La face de Guerre ( partie 2)

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  Les chasseurs avaient une semaine de retard sur leur proie, et l'est était une direction fort vaste et vague, se contenter de galoper vers le soleil levant ne serait suffisant pour retrouver la trace du Pèlerin. Aussi, l'équipage se sépara-t-il temporairement le temps de trouver une piste fiable à suivre ; ils y perdirent une journée, ensuite tout fut plus facile. Il faut avouer que le voyageur n'était guère discret avec les deux enfants qui le suivait et le ralentissait.

Ils le rattrapèrent cinq jours plus tard dans une auberge au bord de la route. Audric ne se fit aucune illusion ; une troupe de douze cavaliers armés et quinze lourds destriers ne passait pas inaperçue, si la créature était en ces lieux, elle était maintenant avertie de leur présence.

Le maître-chasseur donna ses ordres et s'assura rapidement que tous ses neveux et fils se consacrent à l'entretien des chevaux ou du matériel avant d'accompagner son frère rencontrer l'aubergiste. Tandis que Darragh s'entretenait avec le propriétaire des lieux, Audric examina leur environnement.

En cette belle journée de printemps l'essentiel de la clientèle s'était rassemblés dans la cour de l'établissement pour profiter du soleil. Il y avait les habitués, marchants de passage où fermiers du voisinage, qui restaient entre eux et se hélaient avec convivialité. Il y avait aussi ceux que la route avait mené là par hasard. Et parmi eux, il y avait le Pèlerin.

Audric le reconnus aussitôt et sans le moindre doute.

De grande taille, les cheveux sombres et le teint buriné par le soleil, il était posé sur son séant à une table près des enfants, il taillait avec habilité des jouets en bois, une bière toujours à portée de main. Son bâton et sa cape de voyageur reposaient derrière lui contre le mur de la grange.

Personne n'avait toutefois mentionné les deux molosses noirs et endormis qui l'accompagnaient. L'un avait les dents tant sortie vers l'avant que cela lui donnait un air plus comique qu'inquiétant. Ils n'étaient toutefois qu'un problème mineur aux yeux du maître-chasseur.

— Père, est-ce lui ?

Audric hocha la tête en guise de réponse alors qu'un frisson de dégoût lui parcourait l'échine à la vue de deux femmes qui saluaient le Pèlerin en gloussant.

— Entrons.

Tourner le dos à l'animal lui permit de chasser de son esprit l'image écœurante de la bête s'accouplant avec ces femmes.

— À boire,ordonna le maître-chasseur.

Il profita d'avoir l'attention du serveur pour lui poser quelques questions.

— Le Pèlerin, là-bas, vous le connaissez ? Quand est-il arrivé ?

— Je ne veux aucun problème ici.

— Vous n'en aurez pas, je vous le jure, assura Audric avec autorité.

L'antipathique aubergiste ne fut nullement convaincu par les affirmations du chasseur, mais au fond, avait-il le choix ? Et le voyageur n'était personne pour lui, quoi qu'il eut fait, il espérait ne pas voir ces zigotos se battre dans son honorable établissement.

— Première fois qu'il vient ici, il est arrivé ce midi avec ses gamins. C'est un homme polis, ajouta le tenancier comme si cela pouvait peser dans la balance.

Le patriarche n'en avait cure, seule pour lui sa tête importait.

Il remercia d'un hochement de tête son interlocuteur avant d'enfin siroter sa bière, aussitôt imité par son fils.

— Audric ?

Père et fils se retournèrent comme un seul homme.

— Mon frère, précisa Darragh.

Avec un regard mauvais à l'adresse de sa progéniture, le patriarche rejoignit son cadet.

Suivant la tradition dans sa famille, Audric avait à son tour nommé son premier né Audric. Non pas qu'il regrettait d'avoir un fils homonyme, non, il regrettait que ce bâtard, qui ternissait sans honte son honneur et celui de sa famille, soit son homonyme.

Il était bien le seul à douter de sa paternité sur le garçon. Ils étaient bien trop semblables ; même taille, même visage, même voix. S'ils n'étaient pas père et fils alors la nature s'était fort habilement jouée de lui.

Audric père détestait Audric fils depuis l'instant où son regard s'était posé sur le petit visage cramoisis et grisâtre du nouveau-né braillard. Face à l'engouement et à la fierté de sa famille, Audric avait, bien à contrecœur, cédé et nommé l'enfant d'après le nom de son père, et du père de son père. Il désapprouvait cette faiblesse. S'il avait sus se montrer plus fort, plus entier face aux siens, c'est Rodham, son cadet et sa fierté, qui porterait aujourd'hui leur nom illustre.

— Alors ?

Darragh haussa les épaules.

— Alors rien. Je n'arrive pas à identifier l'espèce.

— Et lui ?

— Il ne semble inquiet de rien. Je me demande même s'il à compris qu'on venait pour lui.

— Je vois, maugréa le maître-chasseur.

L'insouciance des créatures l'irritait et le confortait dans son idée de les mépriser toutes. Elles étaient si naïves que cela les en rendait stupides. Et Audric rêvait d'en combattre une de son gabarit, de chasser une créature qui lui donnerait véritablement du fil à retordre, non pas par sa force seule, mais par son intelligence !

Mais cet animal ne semblait jamais se présenter à lui.

En attendant ce jour glorieux, il s'assit à la table de son frère et ses neveux. De là, il pouvait garder un œil sur l'animal et l'observer confortablement bière à la main.

Audric ne se sentait pas le besoin de se cacher. Comme l'avait prédis Darragh, le Pèlerin ne semblait même pas avoir compris qu'ils venaient pour lui. Il restait à sa table, sirotait sa boisson, jouait avec les enfants, écoutait leurs babillages, leur servait d'oreiller pour la sieste.

Le patriarche ne pouvait s'empêcher de poser un regard condescendant sur sa proie. Quel genre d'homme appréciait jouer et s'occuper d'enfants ? Une femme ? Un vrai homme ne se rabaissait jamais à faire le travail d'une épouse. Il n'y avait que les créatures, ces êtres dégénérés, pour croire que l'ordre naturel des choses pouvaient ainsi être bouleversé.

Ça ne les rendait que plus méprisables aux yeux du chasseur.

Avec dégoût, il vit une serveuse s'approcher du Pèlerin. Ils entretinrent quelques instants une agréable conversation, puis l'animal passa commande et ils se séparèrent.

Le maître-chasseur devait reconnaître que sa cible avait quand même quelques talents à se dissimuler parmi les Hommes. Habituellement, certains détails les trahissaient. Ils n'étaient pas à l'aise, les humains étaient trop bruyants, trop vif, trop nauséabonds pour eux.

Hors, le Pèlerin était parfaitement à l'aise en leur société. Rien ne semblait le déranger. Ni les chopes qui s'entrechoquent, ni les éclats de rire des tables voisines, ni même les cris sur-aiguë de la petite fille.

Ces cris... Audric n'en pouvait plus, qu'ils buttent enfin la bête et rende les gamins à leur père qu'ils en finissent. Le chien aux dents en avant se réveilla de sa sieste et darda sur lui un regard accusateur avant de se rendormir.

Le chasseur en revint à l'étude de sa proie.

Le Pèlerin ne laissait transparaître aucuns indices de nature à dévoiler la sienne. Tout cela rendait son identification plus difficile. Bien que le maître d'équipage n'eut aucun doute que ses hommes puissent venir à bout de n'importe animal, il préférait que les chasses se déroulent sans accrocs.Il appréciait profondément sa belle-sœur et redoutait de lui faire face chaque fois qu'il ramenait l'un de ses neveux blessés. Il ne se pardonnait jamais de voir l'inquiétude sur son visage à leur retour, et jalousait profondément l'amour que son frère et son épouse se portaient.

Si Audric ne s'était pas précipité à réparer l'honneur d'une autre : c'est elle qu'il aurait marié. C'était son visage à elle qu'il s'imaginait quand il s'étendait sur son épouse, sa chair à elle qu'il adorait et honorait, ses caresses à elle encore qui répondaient aux siennes, et son souffle sur sa peau à lui quand il la portait aux nues.

Mais ce n'était qu'un rêve, le chasseur le savait.

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