Black Mamba, 31 décembre.
Joe repère les deux immenses semi-remorques gris garés dans la partie la plus sombre de l'aire autoroutière. Les deux mastodontes ont laissé entre eux une place de parking camion, Joe y engage la Rolls Royce. À l'abri des regards, il éteint les feux. Les voici maintenant garés entre les cabines des transporteurs, il ne reste qu'à attendre. Installés à l'arrière dans les confortables fauteuils en cuir cognac, Tintin rajuste pour la enième fois son noeud papillon tandis que Bobette, elle, a du mal à cacher sa nervosité. Elle a horreur des changements de dernière minute.
Quand ils ont appris que Svetlana avait pris l'avion avec un garde du corps, il était devenu évident qu'un enlèvement en douceur à l'aéroport s'avèrerait impossible. Ils avaient alors loué une deuxième limousine, semblable à la première. L'une était conduite par un chauffeur de l'agence de location acquis à leur cause ou acheté à prix d'or. Il devait récupérer la jeune femme et son cerbère à l'aéroport et, plutôt que de les conduire directement au palais présidentiel, prétexter un besoin pressant ou un problème mécanique pour marquer un court arrêt à la station service. Une fois le véhicule immobilisé derrière l'autre limousine, entre les deux camions, le plan était de neutraliser le garde du corps de Svetlana, de charger leur véhicule dans le semi-remorque de gauche et la riche héritière dans celui de droite. Bobette pourrait alors rejoindre la capitale, accompagnée de Tintin qui jouerait les garde du corps et d'un membre de l'équipe de Black Mamba qui officierait comme chauffeur de la Rolls du commando.
La portière passager s'ouvre, la jeune femme blonde toute de cuir jaune vêtue prend place à la place du mort.
— Prêts ?
Tintin le lui confirme mais Bobette ne dit mot. Black Mamba se tourne vers le couple.
— Vous êtes très classe, fait-elle à Tintin, avec un sourire.
C'est vrai qu'il ne manque pas d'allure, dans son smoking, sa chemise blanche satinée à col cassé rehaussée d'un papillon rouge foncé. Bobette, elle, est à tomber, dans sa robe gris mastic sans manche et fendue jusqu'en haut de la hanche. Tintin n'a d'ailleurs que rarement quitté des yeux le galbe de sa cuisse, ne résistant d'ailleurs pas à la tentation d'une caresse de temps à autre. Mais la jeune femme est si concentrée sur la mission à venir qu'elle n'y prête guère attention. Black Mamba se lance dans un point de situation.
— Je viens d'avoir un texto de notre chauffeur à l'aéroport. Il a récupéré le colis. Ils devraient être ici dans une vingtaine de minutes.
***
Le coeur de Tintin se met à battre plus vite quand les phares de la voiture viennent baigner la leur puis s'immobiliser derrière eux. Il n'ose se retourner mais observe la scène au travers d'un miroir intérieur.
La voiture n'est pas encore totalement à l'arrêt qu'un des hommes du commando armé d'un pistolet à silencieux fait feu.
Plop.
La tête du garde du corps explose, éclaboussant au passage une Svetlana terrorisée. Presque simultanément, un deuxième homme ouvre la portière et l'extrait violemment du véhicule en la tirant par le bras. La jeune femme hurle, hystérique, tandis qu'un morceau de cervelle glisse de ses cheveux dans son décolleté. Bobette et Tintin, inquiétés par le grabuge et malgré les consignes, sortent de leur véhicule.
— Putain ! Putain !
Black Mamba ponctue son juron d'un coup de poing sur la carrosserie à 300 euros le kilo.
— Merde, fait Bobette sans toutefois se démonter. Vous l'avez flingué ?
— Ouais, on pouvait pas prendre le risque qu'il ait le temps de réagir, fait un des tueurs.
Tintin, lui, est horrifié. Svetlana, le visage maculé du sang de la victime, recommence à hurler. Black Mamba, contrariée à l'extrême, lui décoche une formidable giffle et lui enjoint de la fermer.
— Tant pis, fait Bobette. Dommage colatéral.
— C'est pas ça, répond la tueuse.
Elle attrape Svetlana par les cheveux et la tire violemment à elle, la projette violemment au sol aux pieds de Bobette.
— Ho merde, fait cette dernière.
Tintin n'y comprend rien, s'enquiert du problème. Les deux jeunes femmes répondent en coeur.
— Ses cheveux.
Devant l'air interrogatif du reporter, Black Mamba s'explique :
— Cette pétasse blonde cocaïnée s'est teint les cheveux.
La jeune femme qui gît maintenant au sol en sanglotant arbore effectivement une chevelure à la coupe presqu'analogue à celle de Bobette, mais noire comme le jais. La Mamba, furieuse et énervée par les jérémiades de la malheureuse, lui décoche un violent coup de pied dans le ventre.
— TA GUEULE !
Bobette s'interpose. Rien ne sert de s'exciter, et cette violence gratuite lui paraît totalement inutile. Tintin intervient :
— Où est le problème ? Je connais Bobette depuis quelques jours, elle a changé deux fois de couleur de cheveux, ça semble très fréquent dans votre monde.
Lors de leur rencontre, Bobette affichait effectivement une coiffure tricolore à dominante blonde. Le lendemain de leur arrivée à New York, ses mèches rouges et bleues avaient disparu au profit d'un blond aussi peroxydé qu' uniforme et là, depuis qu'ils étaient passés dans la phase finale de la préparation, elle arborait une coupe bien plus naturelle, blonde et dorée comme les blés. Mais la tueuse reprend :
— On ne peut pas prendre le risque. Il y a des caméras de surveillance partout, les gens s'appellent en vidéo... Si en arrivant elle a appelé quelqu'un qui doit être présent ce soir, et que le gars voit arriver une blonde alors qu'il s'attend à voir une brune, qui plus est presque noire, ça peut poser problème. On n'a pas le choix. Faut trouver un moyen de teindre Bobette.
Elle se tourne vers son lieutenant dont les hommes sont déjà en train de charger la Rolls aux vitres ensanglantées dans un des semi-remorques.
— Tu me nettoies tout ça, Quentin, et vous mettez la poufiasse en lieu sûr. Je pars avec eux. On se retrouve à la planque.
Tandis qu'un de ses hommes démarre la seconde Rolls, elle invite Tintin et Bobette à monter et s'installe à la place du passager.
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