NY, dernier étage de l'hôtel Marriott Marquis, en soirée.

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Le bar tournant de l'hôtel Marriott, sur Times Square, offre aux hôtes une époustouflante vue sur la grosse pomme. C'est l'entièreté du dernier étage, au pourtour circulaire entièrement vitré, qui pivote sur lui même à un train de sénateur. En un peu plus d'une demi-heure, la rotonde effectue un tour complet sur elle même, offrant même à un convive attablé une vue à trois cent soixante degrés sur la ville. Tandis que Tintin et Haddock s'en extasient, Milou, qui probablement perçoit l'infime mouvement de rotation, s'agite et jappe. Leur hôte a manifestement privatisé l'endroit car parmi les invités, l'on reconnait quelques têtes déjà présentes au briefing de l'après-midi. Tintin n'a d'ailleurs aucun mal à identifier la jeune femme asiatique qui, pour l'occasion, arbore un magnifique kimono traditionnel. Une Japonaise, manifestement.

Lorsque Bobette les rejoint, les deux amis en ont le souffle coupé. La jeune fille a échangé ses improbables bottines et ses tenues trouées et colorées pour une superbe robe noire fendue et des escarpins aussi aériens qu'élégants. Haddock constate que même sa coiffure de sauvage est savament orchestrée en mèches sophistiquées où rien ne semble laissé au hasard. Le maquillage noir outrancier a laissé la place à un fard bleu subtilement pailleté et à un léger surlignage qui tous deux mettent en valeur son regard bleu profond. Si profond qu'un instant, le vieux loup de mer semble s'y noyer, un comble pour un marin. La "papoue" a troqué le noir qui ornait ses ongles et ses lèvres contre un rouge carmin du plus bel effet. Elle n'a gardé que les nombreux bijoux à l'oreille droite, comme une affirmation de son identité, une façon de dire à la face de l'assemblée "ne vous y méprenez pas, je reste Bobette et je vous emmerde". En découvrant leur chambre une heure plus tôt, nos deux comparses ainsi que le Professeur y avaient découvert des smokings à leur taille, ils se réjouissent maintenant de l'attention. Haddock ne peut s'empêcher de s'incliner, il s'empare de la main de la ravissante créature et fait mine de la baiser.

— Vous êtes superbe, mille sabords.

— Merci, répond l'Agent Spécial avec un sourire désarmant. Vous n'êtes pas mal vous non plus, Capitaine.

Quand elle s'éloigne pour faire le tour des invités, Tintin ne peut s'empêcher de lancer un regard amusé au vieux marin.

— Vous semblez sous le charme Capitaine...

— Foutaises. Même dans un flacon de cristal et bien emballé, un whisky frelaté reste un whisky frelaté. Cette fille à bachibouzouks ne me la fait pas avec ses grands airs.

Tintin peine à retenir un sourire qui se veut maintenant goguenard. Le vieux loup de mer pris sur le fait n'avouera jamais sa faiblesse.

— Tintin, Capitaine ?

C'est Mortimer qui les a rejoint. Il est accompagné d'un vieux monsieur habillé tel un bédouin.
Sous son keffieh, un visage ridé et buriné par le vent et le soleil du désert sert d'écrin à deux yeux malicieux, des yeux déjà humides d'une émotion qu'il peine à dissimuler. Le vieil homme s'empare des mains de Haddock et les serre fermement dans les siennes.

— Ce cher Mille Sabords... quelle joie de vous revoir enfin après toutes ces années. Vous aussi mon cher Tintin ...

Sous le regard interrogateur des deux amis, il poursuit :

— Mais bien sûr, si vous arrivez tout droit de 1944, pour vous, nous ne nous sommes pas encore rencontrés. Et pour moi, c'était il y a si longtemps. Je suis un vieil homme maintenant, j'étais un enfant à l'époque.

Mortimer l'interrompt :

— Tintin, Capitaine, voici notre bienfaiteur, Son Altesse Abdallah Ben Kalish Ezab, Roi du Khemed.

Devant les yeux ronds des deux convives, le Roi Abdallah laisse transparaître son amusement au travers d'un petit rire joyeux.

— Cher Tintin, cher Mille Sabords ... mon coeur déborde de joie, mais comment vous reprocher votre surprise. Nous ne nous rencontrerons qu'en 1949, soit dans cinq ans pour vous, mais pour moi c'était il y a une toute une vie. Bien avant le décès de mon bien-aimé père, le Roi Mohamed Ben Kalish Ezab. Après tout ce temps, cher Mille Sabords, puissiez vous me pardonner tout ce qu'enfant je vous ai fait enduré.

Il rit de plus belle, puis poursuit le tour de l'assistance. Bobette revient vers eux, pendue au bras d'un grand gaillard, la quarantaine sportive, les cheveux noirs coupés courts. La machoire carrée et le regard sombre, il s'exprime dans un anglais parfait avec une petite pointe d'accent français.

— Morane. Bob Morane. Forces Spéciales françaises. Enchanté.

— Heu ... Tintin ... et voici mon ami, le Capitaine Haddock.

— Oui bien sûr. Je le sais, comme tout le monde ici. C'est un honneur, vraiment.

Un serveur leur demande ce qu'ils désirent.

— Un whisky, tonnerre de Brest.

— Heu ... pour moi juste une eau gazeuse, ajoute Tintin.

— Je prendrai un Nikka Manhattan, fait Bobette.

Se tournant vers le Haddock, elle ajoute :

— Je vous le conseille Capitaine, c'est un cocktail à base de whisky japonais, sacré meilleur cocktail en 2013.

— Très peu pour moi, merci. Du whisky japonais, a-t-on idée ? Et vous y ajoutez quelque chose en plus ! Sous vos allures de reine de la soirée vous restez définitivement une graine de sapajou hérétique et sacrilège...

Elle rit tandis que le garçon s'enquiert auprès de Morane.

— Pour moi, ce sera une vodka martini. À la cuiller, pas au shaker.

Bobette se penche vers Tintin et Haddock, mystérieuse. Elle chuchote :

— Depuis que le Commandant a perdu son collègue agent de Sa Gracieuse Majesté lors d'un saut, il est un peu bizarre. Mais il est très professionnel. Lorsque nous aurons rejoint Paris, c'est lui qui assurera notre transfert en Syldavie.

— Parce que nous allons à Paris maintenant ? Mais tonnerre de Brest, nous venons juste de traverser l'Atlantique !

— Ne vous inquiétez pas Capitaine, nous resterons ici deux jours. Nous ne partirons que jeudi matin. Le Capitaine Blake tient à vous mettre au courant de tous les détails de l'opération. Et moi, j'ai rendez-vous demain chez Amanda Wachob, c'est une des meilleures artiste tatoueuse au monde. Pas question de partir avant. Faut s'fixer des priorités.

Elle lance un clin d'oeil à Haddock.

— Il commence à faire soif par ici. Vous m'offrez un whisky, Capitaine ?

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