La naine et le Pèlerin: La Mésange d'Estérillion( partie 3/9)

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_ Par les Dieux ! J'accepte avec plaisir ! s'exclama Loïs avec enthousiasme.

Les auberges de marchands étaient les plus chères et celles qui rapportaient le plus, nul doute que Loïs serait logée dans le grenier, mais c'était là une opportunité à ne pas laisser passer.

Le marchand claqua des mains comme s'il venait de conclure une bonne affaire, puis se pencha vers la troubadour et demanda sur un ton presque enfantin :

_ Maître Nain, jouerez-vous pour nous « le cordonnier et la belle » ?

_ Bien sûr mon ami ! Celle-la ou n'importe laquelle autre ! assura Loïs.

La troubadour était habituée à recevoir ce genre de demande particulière, et elle les honorait toujours à condition que les chansons figurent dans son répertoire. Ce dernier comprenait tout autant des chants populaires et des classiques, que composés des chants par elle-même, ou encore des récitals familiaux hérité de son temps à la cour d'Esterillion. Ceux-ci n'étaient plus réclamé par personne depuis longtemps, mais par nostalgie, Loïs les pratiquait encore parfois ; seule quand personne ne pouvait l'entendre, avec ses chèvres pour unique public et les arbres pour contenir son secret.

Le marchand maintenant rassuré se perdit en babillages de toutes sortes. Commérages de bonnes femmes, anecdotes de voyages, conseils divers et variés sur ses affaires et ceux avec lesquels il les menait, tout y passa. Au guet, il fit arrêter ses serviteurs et ses charrettes avec pour but de les préparer à la traversée. Loïs décida d'en faire de même avec le Pèlerin :

_ À ce guet, l'eau n'est guère haute, les chèvres traverseront sans problème, le rassura-t-elle.

D'un hochement de tête, il lui signifia avoir pris note de ses conseils.

_ Maître Nain ! Maître Nain ! cria le marchand dans leur dos en leur faisant de grand signe de bras pour attirer son attention. Maître Nain ! Maître Nain ! Venez donc avec nous ! Faites nous l'honneur de traverser sur l'une de nos charrettes ! Laissez vos chèvres à votre serviteur et placez vos instruments sur nos véhicules, ils y voyageront au sec !

Face à tant de sollicitude, la troubadour répondis d'un grand sourire.

_ Allez profiter de vos admirateurs, ils vous réclament.

La voix calme et toujours mesurée du Pèlerin la fit sursauter.

_ Allez-y Loïs, je m'occupe de tout, assura-t-il encore de sa voix douce en se mettant déjà au travail de soulager les chèvres de leurs bâts.

_ Merci, murmura la troubadour, touchée par sa sollicitude.

Elle resta avec lui malgré ses recommandations et l'aida à décharger ses bêtes. Elle était étrangement émue que pour la première fois il l'appela par son prénom.

Non pas, elle le sentait, qu'il l’eût fait par un soudain regain de familiarité envers elle, ou pour quelques jalousies qu'auraient excitées la présence et l'attention que les autres voyageurs lui portaient. Non, il l'avait fait pour protéger l'un de ses plus grands secrets : son travestissement. Né de son besoin de se protéger sur la route et pour les besoins du spectacle, Loïs était, pour tous, Maître Nain, ou Maître Troubadour, mais pas pour son compagnon de voyage. Le corps difformé par le nanisme qui touchait l'artiste et ses vêtements masculins n'avaient jamais trompés le voyageur. Puisque les mots lui manquaient pour exprimer sa reconnaissance, Loïs se tut.

Ils achevèrent rapidement de libérer les chèvres de leurs fardeaux et les chargèrent dans les véhicules du marchand. Ce dernier était déjà assis dans l'un d'eux et avait dégagé une place pour que celle-ci siège à ses côtés, impatient, il enjoignait la troubadour et son serviteur de se presser. Non pas qu'il soit en retard, non, simplement était-il impatient d'avoir l'attention du Maître pour lui seul.

_ Maître Nain ! Venez-vous ? Maître Nain ?

Le Pèlerin accompagna Loïs, jusqu'à l'arrière du véhicule où les attendait leur hôte. D'ordinaire, la troubadour avait l'habitude obstiné de toujours se débrouiller seule. Elle pouvait sauter et se hisser, difficilement, mais par elle-même, sur le chariot, toutefois elle fit le choix de demander de l'aide au voyageur. C'était sa façon à elle, encore peu habituée à se confier aux autres, de le remercier pour tantôt. Leur regard se croisèrent et il comprit ce qu'elle attendait de lui. Le Pèlerin la souleva du sol comme si elle ne pesait rien et l'assis aux côtés du marchand, qui ne s'était pas une seule fois interrompus dans ses pépiements. Il assurait pourtant de temps à autre, que seules les femmes se perdaient ainsi en anecdotes futiles, et autres babillages, avant de reprendre de plus belle. Patiente, Loïs écoutait son nouveau protecteur sans rien dire. Elle était toujours impressionnée quant à sa capacité à se montrer tolérante envers les idiots quand il y avait une promesse d'argent et de logement gratuit à la clé.

Si elle la jouait bien, elle pouvait peut-être même se faire offrir le repas avant d'avoir eu à faire démonstration de ses talents. Elle n'avait rien contre la viande de lapin, de hérisson, d'oiseau et les plantes, racines ou champignons sauvages qui formaient son quotidien, mais rien ne valait de mieux qu'un bon vrai repas mitonné avec amour dans un chaudron pendant de longues heures et assaisonné avec justesse.

La traversée du guet par la caravane se passa presque sans soucis. Presque, car une fois encore, Carpaccio s'immobilisa dans un sempiternel combat de regard avec l'objet de son hésitation. Sauf que le Pèlerin ne s'embarrassa pas à tirer où à pousser la chèvre comme le faisait Loïs, il s'en saisit simplement et la porta de l'autre côté de la rivière. Jalouse, Brochette qui avait assistée à toute la scène s'immobilisa à son tour et attendit d'être portée comme sa congénère. Au regard du succès de ses consœurs, Tartare s'y essaya elle aussi, toutefois, puisqu'elle était presque déjà arrivé sur l'autre rive et que ses humains profitèrent de son inaccoutumée immobilité pour lui remettre ses bâts, ce fut un échec.

Vaincue, tête basse et l'échine alourdie par sa charge ; la biquette se résolus marcher docilement dans les pas de sa maîtresse. Et un peu sur ceux-ci lorsque la caravane entra pleinement dans le bourg. Si Brochette n'avait toujours d'yeux que pour le Pèlerin, ignorant même les tonneaux qu'elle aimait pourtant obsessivement escalader d'habitude ; Tarare et Carpaccio, elles, restaient résolument collées aux basques de leur maîtresse. Elles n'aimaient guère cette surreprésentation d'agités bipèdes qui assaillaient et saturaient tout leurs sens.

Fort heureusement pour les deux caprines, après de longues minutes de calvaire à traverser le bourg, leur hôte parvint à convaincre sans mal l'aubergiste qui le logeait d'en faire de même pour leur maîtresse. Les trois chèvres et le Pèlerin se virent offrir une stalle dans l'écurie. La paille y était fraîche et les murs étouffaient un peu le brouhaha et les bruits des humains. Ragaillardis, Tartare se mit aussitôt à défier les autres animaux. Ni le puissant destrier noir attaché dans sa stalle, ni les massifs bœufs de bâts entravés dans leur étable ne l'impressionnaient ; et elle terrifia tant le grand chien de garde de l'aubergiste que celui-ci se refusa dorénavant à entrer dans les lieux en sa présence. La chèvre tenta aussi de défier un chaton de quelques semaines, mais sa mère mit un terme rapide aux véhémences de la caprine qui trouva refuge auprès du Pèlerin.

Profitant d'être loin du chaos généré par ses animaux, Loïs échangeait plaisamment avec son hôte, l'aubergiste et des étrangers qui occupaient leur table. Parmi eux se trouvait un chevalier ; le propriétaire du grand destrier noir dans l'écurie ; ce dernier, ignorant tout de l'outrage que subissait sa noble monture n'en pris nullement ombrage. À la place, comme tout les autres, il admira d'être en présence d'un maître troubadour et comme tous lui fit des requêtes. Bien que de noble naissance et ayant sa place à la cour de dame Deirdre, il ne traînait pas dans ce tripot sans raison, tout autant que les fastes de sa condition, il aimait la fange et les chants qui allaient avec.

Ils brûlaient tous d'impatience d'entendre le Maître chanter et Loïs comprit qu'elle n'aurait pas besoin de quitter l'auberge pour se remplir les poches. Le public viendrait à elle et si l'aubergiste n'était point un goujat comme il l'assurait, il lui verserait une petite gratification sur toute les consommations que générerait sa présence. Intérieurement, la troubadour faisait déjà ses estimations de rentabilité pour la performance de la soirée.

Il fallait qu'elle fasse vite toutefois, sa présence était déjà éventée et son public commençait à s'amasser dans la salle. Saturée par la chaleur et les odeurs corporelles humaines, ainsi que le brouhaha que générait une telle surpopulation, il lui faudrait aussi rapidement déterminer si elle choisissait de se produire dans la salle ou dans la cour de l'auberge.

La soirée, telle que l'entendait Loïs, dû commencer en début d'après-midi. Face à toute les sollicitations qu'elle recevait, la troubadour avait finis par céder à sa façon, elle ne chantait pas encore et se contentait de jouer de ses instruments. Pourtant, déjà, cela suffisait à captiver son public, il ne s'en contenterait guère longtemps, elle le savait, mais cela suffisait encore pour l'instant.

Sous le regard sceptique de son auditoire, elle tira de son sac son galoubet, une petite flûte inconnue dans ce pays qui les laissa tous dubitatif. Elle vérifia que l'instrument n'avait subit aucun dommage ni altération ; les chèvres et leurs bêtises en causaient souvent ; et commença à jouer. Bientôt des notes harmonieuses s'échappèrent de ce qui ne semblait auparavant qu'un simple tube de bois et enchantèrent l'air de l'auberge. Personne n'osait plus élever de trop la voix, les discussions allaient joyeuses et amicales, les consommations bon trains ; et même les trop saouls pour retrouver leurs pieds au bout de leurs jambes se tenaient à carreau. Loïs se savait capable d'influencer encore l'humeur de son auditoire. Elle l'avait déjà fait à de nombreuses reprises quand les aubergistes refusaient de la payer, elle jouait alors de tel façon que les tensions montaient et finissaient par éclater. Si ses trois caprines pouvaient se montrer chaotique, il n'y avait rien de comparable avec ce que pouvait générer la troubadour lorsqu'elle était irritée. La carcasse calcinée d'une auberge sur l'une des collines de Hauts de Verts en était la preuve.

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