Les regrets du Pèlerin
Il était un homme colérique autrefois qui se souvenait chaque nuit en rêve d'avoir tenu le corps brisé de son fils entre ses mains. Corps brisé par ses mains. Ses mains à lui. Ses mains poisseuses du sang de son sang.
Un éclat de colère.
Un éclat de colère, c'était tout ce qui lui avait été nécessaire pour défaire la vie précieuse qu'il désirait si aveuglément protéger. Cette vie qu'il avait chérie dès l'instant où il en avait eu connaissance, devant laquelle il s'était émerveillé aux premières respirations, aux premiers pas, aux premiers mots ; à toutes ses premières fois en vérité. Et aux autres fois aussi. Cette vie qui aurait dû voir naître et se dresser à sa suite un homme meilleur qu'il ne serait jamais.
Et tout puissant, et tout auréolé de sa gloire d'alors, il avait été incapable de réparer la chair de sa chair. Aucun de ses vœux, n'y avait rien changé. Il avait maudit les dieux, et lui aussi par-là même.
Il avait repris la vie qu'il avait donnée, et si ardemment échouée à protéger.
Au soubresaut du pâle sourire de son aîné, au souffle de ses derniers mots rassurants, au dernier regard aimant jusqu'au dernier instant, l'homme se réveilla soudain poisseux de l'horreur de ce souvenir qu'il ne cessait de revivre chaque nuit.
Oda, près de lui, ouvrit l'un de ses sept yeux et le posa sur son maître. Le Cauchemar n'avait nul besoin de dormir, mais appréciait à le prétendre quand même.
Elle l'imitait souvent, principalement quand il mangeait, elle lui volait un bout de son repas et le mâchait sans grande conviction. Avait-elle même un sens du goût ? Où même de l'odorat ? Certes, elle savait traquer une proie, mais se basait-elle sur ses organes olfactifs ou sur la magie seule ?
Il l'ignorait.
Depuis des siècles, Oda lui était une compagne fidèle et indéfectible dont il appréciait la tranquille et patiente présence. Il avait, tout de même, quelques difficultés avec les relents de cadavres en putréfaction que dégageait constamment le Cauchemar, mais c'était là tout ce qu'il avait à lui reprocher, aussi acceptait-il sans broncher.
Fatigué de ses nuits sans repos, le Pèlerin se leva pour reprendre son interminable marche vers nulle part.
Peut-être l'y attendait-on...
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