Chez soi
Où suis-je ?
Il y a quelque chose. Il y a un bruit.
C'est ce satané réveil. Veux-tu bien te taire ?
Déjà je me tortille dans ce lit trop petit, tends la main. Tais-toi.
...
Il reprend, ce fou ! je suis con, c'est que j'ai mis l'option réveil multiple. Tais-toi à la fin !
Il faut bien que je revienne à la réalité. À quoi bon ? mais à quoi bon la nuit aussi...
Il y a bien longtemps que je ne rêve plus.
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On n'appartient pas à soi-même, on appartient à ce monde. À ces horaires, à cet espace, aux occupations, aux obligations... Et quand je plonge mes yeux dans le fond noir de mon bol, la surface ne me répond rien. À peine l'écume mime-t-elle un univers qui tourne, et tourne...
Je bois.
Faut y aller.
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'Toute façon j'aime pas mon appartement. Trop petit. J'étouffe. Je pense ça pendant que mes pas battent le pavé et que j'esquive les passants. Mes yeux divaguent par le ciel ; par les toits des bâtiments qui se succèdent, qui s'imposent, foutus bâtiments... - Pardon, madame. Je suis à l'air libre, mais... Comment on profite de sa liberté ? liberté, tu parles...
Au diable, je me précipite vers le métro. Fait froid. Dans le métro il fera chaud.
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Devant la bouche.
Ca vient, ça va... Allez allez. Un souffle m'attrape. Faut suivre la marche, faut se mettre en rang, dans l'escalator... Les murs s'élèvent dans les airs, l'extérieur, se referme... Se referme sur nous.
- Encore une ombre qui passe sur ma gauche, fait pas attention.
Je regarde ma montre. Soupire.
Les mains dans les poches. Ressortent de longs filaments noirs.
What I wonder...
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Agitation et bruit autour de moi. J'augmente le son de mon portable : trop faible. Rien à faire, ça sert à rien, je coupe. Je me mets où alors ?
Je m'écarte encore. Pardon, pardon.
Et faut que je prépare aussi le dossier pour demain ; j'ai les documents sur moi, j'ai un peu de temps, - oui ça va -, faut travailler, - zut -, échéances, retard... 7h47 ! je repère.
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Les portes de la rame se referment - remplies à raz bord -, comme par hasard, j'arrive toujours un poil après.
Un gros paquet de gens s'amasse.
Non ? pas moyen d'être assis. Qui sait. Je me faufile un peu, je prévois la place de la porte. Assis...
La rame arrive, elle déverse son contenu sur le quai. Je m'immisce. Un siège. Y a pas trop de monde, ça va.
Je me pose.
Je parie que ça va pas durer.
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Je vois mon reflet sur la vitre. Vague, sombre, indistinct. Rien qu'une forme, éphémère. Mon reflet disparaîtra, je quitterai le métro, je quitterai le boulot, et à nouveau mon appartement... Si je reste à l'appartement, ils diront quoi au boulot ? Si je reste au travail, quelle tête ils feront ? Si je m'abandonne à cette rame, comment ils me regarderont les gens ? Non non, faut sortir, faut rentrer, faut sortir.
Je regarde mon reflet.
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La rame se remplit. Encore 6 arrêts. Une vieille rentre. Je vois que son regard se pose un instant sur mon siège ; je fais semblant de rien et détourne la tête.
J'ai pas le droit à rester chez moi, j'ai pas le droit à ce siège, j'ai le droit à quoi ? Je remarque qu'en fait de vieilles, y en a 4, toute une bande. Trois personnes autour de moi leur cèdent la place. La dernière me regarde bizarre.
Je me lève et, de rage, reprends mes écouteurs.
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"Inside...Outside... It's all...they want..."
La vieille me regarde. Quoi encore ? Elle se tourne vers l'autre sur sa gauche. Elles évoquent le bon vieux temps, quand on n'était pas sur son écran - j'ai mon portable à la main, forcément, j'écoute de la musique -, quand ceci, quand cela. Quand on lisait des bouquins.
Toujours à tout décider de tout...
It's all...they want...
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Je suis secoué, je manque de toucher d'autres usagers, mon corps se tortillonne. Je me stabilise. Nouvel arrêt. Encore 4 après celui-ci.
Alors que les portes s'apprêtent à se refermer, j'entends un pas de course. Je me retourne et un gars me tombe dessus.
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Là j'en peux plus. "Tu peux pas faire attention ?!" L'autre il fait comme si de rien n'était. Je l'injurie, je tempête. Y a pas moyen, quoi qu'on fasse, on s'en prend de partout. Pas moyen de se poser nulle part.
J'ai rien demandé, je veux juste qu'on me foute la paix. Pourquoi tu débaroules comme ça ? Fiche-moi la paix, qu'est-ce que tu me veux ?
Jamais tranquille.
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Inside...Outside...
Autour de moi, ça chauffe. Une dame lui fait la leçon. L'a pas volé.
...
Inside... À l'intérieur il fait chaud, des présences partout.
Et puis à la place je vais me retrouver entre les quatre murs - comme on dit - du travail. J'ai les dossiers à rendre - vite, vite.
En passant par l'air froid qui gicle au visage.
Outside...
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J'entends rien de la musique. J'arrête et mets les écouteurs dans ma poche.
L'intrus et un autre type parlent de s'expliquer dehors.
C'est vraiment stupide.
Mes yeux dérivent. Des silhouettes dans tous les sens, des parois grises, un poème débile... Je me sauve à la fenêtre, mais la fenêtre donne sur un mur. Par-delà cette fenêtre il n'y a rien. Comme un ascenseur.
Il n'y a rien.
Il n'y a nulle part.
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Je vais à la boîte. Je vais rentrer par les transports en commun, je vais atterrir chez moi, pour y prendre du café, prendre des pizzas, allumer la télé...
Sauf que c'est pas chez moi.
Je vais perdre mon temps sur France 2, je vais dîner, je vais me coucher.
La télé : comme tous les Français. Dîner, me coucher : comme tout le monde.
Comme tout le monde. Nulle part.
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Par la fenêtre la lune. Mais je ne suis pas poète, je n'ai rien à en dire. Et ça fait rien de regarder. Il se passe rien. Rien du tout.
Paraît qu'elle est à des centaines...de milliers de kilomètres.
Des centaines
de milliers,
de kilomètres
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