17 : Nouvelle vie (partie deux)

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— Et je ne peux pas savoir où on va ?

— Léo ! Puisqu’on te dit que c’est une surprise, tu verras bien quand on y sera !

— Pffffff ! J’ai horreur des surprises ! Allez, sans déconner, faites pas les rats ! En plus, je suis sûr que Mathilde sait…

— Évidemment que je sais, je te rappelle que j’habite à deux pas d’ici…

— C’est vraiment trop injuste !

— Ca y est, v’la qu’il nous fait son Caliméro…

— Alors, mon bichounet, taquine Mathilde en passant son bras autour du cou de Léo, sont trop méchants les gens ?

— C’est ça, fous-toi de moi… réplique mon meilleur pote avec humeur en se dégageant de l’étreinte de sa meuf.

— Bon, t’as pas bientôt fini de faire ton chieur, là ? Profite, vieux, t’es en vacances !

— Surtout qu’on est presque arrivés.

— Mais c’est pas la rue de la boutique des filles ?

— Tu brûles, man, tu brûles.

On dépasse Les pages du Grand Meaulnes et c’est avec une fierté à peine contenue que je présente la vitrine de mon petit commerce :

— Tadaaa !

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Un salon de thé ?

— Ah mais ce n’est pas n’importe quel salon de thé ! C’est MON salon de thé, celui que j’ouvre dans quelques semaines…

— Hein ? Tu raccroches ta robe d’avocat ? Mais qu’est-ce qui te prend ?

— J’ai envie d’autre chose, Léo, et ça, c’est mon rêve de gosse. Et puis, je ne ferai pas que salon de thé, on pourra aussi y déguster des pâtisseries, et même bouquiner.

— Oui, enchérit Angie, le concept de librairie-salon de thé est quelque chose de très novateur dans une bourgade comme Camaret, mais ça peut devenir très tendance. Ça fonctionne déjà dans des villes plus importantes.

— Vous êtes complètement fous !

— Peut-être, mais on se dit que ça vaut le coup d’essayer. Ça ne peut qu’apporter un plus aux Pages du Grand Meaulnes. Tu vois, le risque est calculé…

— Les délices de Caroline… C’est quoi cette appellation bizarre ? T’as été la pêcher où ? Dans tes anciens rencards ? Et Angie ? Elle te laisse baptiser ton boui-boui du prénom de l’une de tes ex ?

— Non, vieux, tu te plantes complètement. Caroline n’a jamais fait partie de mes ex. Mais si tu veux que je te raconte, on va entrer au chaud pour que je te fasse visiter, et puis tu finiras par t’asseoir. Parce que Caroline, c’est comme ma passion pour les pâtisseries, c’est une longue histoire qui ne date pas d’hier…

Léo me suit, incrédule. Nos compagnes aussi. Il ne s’intéresse pas vraiment à notre projet, il est dans l’attente. Il veut savoir. Tout. Tout ce qui lui échappe depuis si longtemps. Il avait peut-être déjà perçu mes failles bien avant, sans poser de questions. Seulement là, j’ai titillé sa curiosité avec un prénom de fille. Une fille qui a suffisamment compté pour moi pour qu’elle me reste en mémoire. Et il sait combien le fait est rare.

— Assieds-toi Léo. Asseyez-vous tous. Il n’y a qu’Angie qui est au parfum mais… Caroline était la fille la plus extraordinaire du monde. Et on était très proches, comme peu de gens peuvent l’être.

Je ménage mon suspense. Mathilde et Léo dévisagent Angie sans comprendre.

— Caroline était ma… Elle était ma sœur. Et elle n’est plus.

Un étonnement. Un silence.

— C’est pour elle que je voulais devenir un grand pâtissier. La vie en a décidé autrement, hélas…

***

— Caro ?

— Laisse-moi, Greg ! J’ai envie d’être seule…

— Caro, je sais que tu crevais d’envie d’aller en Italie, de retrouver Lorenzo mais…

— Arrête, Greg ! Arrête de remuer le couteau dans la plaie ! S’il te plaît…

— J’ai… J’ai fait quelque chose pour toi dans la cuisine. Je sais que ça remplace pas, que tu t’en fous mais… C’est ma façon à moi d’essayer de te remonter le moral. Je sais pas trop ce que ça vaut, j’espère juste que ça te plaira…

— C’est quoi ?

— Suis-moi et tu verras…

— Allez, Greg, dis-moi !

— Non, je te dis pas. T’as qu’à venir…

Elle tente de m’attraper en esquissant un sourire espiègle. J’ai gagné, je sais que j’ai gagné, que j’ai réussi à redonner un peu de couleurs à sa vie, à en estomper momentanément le gris.

— Alors, microbe ? On fait moins le malin là !

Elle me chatouille et je suis hilare à n’en plus finir. C’est à bout de souffle que je la conduis là où j’ai caché le présent que j’ai concocté pour elle. En ouvrant le frigo et en découvrant ma tropézienne, elle écarquille les yeux.

— Non ! C’est pas possible ! C’est pas toi qui as fait ça ?!

— Et si, ma vieille ! En souvenir de nos vacances à Saint-Trop’…

— Et de nos virées familiales chez Sénéquier, quand papa fantasmait comme un malade sur Bardot !

— Exactly ! Ben vas-y, goûte…

Caroline sort la pâtisserie du réfrigérateur, nous en coupe un morceau chacun et mord à pleines dents dans le sien.

— Hey mais t’es un génie, frérot ! Le roi de la pâtisserie même…

— C’est vrai ? Tu aimes ?

— Puisque je te le dis ! Et moi, je suis pas du genre à lécher les bottes de n’importe qui, alors tu peux me croire…

— Hé, je suis pas n’importe qui d’abord !

— Non, t’es mon frangin, ce qui réduit d’autant la probabilité de flatteries de ma part, désintéressées ou non.

— T’as un fichu caractère de scorpion, Caro, mais c’est pour toi que je me suis décarcassé, sœurette, rien que pour toi. Parce que même si t’es chiante parfois, tu restes ma sister adorée…

Je la serre fort dans mes bras, câlin fraternel version XXL.

Avec nos parents, nous retournerons chez Sénéquier l’été suivant, pour déguster une tropézienne, un sourire complice sur les lèvres. Parce qu’il est devenu notre dessert fétiche, notre petite douceur, celle qui réchauffe le cœur quand plus rien ne va.

***

— C’est marrant, je ne t’ai jamais vu cuisiner quoi que ce soit…

— Quand j’étais sur Lyon, on bouffait souvent au resto, ou alors je m’enfilais des trucs rapides, sur le pouce même, si je n’avais vraiment pas le temps.

— C’est vrai, et je me souviens, tu commandais souvent une tropézienne.

— Que veux-tu, c’est ma madeleine de Proust ! Et depuis que je suis ici, le week-end, je me remets aux fourneaux pour le plus grand bonheur d’Angie. N’est-ce pas ma chérie ?

— Même que je ne me suis jamais autant régalée que depuis que nous vivons ensemble…

— Euh, t’es sûre qu’on est toujours dans le registre culinaire, là ? relève mon ami, toujours prompt à faire dans le scabreux. Parce qu’on n’est pas loin de déraper sévère, surtout si j’en crois ce que Greg m’a appris cet après-midi…

— Léo ! s’insurge Mathilde, feignant la colère en lui donnant un méchant coup de coude.

On explose tous de rire, manquant de renverser nos tasses sur le faux marbre de la table bistrot.

— Hé, faudrait pas que vous me cassiez le matériel avant l’ouverture !

— T’as qu’à mieux sélectionner ta clientèle, vieux !

Le ton est léger, badin, et rien ne viendra troubler cette chaleur, cette convivialité amicale.

Les heures s’égrènent doucement, la journée s’étire et le soleil se voile. Il est temps de fermer boutique. Nous quittons les lieux dans la bonne humeur pour aller préparer le dîner à la maison. Nos amis auront la délicatesse de ne pas me demander la cause du décès de Caroline. Ils soupçonnent le tragique mais ne s’y attardent pas. Ils l’apprendront plus tard, dans d’autres circonstances.

Le dîner, la bonne humeur, toujours. Et pour le dessert, une tarte tropézienne. Désormais, ils savent pourquoi. Oui, désormais, ils savent à qui elle est dédiée.

Léo repart demain. Et même s’ils se chamaillent souvent, je sens au fond que Mathilde en est triste. Elle aimerait beaucoup qu’il vienne s’installer avec nous, mais il n’est pas encore prêt, je crois, à envisager la vie à deux.

Dans deux mois, ce sera le grand jour. Peut-être qu’alors ça fera tilt dans sa tête. Peut-être qu’il finira un jour par lui demander sa main. Peut-être…

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