À contre-nature.

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La trahison.

Probablement l'un des actes humains les plus abjects qui puisse exister.

Agiter un drapeau brun et or des années durant, jurer qu'on serait prêt à mourir pour lui pour au final retourner sa veste et arborer un blason noir et violet le jour suivant, comme si de rien n'était.

Mais qu'en-est-il d'une trahison dont nous serions à la fois le coupable mais également la victime ?

Y'a-t-il pire sentiment que de voir poindre la pointe d'une épée transperçant sa chair, en ayant douloureusement conscience, à chaque seconde d'agonie, que le meurtrier n'est autre que soi ?

Des années. Qui ont commencé par n'être que quelques semaines, suivies par quelques mois, avant de s'allonger, encore et encore.

Des années passées à longer ce mur encore et encore, au point de le connaître par cœur, la moindre fissure, le moindre décalage de brique, aussi léger puisse-t-il être.

Un mur intimidant, tout simplement incomparable avec les habituels murets par dessus lesquels je bondissais sans même y réfléchir.

Alors j'ai eu peur. Des années pour parvenir à cet aveu si honteux à extraire.

Ne me considérant pas à la hauteur de cette escalade, je me suis tournée, bon gré, mal gré, vers les outils utilisés par la majorité pour les regarder de plus près.

On nous avait répété tellement de fois que c'était le chemin le plus sûr à prendre, le plus logique, le plus efficace. Je n'y avais jamais cru, pas une seule seconde.

Mais pour pouvoir avancer sur ce plateau de jeu, j'avais du me résoudre à apprendre à manier ces fameux ustensiles, bien qu'ils ne m'inspiraient strictement rien.

Tout doucement, sans même m'en rendre compte, j'ai érodé mes propres armes en me résignant à utiliser celles qui m'étaient imposées.

Mon coeur, qui battait jusque là dans le moindre de mes gestes, ne trouvait plus sa place dans ces gestes mécaniques dénués d'âme.

J'en ai perdu mes vieilles habitudes. Quand vint le temps de quitter ce sinistre cirque et reprendre ma route, l'impression de rouille était omniprésente et particulièrement désagréable.

Elle rongeait non seulement mon vieux sabre, oublié au profit d'un fusil, mais mes bras, qui semblaient incapables de le manier comme par le passé.

D'une fluidité aquatique, j'étais passée à une gestuelle saccadée, raide, imparfaite.

Vestige maudit des chorégraphies mécaniques ingurgitées par le passé.

À de nombreuses reprises, je me suis demandée si je retrouverais un jour une quelconque légitimité à me prétendre adepte de l'art de l'épée.

Hésitation et doute se sont empêtrés entre mes jambes, et le sentiment de ne pas mériter l'honneur de manier cette noble arme se faisait de plus en plus insistant.

Mais ce mur, je devais le franchir coûte que coûte.

Alors, piteusement, j'ai déposé l'épée et j'ai récupéré le fusil.

Après tout, il était fiable n'est-ce pas ? Si autant de gens s'en servaient, c'est qu'il avait forcément une valeur incontestable, pas vrai ?

Timidement, j'ai coupé du bois, convaincue que construire une échelle était la seule et unique solution pour venir à bout de ce gigantesque obstacle.

Mais au moment d'assembler les bouts de bois pour construire l'échelle, plus de colle. Ni de clous. Ni de vis.

Et puis, par où commencer ? Par quoi terminer ?

Encore des semaines, des mois qui passent à se ronger les méninges et tenter mille et une combinaisons différentes afin de trouver la meilleure.

À compter et recompter le nombre de bouts de bois à disposition, mesurer leur longueur, leur largeur, estimer leur poids et leur capacité à soutenir le nôtre.

Encore du temps perdu à essayer de nager tant bien que mal comme un poisson alors qu'on est un aigle.

Mais sans coercition, non. Volontairement.

S'arracher des plumes pour essayer de plonger dans les profondeurs, sans succès.

Se ruiner les poumons, faits pour affronter les plus hautes altitudes, à rester sous l'eau le plus longtemps possible, tentant désespérément d'apercevoir l'éclat d'une perle qui serait à portée de bec.

Le néant, l'obscurité.

Comment aurait-il pu en être autrement ?

À quel résultat s'attendre, lorsque l'on s'entête à aller contre le courant de tout son être ?

On en revient à retourner errer devant le mur, avec les bouts d'une échelle inutilisable en prime.

On l'effleure du bout des doigts, pour la énième fois.

À la différence que cette fois, une minuscule flamme s'allume dans l'obscurité de nos yeux fatigués.

Une flamme qui les embrase tandis qu'ils se retournent, frappés par une réalisation absurde par sa simplicité.

Un aigle n'a pas à s'adapter à la profondeur et la vitesse d'un cours d'eau, ni de ses courbes ou chutes abruptes, ni même des ours en embuscade.

Un aigle s'envole, tout simplement.

Ma nature n'a jamais été de monter avec une échelle ou tout autre raccourci ou préparations pratiques et raisonnables.

Ma nature est de mettre mon sabre entre mes dents, et d'escalader ce mur à mains nues.

Pas de pauses, pas de calculs compliqués, pas de casque, pas de baudrier.

Une corde, une seule, et c'est parti.

Pour la leçon, merci la vie.

Et longue et belle vie, à la piraterie.

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