Cependant, en se rapprochant de la fenêtre, il ne voyait que la pénombre.

Voyant que cette sensation ne le quittait pas, il décida de descendre voir, afin de satisfaire sa curiosité. Sa sœur était dans sa chambre, ses parents regardaient la télévision. Sa main glissa le long du mur. Ses pieds, nus, marchaient sur le sol froid et il baissa doucement la poignée, s’arrêtant une seconde de peur que le grincement de la porte ne soit entendu et arriva en bas en sautillant.

Dehors, l’air était frais tandis qu’il marchait, silencieux.

Ses cheveux noirs au vent, ses yeux ténébreux, se perdant dans la nuit, il resta quelques secondes, muet. Ce n’était pas la première fois qu’il avait cette sensation, mais qu’il ne voyait rien. Était-ce dû à la pénombre ? C’était ce qu’il croyait, mais à l’aube, cette impression le quittait, pour ne revenir que la nuit.

Quand il en parla à sa soeur, elle lui répondit simplement :

— Tu as dû rêver. La nuit, les ombres prennent parfois vie, quand on est un enfant avec beaucoup (trop) d’imagination.

Les jours passèrent sans qu’il ne revoie cette mystérieuse silhouette, malgré son passage quotidien au même endroit.

Et petit à petit, cette envie lui passa, comme un orage d’été, caprice du ciel. Et il en conclut qu’il avait rêvé, que sûrement son imagination, nourrie par la nuit et ses ombres, lui avait joué des tours. Car, après tout, c’était ce qu’on lui avait dit et répété.

Gabriel s’amusait, avec ses amis, à courir après le ballon. Ils ne connaissaient ni la fatigue ni la lassitude et auraient pu passer la nuit à jouer ainsi. Ils ne voyaient même pas les nuages menaçants, d’un ciel qui semblait pourtant les mettre en garde.

Les sourires gravés sur leurs visages, leurs yeux brillants tels des étoiles, suffisaient à eux seuls à exprimer toute la joie qui les irradiait.

Durant ces instants, ils oubliaient leurs problèmes d’enfants, leurs devoirs, l’école, les parents... ils mettaient tous leurs soucis dans le ballon, dans lequel ils se faisaient une joie de frapper. Et durant ces instants, ils n’étaient plus de simples enfants, ils étaient dans la peau de leurs idoles, de leurs modèles.

Comme s’ils cherchaient à décrocher la lune et les étoiles, ils tiraient le plus haut et loin possible.

Parfois un peu trop. Le ballon disparu dans les ténèbres, sous une nuée de cris de déception.

Sans plus réfléchir cependant, ils coururent à sa suite. Le vent s’était levé, et il faisait de plus en plus frais, quand l’un d’eux s’écria, le doigt pointé vers l’ombre d’un objet rond :

— Là, regardez ! Il est là...

Sa voix se tut tandis qu’il se rendit compte qu’un immense grillage les séparait de l’objet tant espéré. Gabriel l’aperçut alors. Cette silhouette. Cette silhouette aussi noire que la nuit. Elle tenait son ballon dans le museau, couru et disparue dans la nuit.

— De l’autre côté du grillage… finit l’un, le souffle coupé, la tête levée.

— Je reconnais cette maison que l'on voit de l'autre côté ! cria un autre. C’est celle de Monsieur Ankyn...

— Ankyn... comme celui dont on dit que la maison est hantée... ?

— Paraît même que c’est lui qui la hante...

— Comment cela pourrait-il être possible ? interrogea un autre en un haussement d’épaules. Faut être mort pour hanter les vivants. Tout le monde le sait.

— Justement ! Paraît qu’il est mort. Et qu’il tue tous ceux qui osent le déranger chez lui.

— Son jardin lui-même serait hanté par les arbres qui deviendraient des monstres qui dévorent les enfants...

— N’importe quoi, siffla alors Gabriel. Les monstres n’existent pas et encore moins les fantômes.

— Qu’est-ce que tu en sais, toi ? Tu en as déjà vu ? Non ? Bah alors, tu ne peux pas savoir !

Gabriel ne répondit pas. Bien qu’il trouvât cela stupide. Le fait de ne pas voir quelque chose était bien la preuve que cette chose n’existait pas, non ? C’était en tout cas ce qu’on ne cessait de lui dire, chaque fois qu’il avait peur. Et c’est ainsi qu’il sut qu’il n'y avait pas de monstre sous son lit, car il ne l’avait jamais vu et que, par conséquent, il ne pouvait exister.

— Il n’y’a qu’une seule façon de le savoir... rétorqua soudain Gabriel.