Ne me quitte pas
Mickaël
La soirée du 1er mars
Célia surgit furieusement à l'intérieur de la maison, elle se rue sur ma personne, telle une lionne sur sa proie. Elle s'arrête à seulement quelques mètres, puis saisis un vase d'une valeur inestimable, et le propulse dans ma direction. Et ensuite une lampe, une chaise, de la coûteuse vaisselle en porcelaine, des assiettes, des verres en cristal... Je suis obligé de me déplacer dans toutes les pièces de la maison pour éviter les projectiles, surtout que je ne désire pas lui faire du mal en me défendant. Je recule, jusqu'à arriver dans notre chambre, où je n'ai plus aucun moyen de me dérober. Je n'avais jamais vu Célia dans un tel accès de rage, ce comportement ne lui ressemble pas, elle est comme possédée, mais quelle est la raison ? Elle s'approche de mon corps, le regard désemparé qu'elle m'adresse m'inquiète sensiblement. Elle m'inflige un violent coup à la figure, alors qu'elle tente de m'en asséner un deuxième, je lui attrape le poing. Je vois des perles de larmes, couler de ses joues au teint de porcelaine, la voir dans cet état me déchire le cœur. Elle articule lentement trois mots qui me font l'effet d'un séisme : qui es-tu ?
Cela semble être le moment, où je me dois de lui révéler une partie de la vérité sur mon histoire personnelle. Je sors discrètement de sa cachette une photographie, celle qui a modifié mon existence, et qui représente un des plus grands secrets de ma famille. Je prends Célia par la main, je l'amène dans la voiture, et je la démarre pour prendre une direction qui risque de tout changer entre nous.
Nous n'échangeons pas un mot durant le voyage. Je vais écouter de la musique, et je ne vais plus réfléchir à rien et compenser ce silence. La musique permet de tant s'évader, que d'une seconde à l'autre, le temps de ce voyage s'en sera allé.
La voix rauque de l'abbé Brel, comme dirait Brassens, supplie une femme et lui répète inlassablement ne me quitte pas. Un hymne à la lâcheté des hommes qui se transforme en ode à l'amour sous la plume du Bruxellois et son fidèle accompagnateur. Je me laisse emporté, et j'arrête juste un instant de penser.
Nous arrivons enfin à Vichy, alors que le Brel des temps modernes ou simplement Stromae demande une dernière fois où t'es papaoutai, une question qui m'a autant taraudé que lui à une période.
La ville qui symbolise une des périodes les plus cruelles de l'histoire française, où a été décidé à l'Hôtel du Parc en 1942, que des milliers et des milliers de Juifs devait être déporté dans des camps de l'horreur, Vichy. Je laisse Célia dans le désarroi un long moment, pendant notre traversée du Parc Des Sources.
Elle affiche un sourire crispé aux passants, et m'ordonne du regard d'être aussi honnête qu'elle l'a été avec moi. Nous franchissons la porte d'un hôtel luxueux en face du Parc.
Depuis ma naissance, ma mère a constamment tout entrepris pour me protéger des siens, car elle voulait empêcher que la mauvaise influence de sa famille m'atteigne un jour. Elle a aimé un roturier, ce qui a été vécu tel une humiliation par sa vieille famille aristocratique, cela enchantait d'ailleurs ma mère. Pourtant, leur vengeance a été terrible, à force de manigances, ils ont pu anéantir le talentueux avenir de mon père dans les affaires. Mon père brillait par son absence, à cause de sa vie professionnelle, et a dû se retrouver du jour au lendemain obligé de vivre cloîtré dans son appartement. Celui qui a subi les conséquences de la souffrance de son existence gâchée, cela fut moi. N'importe quel moyen était bon pour me torturer psychologiquement, le moindre de mes gestes était une possibilité qu'il me hurle dessus, et me crache les pires insultes. Je me défendais comme je le pouvais, néanmoins un bambin devant un adulte n'a que peu de chance de sérieusement s'imposer. Une soirée, ma mère a fini par être confronté à cette réalité, elle a découvert que mon père avait arraché mon t-shirt pour me prendre un livre. Elle ne se serait pas doutée une seconde de cette tragédie, elle l'a immédiatement expédié à la rue et poursuivis au tribunal. Je ne revis plus jamais mon géniteur, il fut assassiné avant son jugement, avec la complicité de ma famille, contre la volonté de ma mère. Cette famille se réservait le monopole de la violence légitime, et ce roturier n'avait dès lors en aucun cas le droit de lever la main sur un des leurs, j'étais par le sang un d'eux bien malgré moi. Ma mère perdra un peu plus tard la vie à l'âge de mes 10 ans. J'ai dû vivre avec ma détestable tante Isabelle à compter de cette funeste date. La Doctoresse Aurora a désespérément tenté de m'aider à surmonter mes démons, mais tous les souvenirs de mon père étaient si douloureux. La solution la plus facile pour ma personne, cela a été de bloquer tous ces insoutenables souvenirs. Les moments, concernant la mort de ma mère, ne me revenaient absolument pas à cette époque, pourtant ce jour-là, j'étais avec elle.
Célia entend attentivement chacun de mes mots, elle est affligée et navrée par mon histoire personnelle. Elle exige quand même que je lui explique ce qu'on fait dans une chambre d'Hôtel à Vichy. Mon cœur bat si fort, je suis sur le point de lui avouer tant de choses.
Annotations