Cinquième ingrédient : le background
Voici la toile de fond de votre histoire, le décor dans lequel vont évoluer vos personnages. Il s’agit en fait presque d’un personnage à part entière, mais plus complexe. La trame de votre background se doit d’être solide, finement tissée, mais le rythme ne vous permet pas non plus de lâcher votre contexte d’un bloc à la face du lecteur. Plus vous allez voir grand et détaillé, plus vous allez devoir vous montrer subtil pour distiller votre background entre les lignes de votre récit.
J’assimile ici plus ou moins le travail de recherche au background. Par exemple, si vous écrivez un roman policier ou historique, il vous faudra vous documenter sur les méthodes d’investigation, les procédures policières légales, ou bosser l’époque à laquelle se déroule votre histoire, la culture, les coutumes, le contexte politique et social, la mode vestimentaire, culinaire… La recherche documentaire n’est toutefois pas mon fort. Aux études déjà, bien que globalement amateur d’Histoire, jouer les rats de bibliothèque avait tendance à m’ennuyer.
Toutefois, le principe de la documentation est assez simple en soi. Plus vous ferez de recherches et plus vous serez à l’aise pour traiter votre sujet. Et plus vous désirez gagner en réalisme, plus vous aurez à faire de recherches. D’ailleurs, il peut être bon de faire un minimum de recherches (en tous cas de vous intéresser à certains sujets) même si vous écrivez dans un monde créé de toutes pièces. Prenons l’exemple de la fantasy, souvent peuplée de guerriers en armures et truffée de châteaux en pierre, avoir des notions de Moyen-Âge pourrait s’avérer utile et donner à votre monde, bien que fictif, un parfum de réel.
Comme je n’écris que des univers fictifs et que je suis davantage versé dans l’élaboration du background que dans la recherche documentaire, je vais plutôt me pencher sur le travail créatif. D’ailleurs, même dans un contexte réaliste, dans notre monde, un minimum de travail autour du background est requis. En effet, vous allez proposer un contexte particulier, il doit reposer sur des bases identifiables. Si on prend l’exemple de Jurassic Park, l’histoire se passe dans notre monde, à notre époque, mais le contexte a dû être élaboré : le parc en cours de préparation pour l’ouverture, le mode de création des dinosaures, l’appât financier des concurrents, le besoin de faire appel à des spécialistes pour évaluer la viabilité du projet… Au-delà des personnages et de leurs interconnexions, il faut établir la situation.
Dans un cas comme dans l’autre, de toute façon, vous serez plus sûr de vous pour écrire votre histoire si ce travail a été bien fait en amont. Au même titre que pour les personnages, certaines situations couleront naturellement de votre plume, générées par un contexte connu, justifiées par la situation particulière que vous aurez créée. Et même, comme les personnages peuvent parfois vivre leur propre vie, votre background pourra vous apporter des idées intéressantes à développer dans l’intrigue, pourra vous inspirer. Et surtout, même dans un univers complètement inventé, cela cimentera la cohérence du récit.
Concernant plus particulièrement les mondes fictifs, comme peuvent en proposer la fantasy et la S-F, votre liberté totale quant au background vous offre de belles opportunités. En effet, comme tout est à créer, comme il va vous falloir tout préparer, autant préparer utile. Comme je l’ai dit dans le cadre des idées, vous pouvez mettre ces idées en valeur, accentuer l’intensité de vos situations en élaborant un contexte optimal. Ce qui était vrai pour vos personnages (j’avais pris l’exemple de créer un traître si vous avez besoin d’une trahison) est également valable pour votre toile de fond. Ainsi, par exemple, si vous avez besoin d’un décor époustouflant pour une scène précise, créez-le, donnez-lui une histoire, une signification, une place privilégiée dans votre univers. Il en sera d’autant mieux justifié et s’intégrera ainsi parfaitement au contexte global.
La position de Laurent
Comme je l’ai également évoqué dans le cadre de l’ingrédient « idée », j’ai le chic pour me dérober à mes propres règles. Ainsi, il m’arrive souvent de m’enthousiasmer pour une idée de background, qui me donne dès lors envie de prendre la plume pour écrire et, assoiffé de créer mon univers, il se trouve déjà bien abouti lorsque vient le moment d’en faire une histoire, et je me retrouve avec autant de contraintes que d’opportunités intéressantes à saisir. Ce n’est pas grave en soi (celui qui écrit une histoire qui se passe dans notre monde doit jongler avec bien d’autres contraintes après tout), mais ça ne contribue pas à l’efficacité narrative. Avoir une idée plus ou moins claire de son intrigue avant de construire le background est donc un véritable plus.
Quant à écrire des histoires se déroulant dans le monde réel, quelle que soit l’époque, j’avoue que ça m’a toujours fait peur. Je crains le doigt accusateur qui pointerait l’incohérence, l’anachronisme, le manque de connaissances. Je me suis toujours beaucoup reposé sur mon imagination. C’est l’un de mes défauts, je suppose. D’ailleurs le temps consacré à la recherche documentaire serait du temps que je ne passerais pas à écrire et que j’aurais l’impression de perdre. C’est idiot, mais le sentiment n’en persiste pas moins.
Ma méthode de travail ne vous surprendra pas, comme pour les idées et les personnages, je jette mon inspiration sur le papier en une série de brefs éléments descriptifs. Lorsque j’ai l’impression que les grands concepts sont tous rassemblés, que la charpente est complète, je commence à écrire, attention pas l’histoire que j’ai à raconter, j’écris le monde.
Si je dois élaborer un univers appelé à durer ou envisagé comme récurrent (ce qui, de par mes goûts, est presque systématiquement le cas), j’écris beaucoup. Par exemple pour l’Empire, j’ai écrit 150 pages (Word A4 caractère 12 pour les curieux) de background avant d’écrire la moindre ligne du récit lui-même. J’écris donc les différents pays et cultures et leurs relations, j’écris leur Histoire (pour l’Empire, j’ai par exemple écrit environ 2000 ans d’histoire, en détaillant de plus en plus à mesure que j’approchais du « présent » du récit), je fais donc aussi une ligne du temps, un calendrier, des monnaies, des langues, des religions… et surtout, une carte du monde. Non seulement, la cartographie précise de votre monde vous aidera à y voir plus clair lorsque vous passerez à l’écriture, à garder une cohérence (deux villes à trois jours de marche l’une de l’autre ne seront pas tout à coup à trois heures ou à trois semaines), mais en outre, en tant qu’élément de background, la carte a des vertus inspirantes. Lorsque vous aurez besoin d’un obstacle ou d’un conflit, un coup d’œil à la carte permettra parfois d’identifier des collines difficiles parcourues de chemins sinueux ou des régions rivales se disputant le bord d’un fleuve, par exemple.
Cette qualité inspirante est valable pour tous les « accessoires » dont vous pourrez vous entourer. J’ai parlé de la carte du monde, mais vous pouvez illustrer vos personnages et vos lieux, vous pouvez répertorier des expressions régionales, faire des arbres généalogiques de vos familles nobles, écrire la mythologie de vos cultes, tracer les plans des villes où se déroule l’intrigue, dessiner les blasons… Tout est bon à prendre. Un jour, j’ai même créé un tarot de 18 arcanes et une méthode pour lire l’avenir. Et c’est là que je m’aperçois que, bien qu’une partie de ce temps ne soit pas strictement consacrée à l’écriture, je n’ai pourtant pas l’impression de le perdre. Je dois avoir l’esprit plus créatif que scientifique.
Bref, je peux vous dire qu’en démarrant l’écriture de l’Empire de la nuit, je me sentais prêt. Je connaissais le monde fictif aussi bien, sinon mieux, que le monde réel. Et si j’avais besoin de puiser une idée, un passé pour un personnage même secondaire, un détail pour authentifier la présence d’une vieille ruine, une rancune familiale ancestrale, j’avais tout sous la main. Cela m’a permis d’écrire crédible et sans stress. Car souvent, lorsqu’on recherche un élément de ce type en plein milieu du travail d’écriture, on a tendance à sauter sur le premier qui nous vient à l’esprit, sans grand souci pour l’harmonie générale et alors qu’en prenant le temps de réfléchir, on pourrait trouver bien mieux et bien plus intéressant.
Maintenant gardez à l’esprit qu’il s’agit des conseils et des méthodes de travail d’un fanatique des univers touffus. C’est l’un de mes grands plaisirs en tant que lecteur de fantasy : découvrir un nouveau monde, son fonctionnement et ressentir à quel point l’auteur y a consacré de l’énergie et de la sophistication. C’est également la richesse du monde qui permettra de créer des situations inédites et intéressantes.
En conclusion, n’hésitez pas à consacrer du temps à la préparation de votre histoire avant de la raconter. Il vous sera plus agréable d’écrire et il sera plus agréable au lecteur de vous lire. Même si en définitive vous n’utilisez réellement qu’une petite fraction de cette préparation. Les éléments élaborés, même non développés au sein de l’histoire, justifieront le récit et guideront votre plume, donneront à vos mots un sens plus lourd. Et pas besoin d’écrire de la fantasy pour préparer abondamment. Voyez Stephen King, par exemple, qui élabore de véritables fresques, bâties sur des socles solides. On peut ne pas aimer ce degré de détail dans l’écriture, quoiqu’il faille tout de même reconnaître la qualité authentique et immersive du procédé, mais cela demande une préparation à la hauteur. Préférez toujours préparer trop que trop peu.
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