junkie part 2
« Tu sais quoi, Luce ?»
Ses yeux se rouvrirent brusquement quand elle entendit ce timbre de voix. Paniquée, elle se releva d'un coup et se cogna violemment au coin de sa table de nuit. Se frottant allègrement la tête, elle releva les yeux et chercha quelqu'un du regard. Quelqu'un qu'elle ne trouva pas. Dépitée, elle resta ainsi, à moitié nue sur le carrelage froid, le regard vide. Déboussolée. Elle ne se souvenait même plus de ce qu'elle faisait la veille, et c'est avec difficulté qu'elle se hissa sur son lit. Où ses yeux rencontrèrent la seringue. Celle qu'elle avait utilisée la veille, et qui traînait encore à la vue de tous. Elle se mordilla la lèvre inférieure, en proie à un dilemme. En reprendre, pour se sentir bien ? Les vertiges recommençaient à la gagner, la pièce semblait tourner autour d'elle. Elle porta sa main à son visage, tremblante, les larmes lui montèrent aux yeux.
Elle ne comptait plus les jours où, au bord du gouffre, ce n'était plus une piqûre, mais deux. Trois. Et ces jours-ci, plus rien ne comptait, elle s'enfonçait. Les injections se succédaient, plus proches les unes des autres, et les effets de l'héroïne n'étaient plus aussi puissants qu'autrefois. Quand avait-elle commencé, déjà ? Ah, oui. Le vingt-trois juillet de l'année dernière. Un sanglot la secoua, une larme parvint à s'échapper tandis qu'elle saisissait la seringue usagée à pleine main. Vide. Elle était vide. Son sachet, où était son sachet ? Elle en avait besoin, besoin pour se sentir mieux, se sentir bien, pour oublier.
« Mais Luce, tu ne veux pas m'oublier, pas vrai ? »
Elle se prit la tête entre les mains, secouée par de violentes convulsions. Ses larmes redoublèrent brusquement, un torrent de perles salées s'échappait de ses yeux rougis aux pupilles dilatées, tandis qu'elle tentait désespérément de reprendre le contrôle d'elle-même.
Elle ne voulait pas oublier, oh non, elle ne voulait pas. C'était la dernière chose qu'elle souhaitait. Oublier. Elle ne pouvait pas oublier tous ces moments comme ça. Si elle avait pu, elle ne serait pas comme elle était. Une putain de toxico. Junkie, il disait. C'était tout ce qu'elle était dorénavant, une junkie accro à sa piqûre. Ses pupilles s'agrandirent encore, elle se souvint qu'elle avait encore quelques sachets, dans sa salle de bains. Complètement vidée, elle se laissa tomber sur le sol encore et toujours froid, avant de se diriger lentement vers la pièce où était entreposée la source de son bonheur. Traînant les pieds, sa chemise bordeaux se soulevant légèrement, elle se posta devant son miroir. Et s'arrêta, ses pupilles fixées dans celles de son reflet.
Qu'était-elle devenue ? Ses yeux autrefois si pétillants de santé étaient aujourd'hui ternes, complètement éteints, des cernes profondes s'étendaient sous ces derniers. Ses cheveux soyeux et si bien coiffés tombaient mollement sur ses épaules frêles, plus abîmés qu'autre chose. Son teint était blafard à en faire peur, de même que l'était son corps : plus aucune énergie n'en émanait. Elle qui était si dynamique, si heureuse de vivre...Où était passé l'ancienne Lucy ? Ce sourire, ces larmes de joie et non de peine, ce visage rayonnant de bonheur ? S'approchant doucement de son reflet qu'elle ne quitta pas une seconde des yeux, elle sentit qu'une haine incroyable la gagnait. Une haine envers elle-même, pour s'être laissée couler sans rien faire alors qu'elle en avait les moyens, une haine envers son entourage qui n'avait rien fait ni même tenté de faire quoi que ce soit pour l'aider, une haine qu'elle dirigea vers le monde entier.
Ce monde à cause duquel elle sombrait aujourd'hui, ce monde qui les menait tous à leur perte. Ce monde qui préférait dépenser des millions de dollars pour explorer l'espace alors que des centaines crevaient de faim ou de froid ; ce monde dirigé par une poignée de personnes plus stupides les unes des autres, ce monde qui l'avait menée à sa propre destruction. Et bientôt à celle de l'humanité toute entière. Personne ne pourrait plus sauver personne. Personne ne pourrait plus sauver l'Humanité. Personne ne pourrait plus sauver cette Terre. Personne ne pourrait plus rien sauver.
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