Anne - 9

5 minutes de lecture

Morgan me fatigue un peu aujourd’hui. C’est quand même la quatrième fois que je lui explique comment additionner ses puissances. Je ne sais plus très bien comme le lui dire simplement. Il est mignon et volontaire, ce n’est pas le problème, mais…. Je soupire. Thibault me regarde et réprime un sourire. Il se lève et va aider Morgan.

Thibault est un drôle d’énergumène lui aussi. J’ai l’impression de n’avoir que des drôles d’énergumènes en fait. C’est génial. C’est ce qui fait la richesse de ce métier. Ces gosses sont extras. Je regarde Thibault se rassoir. C’est vraiment le seul à se lever pour aller aider un camarade quand je suis occupé avec un autre. Je ne lui ai jamais demandé de le faire. Ça lui vient naturellement.

— Merci Thibault. C’est généreux de ta part. Tu as compris cette fois Morgan ?

— Ouais, c’est bon ! Nickel !

— Parfais. Ne t’occupe pas de la soustraction que je vais expliquer. Entraine-toi plutôt à l’addition. Exercices 23, 24, 27, et 28, page 157.

Il sourit et hoche la tête. Il sait bien que je ne dis pas ça pour être humiliante. Je ne veux pas le mettre en difficulté outre mesure.


La cloche sonne et les élèves filent comme des Rockets estampillées « NASA ».

Jade entre. Elle est trempée et me dévisage. Ses yeux bleus me rappellent les étangs d’eaux claires en Norvège. Éric se battait avec je ne sais quel branchage qui avait accroché sa doudoune. J’étais accroupi devant ce miroir tranquille. J’observais la torpeur silencieuse de l’hiver.

Mais Jade est une tempête de neige.

— Jade ?

— C’est quoi être plus riche que son QI ?

Son ton est précipité, sa mâchoire serrée. Elle a réfléchi à ce que j’ai dit. Beaucoup trop, mince. J’ai été con, je n’ai pas pensé au fait qu’elle allait se torturer l’esprit. Ma phrase était trop énigmatique.

— Est-ce que la première chose qui te vient à l’esprit en pensant à Lucas, c’est son QI ?

— Oui. Lucas est bête.

— Attention a qui tu t’adresses lorsque tu énonces une vérité.

Inutile de la contredire, Lucas manque d’intelligence, elle ne comprendrait pas que je lui dise le contraire.

— Bon, Lucas n’est pas le bon exemple. Éloise ?

— Non.

— Erwan ?

— Non.

— Gaël ?

— Tu vas faire toute la classe ?

— Tu m’as comprise ?

— Oui.

— Est-ce que tu peux me dire les premières choses qui te viennent à l’esprit à propos de ces trois-là ?

— Éloise est ceinture noire de karaté. Erwan est niveau 47 sur Skyrim et je le croise sur WoW. Gaël a enterré sa grand-mère ce weekend et a beaucoup pleuré. Je ne comprends pas pourquoi. Il devait savoir que sa grand-mère allait mourir avant lui.

— Peu de gens arrivent à rationaliser lorsque les choses touchent l’affect. Ce n’est pas forcément bon de le faire d’ailleurs. Bref, du coup dis-moi, c’est quoi être plus riche que son QI ?

— J’aime apprendre.

Sa pensée est allée si vite qu’elle n’a même pas pris le temps de m’en faire part. Mais je sais qu’elle a compris ce que je voulais lui dire. Il fallait qu’elle se demande ce qui faisait d’elle, elle. Je ne sais pas si Jade avait déjà réfléchi à ce qu’elle aimait. Je ne pense pas.

— Alors, ne te prive pas. Apprends.

— Merci Renart.

Elle fait volteface, passe la porte, j’attrape ma sacoche pour ranger mes manuels.


Je scrute les petites pièces toutes neuves sans écouter l’agent immobilier. Il parle trop et l’utilisation excessive d’adjectifs superlatifs m’écorche les oreilles. L’appart est sympa, et le prix est assez bas. Je vois déjà le canap’ qu’Éric me laisse avec la table basse tourné vers la fenêtre et le bureau dans l’autre angle. Je me plante devant ladite fenêtre. Je comprends mieux le prix de loc. Ça va pas le faire le vis-à-vis.

Je jette ma sacoche sur le petit lit de la chambre chez l’habitant que j’occupe toujours. J’ai éconduit l’agent immobilier. Dans tous les sens du terme. Je ne sais pas ce que son annulaire gauche cerclé d’un anneau a le plus aimé, mon cul ou mes 23 ans ?

Je laisse trainer mes chaussures et m’étale sur le lit en attrapant mon ordi. Je n’ai pas cours le mardi matin, j’hésite à descendre au Fire Fox. Ma barmaid m’attend peut-être… J’ai une autre idée. Un sourire en coin étire mes lèvres pendant que j’ouvre Messenger.

Recherche : « Lisbet Hnsn ».

Je m’attarde sur sa photo de profile. Elle est seule entourée de montagne et de verdure. La localisation indique « ile Féroé ». Ça donne envie d’y aller. Aller la retrouver. Je pourrais prendre un billet d’avion pour les vacances d’hiver.

« Hej smukke, comment vas-tu ? J’espère que tu ne m’as pas oubliée ! Anne. »

Je me tourne et pose mon téléphone sur le ventre. Je souris toute seule. Je crois que c’est à ce sourire que je comprends comme ça n’allait pas avec Éric.

La réponse ne se fait pas attendre. Je déverrouille mon téléphone avec trop d’empressement.

« Hej skønhed ! <3 Evidemment que je ne t’avoir pas oublié ! Comment j’avoir pu le faire ! Je vais bien. Je suis math professeur depuis un an. J’adore. Et toi aussi comment ça va ? »

Je souris, elle n’a pas perdu son français. « Hej Skønhed », salut beauté, ce sont les derniers mots qu’elle m’a dits.

Nous parlons jusqu’à tard dans la nuit. Parfois en danois, parfois en français. Elle a des classes de secondaire supérieur, ce qui correspond aux années de collège. Je suis allé fouiner sur internet, mais le système scolaire danois a l’air vachement compliqué. Elle me dit qu’elle n’aime pas trop cet âge-là, qu’elle aurait préféré des plus grand, comme moi.

Je la laisse beaucoup parler. Elle a voyagé un an après la fin de ses études et me raconte tout. L’Islande, le Canada, la Laponie, la bouffe, l’alcool, le froid, les paysages, la neige, les villes. Je sens son enthousiasme. Je la vois comme si elle était à côté de moi. Je me souviens de ses mimiques, ses mains qui bougent dans tous les sens. Une pointe de jalousie me traverse quand elle me raconte quelques-unes de ses conquêtes. Une Islandaise, et une Irlandaise.

« Aucune n’a réussi à me faire oublier toi, skønhed <3 ».

Ah, finalement me voilà enorgueillie, je suis son meilleur coup. En retour, je lui raconte mes années avec Éric. Elle se dit triste pour moi, mais je sens bien qu’elle jubile un peu.

On frappe à ma porte.

— Entrez !

C’est la petite dame chez qui j’habite.

— Bonsoir, Anne. Je me demandais si vous vouliez partager avec moi le plat de légume rôti ?

— Bien sûr Colette ! Avec plaisir !

J’adore cette mamie ! Je lance mes jambes hors du lit et me lève aussitôt. Le petit bout de minette qui vit avec Colette vient se frotter à mes jambes. Je lui sers à manger.

De retour dans ma chambre, je m’installe au bureau, j’ai quelques copies à corriger. Je vais peut-être rester avec Colette. Elle est adorable et ça lui fera de la compagnie. Je lui proposerais de faire ses courses. Mon téléphone vibre. Lisbet ne m’avait pas encore répondu.

« Est-ce que tu vouloir venir visiter le Danemark cet hiver ? »

J’attrape mon ordi et regarde les prix des billets d’avion. J’attrape ma carte bleue. J’ai hâte !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ethan Carpenter ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0