L'innocent espoir
Célia
La fin de soirée du 24 février
La ville qui fut la capitale des Rois lors de la Renaissance, la ville de cœur de Napoléon Bonaparte et la capitale de la résistance de Charles De Gaulle, va m'aider à savoir ce qu'il est advenu de ce garçon. Pourquoi je ramène toujours tout à l'Histoire ? Je ne vais tout même pas me remémorer la biographie de la ville. Cette drôle de manie vient certainement du fait que dans l'âge tendre, ma seule occupation était la lecture. J'ai dévoré une quantité phénoménale de livres, ce qui m'a permis d'être assez cultivé.
Si j'en revenais à mon affaire plutôt, je me chargerai demain de questionner le médecin, qui avait pris soin d'Antoine le soir de son agression. J'ai choisi une chambre classique pour passer ma nuit, à la Cour des Loges, un charmant hôtel 5 étoiles. Selon toute apparence, je ne me refuse rien, seulement en réalité, je me suis installé dans cet hôtel, car selon mes informations, le médecin y vivrait suite à sa séparation avec son épouse. Je n'arrive pas à croire, que j'ai pu retrouver, en si peu de temps mes anciens contacts de la ville. Ce lit est très confortable, au regard du prix que coûte la chambre, ce n'est pas tellement surprenant.
Je ferai mieux de téléphoner à Mickaël et Samuel demain, et je passerai un petit coup fil à Elia dans la semaine. J'utiliserai un téléphone public demain, car j'ai accompli une nouvelle prouesse : oublier mon téléphone. Je mets mon réveil et je sens la fatigue m'envahir. Je frotte mes yeux, un léger bâillement m'échappe, et mes paupières s'abaissent pour qu'Hypnos m'endorme doucement. Je supplie son fils Morphée de me redonner un instant avec Sandrine, tout en maudissant son sinistre frère jumeau Thanatos, dont les caresses de la lame ont fait succomber ma sœur.
Je suis visiblement en train d'aider ma sœur à faire ses devoirs dans le salon, je sais que c'est à coup sûr la dernière fois. J'ai entendu que les services sociaux devaient venir dans la journée, afin de nous mettre en sécurité, dans un lieu adapté à la situation. Selon eux, mon père ne semble plus capable de s'occuper de notre éducation, et met en danger nos vies. Je distingue les bruits de pas de mon père, descendant les escaliers, mais je n'ai plus envie de le voir dans un état déplorable. Je tourne ma tête et l'aperçois en état de sobriété, il s'approche de ma personne pour me donner un bisou sur le front, puis serre dans ses bras ma petite sœur. Il évoque de tendres souvenirs de nos joies passées, tout en s'excusant de ne pas avoir pu assurer son rôle de père, en l'absence de maman. Dorénavant, certains aspects de nos vies vont changer, et même sans doute s'améliorer, selon mon père, et il faut qu'on préserve notre force face aux horreurs de la vie. Il remonte ensuite dans sa chambre. Soudain, j'écoute un bruit de chaise sur le parquet, mon père accroche quelque chose au plafond. Mon père ne bricole pourtant plus, depuis la disparition de maman, il range probablement sa chambre. Pourquoi mon père m'exprime tous ses sentiments aujourd'hui, veut-il guérir ses souffrances de manière à nous récupérer d'ici quelques mois ? Subitement, j'ai une pensée qui me traverse l'esprit, ce matin, mon père a acheté une corde. Une corde ? Non ! Je poursuis l'innocent espoir qu'il soit encore en vie, et je me jette devant sa porte. Mais elle reste close, bloquée par mon père, qui ne veut pas que j'assiste à ce morbide spectacle. J'arrache la lettre sur la porte et la lit : Mes enfants, je vous aimerai toujours. J'ai tant de regrets, je ne vous demande pas de me pardonner, je ne le mérite pas. Célia, tu es une fille intelligente, grâce à ce qu'on appelle l'assurance-vie et à mes importantes économies, tu pourras disposer d'une somme te permettant de faire de hautes études. J'espère que tu prendras soin de ta sœur... Tu m'as abandonné papa, je ne pourrais en aucun cas te pardonner cet acte. D'où sort cette musique, cet air de blues ?
Le bluesman John Lee Hooker m'enlève doucement de mon rêve autobiographique. Mon côté pacifiste rejoint sa désolation pour ces hommes américains qui avaient tant de choses à faire, au lieu d'aller se sacrifier au nom d'une guerre impérialiste au Viêt Nam. Je ne suis pas partisane de l'antiaméricanisme ni du complotisme, néanmoins je pose un regard critique sur la plupart des pouvoirs politiques et financiers en général dans le monde. Je m'habille rapidement pour éviter de rater le départ du médecin, puis toque à ce qui paraît être sa porte de chambre. Personne ne m'ouvre, il a déjà dû partir malheureusement. Je vais aller interroger le client d'Antoine alors, l'année dernière, il habitait seulement à quelques centaines de mètres de cet hôtel. Il y a une infime chance qu'il vive toujours là-bas.
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