Chap 7 provisoire

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Son repas terminé Loïs retourna auprès de ses instruments qu'elle fit migrer du grenier aux écuries. C'était sans doute une mauvaise idée, ses trois chèvres risquaient de les abîmer en jouant, mais elle préférait cela à ce qu'on les vole au moins elle aurait un œil dessus.

Pendant son absence, le Pèlerin et ses ovines n'étaient pas revenus, certainement ne devaient-ils pas être très loin car Carpaccio avait rejoint ses compères, aussi Loïs ne s'inquiéta-t-elle nullement de leur absence. Elle accorda plutôt ses instruments, s'entraîna à quelques accords histoire de. Devant le public restreint du destrier des deux bœufs et de la chatte cendrée qui logeaient aussi dans l'écurie elle commença à composer un peu. Deux chatons gris jouaient à la bagarre comme s'ils étaient des titans se déchirant pour la conquête du monde. Ils étaient minuscules, chancelant et patauds, de bien maigres titans donc, mais ils en avaient l'attitude et l'ambition. Sous le stylet de Loïs dans la cire de sa tablette, ils se transformèrent en chevaliers, frères de sang qui se déchiraient aujourd'hui pour un pays lointain. L'avantage du lointain, c'est que c'était toujours vendeur, un vrai indémodable depuis la nuit des temps ! Maintenant, il fallait décider qui de Tristan ou de Baudouin, c'était les surnoms de Loïs pour les deux chatons, allait remporter la victoire et pour quelle cause ! Dame Cendrée, leur mère, entendant la porte s'ouvrir sauta dans la paille se saisit du plus grand de ses petits et le cacha rapidement dans un des recoins de l'écurie avant de récupérer le second et d'en faire de même.

— Maître nain, s'enquit en franchissant le seuil le détestable chevalier de la veille.

Oui, Loïs le jugeait détestable. Ça arrivait à la troubadour de se montrer rancunière, surtout quand elle passait à deux doigts de se faire démembrer par une population rendu fanatique par les cris de cet énergumène. La naine choisis donc de l'ignorer et continua à graver dans la cire les paroles de sa prochaine chanson.

Le chevalier ignora royalement qu'elle l'ignorait et fit au contraire comme si elle l'avait invité à se taper la causette avec elle.

— Maître nain, reprit-il, vous avez un rare talent, vous jouerez pour ma sœur et moi ce soir.

— Impossible. Trancha Loïs, ce soir j'ai d'autres engagements.

—Sûrement, pourrez vous vous désister. C'est l'anniversaire de ma cousine et j'aimerais grandement lui faire plaisir. Je sais qu'elle saura apprécier votre talent plus justement que n'importe lequel de ces culs-terreux.

—Votre cousine malheureusement devra se passer de moi ce soir, j'ai d'autres engagements et qu'une seule parole.

Le ton de Loïs était implacable. Par Guerre ! elle refusait de se produire pour lui ou pour aucun de sa maudite famille !

La plupart des hommes et femmes avec un brin de jugeote auraient compris que son avis était fait, la conversation close et qu'il fallait lui fiche la paix maintenant. Même un simplet du village aurait compris cela ! Mais le chevalier ne semblait pas capable d'en tirer la même conclusion pourtant évidente et continua :

—Demain ?

De colère, Loïs claqua sa tablette de cire sur sa cuisse et manqua de se poignarder l'autre de ses cuisseaux avec le stylet de métal. Où était sa fronde ? Tout chevalier ou non qu'il était, elle allait lui faire entrer du plomb dans le crâne à cet impertinent !

— Ma cousine, Dame Deirdre, appréciera mieux vos qualités que n'importe lequel de ces crasseux vous en conviendrez, Maître nain ? Peut-être même vous accordera-t-elle sa protection et vous pourrez recommencer à vous produire dans une cour de votre niveau plutôt que dans celle d'une auberge.

Loïs le foudroya du regard.

— N'est-ce pas pour jouer chez ma tendre cousine, Dame Deirdre, il insista sur le nom comme s'il tentait de graver l'information dans le crâne épais de son interlocutrice. Que vous vous produisez ici cette année comme des dizaines d'autres de votre espèce ?

La seule espèce que Loïs voyait là, c'était cette espèce de connard qui se dressait devant elle et qu'elle était prête à calmer et à ramener sur terre. Et sous terre. La naine jouait aussi bien de son vièle que de sa fronde. Puis, elle se rappela qu'il était le cousin de Dame Deirdre, la noble dame pour laquelle elle se produisait tout les ans ici en espérant avoir sa chance à sa cour. Une fois calmée, la bosse des affaires de la troubadour se remis à la titiller.

— Quelle est votre offre ? Elle as intérêt à être meilleure que celle de l'aubergiste !

Loïs le savait ; il n'y avait rien de plus radin qu'un intendant de château au moment de payer.

Un sourire mesquin de satisfaction apparus sur les lèvres du chevalier, il était sans doute incapable de sourire autrement décida la naine. Son interlocuteur embrassa du regard la pièce autour de lui, il n'avait que mépris et pitié pour chaque chaque centimètre carré de l'écurie qui s'offrait à sa vue. Rien ici ne semblait être digne de sa personne. Même son destrier ne sembla pas trouver qu'une grâce limité à ses yeux. L'animal n'était qu'un outil, c'était tout. Loïs eu un peu pitié de lui, certes, les équidés par leur taille et leur force l'avait toujours inquiété, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir du respect pour eux.

— Votre serviteur n'est pas là ?

— Je l'ai envoyer faire paître mes chèvres, répondit Loïs avec assurance.

— Que direz-vous de vous présenter demain au château de ma cousine, avec votre serviteur et votre ménagerie ? On vous offrira un bon bain chaud, la meilleure nourriture que vous n'avez jamais mangé de votre vie et vous serez invité à vous produire pour le dîner.

— Mais ça fait combien en pièces sonnantes et trébuchantes tout ça ?

Visiblement vexé par ces inquiétudes pécuniaires le noble pinça les lèvres, puis se força à lui offrir un sourire coincé. Les intendants étaient peut-être plus généreux que leurs maîtres finalement.

— Je vous offre sept pièces d'or, qu'en dîtes-vous ?

Loïs fit rapidement la conversion en pièces de cuivre et sous d'argent. C'était équivalent a ce qu'elle pouvait espérer gagner auprès de l'aubergiste et indéniablement plus facile à transporter qu'une fortune en cuivre.

— Fort bien, accepta la nain.

La troubadour cracha ensuite dans sa main et la tendit à son interlocuteur. Elle n'en montra rien, mais cette vieille tradition l’écœurait tout autant que l'homme. Toutefois, comment résister face à la mine de dégoût et d'horreur que le fier chevalier lui affichait ? Loïs insista du regard pour qu'il accepte leur marché, non, non, il n'y couperait pas ! Le noble prit une grande inspiration pour se donner du courage, ôta son gant ; il devait se douter qu'avec ça ne compterait pas, et serra enfin la main de son interlocutrice. La naine sentis qu'il était aussi tendus qu'un vieux chêne sous l'assaut du vent. Elle fit durer l'étreinte et pressa bien ses petits doigts boudinés dans la poigne ferme de son interlocuteur.

— Á demain seigneur.

— Á demain maître troubadour. J'ai hâte de vous entendre chanter encore.

Toujours aussi raide qu'un arbre ; c'était à s'en demander où il avait bien fourré ce vieux chêne, le chevalier s'en repartis.

— Contente d'avoir fait affaire avec vous, maugréa Loïs quand elle fut seule.

Enfin elle pus s'essuyer la main avec dégoût et la lava dans une auge en se promettant de ne plus recommencer. Elle recommencerait, ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait une telle promesse et dans quasiment les mêmes termes. Les seuls changements à son discourt était les flots d'injures qu'elle s'adressait à elle-même. La naine repensa à la mine pincée du chevalier et cela lui arracha un sourire. Elle recommencerais, c'était certains.

Ses ablutions achevées, elle renifla rapidement sa chemise. Elle se lavait dans les rivières qu'elle croisait pendant ses cheminements, mais c'était vrai qu'un bon bain chaud ne lui ferait pas de mal. Comme elle l'avait prédit, elle sentait la sueur et les chèvres. Ça allait pour son public de paysans, mais elle comprenait que l'odeur puisse indisposer une noble dame.

Par les Dieux et leurs ailes ! Elle allait chanter pour une noble dame. Une noble dame et sa court ! Depuis combien de temps ne l'avait-elle plus fait ? Une décennie, presque deux, tout au moins ! Loïs ne s'en souvenait plus trop, elle vivait au jour le jour et perdait étrangement le fil des années. Elle était tout à fait capable de se souvenir et de s'organiser pour participer à des événements réguliers comme celui-ci selon les saisons. Passé deux ou trois ans toutefois, tout souvenir perdait de sa temporalité, ça s'était produit quand à savoir quand exactement c'était une autre question. Cette confusion n'était pas unique à Loïs ; seuls les lettrés et les seigneurs, dont la gestion des domaines et de la diplomatie dépendaient de ses savoirs, tenaient comptent des années. La troubadour ne savait même pas avec exactitude quelle était l'année de sa naissance ni quel était son âge, approximativement une quarantaine d'année. Peut-être plus, peut-être moins, elle n'en savait rien et s'en fichait comme d'une guigne ! Elle allait se produire pour une noble dame ! Alors quelle importance ? Pour l'heure toutefois, un public plus humble l'attendait.

Encore grandement troublée par les débordements de la veille, Loïs s'arma de sa fronde qu'elle glissa dans la ceinture. Elle attacha aussi à sa sous-ventrière la bourse qui contenait ses projectiles, la naine avaient ses préférences et ne trouvait pas toujours galets à sa convenance aussi faisait-elle des stocks. Il n'y avait rien de pire qu'un projectile mal équilibré ou pas assez rond qui déviait votre tir. Maintenant certaine de sa capacité à assurer sa protection en l'absence du Pèlerin, la troubadour sortis enfin de son refuge afin d'assurer son spectacle !

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