CHAPITRE 1 : GABRIEL
Les vagues se fracassaient contre la coque de son bateau. Il tentait tant bien que mal de lutter contre les flots d’une mer déchaînée. Trempé, il gardait le cap et la tête haute, explorateur des eaux indomptables.
Son regard noir avait pris les tristes couleurs de la mer et du ciel qui, désormais, se fondaient en un mélange grisâtre foncé, qui ferait pleurer une âme.
Un flot, plus important encore que les précédents, le fit basculer dans l’eau gelée. Nager ou couler, vivre ou mourir. Avait-il le choix ?
Il luttait pour garder la vie contre cette mer en colère, si calme il y’a quelques heures seulement.
Cette mer qu’il aimait tant, l’avait inspirée, mais qui désormais n’aspirait qu’à une chose : le voir sombrer dans ses profondeurs encore inaccessibles à l’être humain.
À bout de force, le courant lui brisait les os. L’eau le touchait en plein cœur, battant au même rythme effréné.
Sentir ses pulsations, lui rappelait cependant que la vie l’habitait toujours.
Il puisa dans ses dernières forces pour remonter, et affronter celle qu’il aimait tant, à contre-courant.
Une part de lui ne souhaitait pourtant qu’une chose : se laisser emporter. Tandis que l’autre lui soufflait de continuer.
— Gabriel !
Le jeune garçon ouvrit les yeux, au son de cette voix. Il s’était endormi sur son livre ouvert.
En se retournant, il aperçut sa mère, les bras croisés, lui demandant, l’air amusé :
— Que faisais-tu ?
— Je naviguais maman. Répondit-il dans sa tête. Il se tut, cependant.
Jamais elle ne le croirait. Comment pouvait-il lui dire qu’il sentait encore l’odeur du sel de la mer ? Qu’il ressentait encore l’eau couler le long de son corps, des frissons lui parcourir l’échine ? Qu’il entendait encore battre son cœur, en rythme avec le fracas des vagues ?
Il savait que cela n’était que le fruit de son imagination, mais cela voulait-il forcément dire que ce n’était pas réel ?
Il regarda une seconde sa mère qui s’impatientait et répondit simplement :
— Rien, maman, je m’étais endormi.
Pourtant, son esprit était déjà bien loin, retourné divaguer sur cette mer indomptable.
Des étoiles pleins les yeux, il se jura de garder ce secret enfoui en son cœur : il serait explorateur de ses rêves, de son imagination.
Gabriel était un jeune garçon à l’imagination débordante. D’où cela lui venait-il ? lui-même l’ignorait.
Cependant, probablement l’éducation qu’il avait eue, avait eu un rôle déterminant.
En effet, sa mère avait l’habitude, chaque soir, avant qu’il ne s’endorme, de lui conter une histoire, tant et si bien que dès lors, il lui était impossible de songer à s’endormir sans. Aussi en connaissait-il des millions qui nourrissaient sans cesse son imagination. Et, comme si cela ne suffisait pas, sa sœur aînée : Inaya, était passionnée de mots, comme si sa plume était le prolongement même de sa main, de sorte qu’elle ne puisse vivre sans écrire.
Son père, quant à lui, il ne l’avait jamais réellement connu. Il avait disparu quand il était encore un bébé. Ce qu’il savait en revanche, c’était qu’il était aventurier. Un aventurier très courageux, qui explorait l’inexplorable, voyageait beaucoup. Il voyageait tant qu’il n’était jamais revenu de son dernier voyage. Il n’y’avait pas de photos, ni aucun souvenir de lui et en parler était encore douloureux. Les rares fois où il avait questionné sa mère à propos de ce « sujet tabou », elle répondait de façon évasive, les yeux brillants de larmes qu’elle peinait à retenir, fixant le vide, ses mains tremblantes. Sa sœur était obligée de l’entraîner un peu plus loin, afin qu'il la laisse tranquille.
Bien sûr, tant de mystères ne faisaient que nourrir l’imagination du jeune garçon qui aimait imaginer son père, vaincre les plus terribles monstres, comme celui qui dormait sous son lit, escalader les plus hauts pics enneigés, parcourir les mers agitées…
Les enfants, à l’âge de dix ans à peine, veulent découvrir le monde, tout les émerveille. L’ombre d’un arbre dont les feuilles frémissent au gré du vent peut aisément se transformer en géant dévoreur d’enfant. Des flocons de neige tombant du ciel peuvent devenir une pluie d’étoiles filantes.Et ainsi, la chose la plus insignifiante aux yeux des plus grands peut devenir extraordinaire aux yeux d’un enfant. Car après tout, rien n’est plus beau que les yeux brillants d’un enfant devant les merveilles que lui offre le monde.
Le visage de Gabriel fixait l’horizon, il sentait deux yeux le regarder avec intensité.
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