Embarqués maintenant, rangés, masqués par les dossiers, ils ne pouvaient plus la dévisager. Son voisin s’était endormi presque sur son épaule. Personne ne pouvait prétendre au privé d’un espace dans la place exiguë dont chacun était doté dans le ventre de l’appareil, alors elle se cala au plus près de la paroi de l’œil de verre qui la coupait du ciel étoilé. Se mit à imaginer son arrivée au petit matin. Il lui avait promis d’être à l’heure porte soixante-treize, qu’elle pourrait le retrouver facilement. Il lui avait réservé un siège près d’un hublot, ainsi verrait-elle la côte, les cocotiers de haut, le Kilimandjaro, ses miettes de neige, les lacs, les réserves et peut-être même quelques troupeaux d’éléphants. Pour quitter l’Afrique, suivraient Nairobi et l’océan immense avant Paris. Il n’avait pas pensé qu’il ferait nuit !

Elle se sentait perdue dans ce gros oiseau de fer, oubliée dans le souffle de tous ces blancs avachis dans les bras de Morphée. Ses dix-huit ans n’en faisaient pas une adulte avertie et l’aventure lui sembla tout à coup très risquée.

Elle pensait à l’accueil qu’il lui ferait. La reconnaîtrait-il avec cette nouvelle coiffure ? Passant sa main sur la gerbe de petites nattes qui hérissait harmonieusement sa tête, elle retrouva le parfum de l’iris, celui d’une minuscule savonnette qu’une touriste lui avait donnée sur la plage. De ces échantillons dont les grands hôtels faisaient l’offrande aux clients étrangers sur les rebords de lavabos et de baignoires. Sous l’ombre tressée de sa tignasse émaillée de perles jaunes, elle poussa un soupir de soulagement : sur la plage, elle n’irait plus ! Finies les ventes à la sauvette de tous ces zèbres, singes, girafes en pierre de savon. Le riche négociant Indien devra se mettre en quête d’une autre bête de somme pour faire fructifier ses affaires !