Le fantôme d'un ami
Elia
Le matin du 23 janvier
Mes parents ont toujours eu des drôles d'idées comme m'appeler Elia et... j'ai toujours détesté ce prénom. D'ailleurs, mon frère de la vie, mon ami, avait longuement insisté pour que je le change. Il avait un tel caractère celui-là à me prendre constamment la tête pour avoir raison. La première fois que je lui ai parlé, c'était au lycée, pendant un cours de physique. Dès notre première rencontre, il s'est gentiment moqué de moi, car l'expérience que nous effectuons indiquait que je ne faisais pas assez de sport. Il essayait juste d'être amical avec moi au début de notre rencontre, mais je n'étais pas habitué pour ma part, je pensais carrément qu'il me draguait d'où une gêne encore plus palpable. Ces débuts désastreux passés, on est vite devenu très amis, traversant des moments de délires comme des instants de peines. Qu'est-ce que j'ai passé du temps à lui parler par message à celui-là, on s'entendait tellement bien, si on oublie nos stupides disputes à cause de sa légendaire susceptibilité et ma rancune tenace. Nous, les deux sédentaires, avons aussi tenté de se mettre ensemble au sport en s'inscrivant à une salle, mais à part ruiner ses parents cela n'a pas servi à grand-chose. Un léger éloignement est apparu entre nous après la seconde, nous n'étions plus dans la même classe, cela semblait inévitable en même temps.
Les meilleures années de ma vie ont commencé à Lyon en collocation avec Marine et lui. Il s'était inscrit dans une faculté de droit de Lyon, et suivait rigoureusement chacun de ses cours. Malgré tout notre boulot, je ne loupais aucun de nos moments cafés plutôt thés pour moi tous les samedis. On parlait à la fois de rien et de tout, on jonglait entre nos maux d'amour, nos soucis à l'université ou des blagues graveleuses. Il abordait également des sujets politiques, il a d'ailleurs réussi à m'intéresser à cela au fils du temps, alors que j'étais complètement apolitique à la base. Il insistait afin que je me rende dans les manifestations pour faire valoir des idées, ce qui lui tenait sérieusement à cœur.
Marine-nous a quittés en cours de route, guidé par son amour envers mon autre ami, Benoît. Benoît avait pris un chemin dangereux depuis déjà quelques années, il était enfermé dans le labyrinthe de la drogue, et m'avait exclu de sa vie. Marine ne portait que peu d'intérêt à l'amour. Mais, lorsque qu'on a recroisé Benoît un jour par hasard dans la rue, elle en est follement tombé amoureuse, et elle s'est convaincu de pouvoir le changer. Elle s'est assuré d'y parvenir en l'éloignant le plus possible de ce qui aurait pu le faire replonger, seul le temps me dira si ses efforts n'étaient pas vains. L'amour repose sur une idéalisation de l'autre qui cesse, au moment où l'amour disparaît. L'amour s'est imposer une représentation de nous même qui n'existe pas à quelqu'un qui ne veut en réalité pas de nous. Ce sont sans doute des paroles sponsorisées par mes déceptions amoureuses.
Après tout a défilé à une vitesse, je suis devenu enseignante et lui avocat, malgré ses débuts très laborieux. La vie suivait son cours, de temps en temps, on se voyait pour discuter de nos vies respectives. Soudain tout a changé, un énorme scandale a secoué entièrement la ville de Lyon, c'était l'agression d'un jeune homosexuel par deux hommes appartenant à un influent groupe homophobe. Cette organisation avait pris une telle importance qu'aucun avocat n'osait défendre ce pauvre homme. Cependant, un garçon que personne ne connaissait s'est présenté pour être son avocat, un proche selon la victime. Mon ami, tu n'aurais pas pu laisser un autre porter ce lourd fardeau ? Pourquoi tu m'as fait cela à moi, ta famille et tes proches ? Toujours à essayer de te battre pour tes convictions, mais à quel prix...
Tu as quand même réussi à plus ou moins maîtriser ton affaire, cette affaire s'apparentait pour toi à un événement historique. Tu passais dès lors tes journées isolées chez toi à préparer ton audience, nos rapports sont devenus donc de plus en plus limités. Je savais juste que tu respirais encore grâce à des rares coup de téléphone. Tu as continué à te battre pour ton client, peu importe que certains jurés soient corrompus, et même qu'un juge tout aussi corrompu avait dû être poussé à la réclusion. Ton intense travail et ta convaincante prestation ont fini par payer, le parquet de Lyon a décidé de condamner ces hommes, et a affirmé que les autorités judiciaires feront tout ce qu'il est en œuvre pour arrêter cette organisation.
Lors de la fin de soirée organisée pour ta victoire, tu as préféré rentrer chez toi, au lieu de rester dormir chez moi et mon copain Taylor, comme je te l'avais pourtant proposé. Puis aux alentours de 2H00 du matin, mon téléphone a sonné, afin de m'annoncer ton hospitalisation suite à une agression qualifiée de possiblement homophobe. Je me suis précipité pour te voir sur ce lit roué de coups et de bleus, je ne m'en remettrais jamais de t'avoir vu dans cet état. Le médecin m'a expliqué l'ignoble sadisme des hommes qui t'ont traité ainsi, ils t'ont tabassé et injecté le virus du sida, sûrement pour te punir d'avoir gagné ce procès. Le docteur m'a alors donné un document, attestant de cette maladie qui allait détruire ta vie, et que je devais impérativement te transmettre. Tu es resté dans un mutisme terrifiant pendant des semaines, à la lecture de celui-ci. J'ai vu ton corps dépérir et j'ai vu mon ami partir pour ne plus jamais revenir. Tu n'étais plus toi, même tes débats et nos disputes me manquaient presque... Jusqu'à ce jour où... Mon rendez-vous, mince, je vais le rater. Ce monologue et cette discussion avec le fantôme d'un ami ont contribué à me mettre en retard. Tu me manques....
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