Second ingrédient : le style

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Il s’agit du paquet dans lequel vous allez emballer votre histoire. Et c’est ici que je vais probablement fâcher certains d’entre vous.

En effet, globalement, mon opinion est la suivante : le fond est plus important que la forme. À ces mots hérétiques, les amoureux de belle littérature se hérissent, s’offusquent, tachent leur belle cravate en soie en renversant leur thé (ou leur whisky) sous l’effet du scandaleux outrage et me condamnent aux enfers pour l’éternité. Et pourtant, c’est mon intime conviction.

Un raconteur d’histoire, de nos jours, doit trouver la manière la plus efficace de raconter ses histoires. Il y a trop de concurrence et les gens n’ont pas le temps de lire tous les livres publiés, ils sélectionnent ceux qu’ils espèrent être les meilleurs. Ils attendent d’être transportés par votre histoire, d’être si possible happés dès la première page, voire la première ligne, et de s’arrêter, essoufflés, à l’arrivée du point final. Et le style seul ne permet pas cela. Les frissons intenses du lecteur seront davantage le produit de vos enjeux, de vos personnages et de leurs émotions que de vos jolies phrases.

Le monde a changé, la langue a changé, les lecteurs ont changé, les auteurs ont changé… Je pense que si aujourd’hui on veut sublimer la langue, si l’on prétend faire de la forme son principal souci, si l’on cherche à produire une beauté quasi hermétique fondée sur l’emploi des mots plutôt que de « raconter », il vaut mieux faire de la poésie.

Maintenant, il ne faut pas perdre de vue que ce recueil d’alchimie concerne les conteurs, et qu’il est avant tout le reflet d’une opinion : la mienne. Loin de moi l’idée de dévaloriser les auteurs qui se consacrent prioritairement à entretenir une certaine qualité de la formulation. Il faut absolument garder cette idée en tête à la lecture de ces pages.

J’ai néanmoins un avis sur le style. Il est, après tout, l’un des ingrédients élémentaires de mon alchimie. Et surtout, je n’ai jamais dit qu’il fallait le négliger. N’importe quel lecteur préférera sans doute lire une histoire bien racontée et joliment formulée qu’une histoire bien racontée mais mal tournée et presque aussi dure pour l’oreille que pour l’œil. N’empêche que j’en fais simplement l’un de mes sept ingrédients, ni plus ni moins. Faites-en donc votre ingrédient principal si c’est là votre bon plaisir.

Trêve de circonvolutions pour ménager les susceptibilités du camp de la forme. Voyons ce qu’il en est de ce second ingrédient. Il peut prendre plusieurs aspects, mais le plus évident est précisément la poésie.

C’est important, les beaux mots, les mots adéquats. C’est agréable à l’oreille, ça coule à la lecture. Il y a des évocations qui frappent par leur justesse, on n’aurait jamais songé à formuler ainsi une idée qu’une simple association de quelques termes parvient à retranscrire de façon si limpide. C’est finalement le seul moyen, pour l’écrivain, de produire de la beauté. Personne ne feuillette un roman pour soudain s’arrêter sur une page et s’extasier sur un amas de lignes noires sur fond blanc. Et cet ingrédient est forcément celui qui distinguera le mieux un auteur d’un autre à la lecture d’un simple extrait. C’est donc finalement peut-être l’ingrédient le plus facile à appréhender. Les sentiments de vos personnages, vos drames et les méandres de votre intrigue auront plus d’impact s’ils sont servis par une belle forme. C’est d’ailleurs très certainement dans le domaine de l’abstrait, des émotions, de l’impalpable, en somme de ce qu’il est complexe d’exprimer que votre style doit se montrer le plus fin.

C’est important, donc, oui, mais pas capital. Du moins pas à ce point. On en fait trop, à mon sens, à ce sujet. Attention à la musicalité, le texte doit chanter, vos mots doivent être vôtres, l’expression d’une pensée singulière voire unique… Oui, bon, si l’on parvient à produire tout cela, et encore sans nuire au reste, c’est parfait ! Mais finalement, c’est la garniture. Un beau livre chiant reste chiant, si vous me permettez cette grossièreté qui n’a pas son équivalent parmi les « beaux mots » pour véhiculer l’image que j’ai en tête. Et peu de gens ont envie de lire un livre chiant.

Il faut aussi prendre garde à un effet secondaire possible si l’on tend vers un « excès de style » : l’hermétisme. Il faut savoir à qui l’on s’adresse, évidemment, mais si votre récit finit par ressembler à un concours de vocabulaire (et que vous êtes effectivement le plus balèze dans le domaine), vous risquez de perdre vos lecteurs en cours de route. Le mot le plus juste n’est pas forcément le mot adéquat. C’est même plutôt un atout si l’auteur parvient à se faire oublier, si les contours de la forme s’estompent au profit de l’histoire. Cet équilibre n’est pas toujours évident à trouver.

Un autre aspect du style, du moins du style en tant qu’ingrédient et tel que je me propose de le présenter, est le ton. C’est en vérité quelque chose d’assez difficile à définir, plus abstrait, peut-être, que la poésie. Il s’agit moins de tournures et de formulations, de mots concrets, que de l’impression générale que dégage le récit. Son cachet, en quelque sorte.

On peut traiter une idée de bien des façons, le tout est de trouver la plus appropriée. Vous désirez de la légèreté, un truc sucré et aérien comme une crème fouettée ? Vous désirez du drame, de la tension, ou plutôt du malaise, de l’inquiétude, de la peur ? Ou encore un truc brutal, spontané, sans fioriture, qui va à l’essentiel… Il va falloir choisir. Bien entendu, une histoire comique et pleine de bons sentiments ne s’écrira pas comme un polar noir et crasseux. Mais les nuances sont virtuellement infinies, comme les couleurs d’un prisme, et l’alchimiste doit s’efforcer de trouver la teinte qui correspond le mieux au récit, qui relèvera sa saveur et lui donnera tout son impact.

Le ton, c’est finalement, en quelque sorte, l’attitude adoptée par l’auteur pour raconter son histoire, un état d’esprit, une position assumée.

Enfin, je rangerai ici aussi, comme un petit cousin du style, les choix relatifs à la narration. J'ai l’impression que cet aspect est parfois un peu négligé, qu’on considère ces choix comme un détail et que le hasard pourrait aussi bien faire l’affaire que la volonté de l’auteur. J’écris une dystopie et Hunger Games est écrit au présent et à la première personne, donc je fais pareil… C’est tellement bien !

Écrire une histoire à la première ou à la troisième personne, découper le récit entre plusieurs narrateurs, opter pour un omniscient ou se focaliser sur un seul personnage, choisir les temps traditionnels de la narration ou le présent sont des choix qui auront un fameux impact sur votre histoire et son déroulement. Le ressenti du lecteur ne sera pas du tout le même. Les effets qu’il vous sera possible de générer et les contraintes auxquelles vous aurez à faire face vont énormément varier.

Songez-y à deux fois (minimum) avant d’arrêter votre choix. Réfléchissez aux implications. Voulez-vous un récit intimiste, un focal sur votre personnage-idée, gérer le débit d’informations aussi librement que possible, créer de l’ironie dramatique…

La position de Laurent

Je me suis montré un petit peu virulent vis-à-vis du style au début, mais j’apprécie son exercice et la découverte de perles dans mes lectures. J’aime les passages savoureux. Cependant je crois qu’il y a des choses qui se disent simplement. Si le personnage marche, ouvre la porte et entre dans une pièce, souvent, le plus simple reste de l’énoncer, pas besoin de grandes métaphores pour ça. J’avoue que ce sont d’ailleurs ces « zones de transition » qui me pèsent le plus à l’écriture. J’aime écrire les scènes, mais dès qu’il y a une charnière à poser entre deux scènes, un moment de flottement, je me lasse. J’ai intérêt à garder le rythme si je ne veux pas ralentir jusqu’au point mort, car c’est parfois difficile de redémarrer. C’est d’ailleurs un « truc » que je peux donner (du moins ça marche avec moi) : si vous devez interrompre votre travail d’écriture, tentez de le faire à l’orée d’une scène qui vous intéresse, voire carrément au milieu, vous y reviendrez plus aisément.

Vous le savez peut-être aussi, mais dans mon jeune temps, j’ai commencé par dessiner et illustrer. Au départ, cette tendance graphique a été un handicap, à mon avis. Comme je me créais des images mentales très précises, je tentais de les véhiculer par l’intermédiaire de descriptions détaillées. Trop détaillées. Parfois saturées. Sans doute désirais-je m’assurer que chacun puisse recréer la même image que moi. La fluidité du récit en prenait un vilain coup, comme vous pouvez vous en douter. Mais avec le temps, je pense être parvenu à dompter la bête et en avoir fait un atout. Aujourd’hui, les passages qui m’enthousiasment le plus, tant à l’écriture qu’à la lecture, ce sont notamment les morceaux évocateurs, ces petites veines précieuses qui parsèment le texte. J’ai appris à sélectionner les mots qui correspondaient le mieux à mon image et qui recréaient le mieux l’atmosphère du contexte, j’ai appris à peindre en quelques touches, sans barbouiller, j’ai appris à faire confiance au lecteur. Je privilégie donc le ressenti général à la description millimétrée. Souvent, l’esprit brodera aisément sur quelques mots bien choisis, sur des accroches intéressantes. L’image mentale que le lecteur recréera sera sans doute différente de la mienne, ainsi que de celles des autres lecteurs, mais elles partageront toutes une saveur assez semblable tout en respectant les autres ingrédients, sans les noyer. Faire confiance au lecteur, voilà encore un exercice délicat pour l’auteur, et primordial, mais j’y reviendrai lorsqu’il sera question de l’ingrédient « organisation ».

Concernant le ton, ne vous sentez pas non plus obligé de respecter un ton donné comme une contrainte. Vous pouvez vouloir traiter différentes parties de l’histoire différemment. Par exemple, un début heureux et chatoyant peut être traité avec une certaine légèreté, puis un drame vient tout bouleverser et le récit devient amer et sombre, c’est l’occasion d’un changement de ton qui renforcera les contrastes. Ou alors votre personnage vieillit et son enfance ne sera pas nécessairement traitée comme son âge adulte. Les possibilités sont vastes.

Ma saga, l’Empire de la Nuit, est truffée de personnages, et même de personnages narrateurs. J’ai essayé, sans toutefois que ce soit flagrant, je voulais aussi conserver un minimum d’homogénéité, de subtilement modifier le ton en fonction du narrateur. Le vocabulaire choisi et la qualité du traitement et de la narration varient un peu en fonction du personnage suivi. Le ton est donc ici employé comme un élément de description du personnage. Il contribue à esquisser son caractère, sa psychologie.

Enfin, au niveau des choix de la narration, les possibilités sont plus restreintes, mais pas moins cruciales. Pour avoir testé différentes choses, je peux dire que j’ai des préférences assez affirmées :

-J’aime les temps de la narration, que je trouve plus beaux.

-J’aime les narrateurs acteurs, que je trouve plus percutants que l’omniscient.

-J’aime avoir plusieurs narrateurs, car ça me permet d’élaborer le monde plus largement, avec plus de détail, sans me lasser d’un narrateur grâce au changement constant et puis, surtout, ça permet de créer des moments d’ironie dramatique particulièrement intenses, propres à accentuer les drames qui se jouent. Et j’ai aussi pu constater, en passant de l’Empire aux Chroniques, à quel point la distribution de l’information était plus complexe avec un seul narrateur, on est beaucoup plus dépendant des dialogues.

Mais ces préférences sont les conséquences évidentes de mes goûts en matière d’écriture : les sagas dépeignant des mondes vastes, riches et peuplés, le drame et la tragédie.

Pour conclure, je dirai simplement qu’à mon sens, les véritables chefs d’œuvres, ce sont les récits qui arrivent à réconcilier le fond et la forme. Ce sont ces histoires qui, belles sans être lassantes, proposent un divertissement intelligent. On est marqué durablement et l’on y prend plaisir. Mais il n’y a pas de recette toute faite pour ça.

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