi la fille d’Aurélie et Noël, le fils d’Aline. Après ces présentations alambiquées, je parviens à rester seule avec Gabrielle qui en rajoute :
- Et bientôt je serai la mère de Luisa et Emilio.
- Bienvenue dans la famille.
Gabrielle marque un arrêt et me regarde. Elle explique :
- J’ai déjà entendu ça. C’était un genre d’incantation sur Terre quand on entrait dans un clan. Je ne pensais pas entendre ça ici.
- C’est vrai, on n’est pas trop famille ici. Moi je le suis un peu trop. Et désolé pour l’incantation, je commence à avoir des pouvoirs de médium.
- Patrice t’a parlé en latin dans une messe noire ?
- Non, ça vient de Greta. Vous êtes nombreux parmi les terriens à être connectés à l’Invisible. Nous on ne peut compter que sur notre technologie avancée, qu’on a laissé tomber d’ailleurs, elle n’est plus le centre de nos préoccupations.
- Certains d’entre-nous ont pu se débarrasser aussi de l’Invisible en arrivant ici, comme ma tante Noëlle par exemple. Sur Terre elle était la plus puissante de nous tous. Elle a lutté toute sa vie pour rester du bon côté et ne pas devenir folle. Maintenant elle est devenue elle-même, c’est la grosse cantinière de la Taverne et elle s’est trouvé un ouvrier rescapé de votre Révolution, sur qui on ne saura jamais rien, il n’en parle pas, il ne parle pas du tout d’ailleurs et elle s’en fiche, ils se construisent leur vie à eux sans tenir compte de leur passé. Tout ça pour te dire, Victoria, ne laisse pas l’Invisible contrôler ton destin. C’est ce qu’on a retenu de la pratique de l’occulte.
- Oui, ça me rappelle une phrase de la B3 à ce sujet. C’est même la phrase exacte : « Ne laisse pas l’Invisible contrôler ton destin. »
- C’est ma modeste participation. Tous mes textes n’ont pas été retenus. Tout n’est pas dans la B3. Si tu n’y trouve pas toutes les réponses on a un livre annexe avec ce qui n’a pas été retenu. Il est réservé au réseau A mais je sais que tu es impliquée aussi, j’ai entendu ton discours à la Messe. Tu vois, ton histoire, ce que tu es, est déjà synchronisé avec l’Invisible. Tu es le passé, le présent et l’avenir.
- Il faut qu’on se voit Gabrielle, régulièrement. Je vais avoir besoin de toi.
- C’est drôle, c’est exactement ce que je pense. J’ai la sensation d’avoir attendu toute ma vie pour accomplir cette mission : t’aider. Mes pouvoirs n’étaient pas destinés à Abi, ils étaient pour toi. Je suis contente de t’avoir enfin trouvée.
- Moi aussi, Gabrielle, moi aussi.
Je lui prend la main. Une sorte de fluide passe mais je ne sais pas dans quel sens. Elle est puissante. Elle et moi on va former un duo de choc. Je proclame :
- On est cousines par Alliance.
- Je suis un lien de plus que tu as avec Frances. Car elle a besoin de moi aussi.
- Oui, tout s’imbrique, tout est logique, nous sommes un Tout.
Je me jure de la préserver, de la protéger, Gabrielle est importante pour nous toutes.
- Frances, Greta, toi et moi.
Gabrielle est la seule a avoir son double ici.
- Le tien est resté sur Terre, dans les années 20.
- À propos de Terre, tu en penses quoi de la fin de ton monde ?
- La femme n’y avait pas sa place. L’homme s’est entre-tué surtout lorsqu'il s’est mis à penser. L'humanité n'est pas une grosse perte pour la Terre, bien au contraire. Elles ont à nouveau leur chance. La Terre sans les humains. L'humanité ici.
- On a notre chance, Gabrielle.
- On a notre chance, Victoria.
Ce n'est que le début.
Nous voilà donc de passage dans l’histoire du temps éternel en attendant de redevenir anonymes quand d’autres héroïnes reprendront le flambeau en parlant de nous au passé. A nous de leur laisser le meilleur héritage possible, de les orienter dans la bonne direction comme le font Alice, Aurélie, Greta et Frances sans oublier toutes les autres, ce n’est pas Dieu qui nous guide seul, c’est un esprit d’équipe. On compte les unes sur les autres pour mener notre mission à bien. Nous sommes liées pour un destin commun dans l’Invisible, le Sexe et l’Amour.
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Aurélie
À la Maison Bleue, les bras croisés, je surveille le jardin par la fenêtre de la cuisine. J’attends Aline qui veut me parler. J’en voit arriver deux. Elle sont même habillées pareil. Qui est qui ? L’une commence une phrase et l’autre la termine.
- On voudrait te décerner la médaille de la planète C à la mairie, en salle de la Terre, en comité restreint. Il y aura un discours où Alice va parler de sa planète en déroute, de la mission de 2003, de celle de 2057 où elle était aux ordres de Greta qui a insisté pour que tu sois du voyage comme tant d’autres où chacun a apporté sa contribution à notre nouveau monde où la tienne fut primordiale pour les ressources alimentaires. Sans elles pas de ressources spirituelles possibles. Les antennes était réglées de façon si puissante qu’on en mangeait plus, on ne buvait plus, on ne respirait plus. Avec ton régime alimentaire, on est devenus plus vivants, les antennes se sont adaptées et on a eu accès à la spiritualité qui nous manquait tant et qui a été apportée aussi par d’autre. Manger, vivre, croire. Tu es la base de tout ça. La technologie nous a égarées, tu nous as remises sur le droit chemin où on a pu enfin trouver l’équilibre entre tout, entre toutes, entre nous.
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À la cérémonie :
- Merci à toi Alice. On a pas survécu à la fin de notre monde pour rien. Vous aussi vous nous donnez sens. Et sans Zoé je n’aurais pas pu être aussi efficace. C’est un travail d’équipe, communautaire, où chacun participe pour ne plus avoir besoin de moi, une transmission. Je suis arrivée au bout et je me retrouve avec moi même. Ce qui me faire vivre et respirer, c’est mon John, mes bébés et tout l’Amour que je partage avec mes proches, ils se reconnaîtront. Je vous aime.
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Pour la suite des aventures
Alleluia
Rendez-vous dans le tome II
Alleluia
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