Karmadelic
Chaque fois qu’un rickshaw emprunte la ruelle, il soulève un nuage de cette épaisse poussière collante qui recouvre New Delhi. En ce milieu d’été écrasant, cette crasse volante se colle volontiers aux visages et se mélange à la sueur devenue brûlante pour les yeux.
À l’ombre d’un de ces gourbis ou l’odeur du poulet tandoori se mélange aux effluves humains, le flic ne semble pas vraiment indisposé par cette saleté en suspension dans l’air. D’une main nonchalante il caresse a ses pieds la petite chienne pouilleuse venue mendier quelques os. Il porte à ses lèvres une Kingfisher Strong glacée qu’il fait doucement tourner dans sa bouche avant de laisser le liquide frais lui glisser dans le gosier.
Court de taille et large d’épaules, on verrait plutôt en lui un rufian qu’un cador de la DGSI. Son bouc mal taillé et ses yeux noirs malsain n’aidaient pas à rendre le commandant Xavier Le Roc’h plus avenant.
Une gamine du « slum » tente de s’approcher de lui en tendant la main, il l’ignore mais la gosse devient insistante, il la chasse d’un crispemment de mâchoire. Elle s’enfuit par la ruelle sans demander son reste.
Une pensée qui n’est pas la sienne prend soudain forme dans son esprit
« Je crois que je les ai »
« Je n’ai pas besoin de croyance mais de certitude », répond t’il sèchement sans ouvrir la bouche.
« Oui c’est bien eux »
« Fais-moi voir »
Sa vision se transporte à plusieurs centaines de mètres pour regarder par les yeux d’un autre.
« Oui ce sont les types que nous recherchons, bien jouée »
« Je les suis ? »
« Non je m’en charge »
À ses pieds la petite chienne émet un gémissement lorsqu’il prend le contrôle de son corps. Par la pensée il rassure l’animal.
« Doucement ma belle cela ne te fera aucun mal »
Encore toute jeune, elle n’a pas l’entraînement nécessaire pour accepter sans rechigner l’implant cyber-kinésique greffer sur son système nerveux. Il choisit donc de la laisser choisir son chemin, plutôt que la contrôler complètement.
« Va ! Trouve-moi c’est deux la »
Il lui envoie l’image prise quelques instants auparavant par les yeux de son collègue. L’animal montre qu’elle comprend en frétillant de la queue et s’élance dans la ruelle. Il l’accompagne par le biais de son implant. Mais il est vite obligé de couper le centre olfactif, les odeurs du slum deviennent encore plus insupportable en passant par la truffe élaborée du chien qu’elles ne le sont déjà avec les narines humaines.
L’animal se laisse distraire par quelques ordures. Il la tance et tire sur la laisse mentale.
« Non ! À droite »
La petite chienne reprend sa course et croise bientôt l’autre agent.
« Chris tu es trop visible retire-toi derrière le coin de la rue », ordonne t’il
« Compris, puis-je accompagner le chien ?»
« OK mais ne la perturbe pas elle a du mal à rester concentrée »
« Entendu. Nos clients se sont installés devant l’un de ces magasins de spiritueux. »
« Je les vois, la chienne vient de les trouver »
En effet le petit animal vient de s’arrêter à quelques pas des deux individus. Un occidental et un Indien. Le blanc il le connaît comme étant le vice-consul de l’ambassade. L’ouïe très fine l’animal lui permet d’entendre clairement la conversation. Il débute l’enregistrement.
« – Alors nous sommes d’accord sur le prix, 15 millions d’euros ?
– C’est beaucoup.
– Beaucoup ? Pensez à ce que votre gouvernement devrait dépenser en développement si vous deviez étudier ce système depuis zéro. Il a coûté à la France plus de 20 milliards d’Euro sur quinze ans.
– D’accord ! Tikey! nous avons déjà abordé ce sujet, nous vous transférerons la seconde partie de l’argent dès que vous nous remettrez les données.
Les deux hommes se serrent la main et se séparent.
« Eh boss, Je crois qu’on tient notre fuite, On suit l’indien ? »
« Oui, mais pas d’intervention, ça concerne la DGSE. Notre boulot est fait, je crois que nous allons faire des heureux chez Dassault. Occupe-toi de la chienne, je retourne à l’ambassade. »
« Pas de problème, c’est quoi son nom ? »
« C’est un chien de rue alors je l’ai appelée Street. Je sais ce n’est pas très original. Prends soin d’elle, je l’aime bien cette boule de poil pelée. »
« Pas de problème. On se voit plus tard. »
« A plus »
Le Roc’h coupe la transmission cyberpathique et finis tranquillement sa bière satisfait d’avoir conclue trois mois d’enquête. Il ne lui reste qu’à transmettre aux services secrets l’information, c’était à eux de prendre le relais puisque cette affaire sortait du territoire de l’ambassade.
Il s’apprête à se lever lorsqu’il ressent son implant s’activer.
« Chris ? » interroge t’il
« Non » répond une voix de gamine.
La douleur lui explose soudain le crâne, paralysé il s’écroule dans la poussière sous le regard indiférent des passants. Dans un geste de survie mentale, il lance la déconnexion d’urgence et l’implant greffé sur son système nerveux est irrémédiablement détruit.
« Ce n’est pas comme ça que tu vas m’échapper »
Il vérifie que sont implants et bel et bien hors service, il ne peut effectivement plus l’activer. Mais alors comment peut-il entendre cette fille ?
« Qui êtes-vous ? »
« Nia, nia, nia! »
De nouveau une monstrueuse décharge lui ravage l’esprit. Il sent plusieurs vaisseaux sanguins prêt à exploser, il risque l’anévrisme.
« Plus vous résistez plus la mort sera douloureuse. »
« Va te faire foutre !»
Dans une contraction mentale qu’il croyait du ressort de la science-fiction, il bloque avec succès la nouvelle attaque de l'inconnue. Il n’aurait pas du pouvoir le faire, son implant est mort. Mais il n’a pas le temps de s’interroger, car il perçoit soudain de la surprise venant de son adversaire. Une émotion ? Mais c’est techniquement impossible ! Transmettre un sentiment ou une émotion via les implants cyber-kinésique n’était tout simplement pas faisable.
Il se redresse au milieu de la ruelle et veut se débarrasser de la poussière qui le couvre, Il va pour frotter ses vêtements mais avant que ses mains n'aient bougées son esprit les précède et d’une simple impulsion cérébrale il chasse la saleté incrustée dans les fibres du tissu. Non, ceci n’avait décidément rien à voir avec de la cyber-kinésie. Mais le plus étrange était que cela lui venait aussi naturellement que la respiration ; Il ne comprend pas ce qui lui arrive mais cela fait partie de lui.
Il sonde l’espace environnant à la recherche de son mystérieux agresseur. Comment savait –il faire ça ? La perception qui lui revient est dix mille fois plus claire qu’elle ne le serait si son implant fonctionnait. Il saisit chaque détail qui l’entoure, pas seulement les huttes du bidonville et les personnes mais aussi les couleurs et les odeurs. Ces nouveaux pouvoir n’étaient pas issue de l'ingénierie.
Il en eu un sourire tout puissant.
« Merci » lance-t-il mentalement a la ronde
Il sent soudain une conversation paniquée.
« Oh merde ! il est devenu comme nous »
« Mais c’est impossible, qu’est-ce que tu lui as fait »
« Mais rien, je me contentais d’obéir à Sikander et il m’a bloquée »
« Pas bon, il faut qu’on se casse d’ici en vitesse »
« Il faut prévenir Sikander»
« Silence il nous a repérés »
Le commandant du contre-espionnage français Xavier Le roc’h passé en quelques secondes du statut d’individu lambda a plus qu’humain se met en chasse. Il peut sentir ses adversaires devant lui qui détalent comme des lapins à travers les allées du bidonville. Il y a au moins six individus. Quand ses proies se séparent il se focalise sur la fille. Il la tient presque et c’est devant un mur de brique qu’il la coince. Mais ce n’était pas ce à quoi il s’attendait car devant lui ne se tenait pas quelques Némésis d’un service secret quelconque mais une gamine de dix ou onze ans, une de ces gosses crasseuses à la peau noire qui pullulent dans les rues de Delhi. Elle place devant elle ses mains tout en lançant des suppliques terrorisées en Hindi.
- Je ne comprends pas ce que tu me dis. Vocalise t’il
Il a un doute. S’agit-il vraiment de cette gamine qui a failli le tuer juste quelques minutes plus tôt ?
Il peut voir sa peur, elle entoure l’enfant comme une aura.
« Qui es-tu ? Me comprends-tu comme ça ? » Forme-t-il par la pensée.
« Pardon, pardon, Je m’appelle Inari, ce n’est pas moi qui voulais, c’est Sikander»
« Qui est ce Sikander ? »
« Notre Chef, quand il t’a vu, il a cru que tu en avais après nous »
« Qu’est ce qui m’arrive ? » questionne-t-il à nouveau.
C’est une autre voix qui lui répond. Un gamin perché sur le haut du mur une pierre à la main.
« C’est parce que tu es comme nous, tu peux voir les choses autrement »
« Tu veux dire Télépathe ? »
« Je ne sais pas ce que ça veut dire ce mot »
« Que tu peux lire l’esprit des gens. »
« Non, mais je sais quand ils ont peur ou quand ils sont colère, je sais aussi quand il raconte des mensonges »
« Alors est ce que tu me crois si je te dis que je n’en avais pas après vous »
« C’est vrai » fit Inari baissant doucement les bras « Il n’est plus en colère »
« Je cherchais quelqu’un d’autre. Qui est ce Sikander ? »
« C’est notre chef, il est le premier »
« C’est votre père ? »
« Non, non, il est … »
La gamine se mit à respirer rapidement les yeux remplit de crainte, son aura s’assombrit.
« Il est mauvais » termine t’il
« Oui » fit-elle dans un murmure télépathique.
« Je veux tout de même le voir »
« Il a pris ton copain !»
« Quoi ?! »
« L’autre comme toi avec les fils dans la tête »
« Où est-il ? »
Le garçon hésite.
« C’est après nous qu’il va se venger »
Xavier tend le bras et d’une impulsion télé kinésique il attrape le gamin pour le ramener au sol.
« Tu m’écoutes bien, s’il doit arriver quelque chose à mon équipier, je te promets que ce Sikander sera le dernier de tes soucis »
« Il est à la sortie du marché, lâche-moi, vire tes pattes »
« Allons-y conduisez moi
« Par ici »
Inari le prend par la main et l’entraîne au travers des échoppes et des cabanes de bâches. Son aura a de nouveau changé, il peut y lire un espoir fou. Le garçon derrière l’encourage en même temps qu’il le met en garde. Bientôt il n’a plus besoin des enfants pour se diriger. Au cours de sa carrière il a côtoyé la lie de l’humanité, mais la puanteur psychique qui remplit l’espace devant lui, en revanche c’est une première. Elle évoque dans sa mémoire de flic les pires penchants que l’on puisse trouver dans une armée de criminel. La perversion, le sadisme, l’arrogance, le mépris, la haine. Mais tout cela concentré en un seul homme.
Il croise l’image mentale affaiblit de Chris.
« J’arrive » lance-t-il « tient bon »
« Casse-toi, ce monstre est trop fort » le prévient Chris.
La rage l’envahie. Sous le coup d’une impulsion il bondit, ou plutôt, il s’envol. Après tout s’il est désormais capable de manipuler les objets, il n’y a aucune raison qu’il ne puisse pas se transporter lui-même.
Sikander n’est plus loin, il pique sur l’emplacement et atterrît avec violence au milieu d’une ouverture dans le slum. Le déplacement d'air fait voler plusieurs des fragiles constructions.
- Sikander, hurle-t-il a plein poumon.
« Inutile de crier, nous n’avons pas besoin de cela entre nous » Lui répond une pensée mauvaise.
Une barre métallique lui arrive brusquement en pleine face, il la repousse d’une pichenette psychique.
« Tu apprends vite »
« Je ne suis pas un de tes gamins »
« Mais tu restes un débutant »
Il ne voit pas venir le coup qui le jette à terre.
« Ahimsâ mon cul » jure t’il.
« Je ne te nuis pas, Je veux juste t’aider atteindre Moksha »
« Ma délivrance tu vas la prendre dans les dents. »
Il constate qu’il peut toujours utiliser ses nouveaux pouvoirs, mais son corps est entièrement paralysé par cette force qui l’entoure. Il sonde l’espace pour attaquer son agresseur. Celui-ci pare l’attaque avec aisance. Mais Xavier sent le contrôle de son corps lui revenir. Le flic crée un champ de force et soulève la dalle de béton qui sert de terrasse à la cabane et la projète au travers des maisons de tôle en direction de Sikander qu’il ne voit toujours pas. Il a cependant la mauvaise surprise de voir la dalle lui revenir aussi vite qu’elle est partie.
- Et merde !
Il veut esquiver le projectile mais une fois de plus son corps refuse de lui obéir. Comme la fois précédente ses pouvoirs sont toujours présents et Il jette son esprit contre le béton et le stoppe à quelques centimètres de son visage. Sikander se lance alors contre cette force psychique et de nouveau Xavier sent ses membres lui revenir.
« Tu ne peux pas contrôler le psychique et le physique en même temps on dirait »
« Et toi tu ne peux pas me voir, à chacun ses faiblesses »
La locomotive kinésique qui s’abat sur lui le prend une nouvelle fois par surprise. Il est précipité au sol avec une telle violence que plusieurs de ses cotes se brisent. Perdant presque conscience c’est à peine s’il est capable reconnaître la petite boule grise qui traverse la place dans un éclair de rage.
« Street, attaque ! »
La petite chienne vient de débusquer son gibier, obligeant Sikander à se dévoiler pour repousser cette attaque imprévue. Street ne vise pas la gorge, bien trop haute et Xavier est certain que son adversaire y laisse une bonne partie de sa virilité lorsque les quatre petits crocs pointus s’enfoncent entre ses jambes.
Sikander hurle et veut frapper la petite chienne qui esquive vivement, prévenue télépathiquement par son maître de l’arrivée du poing qui s’abat maintenant dans le vide.
« Bien jouée ma mignonne » félicite Xavier.
Le flic se relève péniblement pour faire désormais face à une espèce de monstre humain hirsute au turban en bataille et aux yeux de fous.
« C’est fini l’américain »
« Raté je suis français »
Dans un ultime effort il jette vers Sikander ce qui lui reste de psychè. Bien entendu le gurû le bloque et c’est bien ce qu’escompte Xavier. Il glisse sa main droite sous son ample T-Shirt et ressort d’un geste vif son Gloc 21. Sikander obligé de se focaliser sur l’attaque télé-kinésique, laisse le flic libre de ses mouvements physiques. Xavier aligne l’arme et fait feu à deux reprises. La poussée sur son esprit cesse immédiatement lorsque le guru s’écroule sans fioriture sur le sol, deux balles de calibre 45 en travers du front.
« Pas le bon Karma frère. »
A son tour Xavier se laisse tomber assis sur le sol et se met à souffler. Inari et plusieurs autres gamins le rejoignent et c'est une explosion de joie télépathique et sonore qui explose dans sa tête.
« Doucement, doucement, aidez-moi à me relever »
Inari passe sous son bras, il s’appuie sur l’épaule délicate pour se redresser péniblement. En boitant il se met à la recherche de Chris. Il se laisse finalement guider au milieu des décombres de la bataille par le flair de Street. Son pauvre équipier est en piteux état mais conscient.
- Va falloir que tu m’expliques ce qui vient de se passer Xav. Chevrote l’agent blessé. Je viens de te voir voler.
- Ce qui se passe ? Et bien je crois que la Cyber-kinesie c’est dépassée mon vieux.
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