Un ange dans le métro

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Je suis dans le métro de Francfort, on revient du théâtre avec mon frère et ma future belle-sœur. Huis clos, du Sartre en allemand… Je me félicite d’avoir lu la pièce avant.

Il a pas tort Sartre, l’enfer c’est les autres et je suis en plein dedans. Le métro est d’une tristesse affolante, personne ne parle, chacun reste dans sa bulle et regarde le vide en prenant soin d’avoir l’air le plus inexpressif possible.

Je scanne les visages des gens comme à mon habitude et je tombe sur celui d’un homme à la peau noire, seul parmi les blancs qui rentrent de soirée. Les épaules courbées, il est assis sur la rangée de sièges face à moi. Il doit avoir quarante ans, il a les traits marqués et une carrure imposante, à peine perceptible sous la coupe informe de sa tenue d’agent d’entretien. Je vois plus de détresse dans ses yeux que dans tout le wagon réuni. Les autres font la gueule aussi mais lui, il a l’air terriblement seul. Seul dans un monde où personne ne se soucie de lui. Il est presque minuit et il rentre chez lui.

J’ai de la peine pour lui, il y a quelque chose de cassé dans son regard. Je voudrais lui dire qu’il n’est pas seul, qu’il est beau, qu’il mérite l’amour et la bienveillance, au même titre que tous ces gens convenables qui l’ignorent sans jamais croiser son regard… Mais ça n’arrivera pas. Si je fais ça, que penseront les gens civilisés de moi ?

Il me regarde. Je lui souris.

Il baisse la tête d’un air peiné. Il croit que je me moque de lui.

Il hésite et relève la tête, son regard est dur et amer, il fait le fier. Je lui offre mon sourire le plus sincère.

Il reçoit mon sourire en pleine face et soudain, il comprend. Ses paupières se plissent, ses yeux s’adoucissent. Il saisit mon regard et ne le lâche plus, comme une main tendue.

C’est alors qu’un sourire immense vient illuminer son visage. L’abattement qui l’accablait s’évanouit instantanément et une lumière très douce semble irradier de lui.

Nos yeux se parlent d’humanité et de fraternité, du mystère de la vie et de la destinée. Je lève les yeux en désignant les gens qui nous entourent, chacun dans sa bulle, l’air bovin, et on se met à rire de l’absurdité du monde. Un rire silencieux, comme un ange qui passe à travers le métro.

Une étincelle de joie s’est allumée au fond de ses yeux noirs, une petite lueur d’espoir pour affronter la brume du soir.

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