Il était beau, il était laid
Il était beau, il était laid.
Il fait noir, il fait froid, il fait fade.
Il est beau, il est laid, il m'attire.
Il agrippe mes hanches, je mords sa lèvre inférieure.
Violent désir sur nos deux êtres en parfaite harmonie.
Il est doux, violent, enivrant.
Je suis celle, la seule, l'extrême.
Nous nous confondons dans l'eau trouble. Nous nous enlaçons, on coule. Dans cette infinie tristesse qui nous lie. On se morfond tous les deux, dans les bras, accrochés l'un à l'autre. Ce n'est pas de l'amour, à peine de l'affection, peut-être seulement du désir après tout.
Il est là, j'entends son souffle, j'ai ma main sur sa poitrine , je sens son cœur battre. Il est le fou, je suis la Reine. Il est le Roi, je suis la barjo. Drôle de jeu. Aussi dominés que dominants, nous sommes. Nous cherchons à prendre le contrôle en amadouant l'autre. Nous cherchons à nous faire aimer de l'autre sans prendre le temps de réellement le regarder. Nous avançons, main dans la main, dans ce couloir sombre. Toutes les portes sont fermées, les murs ont l'air si tristes. Les infirmières ne nous entendent pas. On s'embrasse. Toujours rien. Le vide, le calme, le plat, l'échec total de sentiments. Nous embrasser, ne nous procure rien. On fait l'amour. Sans réelle envie. Simple pulsion animale. Simple fuite temporelle. On a peur de vieillir, on se comprend. Nos doigts s'accrochent. Je caresse ses épaules, il dévore mes yeux. Sa bouche est sensuelle, je ne l'avais jamais remarqué avant. Il aime mes petits seins.
On parle, pendant des heures, de tout, de rien, des hirondelles que j'ai de tatoué sur mon cou. De mes peurs les plus fascinantes, de ses exs petites amies, de nos animaux respectifs, de notre ambition inexistante. De nos rêves morbides et de nos fantasmes inavouables. On parle et s'en m'en rendre compte, il m'embrasse à nouveau, mais, de manière plus franche, plus avouée, plus osée, plus érotique. Je crois que ses pulsions animales reviennent. Je n'ai pas l'envie. Je me lève, titube. Il m'attrape par les hanches et embrasse mon cou. Je lui fais signe d'arrêter. Il me chuchote « t'es belle quand tu dis non. T'es belle quand tu t'imposes. Mais t'es encore plus belle quand tu oses. » Je souris.
Il me regarde de ses yeux gris, ne cesse de maintenir ce regard de prédateur sur moi. C'est ça, prédateur. Je suis sa proie. Il m'a prise en chasse.
Je m'en vais. Loin de lui, loin de tout. Je regarde ma chambre. Elle est aussi fade que mes paupières. Je me déshabille et me plonge sous les draps. Les infirmières n'ont rien vu. Les infirmières de cet hôpital psychiatrique sont stupides. Je m'endors, peu à peu, en rêvant de ses mains sur mon corps, je me réveille, à plusieurs reprises. Le dégoût aux lèvres je me lève, le lendemain matin, à l'aube. Il fait frais, nous sommes au printemps. J'entends les oiseaux gazouiller. Et moi, hier, qui gémissait.
Je me revois nue contre sa peau. Je l'aperçois, il vient de se réveiller. Les cheveux en bataille, le sourire du Joker et ses yeux gris toujours braqués sur moi.
Il est beau, il est laid. Il est libre, il est mien. Il n'est rien, il est le centre de mon attention. Il est moi et ses ongles se plantent dans ma peau. Il rit nerveusement en préparant sa cigarette. Je baisse la tête et tire une latte sur la mienne. Il met ses cheveux en arrière, allume sa cigarette, puis me regarde. Il est beau, il est laid. Il est torse nu, je ne l'avais même pas remarqué. Une infirmière débarque. Elle le dispute car il n'a pas de tee-shirt. Je prends sa défense, enlève mon tee-shirt. Il rit, je crois qu'il m'admire, je crois même qu'il m'apprécie. Mais moi je ne l'admire pas, moi je ne l'apprécie pas car moi, je ne sais pas ressentir les choses. Mais ça, je ne l'apprendrais que plus tard.
J'apprendrais aussi, 2 ans plus tard, qu'il était schizophrène et qu'il se tuera volontairement dans un accident de moto. Il se prendra un chêne et décédera quelques secondes après le choc. Il était agent de sécurité, il ne laissera rien derrière lui. Même pas de gosses, même pas de chiens.
J'apprendrais, 6 ans plus tard, que je serais atteinte d'un cancer du sein, puis des os. Que c'était incurable. Que j'avais trop fumé, blabla. La routine habituelle. Toujours la faute des blondes ou des gitanes. Toujours la faute de la drogue dans laquelle je me plongerai pour assouvir ma douleur cancérigène.
J'apprendrais aussi que la vie n'est pas toujours celle à laquelle on s'attend et que j'avais complètement merdé. Que ma vie à moi ne pouvait même pas se résumer, elle n'était ni complète ni brève, simplement humaine et que c'était une tare.
Mais, je ne ressentais rien. Jamais. C'était une sorte de protection.
Il était beau, il était laid.
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