La plus belle hypocrisie...
Mickaël
Le matin du 3 avril
Le journal vient de tomber ce matin, c'est l'effervescence dans tout Paris. En une du Canard Enchaîné, la malicieuse journaliste Louise fait trembler le pays, ma respectable famille est jetée en pâture dès les premières lignes par le biais d'une satire digne de l'ironie voltairienne.
Le martyr de l'affaire demeure ce jeune avocat, qui a combattu l'homophobie sans se douter que dans cette mer d'intolérance se trouvait des requins, il n'est malheureusement qu'un point dans l'océan des méfaits de ma famille. Ma participation à la publication de cet article survient, telle une onde de choc, au sein de ceux qui me voyait comme l'un des leur.
Ce sursaut d'humanité a surpris, jusqu'à l'entreprise, où je détiens des parts importantes. Ils m'ont ainsi appelé pour savoir si je comptais divulguer certaines informations compromettantes sur eux. Il ne faut pas être dupe, ce scandale ne surprend que ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir des yachts, des jets privés, des voitures de luxe ou encore des lingots d'or. Ces objets d'une utilité essentielle sont destinés à une catégorie de gens qui se couvrent entre eux, quoi qu'il arrive, sauf lorsque cela les met directement en danger. De toute façon, pourquoi changer, puisque chaque gouvernement qui passe leur confirme un peu plus leur suprématie sur les riens. Les baisses d'impôts, d'autres avantages fiscaux et le code du travail en passe de disparaître au nom de la flexibilité, et ces cadeaux aux plus riches ne concernent pas que la France.
Ai-je fait quoi que ce soit pour empêcher ces individus de nuire avant ce jour ? Certainement pas. J'ai dénoncé ma famille pour garder l'amour de Célia, ce qui est très égoïste. Nous manions aussi bien les chèques aux associations que la plus belle hypocrisie, je ne me substitue pas à eux, vu que je ne vaux pas mieux. Une heure après la sortie de l'affaire, presque unanimement les classes politiques, financières, judiciaires et médiatiques ont condamné ces agissements, dont une partie de l'existence ne leur était pas réellement inconnue à la base. Quoiqu'il advienne, les élites ne serviront en général que leurs propres intérêts, peut-être que quelques-uns rares se différencient de la mêlée.
Aujourd'hui, ceux qu'on nomme brutalement les riens, il ne leur reste plus qu'un choix la révolution et pas une énième faible révolte. Cela me rappelle ce dialogue historique qui a profondément changé ce pays. Louis XVI, réveillé dans son sommeil en ce soir du 14 juillet 1789 agité par la prise de la Bastille, sort cette phrase mythique, mais c’est une révolte ? Et le visionnaire La Rochefoucauld lui répond non, Sire, c’est une révolution ! Les personnes modestes, sont-elles capables d'entreprendre cela, alors qu'à cette époque, c'est la bourgeoisie qui a conduit la révolution. Il convient de ne pas se leurrer, la révolution étant bourgeoise, cela a permis de céder le pouvoir aux bourgeois. Depuis, il y a eu la commune de Paris en 1870, mai-juin 1936, mai 68 et d'autres dates où les classes modestes ont secoué le pays, mais d'une amplitude moindre et d'un résultat éphémère tout aussi moindre. Le peuple orné d'une couleur révolutionnaire, qu'elle soit rouge à une époque ou en gilets jaune aujourd'hui, serait-il imposé sa souveraineté face à la répression des grands de ce monde ? Personnellement, du haut de ma classe dominante, je n'y crois pas une seconde à une révolution populaire.
Mon oncle apparaît sur la pelouse de chez moi, il tient fermement le pommeau de sa canne sculptée en ivoire de la forme d'un anaconda. Mon oncle est un serpent, qui s’enroule doucement autour de sa proie et la serre jusqu’à l’étouffer. Ses lunettes noires abritent ses yeux éternellement blanc et vides d'expression. De la fenêtre de ma chambre, j'assiste à l'enfoncement de ma porte par l'un de ses hommes de main.
Le goût théâtral de celui-ci me paraît intact, il aime faire des entrées spectaculaires. Je descends à sa rencontre, en ayant pris la disposition d'appeler le commissariat, même si la police est censée surveiller ma résidence. Néanmoins, ils ne sont manifestement pas là, mon oncle doit être lié à leur absence. Il commence par me parler de ma déloyauté qui déshonore la famille toute entière, et entache la mémoire de nos ancêtres. Puis, s'ensuit une continuité de son monologue abordant les conséquences fatidiques de mon comportement, ainsi que mon propre forfait concernant la sœur de Célia, Sandrine. Co...mm...ent ? Je m'enferme dans un silence, mais mon regard sidéré lui décroche un sourire sadique. J'entends les sirènes d'alarme d'une voiture de police, c'est un tel soulagement.
Il se lève, m'embrasse et se dirige vers la porte avant de s'arrêter, juste cinq secondes, je perçois alors ses paroles à peine audible alors qu'il s'éloigne : "Vous tordre le cou serait une souffrance bien trop douce cher neveu...."
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