Jade - 16
Renart pose la tête sur mon épaule. Je souris malgré moi. On se repose sur moi. Je suis comme un havre. Son havre. Je n’ai jamais été le havre de personne. Lucas n’a jamais posé la tête sur mon épaule. Comment peut-elle dire qu’il m’aime alors ? Je pense que lui non plus ne sait pas ce que c’est. Qui sait alors ? Qui aime ?
— Tu l’as rencontrée comment, ta danoise ?
Je sens que je l’ai interrompu dans ses pensées. À quoi pense-t-elle ? À moi ? J’aimerais qu’elle pense à moi. J’aimerais qu’elle ai hâte comme j’ai hâte que l’année se termine. J’aimerais qu’elle ne veuille plus être ma prof. Sept mois ce n’est pas si long a-t-elle dit ? C’est faux, c’est une éternité. J’attendrais. Elle aussi, je crois. J’ai vu ses yeux glisser sur mes seins tout à l’heure. Elle a envie. Moi aussi. Est-ce qu’elle est amoureuse elle aussi ? La tête sur l’épaule pour la tendresse. Venir et dormir ici pour l’attachement. Et son regard pour l’attirance sexuelle. Il y a toute la définition. J’ai envie de croire qu’elle m’aime. J’ai envie qu’elle m’aime. Parce que, j’aime être son havre.
— Et Éric ?
Sa rencontre avec la danoise est cocasse. Encore le Fox. Je comprends pourquoi elle a voulu y passer l’autre jour. J’étais curieuse de savoir comment elle les avait rencontrés puisqu’elle n’en aime aucun des deux. Enfin, elle aime sa danoise comme j’aime Lucas, mais c’est différent. Ce n’est pas ce que je veux savoir.
— Pourquoi tu lui as dit oui, si tu ne l’aimais pas ?
— Pourquoi tu as dit oui à Lucas ?
— Je n’avais pas de raison de dire non.
— C’est pareil pour Éric et moi.
Parfois, j’oublie qu’elle est un peu comme moi. Elle ne comprend pas tout, vit de manière pragmatique.
— Tu sembles aussi nulle que moi à comprendre ce que tu aimes.
J’ai envie de rire en la voyant rentrer dans la chambre. Je sais qu’elle est petite, mais mon teeshirt le montre mieux. Elle ne porte pas ses lunettes. Ça lui change un peu le visage. Plus mince, je dirais.
Je la regarde se glisser rapidement sous les draps. Il ne fait pas froid pourtant. J’ai envie de croire qu’elle cache une idée. Je frissonne, m’allonge, brule.
Il ne s’est rien passé.
Ni cette nuit-là, ni le lendemain, ni les sept mois qui ont suivi. Il ne s’est rien passé, mais tout y était. Tout était dit dans le vert de ses yeux. Et j’ai attendu. La colère, la hâte, l’envie, au bord du cœur. Tout un merdier d’émotion que j’ai jugulé avec difficulté. Lucas m’y a aidé. Baiser avec lui était un exutoire. Une frustration plus grande encore, aussi. Ce n’était pas Renart. Renart, je n’avais que son regard à aimer. Sa main sur mon épaule à désirer. Mais je voulais tout d’elle.
J’étais à fleur de peau. Et même si ça ne manquait pas de logique, je m’agaçais d’agir si connement. Au fox, les habitués savaient qu’il ne fallait pas me titiller.
Chaque vacance, j’ai cru mourir. Lucas aussi tant je lui en demandais. Ma pensée me consumait. J’aurais presque aimé dormir deux semaines entières. WoW je pensais Renart. Douche je pensais Renart. Code je pensais Renart. En me levant, en me couchant, je n’avais que le son de sa respiration à côté de moi cette nuit-là.
La cloche sonne. Mon corps se détend direct. J’en suis presque surprise. Putain enfin…
Je regarde distraitement les autres s’en aller et je ne bouge pas. Je suis figé par mes sept mois d’attente.
— Tu viens pas ? On peut enfin se tirer !
Lucas est comme un électrochoc. Je me lève d’un bon, lance mon sac sur le dos, me plante devant Renart.
— Tu n’es plus ma prof.
Je vois qu’elle réprime un sourire malicieux.
— Je ne suis plus ta prof.
— On prend une bière avant ?
— Tu es sure ?
Je crois que je n’avais jamais vu Renart. Elle avait toujours un peu gardé sa casquette de prof. Mais là. Son regard est sauvage, son masque de loup presque féroce. Elle brule d’un feu que je n’avais pas encore vu. Je vois, je sens, j’entends, la femme de 23 piges qui me veut. La prof a cramé.
— B105.
— Donne-moi une heure.
Un sourire narquois m’échappe. Je me redresse, calcule. Le bus, la marche, faire son sac, parler à Colette, le bus, la marche.
— Je te donne 47 minutes.
Elle touche l’écran de son tel et zyeute l’heure. Son regard s’absente une seconde. Je sais qu’elle fait le même calcule que moi.
— Tu ne m’accordes qu’une marge de 3 minutes. C’est tendu.
— Tu avais sept mois de marge.
Elle fronce le nez et ferme son cartable maintenant usé. Je crois qu’elle fait semblant d’être contrariée. Je hausse les épaules en souriant et enfonce mon bonnet sur mes oreilles. Lucas m’attend dehors.
— Tu lui as dit quoi ?
— Que je la veux.
— Hein ? Tu vas baiser Renart ?
— Et pas qu’un peu.
— Et moi alors ?
— On verra.
Soie est étalée sur ma table haute. Elle me regarde faire les cent pas. J’en use le parquet. Je tente d’occuper mon esprit en me posant des énigmes mentales. Peine perdue. Je suis dispersée comme jamais. Je me pose des questions dans tous les sens, toutes plus absurdes les unes que les autres. Qu’est-ce qu’on s’en fout de savoir si elle va aimer mes cheveux ! Ils sont aussi noirs et raides qu’au premier jour de classe ! Je saute d’une banalité à une autre et m’énerve de m’angoisser pour si peu. Bordel !
Renart sonne.
Quand j’ouvre la porte, je bug franchement. Un plat est meilleur quand on a faim. Je me demande si le cul ce n’est pas pareil. Renart a troqué sa tenue sobre et sérieuse pour du désinvolte coloré. Compensé façon sisal, short se rapprochant de la culotte en jean, chemise ample et top moulant. De quoi laisser mon esprit rêver ses courbes.
Le silence s’étire, le désir palpable. Elle me déshabille du regard. Je la dévore des yeux. Soie miaule, mais je ne bouge pas. Je ne peux pas. C’est comme si j’avais peur de la voir disparaitre. C’est complètement con.
Je prends une grande inspiration.
— Entre.
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