Vla-t'y pas
Faut qu’j’te raconte, par’c’que franchement, j’parle souvent pour pas grand-chose mais cette histoire-là, elle vaut son pesant d’cacahuètes, qu’j’te dis. Attends un brin, que j’te r’pose l’affaire comme y faut, histoire qu’tu captes tout c’qui s’passe.
Moi, t’sais bin, avec mon rêve d’vendre mes p’tits bouquins sur l’internet, j’me suis dit : « Bah tiens, faut aller sur l’Facebook, c’est là qu’ça s’passe ! », qu’y disaient les grands experts de comptoir. Alor, v’là ti pas que sans r’flechir plus qu’un pou, j’me suis foutue d’dans tous les groupes d’écrivains qu’j’ai pu trouver, du sérieux au loufoque, des machin-chose qu’te font lever les yeux au ciel. J’te dis pas, y’avait d’l’agitation, un vrai foutoir, mais bon, tant qu’à faire, j’mets l’paquet, hein !Motivée comme un lapin à l’ouverture de la chasse, quoi.
Mais v’là qu’j’m’aperçois tout d’suite qu’y a un pépin, et pas des p’tits, hein, un truc qui cloche ben comme y faut, qui me fait gratter l’tête et me dire qu’ça va pas être aussi simple que j’pensais. Les gens, ben, ils s’en battent l’arrière-train comme d’leur premier tricot ! T’imagines ? J’fais des posts aux p’tits oignons, avec des phrases bien racoleuses du genre : « Découvrez une histoire qui vous fera vibrer », et j’rajoute même des p’tits bouts d’texte, bien choisis, que j’crois qu’ça va faire mouche. Mais qu’tchi, que dalle, rien ! Pas un pouce, pas un mot, même pas un bonhomme qu’y s’marre. Rien qu’du vent, j’te dis, le désert de Gobi !
Et pourtant, j’me suis farcie des tonnes de machins sur comment faire du « buisines », comme y disent, les pros. Mais faut croire que moi et l’buisines, ça fait deux, ou même trois, si tu comptes large. J’suis là à vouloir qu’on lise mes histoires, pas à faire l’VRP d’service, bordel. Mais bon, va leur expliquer ça, tiens.
Un jour, alors qu’j’étais là, à faire défiler les posts comme un vieux moulin, sans trop espérer grand-chose, v’là-t’y pas que je tombe sur une publication qui m’fait lever un sourcil, mais bien haut, hein. C’est un gars, Pascal qu’y s’nomme, qu’avait balancé ça. Il partageait des avis Amazon sur son bouquin, gentillement, histoire de faire découvrir ce que les gens y disent. Mais attends, pas n’importe quels commentaires, hein ! Non, que des dithyrambiques – tu sais, c’mots qu’tu sors au Scrabble pour faire genre. Moi, j’sais même pas c’que ça veut dire, mais ça claque ! Des 5 étoiles de partout, et des ptits mots du genre « chef-d’œuvre absolu ». Déjà, respect, l Pascal ! Bah oui, lui, au moins, il vend des bouquins, pas comme d’autres (je pointe personne du doigt hein !).
Mais y a un p’tit détail qui m’a fait tiquer. Monsieur Pascal, il avait flouté les noms des gens qu’avaient laissé ces fameux avis, sur sa capture d’écran. Tu m’suis ? Et juste en d’ssous, il avait foutu un lien direct vers son bouquin sur Amazon. Là, dans ma tête, j’me dis : « Mais enfin, Pascal, t’as un boulon qu’a sauté ou quoi ? Si on clique sur ton lien, on verra tout c’que t’as flouté, mon gars ! ». bah pourquoi qu’il s’est donc emmerdé à faire ça ! Évidemment, moi, curieuse comme une pie, ben j’ai cliqué, hein. Et là, paf, jackpot ! Les noms, les avis complets, tout était là, sous mes yeux. Ça m’a bien fait marrer, j’te raconte pas. Mais en même temps, ça m’a permis d’aller zieuter son résumé, sa biographie, tout ça. Franchement, j’ai eu un bon ressenti. Le gars, y m’avait l’air sympa, tu sais, un auteur comme on les aime. Pas le genre à péter plus haut qu’son stylo, tu vois. Un gars simple, qui essaye de s’débrouiller, qui fait son bonhomme de chemin.
Alors, va savoir pourquoi, mais j’me suis dit : « Tiens, j’vais lui écrire, au Pascal. » Un p’tit message, tout simple, histoire de lui dire qu’j’avais vu son truc. Après tout, il s’était donné du mal pour flouter, même si, bon, c’était pas super efficace, faut l’dire.
Alors j’y dis: « Bonjour Pascal. Juste pour vous dire, vot’ floutage, là… bah, si on clique sur l’lien, on voit tout. Mais bon, ça prouve qu’vous voulez bien faire, hein, et ça, ça compte ! »
Et le lendemain, contre toute attente, y m’répond, l’Pascal. Mais attends, pas froidement, ni en m’envoyant balader, hein. Non, non, l’gars, y m’répond tout sympa, tout doux : « Ah, je sais bien. Mais je me disais que personne ne cliquerait… sauf vous, visiblement. Vous êtes l’exception ! » Ah merde, il se savait, jpasse bien pour une idiote là, comment je vais rattraper l’coup maintenant ? Mais !! Mais !! Ben ça alors ! « L’exception », qu’y dit. Moi, j’m’y attendais pas du tout, mais alors pas du tout. J’sais pas pourquoi, mais j’l’ai pris comme un sacré compliment. Ça m’a fait chaud là, au fond de mon p’tit cœur tout chiffonné.
Alors là, moi, va savoir pourquoi, mais v’là-t’y pas que j’commence à lui raconter des trucs. Pas des banalités, hein, pas un pauvre « Bonjour, je suis autrice et j’espère vendre mon livre ». Non, non, des vrais trucs. J’lui dis pourquoi j’ai écrit mon bouquin. Que j’ai voulu mettre sur papier c’qui m’était arrivé avec un dingue. Mais pas un dingue banal, hein, un fou d’la virtualité. Tu sais, l’genre de gars qu’tu vois jamais, mais qui peut te ruiner ta vie à distance, planqué derrière son clavier, alors que toi, t’es peinard au milieu d’tes champs, croyant qu’t’es à l’abri.
J’lui raconte que tout ça, ben ça m’a pas laissé indemne, qu’ça m’a bousillée dans ma tête. Mais qu’écrire, ça m’a sauvé la mise, un peu, comme une bonbonne de plongée quand t’es sous l’eau. J’lui dis aussi qu’j’aurais aimé vendre ce livre, histoire que les gens comprennent comment un taré peut t’atteindre d’aussi loin, juste avec des mots, des messages, des p’tits trucs qu’tu vois sur un écran, surtout quand y a 1600 gars en face qui jouent toute la journée à tétris avec ta vie. Va savoir pourquoi, tout ça, j’lui déballe. Et l’truc incroyable, c’est qu’il écoute. Enfin, il lit, tu vois. Et y m’répond. Pas une parole de travers, pas un truc qui m’ferait penser qu’il s’en fiche. Rien. Juste de l’attention, de la gentillesse. Alors, d’fil en aiguille, on commence à parler d’nos livres, du buisines, d’nos vies. Et franchement, j’vais t’dire, ce gars-là, c’est un rayon d’soleil, j’te mens pas. Une gentillesse comme ça, t’la croises pas à tous les coins d’rue, hein. L’genre de gars qui parle avec des mots doux, comme un baume pour l’cœur.
Et alors, sans qu’on sache trop comment, paf, on passe du « vous » au « tu ». Comme ça, tout naturellement. Pas d’« Oh, tiens, on pourrait se tutoyer, non ? ». Non, c’est venu tout seul, fluide, sans additifs, du bio, quoi.
Lui, y m’raconte qu’il a vendu plus de cent exemplaires de son bouquin. Cent ! J’te dis pas comment j’me suis sentie couillonne. Moi, avec mes deux ventes (et encore, ma belle-mère, ça compte même pas, elle avait pas vraiment l’choix). J’lui dis : « Eh ben bravo, toi. T’es un vrai auteur. Moi, j’suis juste une paysanne qu’a écrit un machin pour pas devenir folle. »
Et là, v’là-t’y pas qu’il m’sort, tout tranquille : « Toi, tu viens d’en vendre un de plus. » Attends… QUOI ?!? Non mais j’ai cru qu’j’avais mal lu, j’te jure. L’gars, ça fait même pas trois fois cinq minutes qu’on papote, et là, y m’annonce qu’il achète mon bouquin. Alors là, j’te raconte pas l’état d’mes boyaux. La gorge toute serrée, le souffle coupé, le cœur qui tape un peu fort… parce que, d’un coup, j’réalise : c’est pas l’idée qu’il achète qui m’angoisse le plus, même si, franchement, j’étais bien gênée. Non, c’est qu’il va le LIRE, tu piges ?
Moi, j’suis pas écrivain, hein. J’ai écrit c’truc comme on jette un cri, comme on vide son sac, tu vois ? Alors là, penser qu’un gars comme lui, poli, gentil, éduqué, va lire mes mots et mes bobos… Ça m’a retournée. J’me dis : « Bah, au pire, il dira rien. Au mieux, il mentira pour pas m’faire de peine. » Mais bizarrement, avec lui, j’me sens un peu rassurée. Y a une douceur dans son ton, une bienveillance, un truc qui t’apaise, tu vois ? L’genre de personne qu’tu sens même pas capable d’être méchant. Alors bon, j’respire un peu mieux, mais j’suis quand même en stress, j’te raconte pas ! Enfin si un peu quand même…
Et le pire, c’est quand y m’sort, tout naturel, comme si c’était rien : « De toute façon, mon livre, il est trois fois plus mauvais qu’le tien. » Alors là, attends, pouce, pause café. Soit y m’prend pour une cloche, soit son estime de lui-même, elle est d’la taille d’une graine de moutarde. Parce que franchement, moi, j’suis allée zieuter ses résumés sur Amazon, et ça donne envie comme pas permis. Rien qu’à lire les titres, t’as déjà envie de savoir de quoi qu’ça cause et y dit que dans chaque nouvelle, y a toujours une histoire de choix, tu sais l’truc que je sais pas faire moi, donc ça m’intrigues quoi, l’genre qui t’colle au fond du canapé et qui t’fait oublier d’boire ton thé.
Et lui, il ose m’dire que c’est mauvais ? Alors là, soit c’est d’la fausse modestie bien huilée, soit une technique pour m’remonter l’moral. Mais l’une comme l’autre, ça marche pas, hein. Parce que plus j’l’écoute, plus j’me dis qu’il a tout d’un vrai auteur, l’gars. Pas un amateur du dimanche comme moi, non, un vrai d’vrai.
Bon, lui, il écrit des nouvelles, moi aussi. Lui, il vend des bouquins, moi… bon, ben j’essaie, hein. Ça fait du point commun non ? Mais y a un truc qui se passe, une espèce d’alchimie qui fait du bien. Et là, franchement, j’me dis qu’le hasard, il fait quand même bien les choses. Parce qu’en vrai, si j’avais pas cliqué sur ce lien Amazon pour voir ses commentaires floutés, j’lui aurais jamais écrit. Et pourtant, regarde où ça nous mène. Attention Lulu, va pas t’faire du mal encore toi, t’sais bien.
Ça s’arrête quand même vite, hein, parce qu’en gros, lui, il va se coucher quand moi j’me lève. L’gars, c’est tout l’contraire d’moi : tout bien rangé des voitures, avec une vie bien carrée, bien saine, bien comme il faut. Pas comme moi, hein. Moi, avec les histoires de l’autre fou du virtuel, j’ai perdu le nord, ça c’est sûr, mais pas que. Le nord, le sud, le midi, le minuit, les fuseaux horaires, les points cardinaux, tout. C’est comme si mon GPS mental avait fait un reset et qu’y avait plus de carte.
Lui, tu l’imagines, il doit avoir des horaires fixes, des p’tits repas équilibrés avec des graines et tout, une voiture propre où t’oses même pas poser tes pieds de peur d’laisser une trace. Moi, ben… c’est l’contraire total. Déjà, ma voiture, c’est une benne roulante. Si tu trouves un coin propre sur le siège, c’est ton jour de chance. Et ma vie, ben… c’est pareil. Ça part dans tous les sens, y a pas de règles, pas de cadre. J’vis comme j’peux, pas comme j’veux. En roues libres la gamine, elle a nagé dans le grand bassin et pof, sans ses brassards elle s’aperçoit qu’elle a plus pied.
Et voilà, c’tite anecdote, j’ai fait une belle rencontre, et franchement, j’suis contente. Mais au fond, j’sais bien qu’ça va s’arrêter là. J’essaie de pas faire comme d’habitude, de pas m’foutre dans une tristesse inutile et de juste profiter du bon côté des choses. J’me dis que l’instant, c’est déjà pas mal. Alors j’vais prendre ce qu’il y a de positif là-dedans, et laisser filer tout le reste, sans trop m’poser des questions. C’est un bon moment, et ça suffit. Parqu’il faut bien l’avouer ma vie est un chamboule-tout géant. Ouais, chamboulé, c’est peu dire …
Ah ben, quelques jours passent, et v’là-t-y pas qu’il m’répond : « Bonjour. Ça va ? J’ai tout lu ! Au plaisir d’échanger. » Oh là là, là, j’suis là à me dire : « C’est bon signe ou pas, ça ? » Tu sais, j’fais genre la détachée, comme si ça m’faisait rien, et j’lui écris : « Dis-moi alors ? »
Lui, il a l’air d’avoir plein de trucs à dire, mais moi, j’sais toujours pas quoi en penser, et puis v’là-t-y pas qu’il m’sort : « Tu écris très, très bien. » Sur le cul la Lulu, carrément. Déjà qu’avec un « très », même sans d’ailleurs, j’aurais été ben étonnée, mais alors avec deux… j’te dis pas l’bazar !
Évidemment, j’lui sors mon grand classique, « Tu blagues ? » et là, lui, au lieu de me dire « oui » ou « non », il me lâche que, nous deux, on est pareils, qu’on sait pas comment accepter les compliments. Et il commence à m’raconter ses ressentis, ses p’tites questions qui lui trottent dans la tête. Mais là, t’as un truc qui change, tu vois ? Le ton, il a pas mal basculé. Comme si, d’un coup, il avait réussi à faire sortir la Lulu rigolote qu’était bien cachée sous toute cette mélancolie. Et là, nos échanges commencent à être pleins de blagues, des petites vannes, des p’tites conneries qu’on s’donne sans réfléchir. Comme deux potes qui se connaissent bien et qui s’amusent à se balancer des trucs sans se prendre la tête.
Ah ben merde alors, y m’fait que des compliments, ce gars-là ! Il réussit presque à m’faire croire que c’est vrai, tout ça. Le mec, il m’sort des trucs, genre « t’écris bien », et moi j’suis là, à me demander si c’est moi qui deviens folle ou si c’est lui qui dit vrai. J’ai l’impression qu’il m’fait marcher, qu’il me fait croire qu’j’suis capable de quelque chose. C’est bête, mais j’me laisse aller, et j’me dis : « Bon, si ça s’trouve, il dit pas n’importe quoi, hein. »
Mais je sais bien au fond que j’suis pas un génie d’la littérature, hein, juste une nana qui écrit pour s’y retrouver dans ses idées. C’est pas tous les jours qu’on te balance des trucs sympas. Alors j’me dis que, pour une fois, j’vais juste profiter de l’instant, sans chercher à comprendre pourquoi. Parce que ça fait du bien, ça, à l’âme, et c’est déjà pas mal.
Nan mais, j’en r’mets une couche mais pti gars il m’a quand même dit : « tu tiens et retiens le lecteur »… euh moi, j’ai pas l’habitude dans ma campagne alors gentillesse comme celle-là jte dis pas ! Enfin si jte dis, y m’a coupé le souffle !
Et puis on papote et c’est fluide et c’est frais, ça s’mange sans fin : de mon nom de plume qu’il décode sans effort au titre de désir qu’il a repris que je trouve fastoche. Ouais y’a un lien, mais j’comprends tu sois perdu là, normal c’est une blague privée !
Et pis là, l’insensé, le gars, y m’annonce qu’y va m’envoyer son recueil, avec une dédicace, steuplait. T’imagines ça ? Moi, j’étais là, bouche bée, les bras ballants, à me demander si j’rêvais pas. Parce que franchement, ça sort d’où, un truc pareil ? D’habitude, les gens, y te parlent une fois, et hop, ils disparaissent dans la nature. Mais lui, non, il insiste, il pousse le bouchon un peu loin l’Maurice ! Moi, j’me dis : « Y doit être timbré, ce gars, ou alors il a une foi en l’humanité que j’ai perdue y a belle lurette. »
Mais bon, j’vais pas sauter de joie tout de suite, hein. Tant qu’le machin est pas arrivé dans ma boîte aux lettres, moi, j’reste prudente. Sceptique, comme y disent. Ouais, ouais, comme la fosse, on la fait tous, celle-là, mais elle marche toujours. Et pis faut qu’je t’dise, hein, même si j’ai joué la fille pas affectée plus que ça par le truc, aujourd’hui j’suis allée quatre fois fouiller la boîte aux lettres, genre « au cas où ». Pathétique, j’te dis.
Et l’autre, j’te raconte pas ! J’lui lâche un truc comme quoi il pue le mec bien – parce que c’est vrai, hein, ça transpire à 100 kilomètres ces mecs-là– et j’suis pas sûre qu’il l’ait pris super bien. Mais bon, moi, j’cause comme ça, c’est tout. Si ça lui plaît pas, tant pis, hein. C’est Lulu, version brute de décoffrage.
Et là, comme si ça suffisait pas, voilà qu’y m’sort un truc de dingue : « Dis, tu pourrais pas écrire un papier sur nos échanges ? » Hein ?! Un papier ? Mais qu’est-ce que jvais bien pouvoir écrire ? Quand ça sort de ma tête je contrôle mais là jme suis retrouvée un peu bloquée. j’suis pas journaliste ou un truc du genre moi ? Moi, j’suis juste Lulu, la fille qui gratte des mots pour pas perdre la boule. Alors, écrire sur ça, j’sais pas trop… Mais bon, avec lui, j’sais jamais. Peut-être bien qu’j’vais l’faire, qui sait ?
PS : vla ty pas que l’bouquin il est dans la boîte aux lettres, j’vous laisse, vous comprendrez qu’j’ai mieux à faire hein ?
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