Bouton d'Or (partie 2)
Elle se réveilla à l'aube, avant l'entrée de ses servantes. La princesse s'inquiéta de savoir si elle avait rêvé la rencontre de la veille ou si tout cela était réel, le délicat bourgeon d'or posé, près d'elle, sur son oreiller, lui offrit la réponse. Elle s'en saisit et, comme la veille en conclut qu'il n'y avait pas de lieu plus sûr pour elle que de le cacher contre son cœur.
La princesse était bien seule dans ce palais. Son père, en plus d'être ambitieux et manipulateur, était un indiscret qui aimait à farfouiller dans les secrets de tout les gens de sa maison. Ses enfants n'échappaient pas à ses investigations. Bouton-d'Or avait appris des erreurs de sa mère qu'il n'y avait pas un membre de sa compagnie, ni de son service, qui méritait qu'elle lui accorde sa confiance. Aussitôt que quelqu'un soupçonnerait la venue de son visiteur, son père en serait averti. C'est pour cela qu'elle prit un soin tout particulier, à dissimuler sa fleur contre elle.
Quelques secondes seulement après cela ses servantes entrèrent sans y être invitées, puis l'habillèrent et la préparèrent avant de l'emmener auprès du roi comme on le ferait d'une poupée de soie. Avec tout ces regards qui plus que jamais admirait sa beauté, sa richesse et la grandeur de son destin, la princesse eut plus de mal que jamais à cacher ses émois.
Ô, comme elle aurait voulu fuir en cet instant. Ô comme elle aurait voulu voir son beau visage, entendre sa voix grave, effleurer sa peau de ses doigts, les nouer aux siens peut-être, goûter à son souffle et à ses lèvres sur les siennes. Ô comme cela serait doux...
Elle fléchit et se reprit, se para encore de son masque de poupée et tâcha de ne plus penser à lui. Pourtant, alors qu'un messager remontait l'allée jusqu'au souverain, elle crus sentir ses doigts fantomatiques frôler les siens une seconde, puis disparaître. Son cœur se serra dans sa poitrine tandis que la nouvelle parvenait enfin à la cour.
Un homme, peut-être trop vieux sur un cheval trop fougueux, et des molosses fort hargneux. Et son promis n'était plus.
Le roi hurla de rage. Il rappela l'incapacité du disparu à tenir ses promesse, s'en prit ensuite à son trône, à ses serviteurs, à ses gardes, à sa cour, et au pauvre messager. Enfin donna congé à tous et ordonna une chasse pour se détendre.
Bouton-d'Or fut escortée dans sa tour. Ses beaux atours de fiançailles furent troqués pour de moins festifs, mais tout aussi dispendieux. Tous devaient savoir que ce revers n'affectait en rien la famille royal, en sa richesse ou en son influence. L'échec revenait au défunt et à sa famille, pas à celle du roi.
Cette politique indifférait la princesse, au moins, elle n'avait à porter le deuil d'un époux qu'elle n'avait eu le temps de marier.
La dernière de ses servantes l'avaient à peine quittée que la princesse tira sans plus y réfléchir son bouton-d'or de sa cachette, elle l'examina pensive, s'inquiéta encore de savoir s'il viendrait ce soir ou non. La prudence tempéra son impatience et elle attendis trop longuement que la nuit soit sienne avant de porter enfin le bourgeon à ses lèvres.
Les arbres de son jardin frémirent au dehors. Ses poils se hérissèrent sous l'effleurement du frimas. Elle se leva.
Lentement, des ténèbres qui nimbaient sa chambre, émergea le Pèlerin. Il la salua, d'un hochement de tête, elle lui répondis pareillement puis un silence gêné s'installa entre eux.
Elle le brisa :
— Merci. Merci, merci, merci infiniment !
Elle s'était approchée de lui.
Le Pèlerin souris troublé par tant de sollicitude.
— Je vous l'avais promis, rappela-t-il doucement.
— En effet.
Bouton-d'Or chercha quelque chose à ajouter, ne trouva rien et se tut, un nouveau silence s'installa alors entre eux.
Elle voulus s'approcher, eu peur de l'effrayer ou de l'offenser ainsi, qu'il s'évanouisse dans la nuit, et y renonça donc. Mais la tentation était grande, l'attraction tout autant, alors malgré elle, elle fit un pas en avant entre ses nombreux dandinements.
Il ne le remarqua pas.
— Que ferez-vous maintenant ?
Cette fois, c'était lui qui rompis le silence.
La princesse pesa ses attentes, ses espoirs et ses craintes, rougis en y repensant, puis les formulas en ces mots :
— Je veux aimer celui que je me suis choisies d'aimer.
Le Pèlerin s'embrunit d'obscurité.
— Vous aime-t-il en retour ?
— Je ne sais pas.
Un peu honteuse la jeune femme recula et détourna les yeux. Devait-elle se confesser ? Devait-elle se taire ? Elle énuméra toute les raisons de se déclarer et celles de s'en prévenir Le devait-elle ? Ne le devait-elle pas ? Tâta ses craintes, les nomma, les lista, les soupesa, puis en fit de même avec ses illusions. Bouton-d'Or sonda son courage, laissa l'idée séduire son esprit, l'enchanter même, la repoussa aussitôt, l'apprivoisa encore et enfin, apostasia sa peur.
— M'aimez-vous ?
Il tressaillit. Elle tendit vers lui la main, le vagabond hésita, consentit au contact et s'en saisit lentement.
Ils s'apprivoisèrent doucement, comme pour ne pas faire fuir l'autre, cette paume contre la leur. Ses doigts blancs et fins noués dans ceux bruns et épais, et cette peau fraîche et tendre contre celle chaude et rugueuse du voyageur.
Elle suivit du bout de l'index, et très délicatement comme pour ne pas la rouvrir, la cicatrice qui barrait sa main droite, puis, enfin elle se fondit contre lui. Il referma ses bras autour d'elle. La princesse se sentait capable de rester là, ainsi, dans ses bras pour l'éternité ; mais son impatience l'enhardissait. Elle voulait plus, elle voulait bien plus.
Bouton-d'Or se recula légèrement de son aimé, se hissa sur la pointe des pieds et du bout des lèvres ne put atteindre que la pointe broussailleuse de sa barbe. Le Pèlerin se courba et l'embrassa.
Ce fut un baiser d'abord timide, de ceux qui n'osent espérer ce qui est pourtant évident, puis devint brûlant d'ardeur et de fièvre.
La nuit était encore jeune, mais pour deux amants qui se découvrent, que la passion dévore, et pour qui chaque instant doit être vécus intensément et pleinement ; elle est bien trop courte.
Sans assurance d'un lendemain, et certains d'être faits l'un pour l'autre, ils ne se parèrent d'aucune pudeur et ne s'embarrassèrent d'aucun vêtement. La princesse n'était pas prête à perdre son hymen, et le Pèlerin le respecta. Bientôt, seul résonna le murmure d'une peau contre l'autre.
Personne n'entendit. Une pluie torrentielle s’abattit sur le palais et ses environs, garda les curieux de sortir et les oreilles indiscrètes d'écouter aux portes.
Ainsi le secret fut-il bien gardé.
À partir de cette nuit, Bouton-d'Or se fit prudente ; l'ignorance de ses servantes assurait celle de son père. Elle ne laissa rien transparaître des visites nocturnes du vagabond.
Toutefois, dès la dernière chandelle soufflée, dès que les ténèbres étendaient sur sa vie leur voile protecteur, la princesse attendait son amant à sa fenêtre. En quelques jours à peine, elle avait sus distinguer sans erreur son murmure dans le vent et la caresse du frima qui annonçait sa venue.
Alors, en ces instants, peu importaient dans l'étreinte de ses bras les événements de la journée. Peu importait donc qu'aujourd'hui, pour la seconde fois, que son père lui eut trouvé un fiancé. Oui, tout cela importait peu. Car en cet instant, Bouton-d'Or attendait son aimé qui ne devait plus tarder.
Abritée par ses jardins, écrin de leur secret, et par sa tour, joyau de leurs amours cachés, elle comptait ce soir se donner à son amant toute entière. Il n'avait rien demandé, elle s'y sentait prête.
La jeune femme, en vérité, craignait qu'à trop attendre, le Pèlerin se désintéressait d'elle. Il n'en avait rien laissé entendre, n'avait fait montre d'aucun signe qui ne trahisse de telles pensées ou impatience. Bien au contraire, son amour pour elle semblait à chaque visite plus fort. Mais dans le cœur de la princesse, la raison avait peu de poids face aux doutes.
La bise susurra enfin sa présence, ébruita silencieusement son aura. Insensible au froid qui la saisissait, Bouton-d'Or s'avança vers les ombres les plus profondes de ses appartements.
Le bâton de marche fut le premier à apparaître, puis enfin le Pèlerin tout entier. Elle l'accueillit avec le sourire et se jeta dans ses bras ; il l'y reçut avec joie. La jeune femme chercha aussitôt ses lèvres, réclama sa nudité, lui offrit la sienne en compensation. Mais face à tant d'empressements, son amant la repoussa.
N'ayant que faire de sa retenue, elle se pressa d'avantage contre lui, voulut encore forcer à naître une passion qu'elle craignait de perdre.
Il se déroba de nouveau. La repoussa franchement.
Comment pouvait-il l'aimer si elle ne pouvait le contenter ?
Par son offense, Bouton-d'Or crut l'avoir perdu. Elle abdiqua, recula à son tour, chercha, désœuvrée, où s'abandonner à son désarroi. Dans le fauteuil de sa mère ? Ou la véranda qui donnait sur sa précieuse roseraie, peut-être ? Le jardin lui-même ? Tout, mais au plus loin de sa propre prédation, de ses propres peurs.
Sans un bruit, le Pèlerin l'enveloppa délicatement de sa cape, couvrit sa tête de son large chapeau et la berça en fredonnant une mélodie qu'elle ne connaissait pas.
Il reconnut le poids qui pesait, invisible, sur ses épaules.
Enfin, Bouton-d'Or se détendit.
Hésitant, il l'enserra doucement dans ses bras. Elle renoua ses doigts aux siens, apprécia le contact de cette peau épaisse contre la sienne. La jeune femme se pelotonna contre lui. Tranquillement, le Pèlerin passa sa main dans sa chevelure, en brossa les fils d'or, puis il dessina dans son dos de fantasques arabesques. Un sourire mutin aux coins des lèvres, il embrassa , reforgeant le lien qu'elle croyait brisé. Son amant ôta sa chemise, dénoua sa ceinture et recula bras ouverts, qu'elle admire comme il s'offrait à sa volonté.
Un sourire amusé fleurie sur le visage de la belle.
Cette fois, il consentait pleinement à leur union.
Ô comme ils avaient eu tout deux si peur de se perdre ! de ne plus savoir communiquer !
Ensemble enfin, ils roulèrent en riant dans les draps, y chahutèrent comme des enfants.
Après un temps, les badineries changèrent et se firent plus tendre, plus sensuel, plus charnels aussi. Les amants se redécouvraient comme s'ils se rencontraient à peine, s'aimant en caresse comme s'ils s'étaient toujours connus.
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