junkie part 4

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    Il pleuvait, dehors. Une véritable averse qui semblait être à l'image de l'esprit de la jeune blonde. Sombre, triste, vide. A l'image de sa seringue, qui traînait encore sur son lit. Seringue qu'elle se devait de remplir, c'était la seule raison de sa sortie. Ses cheveux trempés lui collaient au visage, son mascara avait coulé par endroits, et son sourire avait disparu, remplacé par une mine fatiguée. Elle l'était, fatiguée. Fatiguée de devoir courir sur les trottoirs et d'être seule comme elle ne l'avait jamais été. Fatiguée de n'avoir jamais un ami à qui parler, pour lui dire où elle allait, d'où elle venait et pourquoi. Fatiguée de ces gens obnubilés par leur travail, leur compte en banque, leur voiture, leur portefeuille. Alors qu'ils n'étaient que la merde de ce monde prête à servir à tout. Elle était fatiguée de toute la peine et la souffrance qu'elle sentait dans cet univers.

    Alors qu'elle allait encore en causer, avec ce qu'elle s'apprêtait à faire. Elle ne se le pardonnerait jamais, c'était sûr. Et toute cette histoire lui poserait de nombreux problèmes. Sa main gauche, dans sa poche, triturait son arme sur laquelle elle comptait tellement. Sans elle, elle n'aurait rien tenté, ni même osé penser. Depuis quand n'avait-elle pas pris d'initiative ? La jeune fille ne s'en souvenait même plus. Sa main resserra sa prise, son index caressa la crosse du Sig Sauer, sensuellement. Elle avait envie de le faire. La blonde s'arrêta brusquement, les yeux écarquillés. Son corps était comme paralysé. Non. Elle ne voulait pas, c'est juste qu'elle n'avait pas le choix. Exactement, elle n'avait pas le choix. Pour survivre, elle devait le faire. Dans ce monde de toute façon, c'était tué ou être tué...pas vrai ? Elle se mordit la lèvre, hésitante.

      « Lucy ? C'est toi ? »

    L'intéressée retourna vivement la tête quand elle reconnut la voix, le visage impassible. Faire marche arrière était désormais impossible, elle avait atteint le lieu de rendez-vous, une ruelle sombre attenante à une rue isolée du reste de la ville. Son interlocuteur lui sourit, visiblement heureux de la revoir. Tu parles, songea la jeune fille, t'en veux qu'à mon fric. Elle serra la main qu'il lui tendait, elle était chaude et douce, alors que la sienne était froide, comme celle d'un cadavre. Tandis que son autre main se crispait sur l'arme dissimulée, des milliers de questions se bousculaient sans sa tête. Allait-elle réellement le faire ? Elle, la jeune fille faiblarde qui ne ripostait jamais, pleurait tous les soirs seule dans son lit, et n'avait jamais blessé qui que ce soit ? Était-ce réellement elle, qui se trouvait là en cette journée pluvieuse de juillet, le doigt posé tranquillement sur la gâchette d'une arme qu'elle avait volée ?

    « T'avais besoin de combien, vingt-cinq grammes c'est ça ? Ma pauvre, tu vas te ruiner à force, rigola l'homme qui la fournissait. Mille aujourd'hui, mille y a deux semaines... Quelle boîte te paye autant ? Nan parce que pour lâcher autant en si peu de temps, tu dois avoir un putain de boulot. Ou alors des parents plein aux as ! Ce doit être ça, nan ? Une riche héritière, peut-être ? Continua-t-il en fouillant dans ses poches avant de sortir un petit sachet en cellophane qui contenait une poudre beige très fine. Voilà pour toi, ma belle ! T'as l'argent, hein ? Nan parce que je me suis déjà fait avoir en prêtant, et après... »

    Le dealer ne termina pas sa phrase que la blonde avait déjà posé le canon de l'arme sur son front, entre les deux yeux. Sa bouche resta entrouverte sous l'effet de la surprise, mais aucun son n'en sortit. Pas un cri, gémissement, ni même un soupir. Le sachet s'écrasa par terre, sans se déchirer, tandis que Lucy secouait négativement la tête, un air triste sur le visage. Ses yeux se fixèrent dans ceux de sa victime, immobile et complètement impuissante. Ses mains tremblaient, ses jambes semblaient ne plus pouvoir le porter, et malgré l'envie de détaler, le jeune homme resta là, une arme pointée sur sa cervelle qui pouvait exploser d'une seconde à l'autre. Ses battements cardiaques s'accélérèrent, il déglutit péniblement, attendant la suite des événements. Quand la jeune blonde en face de lui ouvrit la bouche, il ne put rien faire d'autre que d'écouter attentivement ce qu'elle avait à dire.

     « Tu sais, c'est pas d'ma faute si je suis comme ça aujourd'hui. Une putain de junkie. Une accro à la piqûre, à cette foutue poudre qui fait rien d'autre que te détruire, petit à petit. Ça commence dans une fête, un joint, pour se lâcher un peu. On est jeune, on veut tenter de nouveaux trucs, tu vois. C'est pas comme si ça allait nous poursuivre toute notre vie. Puis, à la prochaine fête, ce sera pas un, mais deux, trois, quatre putain de pétards parce que les trois premiers font plus effet. Effet qui se tasse au bout d'un certain moment, alors on cherche plus fort, plus puissant. C'est là qu'on va taper dans les drogues dures, ces conneries qui rendent accros dès la première inhalation, la première piqûre. Cocaïne, héroïne, mais y en a d'autres. Et on continue, alors qu'on sait très bien ce qu'il peut nous arriver. Les campagnes de prévention, même les profs s'y mettent. Les profs disaient qu'il fallait pas fumer de l'herbe, ou on serait junkie. Tu fumes et tu le deviens pas, alors tu essayes l'héroïne. Et là, c'est le déclic. C'est mauvais, putain c'est mauvais. Mais ces conneries n'ont pas d'égal. Cette sensation d'être bien, euphorique, cette sensation d'être heureux. Ça vaut tout l'or du monde, pas vrai ? Alors on continue, pour aller bien, pour aller mieux. Les doses sont de plus en plus importantes, les effets de moins en moins. C'est pour ça qu'on continue, qu'on augmente encore et encore les quantités, qu'on se ruine de plus en plus, tout ça pour quoi ? Pour perdre pied. Se sentir flotter. »

    La jeune fille s'arrêta, sa voix tremblait. Son bras tremblait, et l'arme aussi. Elle ne devait pas flancher, ne devait pas montrer qu'elle hésitait. Si elle ne le faisait ne serait-ce qu'un dixième de seconde, le jeune en face d'elle n'hésiterait pas, lui. Et ce serait terminé pour elle.  

    Alors elle se racla bruyamment la gorge, et fit apparaître sur ses lèvres charnues un sourire des plus malsains. Un sourire qui montrait qu'elle ne laisserait rien passer, rien paraître. Et qu'elle était prête à tout pour posséder ce qu'elle désirait.

« Mais c'est des conneries, tout ça, un ramassis de conneries. Et vous, ceux qui détruisent la vie des autres en revendant ces merdes, vous valez pas mieux que le dernier des enfoirés. Vous nous rendez accros, complètement dépendants, vous nous attirez avec vos produits tous plus dégueulasses les uns des autres, avant de nous sucer notre pognon jusqu'au sang. Avant de provoquer une overdose. Toutes ces victimes, vous vous en foutez, hein ? Tout ce qui compte pour vous, c'est vos économies et votre compte en banque. Une vie ne vaut pas mieux que votre argent ? Suis-je conne, non, bien sûr que non. Sinon tu serais pas là pour discuter avec moi, pas vrai ? La jeune fille marqua une pause, les larmes aux yeux, avant de reprendre : Tu t'es déjà shooté, toi, au point de plus savoir qui t'es ? Au point de perdre complètement la tête, de sentir le monde tourner autour de toi, de t'écrouler sans pouvoir rien faire ? Sentir les battements de ton cœur accélérer, te dire que c'est bon, ta vie de merde est terminée ? Puis te sentir partir, loin, là où ces conneries n'existent pas, le bonheur. Alors que t'es juste en train de crever, seul dans ta chambre, ta piqûre encore plantée dans ton bras, et que tu t'en rends même pas compte ? Non, tu t'en rends même pas compte puisque tu sais même plus qui t'es. Mais ça, tu connais pas. Tu connais juste le pognon que t'as sur ton compte en banque, l'argent que tu vas empocher le mois prochain, celui que t'as amassé le précédent. Au prix de combien de vies, tu le sais, ça ? Des putain de conneries, ces produits... »

    Son doigt passa délicatement sur la crosse, la touchant du bout des ongles avant de le poser dessus. Prête à tirer.

      « C'est dommage, hein ? A quoi tu penses, là ? Lâcha-t-elle, un air méprisant collé sur le visage. Que je suis qu'une junkie de plus, qui crèvera d'une overdose de plus, dont la mort n'affectera personne. Que t'aurais jamais dû venir seul, sans arme, sans rien. Sauf ce dont j'ai absolument besoin, et ce n'est pas toi. »

    Sans quitter le jeune homme de ses yeux durs, la blonde se baissa doucement afin de ramasser le sachet rempli de poudre qui se trouvait au sol. Elle le saisit avec douceur, comme si c'était un petit être fragile, et se releva d'un coup en le fourrant dans sa poche. Sa victime n'avait rien manqué de ce spectacle, pas même les éclairs de malice qui avaient traversé ses yeux quand elle était en possession de son héroïne.

      « Non, ce n'est pas toi. T'as été qu'un pion dans cette histoire, regarde où tu vas finir. Une ruelle sombre, dans un coin paumé...Ton corps ne sera pas retrouvé avant un bout de temps, continua-t-elle avec un sourire carnassier. Et maintenant, je pense que ce monologue a assez duré. Pas vrai ? Tu dois être fatigué, regarde ces cernes sous tes yeux remplis de larmes... Arrête de pleurer, putain, assume jusqu'au bout. Regarde où tes conneries nous ont menés, tous les deux. T'es le seul à blâmer dans cette histoire, tu peux t'en prendre qu'à toi-même. »

    Son doigt pressa la détente, et la blonde ressentit la puissance de l'arme au moment où la balle percuta le crâne de son dealer. Elle le traversa, faisant exploser sa cervelle dont de petits bouts se collèrent sur les murs qui les entouraient avec un bruit de liquide, tandis que le reste s'étala par terre dans une flaque de sang qui s'agrandissait un peu plus chaque seconde, et dans laquelle le corps sans vie de son ex-fournisseur tomba dans un bruit sourd. La jeune fille eut un mouvement de recul, quelques gouttes de sang avaient trouvé leur place sur son visage, elle les essuya du revers de sa manche avant de laisser tomber l'arme du crime, qui rebondit avec un bruit métallique. Une étincelle de tristesse passa dans ses yeux, et elle esquissa un sourire maussade.

      « Et à ma balle. »

    La dernière chose qu'elle vit en tournant les talons fut les yeux vides et révulsés de son dealer, ainsi que sa boîte crânienne ouverte aux yeux de tous.  

    Un tas de chair morte dans une flaque sanguinolente.

    La porte de sa chambre claqua, elle se précipita sur son lit et s'y laissa tomber. Elle l'avait fait. Elle l'avait vraiment fait. Son cœur battait encore à toute allure tandis qu'elle cherchait une piqûre non-utilisée sous son lit. Ses doigts finirent par en rencontrer une, qu'elle agrippa et déposa délicatement sur sa couverture, tremblotante. Se souvenant qu'elle ne pouvait pas s'injecter la poudre telle qu'elle l'était, elle partit chercher du vinaigre afin de la dissoudre dedans, ce qu'elle fit rapidement. En observant sa main droite tachée de sang, elle s'arrêta. Qu'avait-elle fait ?  

    Le corps traînait dans un coin sombre, certes, mais les amis de son fournisseur allaient se poser des questions. Et là, ce serait terminé pour elle. L'arme se trouvait à côté du cadavre, ses empreintes y étaient aussi. Les flics la retrouveraient rapidement, et tout s'arrêterait ici pour elle. Lucy secoua la tête, soudainement prise de nausées et de vertiges. Elle se dirigea vers ses toilettes, mais n'eut pas le temps de les atteindre qu'elle régurgita les repas ingérés plus tôt. Complètement paniquée, les larmes coulèrent sur ses joues tandis qu'elle tentait de reprendre ses esprits. Et c'est dans cet état mi- conscient que la jeune fille se rendit dans sa chambre, où l'attendait une seringue pleine. Malgré son malaise, elle en voulait encore. Même si elle savait qu'un jour, elle devrait choisir.  

    Choisir d'arrêter, de continuer. Choisir la piqûre, choisir de vivre. La vie en elle-même était faite de choix. Elle devrait choisir la mort. Ou choisir la vie, un boulot, une carrière, une famille, des amis. Choisir toutes ces conneries qui ne serviront jamais à rien. Choisir son avenir. Un long soupir s'échappa des lèvres de la blonde tandis qu'elle approchait l'aiguille de sa veine.

     « Pourquoi je ferais une chose pareille ? Chuchota-t-elle pour elle-même. J'ai choisi de pas choisir la vie, j'ai choisi autre chose. Les raisons ?»

    L'aiguille se posa sur sa peau, y appliqua une légère pression pour la traverser. Une minuscule goutte de sang perla quand elle troua la peau halée de la jeune fille, qui retint un spasme de plaisir. Un sourire, un vrai sourire, le sourire que font ceux qui sont heureux, étira ses lèvres.

« Y a pas de raison. On a pas besoin de raison quand on a l'héroïne.»

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